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26/06/2024 | FRANCE | N°22/12040

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 26 juin 2024, 22/12040


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 26 JUIN 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12040 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBK3



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2022 - tribunal de commerce de Paris - 6ème chambre - RG n° 2020050935





APPELANTE



S.A.R.L. CPE CLIMATISATION

[Adresse 3]

[Localité 4]

N°SIRET : 434

738 084

agissant poursuites et diligences de ses représentants mégaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Me Sophie LEYRIE de l'AARPI KLEBERLAW, avocat au barreau de PARIS, toqu...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 26 JUIN 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12040 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBK3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2022 - tribunal de commerce de Paris - 6ème chambre - RG n° 2020050935

APPELANTE

S.A.R.L. CPE CLIMATISATION

[Adresse 3]

[Localité 4]

N°SIRET : 434 738 084

agissant poursuites et diligences de ses représentants mégaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Sophie LEYRIE de l'AARPI KLEBERLAW, avocat au barreau de PARIS, toque : P0372, substituée à l'audience par Me Yves CORRE de l'AARPI KLEBERLAW, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

S.A.S. BANQUE BCP

[Adresse 1]

[Localité 2]

N°SIRET : 433 961 174

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Ayant pour avocat plaidant Me Mari-Carmen GALLARDO ARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1981

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

MME Laurence CHAINTRON, conseillère chargée du rapport

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre, et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

La société à responsabilité limitée à associé unique CPE Climatisation est spécialisée dans le secteur d'activité des travaux d'installation d'équipements thermiques et de climatisation et dispose d'un compte bancaire professionnel ouvert dans les livres de la société par actions simplifiée Banque BCP à l'agence de [Localité 4].

Les 19 avril et 10 mai 2019, deux ordres de virement ont été émis depuis son compte ouvert dans les livres la Banque BCP pour des montants respectifs de 12 000 euros et 8 000 euros, soit un montant total de 20 000 euros, à destination de comptes ouverts dans les livres des banques ING et Santander respectivement situées en Allemagne et en Espagne et au bénéfice pour le premier de '[B] [G]' et pour le second de '[F] [X] [I]'.

Le 8 octobre 2019, la société CPE Climatisation a adressé un courriel à la Banque BCP afin d'obtenir des informations sur ces virements.

Le même jour, à la suite de la réception de l'explication de la Banque BCP, la société CPE Climatisation a contesté ces deux virements en faisant valoir une usurpation d'identité et sollicité la réintégration des sommes prélevées.

Le 27 novembre 2019, la société CPE Climatisation a déposé plainