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26/06/2024 | FRANCE | N°23/16882

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 26 juin 2024, 23/16882


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



ARRÊT DU 26 JUIN 2024

(n° , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16882 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIMBG et N° RG 24/00851



Décision déférée à la Cour : Décision du 20 décembre 2019 - bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris

Arrêt du 10 novembre 2021 - Cour d'appel de Paris

Arrêt du 17 Mai 2023 -Cour de Cassa

tion



APPELANT



M. [G] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Non comparant et représenté par Me Emilie SOLLOGOUB, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRÊT DU 26 JUIN 2024

(n° , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/16882 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIMBG et N° RG 24/00851

Décision déférée à la Cour : Décision du 20 décembre 2019 - bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris

Arrêt du 10 novembre 2021 - Cour d'appel de Paris

Arrêt du 17 Mai 2023 -Cour de Cassation

APPELANT

M. [G] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Non comparant et représenté par Me Emilie SOLLOGOUB, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant et Me Audrey Hinoux, avocat au barreau de Paris, avocat postulant

INTIMEE

Mme [N] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Non comparant et représentée par Me Léonore BOCQUILLON, avocat au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANTE

SELAS CABINET [J] venant aux droits de M. [G] [J]

Non comparante et représentée par Me Emilie SOLLOGOUB, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant et Me Audrey Hinoux, avocat au barreau de Paris, avocat postulant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport

Mme Nathalie BRET, Conseillère

Mme Caroline GUILLEMAIN, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Victoria RENARD

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 26 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et par Victoria RENARD, greffier présent lors de la mise à disposition.

***

M. [G] [J], avocat, a engagé Mme [N] [Y] par contrat de travail à durée indéterminée du 5 novembre 2012, en qualité d'avocate salariée chargée de traiter les dossiers en droit social.

Le 31 janvier 2018, il a informé Mme [Y] que sa collègue, Mme [C] [U], s'était plainte d'une situation de harcèlement moral dont elle serait l'auteur.

Le 9 février 2018, M. [J] a organisé une confrontation entre Mmes [Y] et [U] en présence de Mme [O] [F], à l'issue de laquelle il a acté du caractère infondé des accusations portées par Mme [U].

Au mois de mars 2018, Mme [Y] a sollicité auprès de M. [J] la rupture conventionnelle de son contrat de travail, lequel en a accepté le principe mais a souhaité que la date en soit différée afin de lui permettre de recruter son remplaçant.

A compter du 10 octobre 2018, Mme [Y] a été placée en arrêt maladie et le 7 avril 2019, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste avec dispense de reclassement. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 mai 2019, M. [J] l'a licenciée aux motifs de son inaptitude médicalement constatée et de l'impossibilité de la reclasser.

Par lettre du 17 mai 2019, M. [J] a adressé à Mme [Y] ses documents de fin de contrat, ainsi que son solde de tout compte comportant une indemnité de licenciement de 10 251,41 euros.

Le 14 août 2019, Mme [Y] a procédé à l'immatriculation de la Selas [N] [Y] avocat au registre du commerce et des sociétés de Paris.

Par requête du 9 août 2019, Mme [Y] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris du litige l'opposant à M. [J] quant aux conditions d'exécution et de rupture de son contrat de travail.

Après échec de la tentative de conciliation, elle a saisi le bâtonnier selon requête du 27 septembre 2019 afin qu'il statue sur le litige, sollicitant le paiement d'heures supplémentaires, la nullité du licenciement pour inaptitude au motif qu'elle avait subi un harcèlement moral et des dommages et intérêts pour harcèlement, manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et travail dissimulé.

Par décision du 20 décembre 2019, le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris a :

- condamné M. [J] à payer à Mme [Y] les sommes de :

* 24 550,35 euros au titre des heures supplémentaires sur la période d'août 2016 à juin 2019 avec intérêts à compter du 27 septembre 2019, date de la saisine,

* 2 455,23 euros au titre des congés payés afférents avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019,

* 1 349,11 euros au titre d'un complément d'indemnité de licenciement, tenant compte d'un salaire de référence majoré des heures supplémentaires habituelles avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019,

* 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur sur la période courant avant son arrêt de travail,

* une indemnité compensatrice de préavis de 20 256,67 euros bruts avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019,

* une indemnité de congés payés afférents de 2 025,66 euros avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019,

- ordonné la délivrance par M. [J] à Mme [Y] d'un bulletin de paie correspondant aux heures supplémentaires, aux congés payés afférents et à l'indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés afférents,

- condamné M. [J] à payer à Mme [Y] la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement illicite,

- débouté les parties de toute autre demande,

- condamné M. [J] à payer à Mme [Y] une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

M. [J] a fait appel de cette décision par lettre recommandée avec accusé de réception envoyée le 6 janvier 2020.

Par arrêt du 10 novembre 2021, la cour d'appel de Paris a infirmé la décision du bâtonnier, sauf en ce qu'elle a :

- débouté Mme [Y] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- débouté Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour perte de salaire durant l'arrêt maladie résultant d'un harcèlement moral,

- condamné M. [J] à payer à Mme [Y] la somme de 1349,11 euros au titre d'un complément d'indemnité de licenciement tenant compte d'un salaire de référence majoré des heures supplémentaires habituelles avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019,

- débouté Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé,

- débouté Mme [Y] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation contractuelle par mise en place d'un système de travail à distance,

- ordonné la délivrance par M. [J] à Mme [Y] d'un bulletin de paie correspondant aux heures supplémentaires, aux congés payés afférents,

et statuant de nouveau, elle a :

- débouté Mme [Y] de ses demandes de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, et de dommages et intérêts au titre du caractère illicite du licenciement,

- condamné M. [J] à payer à Mme [Y] les sommes de 11 400,75 euros au titre des heures supplémentaires effectuées sur la période d'août 2016 à octobre 2018 avec intérêts à compter du 27 septembre 2019, date de la saisine, et de 1 140,07 euros au titre des congés payés afférents avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019,

- condamné Mme [Y] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon arrêt rendu le 17 mai 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt mais seulement en ce qu'il déboute Mme [Y] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral, pour perte de salaire durant l'arrêt maladie résultant du harcèlement moral, pour manquement à l'obligation de sécurité et de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et du caractère illicite du licenciement et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile. 

Sur le harcèlement moral, elle a reproché à la cour de ne pas avoir pris en compte, comme l'y invitait la salariée, l'absence de mesures de protection prises par l'employeur malgré les demandes réitérées de la salariée, et d'avoir procédé à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par celle-ci, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral et d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral.

S'agissant de l'obligation de sécurité de l'employeur, elle a reproché à la cour d'avoir retenu que le manquement à son obligation de sécurité reproché par la salariée à son employeur en ce qu'il n'a pas pris les mesures propres à prévenir et faire cesser le harcèlement moral n'était pas établi en l'absence de preuve d'un harcèlement moral.

Les 2 et 3 octobre 2023, M. [J] a saisi la cour d'appel de Paris désignée comme cour de renvoi. Les deux affaires ont été enrôlées sous les numéros 23/16882 et 24/851.

Par conclusions communiquées par RPVA le 22 avril 2024, visées par le greffe le 24 avril 2024 et développées oralement à l'audience, la Selas Cabinet [J] venant aux droits de M. [G] [J], intervenante volontaire, demande à la cour de :

- déclarer recevable l'acte de déclaration de saisine de la cour d'appel de Paris,

- déclarer la Selas Cabinet [J] venant aux droits de M. [J] recevable en son intervention volontaire,

- réformer la décision du bâtonnier en date du 20 décembre 2019 en ce qu'elle a :

* condamné M. [J] à payer à Mme [Y] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur sur la période courant avant son arrêt de travail,

* condamné M. [J] à payer à Mme [Y] une indemnité compensatrice de préavis de 20 256,67 euros bruts avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019, date de la saisine,

* condamné M. [J] à régler à Mme [Y] une indemnité de congés payés afférents de 2 025,66 euros avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019, date de la saisine,

* ordonné la délivrance par M. [J] à Mme [Y] d'un bulletin de paie correspondant aux heures supplémentaires ou congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents,

* condamné M. [J] à payer à Mme [Y] la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement illicite,

* condamné M. [J] à payer à Mme [Y] une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté les parties de toute autre demande mais seulement en ce qu'il déboute M. [J] de ses demandes,

* rappelé pour l'application des dispositions relatives à l'exécution provisoire que le salaire mensuel brut de référence de Mme [Y] est de 6 100 euros par mois,

* rappelé notamment qu'est de droit exécutoire à titre provisoire la décision du bâtonnier qui ordonne le paiement des sommes au titre des rémunérations dans la limite maximale de neuf mois de rétrocession d'honoraires ou de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois,

* condamné M. [J] aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution de la décision au-delà du mois suivant sa notification,

statuant de nouveau,

- débouter [N] [Y] de sa demande tendant à l'irrecevabilité de la déclaration de saisine et de l'ensemble de ses demandes,

- condamner [N] [Y] à lui régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre infiniment subsidiaire, si la Cour venait à faire droit à la demande de Mme [Y] tendant à l'irrecevabilité de la déclaration de saisine :

- lui déclarer inopposable l'arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 17 mai 2023,

- condamner Mme [N] [Y] à lui restituer les sommes perçues de la Selas Cabinet [J],

- déclarer l'arrêt rendu par la cour d'appel du 10 novembre 2021 définitif et par conséquent la reprise d'instance sans objet,

En tout état de cause :

- condamner Mme [Y] aux entiers dépens dont distraction auprès de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.

Par conclusions communiquées par RPVA le 8 avril 2024, visées par le greffe le 24 avril 2024 et développées oralement à l'audience, Mme [N] [Y] demande à la cour de :

- juger irrecevable l'acte de saisine de la cour d'appel de Paris après cassation régularisé par M. [J] le 3 octobre 2023,

- se déclarer non saisie dans les délais,

à titre subsidiaire,

- débouter la partie adverse de sa demande de mise hors de cause de M. [J],

- prendre acte de l'intervention volontaire de la Selas Cabinet [J] au côté de M. [J],

à titre subsidiaire, sur le fond,

- infirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle n'a pas retenu le harcèlement dont elle a fait l'objet,

en conséquence,

- condamner in solidum M. [J] et la Selas Cabinet [J] à lui régler la somme de 40 000 euros de dommages et intérêts au titre du harcèlement subi,

- infirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice financier au titre de la perte de salaires durant ses arrêts maladie,

cn conséquence,

- condamner in solidum M. [J] et la Selas Cabinet [J] à lui régler la somme de 5 390,32 euros de dommages et intérêts,

- confirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle a retenu que le licenciement était illicite,

en conséquence,

- condamner in solidum M. [J] et la Selas Cabinet [J] à lui régler :

* 20 063,55 euros bruts à titre d'indemnité de préavis et 2 006,35 euros bruts à titre de congés payés afférents,

* 66 878,50 euros de dommages et intérêts, et à titre subsidiaire 40 127,10 euros de dommages et intérêts au titre du caractère illicite du licenciement,

- confirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle a constaté le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

en conséquence,

- condamner in solidum M. [J] et la Selas Cabinet [J] à lui régler la somme de 40 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur,

à titre infiniment subsidiaire, si par impossible, en dépit des éléments versés aux débat, la cour devait considérer que la qualification de harcèlement moral ne peut pas être retenue en l'espèce, juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- condamner in solidum M. [J] et la Selas Cabinet [J] à lui régler la somme de 46 814,95 euros à titre de dommages et intérêts,

en tout état de cause,

- confirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle a condamné M. [J] à lui remettre les bulletins de salaire rectifiés,

- confirmer la décision du bâtonnier en ce qu'elle a condamné M. [J] à lui régler une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

- condamner in solidum M. [J] et la Selas Cabinet [J] à lui régler 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel et les condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais d'exécution de la décision le cas échéant.

SUR CE,

Les deux déclarations de saisine ayant trait à la même instance, il convient d'en ordonner la jonction sous le numéro 23/16882.

Sur la recevabilité de l'acte de saisine

Mme [Y] soutient que :

- à compter de la vente par M. [J] de son cabinet à la Selas Cabinet [J], intervenue avant que l'arrêt de la Cour de cassation ne soit rendu, celui-ci n'était plus recevable à régulariser des actes de procédure en son nom dans ce dossier, soulignant qu'à défaut l'intervention volontaire de la Selas Cabinet [J] se serait nécessairement limitée à une intervention aux côtés de M. [J] et en aucun cas aux droits de celui-ci,

- si l'irrecevabilité n'était pas prononcée, l'intervention de la Selas Cabinet [J] ne pourrait qu'être prise en compte aux côtés de M. [J] et non à ses droits, de sorte qu'il conviendrait alors de procéder à une condamnation in solidum de M. [J] et de la Selas Cabinet [J].

La Selas Cabinet [J] répond que :

- aucun fondement n'est invoqué à l'appui de la demande d'irrecevabilité de la saisine, en sorte qu'elle est elle-même irrecevable,

- l'instance a été introduite à l'encontre de M. [J], elle reprend et se poursuit dans l'état dans lequel elle se trouvait avant l'arrêt cassé,

- il ne peut être reproché à M. [J] d'avoir dénoncé la cession de son cabinet et d'actualiser sa situation en faisant intervenir volontairement l'organe qui vient à ses droits,

- s'il devait être fait droit à la demande de Mme [Y], l'arrêt de la Cour de cassation devrait lui être déclaré inopposable et Mme [Y] condamnée à restituer les sommes perçues de la Selas en exécution de l'arrêt, et en l'absence d'arrêt de la Cour de cassation opposable aux parties, celui du 10 novembre 2021 serait définitif et la reprise d'instance sans objet.

Selon l'extrait produit d'un 'Acte de vente d'un cabinet d'avocat' non daté et non signé, mais non contesté, M. [J] a cédé son cabinet d'avocat à la Selas Cabinet [J], laquelle, dans leurs rapports entre eux, s'est engagée à supporter toutes les sommes dues par le vendeur au titre de toutes les indemnités et salaires quelconques pouvant être dus à ses salariés ou anciens salariés et en particulier de toutes les sommes qui pourraient être dues à Mme [Y], en ce compris les frais de procédure et les honoraires et frais d'avocats.

Il n'est pas contesté en outre que c'est la Selas Cabinet [J] qui a exécuté les condamnations résultant de la décision du bâtonnier assorties de l'exécution provisoire et de l'arrêt de la Cour de cassation.

Dans ces conditions, l'intervention volontaire de la Selas Cabinet [J] aux droits de M. [J] est recevable et Mme [Y] doit être déboutée de ses demandes de condamnation in solidum formées à l'encontre de M. [G] [J].

Sur le harcèlement moral 

Le bâtonnier a retenu que :

- l'arrêt de travail de Mme [Y] n'a pas fait l'objet d'une déclaration maladie ou accident du travail et sa demande de dommages et intérêts en réparation de la perte de salaire durant la maladie résultant du harcèlement moral ne peut être examinée,

- les certificats médicaux établissent suffisamment que Mme [Y] a souffert d'une situation professionnelle dégradée dont il convient de déterminer l'origine,

- il est constant qu'elle s'est heurtée à l'hostilité d'une consoeur employée par le cabinet qui l'a accusée de harcèlement ; M. [J] a reçu à deux reprises les avocats en février 2018 et vainement raisonné Mme [U] à l'origine des critiques et rumeurs lancées contre Mme [Y],

- il ne peut donc lui être reproché d'avoir commis ou incité sa collaboratrice à commettre un harcèlement moral,

- en revanche, tenu d'une obligation de sécurité, il n'a pas pris les mesures adéquates pour préserver la santé et la sécurité de sa salariée en imposant à Mme [U] de changer de bureau plutôt que de le proposer à Mme [Y],

- mais surtout, alors qu'il avait été informé par écrit début mai 2018 du fait que Mme [U] entretenait à l'encontre de Mme [Y] des rumeurs de sorcellerie et d'envoûtement, il n'a pas procédé à une enquête alors qu'il avait fait surveiller le comportement de Mme [Y] dès 2017 pour établir que les griefs de Mme [U] étaient infondés ; l'inadéquation de sa réaction est d'autant plus grave que les propos tenus et l'attitude de Mme [U] étaient, même indirectement, racistes,

- comme le harcèlement n'est pas établi, il n'y a pas lieu d'indemniser Mme [Y] de ce chef mais la souffrance par elle nécessairement subie à supporter des accusations et une attitude inappropriée de sa voisine de bureau doit être indemnisée par l'octroi de la somme de 8 000 euros,

- cette inadéquation de la réaction affecte aussi la validité du licenciement qui a suivi l'arrêt de travail et dont on ne peut expliquer autrement la cause,

- l'employeur n'ayant pas pris les mesures adéquates pour mettre fin à l'attitude raciste et discriminatoire d'une autre collaboratrice, le licenciement est illicite en application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail.

La Selas Cabinet [J] venant aux droits de M. [J] soutient que :

- Mme [Y] n'a jamais prétendu avoir été victime de harcèlement pendant l'exécution de son contrat,

- Mme [Y] invoque deux catégories d'agissements à l'appui de son allégation de harcèlement moral à savoir les accusations de Mme [U] et les agissements prétendus de la direction,

- s'agissant des premiers, sont seuls établis la dénonciation par Mme [U] d'un harcèlement dont elle serait victime de la part de Mme [Y] à partir de janvier 2018, la production de trois lettres rédigées par elle et remises à son employeur et de deux récépissés de mains courantes déposées par elle étant dépourvus de force probante pour être des preuves constituées à elle-même, et les propos tenus par Mme [U] à Mme [L] au printemps 2018 selon lesquels Mme [Y] lui aurait jeté des sorts,

- il n'est pas contesté par Mme [Y] qu'elle n'a jamais été victime du moindre agissement direct de Mme [U] à son encontre, les manoeuvres de cette dernière résultant uniquement de sa dénonciation d'un harcèlement moral auprès de l'employeur d'une part et de propos tenus auprès de tiers d'autre part,

- s'agissant des agissements de la direction constitutifs d'un harcèlement, ils ne sont pas tous établis, M. [J] ayant pris les mesures qui s'imposaient à savoir entendre la salariée qui se prétendait victime le 25 janvier 2018, informer Mme [Y] de cette plainte le 31 janvier 2018 et solliciter ses explications, organiser une confrontation, interroger les deux collègues cités par Mme [Y], avant d'acter le caractère infondé des accusations portées contre elle et de lui proposer de changer de bureau, ce que celle-ci a refusé,

- Mme [Y] n'a plus élevé de contestation, ni informé M. [J] de difficultés rencontrées dans l'exercice de ses fonctions jusqu'à ce qu'elle soit arrêtée, six mois plus tard, en octobre 2018, après qu'a été acté le désaccord sur les conditions financières de sa rupture conventionnelle,

- les agissements de la direction allégués à l'appui de l'accusation de harcèlement moral dont la matérialité est établie sont l'absence de réponse aux courriers remis par Mme [Y] à M. [J], la recherche d'un remplaçant et la préparation du remplacement et la fin de la subrogation des indemnités journalières de sécurité sociale (IJSS),

- Mme [Y] confond manquement prétendu de son employeur à son obligation de prévenir et faire cesser les agissements de harcèlement moral et agissement susceptible de caractériser un harcèlement moral,

- pris dans leur ensemble les faits dont la matérialité est établie, à savoir la dénonciation par Mme [U] d'un harcèlement moral dont elle serait victime de la part de Mme [Y], l'absence de réponse aux courriers remis par Mme [Y] à M. [J], la recherche d'un remplaçant, la préparation du remplacement de Mme [Y] et la fin de la subrogation des IJJSS, ne sont pas de nature à laisser présumer l'existence d'une façon d'agir blâmable du Cabinet [J] pour arriver à une dégradation des conditions de travail de Mme [Y] et donc à faire supposer l'existence d'un harcèlement moral,

- l'altération de l'état de santé de Mme [Y] ne laisse pas à lui seul présumer l'existence d'un quelconque harcèlement moral étant relevé que les pièces versées ne font référence à aucun fait qui serait survenu en octobre 2018 qui aurait pu causer l'arrêt maladie d'octobre 2018, intervenu après qu'a été acté le désaccord sur les conditions de la rupture conventionnelle, Mme [Y] n'a procédé à aucune déclaration d'accident du travail ou de maladie professionnelle de janvier 2017 à octobre 2018, n'a jamais sollicité de visite auprès du médecin du travail, et le compte rendu de la psychologue ne fait que reprendre les déclarations de Mme [Y],

- les certificats médicaux produits sont impuissants à rapporter la preuve d'une situation objective au travail à l'origine d'une souffrance et le médecin du travail n'a pas jugé que la situation de Mme [Y] nécessitait un signalement à son employeur, n'a pas fait état d'une situation de harcèlement, n'a pas préconisé d'aménagement du poste ni tenté de la maintenir dans son emploi, il a prononcé une inaptitude et dispensé M. [J] de reclassement,

- elle établit en tout état de cause que les faits matériellement établis sont étrangers à tout harcèlement moral,

- Mme [Y] a instrumentalisé la procédure au cours de laquelle elle était placée en situation de potentiel auteur de harcèlement pour solliciter une indemnisation accrue,

- l'absence de réponse aux courriers remis par Mme [Y] est étrangère à tout harcèlement moral compte tenu des objectifs dans lesquels ils ont été rédigés et de la mise en oeuvre des démarches sollicitées,

- la recherche d'un remplaçant a constitué la mise en 'uvre de la condition posée par M. [J] pour permettre la rupture conventionnelle sollicitée par Mme [Y],

- la fin de la subrogation des indemnités journalières de sécurité sociale ne procède pas d'une décision de M. [J], mais de l'application par le cabinet comptable des dispositions de l'article 7.2.2 de la convention collective qui pose le principe d'une subrogation uniquement pendant les 30 premiers jours calendaires d'absence continue et non au-delà,

- Mme [Y] ne propose pas de justifier du montant des dommages et intérêts sollicité au titre du harcèlement,

- l'employeur a indemnisé la période de maladie conformément à ses obligations légales et conventionnelles et ne saurait être tenu à une indemnisation supplémentaire à ce titre,

- Mme [Y] ne justifie pas de sa demande au titre d'un licenciement illicite à hauteur de dix mois de salaire,

- les heures supplémentaires réclamées ne constituant pas des heures structurelles, elles n'auraient pas été effectuées pendant le préavis et n'auraient pas été prises en compte dans le salaire de référence.

Mme [Y] soutient que le harcèlement moral dont elle a été victime sur son lieu de travail est caractérisé, en ce que :

- elle a subi à compter de 2017 des accusations calomnieuses, racistes et réitérées de la part d'une de ses collègues, la véracité de l'ensemble des faits dénoncés ayant été actée par le bâtonnier,

- elle n'a été avertie des accusations portées contre elle par Mme [U] qu'à la faveur d'un entretien du 31 janvier 2018 et ce, alors que les accusations dataient de 2017, avaient été réitérées, et que son employeur l'avait fait tester et observer à son insu par ses collègues,

- les accusations calomnieuses et racistes de Mme [U] se sont poursuivies en 2018 ce dont elle n'a été informée par une collègue qu'en mai 2018, Mme [I] [H], lui rapportant que Mme [U] l'accusait de se livrer à des actes de magie noire qui seraient responsable du cancer du père de ses enfants décédé en janvier 2013, de l'état de santé de sa fille qui a commis plusieurs tentatives de suicide et de l'échec scolaire de son fils, propos qu'elle a confirmés le jour même devant M. [J], ce que confirme son courrier du 24 mai 2018,

- l'employeur n'ayant pas pris les mesures qui s'imposaient, les accusations se sont poursuivies durant l'été 2018 au cours duquel elle a appris que Mme [U] continuait à faire état de ces allégations auprès de l'hôtesse d'accueil qui lui a confirmé en octobre 2018 qu'elle lui tenait régulièrement ce genre de propos et qu'elle l'avait également fait en présence d'un autre avocat du cabinet,

- la persistance et le caractère répété des agissements de Mme [U] colportant des allégations calomnieuses est matériellement démontré, nonobstant les tentatives de son employeur pour se dédire de cette réalité qu'il avait pourtant reconnue devant le bâtonnier,

- les accusations de maraboutisme et de sorcellerie étaient d'autant plus graves qu'outre leur caractère calomnieux elles présentaient un caractère raciste évident compte tenu de ses origines antillaises,

- ces agissements ont eu pour conséquence de dégrader ses conditions de travail, de porter atteinte à sa dignité, d'altérer sa santé et de compromettre son avenir professionnel, comme le montrent les documents médicaux produits qui font état d'un burn out et d'une dépression à compter du 10 octobre 2018, précisant qu'elle a été ostracisée et peu à peu isolée et qu'il en est résulté une inaptitude ayant conduit à son licenciement,

- M. [J] n'a jamais respecté l'obligation de prévention et d'information des risques professionnels mise à sa charge et n'a d'ailleurs jamais procédé aux élections des représentants du personnel comme le prévoit l'article L. 2314-4 du code du travail, ce qui l'a privée du soutien qu'elle aurait pu recevoir et de la mise en oeuvre de leur droit d'alerte, soulignant qu'elle n'a jamais été responsable de la politique de ressources humaines du cabinet, un autre avocat en droit social étant le référent en charge de ces problématiques,

- une fois informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, M. [J], en dépit de ses sollicitations, n'a pris aucune mesure pour mettre un terme à la situation, pas même l'éloignement des bureaux des intéressées, n'a pas sanctionné la salariée à l'origine des accusations, n'a procédé à aucune enquête interne, n'a pas organisé de confrontation, et n'a pas alerté la médecine du travail contrairement à ce qu'il avait fait pour la salariée mise en cause lorsque celle-ci avait déclaré être victime de harcèlement,

- il a même refusé de signer immédiatement la rupture conventionnelle sollicitée la maintenant durant de nombreux mois dans une situation insupportable et psychologiquement dangereuse, avant, lors d'un entretien le 17 septembre 2018, de revenir sur son engagement de lui verser une indemnité de rupture conventionnelle, et ayant pourvu à son remplacement, l'a invitée à démissionner, Mme [F], son bras droit cessant alors de lui adresser la parole ce qui a contribué à renforcer son isolement au sein du cabinet,

- les nombreux documents médicaux faisant état de dépression et de burn-out ne laissent pas de doute quant à l'altération de sa santé physique et mentale résultant des agissements qu'elle a subis au sein du cabinet,

- contrairement à ce qu'a retenu le bâtonnier, l'employeur est responsable des actes de harcèlement moral commis dans son entreprise quand bien même il n'y aurait pas pris part personnellement,

- elle est fondée à obtenir des dommages et intérêts pour préjudice moral du fait du harcèlement moral (40 000 euros), des dommages et intérêts pour perte de salaire durant l'arrêt maladie résultant du harcèlement moral (5 390,32 euros), une indemnité de préavis sur la base du salaire moyen arrêté par la cour d'appel et confirmé par la Cour de cassation après réévaluation de son salaire et les congés payés afférents (20 063,55 euros bruts + 2 006,35 euros bruts), enfin, au titre du caractére illicite du licenciement des dommages et intérêts correspondant à six mois de salaire minimum (66 878,50 euros) ou subsidiairement (40 127,10 euros).

Selon l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1152-2 du même code précise qu'aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et l'article L 1152-3 ajoute que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2 est nulle.

L'article L.1152-4 dispose que l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Le régime probatoire du harcèlement est fixé par l'article L.1154-1 du code du travail qui prévoit que 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à 1152-3 [...], le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.'

Le harcèlement moral peut être le fait d'un collègue dès lors qu'aucun rapport d'autorité n'est exigé.

Il est constant que Mme [Y] a eu connaissance des accusations de harcèlement moral portées par Mme [U] à son encontre lors d'un entretien qui s'est tenu avec M. [J] le 31 janvier 2018.

A l'issu de celui-ci, par courrier daté du 5 février 2018, remis à son employeur en mains propres, et non critiqué par ce dernier pourtant avocat, Mme [Y] a contesté de manière officielle les faits allégués, pris acte notamment que les accusations de Mme [U] avaient été portées à plusieurs reprises 'depuis plus d'un an' et que M. [J] avait diligenté une enquête en interne depuis plusieurs semaines pour observer son comportement à l'égard de Mme [U] et identifier le cas échéant des actes ou attitudes les confirmant, laquelle avait révélé le caractère infondé des accusations reposant selon Mme [U] sur 'une intuition de harcèlement.'

Dans son 'mémoire en réplique' devant le bâtonnier, M. [J] a indiqué ' Ainsi, en 2017, [C] [U], l'a informé de ce qu'elle se sentirait déstabilisée par [N] [Y]. En l'absence de tous faits concrets rapportés, [G] [J] a observé le comportement de ses salariées afin d'identifier toute attitude susceptible de corroborer son propos, observation qui n'a rien révélé.'

Même si le point de départ des accusations portées par Mme [U] ne peut être déterminé avec certitude, il se déduit de ces éléments qu'elles ont débuté au cours de l'année 2017 sans que M. [J] n'en informe immédiatement Mme [Y].

Il est justifié qu'elles se sont répétées car même si les mains courantes sont dépourvues de force probante s'agissant de la simple reprise des déclarations de Mme [Y], dans une lettre datée du 24 mai 2018, remise par cette dernière à son employeur, également non critiquée par celui-ci, elle rappelle que lors d'un entretien qui s'est tenu la veille avec M. [J] et Mme [I] [H], assistante juridique, cette dernière leur a rapporté que Mme [U] indiquait à ses collègues qu'elle pratiquerait de 'la magie noire contre elle' et qu'elle serait 'responsable du décès du père de ses enfants' et 'de l'état de santé de sa fille'.

En outre, l'attestation établie le 15 février 2024, par Mme [E] [L], hôtesse d'accueil et secrétaire juridique, après avoir elle-même quitté le cabinet [J], indique que M. [J] l'a interrogée en janvier 2018 sur 'la bonne entente des salariées du rez-de-chaussée', qu'au printemps et au cours de l'été 2018 '[C] [U] est venue me faire part de propos graves au sujet d'[N] [Y]. Elle me disait qu'[N] [Y] lui a jeté des sorts malveillants [...], a essayé de la tuer en faisant tomber les placards de sa cuisine, [...] avait tué son mari en lui donnant le cancer et que les tentatives de suicide de sa fille étaient également dues aux sortilèges qu'[N] [Y] lui avait lancé', précisant que Mme [F], avocate ayant plus de 25 ans d'ancienneté dans le cabinet et considérée comme le 'bras droit' de M. [J], était au courant puisqu'elle était venue durant l'été 2018 pour lui demander de l'informer si 'Mme [U] revenait l'importuner avec ses histoires de sorcellerie sur [N] [Y]'.

En revanche, la preuve que de tels propos auraient été tenus devant d'autres avocats du cabinet n'est pas rapportée.

Il ne peut être nié qu'au regard des origines antillaises de Mme [Y], ces accusations présentaient une connotation raciale particulièrement grave.

Il est également justifié que Mme [Y] a été en arrêt de travail du 17 février au 27 février 2018, puis à nouveau à compter du 10 octobre 2018 et jusqu'à la décision d'inaptitude.

Mme [Y] produit un certificat médical du Dr [A] [T], médecin généraliste, qui atteste l'avoir suivie à compter du mois de février 2018 pour 'anxiété, souffrance au travail avec arrêt de travail en février 2018 puis arrêt de travail depuis le 10 octobre 2018 au 1er juin 2019 pour cause de burn out.'

Les deux premiers certificats médicaux de février 2018 ne précisent aucun motif, mais lors de la transmission à son employeur du premier, Mme [Y] a indiqué dans son mail d'accompagnement 'Je suis très affectée par les événements de ces derniers jours. Moralement, je ne me sens pas très bien.'

Si le compte-rendu d'entretien de la psychologue du 'Centre du burn out' réalisé en février 2019 ne fait que reprendre les déclarations de Mme [Y], les arrêts maladie établis à compter du mois d'octobre 2018 précisent comme motifs 'Autres troubles mentaux, Burn out, anxiété majeur' pour le premier ou 'Episode dépressif', 'dépression, burn out' pour les suivants.

Il est en outre démontré que Mme [Y] a été prise en charge dans ce centre par le docteur [W] [P], psychiatre, en raisons d'insomnies, de réveil avec angoisse, troubles cognitif et somatique, réaction anxieuse à l'idée de son travail, symptômes s'apparentant selon lui à un syndrome d'épuisement professionnel et nécessitant différents traitements.

Mme [Y] établit donc la matérialité de faits précis et concordants qui ont eu pour conséquence de dégrader ses conditions de travail, Mme [L] attestant, contrairement à Mme [F], de son isolement au sein du cabinet, et d'altérer sa santé physique ou mentale et qui, analysés dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral.

Il appartient dès lors à M. [J], responsable des agissements de harcèlement de ses salariés, de prouver que ceux-ci ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, dont il avait l'obligation d'assurer la prévention en application de l'article L.1152-4 précité du code du travail.

Or, il n'est pas prouvé que M. [J] avait à l'époque des faits, pris toutes les mesures de propres à prévenir les faits de harcèlement moral, au nombre desquelles des actions d'information et de prévention.

Il n'est pas plus démontré par l'employeur que les agissements subis par Mme [Y] de la part de Mme [U] étaient étrangers à tout harcèlement moral.

En effet, s'il est établi que M. [J] a dans un premier temps dissimulé à Mme [Y] les accusations de harcèlement moral portées contre elle pour mener une enquête avant d'agir, il n'est pas contesté que par la suite, en janvier 2018, il l'en a informée et l'a entendue à ce sujet.

M. [J] reconnaît ne pas avoir apporté de réponse à la lettre de Mme [Y] du 5 février 2018. Il ressort toutefois de la lettre suivante en date du 13 février 2018, remise par Mme [Y] à son employeur, non critiquée, que celui-ci a, conformément à la demande formulée dans le premier courrier, entendu Mmes [L] et [H] sur les accusations et organisé le 9 février suivant une réunion à laquelle Mmes [Y], [U] et [F] ont participé et à la suite de laquelle le caractère infondé des accusations a été acté.

Mme [F] atteste en outre que M. [J] a sommé Mme [U] de ne pas réitérer son accusation de harcèlement moral puis a proposé à Mme [Y] de s'installer dans un autre bureau, à l'étage, proposition que Mme [Y] a déclinée au motif que cela aurait été reconnaître sa responsabilité.

M. [J] reconnaît ne pas avoir apporté de réponse aux lettres de Mme [Y] des 13 février et 24 mai 2018, sollicitant des mesures de protection en sa faveur.

S'il a diligenté une enquête sur les faits de harcèlement moral dénoncés par Mme [U] à l'encontre de Mme [Y] et saisi le médecin du travail en raison de la fragilité de la première, il n'a pas agi de même lorsque Mme [Y], en mai 2018, lui a rapporté les propos de Mme [U] accusant sa collègue de pratiquer la 'magie noire' et n'a pas suggéré que ce soit Mme [U] qui change de bureau.

Le seul fait que Mme [U] ait été en arrêt maladie du 25 au 28 mai 2018 ne suffit pas à justifier l'absence d'entretien sur les nouveaux faits dénoncés.

L'absence de réaction immédiate de M. [J] a permis que les accusations mensongères répétées de Mme [U], constitutives d'un harcèlement moral, dont il a été informé en mai 2018, se poursuivent à tout le moins jusqu'à l'été 2018, comme le montre l'attestation de Mme [L].

Le harcèlement moral dont Mme [Y] a été victime est donc caractérisé.

En conséquence, la rupture de son contrat de travail pour inaptitude qui a pour origine le harcèlement moral dont elle a été victime est nulle, en infirmation de la décision qui a considéré le licenciement comme illicite sans toutefois le préciser dans son dispositif.

Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

La réalité du préjudice moral subi par Mme [Y] du fait du harcèlement subi est établie par les différents documents médicaux et sera réparé par l'allocation de la somme de 8 000 euros.

Mme [Y] a droit à une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'aux congés payés y afférents. Les sommes allouées à ce titre par le bâtonnier n'étant pas utilement contestées par l'appelante seront reprises sauf à les limiter aux sommes sollicitées à savoir 20 063,55 euros bruts et 2 006,35 euros bruts.

Elle peut également prétendre à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement égale au minimum à six mois de salaire tenant compte de la réévaluation de 3 heures supplémentaires par semaine.

En considération des circonstances de la rupture, de l'ancienneté de Mme [Y] (six années révolues) et du salaire de référence (6 687,85 euros), il est justifié de condamner M. [J] à lui payer la somme de 40 128 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Mme [Y] verse aux débats ses bulletins de salaire pour la période du 1er octobre 2018 au 10 mai 2019, lesquels témoignent qu'elle a bénéficié d'un maintien de son salaire à hauteur de 80%. Cependant en l'absence de production de relevés de la sécurité sociale ou de sa mutuelle, la perte de salaire alléguée n'est pas justifiée, de sorte qu'il convient de confirmer la sentence arbitrale qui a rejeté cette demande.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité 

Le bâtonnier a estimé que, tenu d'une obligation de sécurité, M. [J] n'avait pas pris les mesures adéquates pour préserver la santé et la sécurité de sa salariée, soulignant que ce qui avait été proposé à Mme [Y] aurait pu être imposé à Mme [U], et que l'inadéquation de sa réaction est d'autant plus grave que les propos tenus et l'attitude de Mme [U] étaient, même indirectement, racistes.

La Selas Cabinet [J] venant aux droits de M. [J] argue que :

- Mme [Y] a soulevé un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité au soutien de sa demande de dommages et intérêts, pour la première fois devant le bâtonnier,

- M. [J] a pris les mesures qui s'imposaient ce que Mme [Y] a reconnu,

- au regard de la fragilité de Mme [U], il a sollicité du médecin du travail qu'il la reçoive,

- les dires de Mmes [U] et [H] ne sont pas établis et l'arrêt maladie de Mme [U] empêchait que toute mesure soit prise,

- par la suite Mme [Y] n'a plus jamais dénoncé la moindre situation susceptible d'appeler des mesures complémentaires,

- Mme [L] atteste n'avoir rien révélé à l'employeur à qui il ne peut donc pas être reproché de n'avoir pas agi.

Mme [Y] réplique que :

- la Cour de cassation affirme de longue date que l'obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral,

- le harcèlement moral et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité constituent deux fondements distincts pouvant donner lieu à une indemnisation propre et ce, quand bien même, ils se rapportent à des faits identiques,

- en l'espèce, l'employeur n'a pris aucune mesure de prévention des risques psychosociaux telle qu'énoncée par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, n'a pas davantage déféré à son obligation d'information prévue par l'article L.1152-4 du code du travail ou de formation prévue par l'article L.4121-1 du même code et n'a pas organisé d'élections professionnelles comme le lui imposait l'article L.2314-4.

Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, 'l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.'

Ces mesures sont mises en oeuvre sur le fondement des principes généraux de prévention tels que prévus à l'article suivant.

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des articles L.4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L.1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

Il appartient à l'employeur de justifier avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail et de ce que, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, il a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

Ni M. [J] à l'époque des faits dénoncés par Mme [Y] ni la Selas Cabinet [J] depuis ne démontrent avoir pris les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

En outre, et comme indiqué ci-dessus, M. [J] ne justifie pas qu'une fois informé, le 23 mai 2018 par Mme [H], des propos tenus et diffusés par Mme [U] selon lesquels Mme [Y] pratiquerait la magie noire et serait responsable du décès du père de ses enfants et de l'état de santé de sa fille, il a pris des mesures immédiates propres à faire cesser ces accusations susceptibles de caractériser un harcèlement moral, lesquelles se sont renouvelées jusqu'à l'été 2018.

Le manquement est donc caractérisé.

Eu égard aux circonstances de l'espèce et tenant compte du fait que Mme [Y] n'a pas estimé devoir demander à son employeur de remplir ses obligations à ce titre ce dont elle avait la possibilité, le préjudice subi du fait du manquement par l'employeur à son obligation de sécurité sera réparé par l'allocation d'une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.

La Selas Cabinet [J] qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [Y] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les dispositions de première instance à ce titre étant confirmées.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant dans les limites de la saisine,

Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les numéro 23/16882 et 24/581 sous le premier de ces numéros,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'acte de déclaration de saisine de la cour d'appel de Paris,

Déclare recevable l'intervention volontaire de la Selas Cabinet [J] aux droits de M. [G] [J],

Déboute Mme [N] [Y] de ses demandes de condamnation in solidum formées à l'encontre de M. [G] [J],

Confirme la sentence arbitrale en ce qu'elle a :

- condamné M. [G] [J], sauf à y substituer la Selas Cabinet [J] aux droits de M. [G] [J], à payer à Mme [N] [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [N] [Y] de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de salaires durant ses arrêts maladie,

Infirme la sentence arbitrale en ce qu'elle a :

- condamné M. [G] [J] à payer à Mme [N] [Y] les sommes de 20 256,67 euros bruts à titre d'indemnité de préavis, 2 025,66 euros bruts au titre des congés payés y afférents,avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 2019,

- condamné M. [G] [J] à payer à Mme [N] [Y] la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement illicite,

- débouté Mme [N] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- condamné M. [G] [J] à payer à Mme [N] [Y] la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la rupture du contrat de Mme [Y] pour inaptitude qui a pour origine le harcèlement moral dont elle a été victime est nulle,

Condamne la Selas Cabinet [J], venant aux droits de M. [G] [J], à payer à Mme [N] [Y] les sommes suivantes :

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 40 128 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 20 063,55 euros bruts à titre d'indemnité de préavis,

- 2 006,35 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur,

- 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Selas Cabinet [J], venant aux droits de M. [G] [J], aux dépens d'appel.

LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 23/16882
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;23.16882 ?
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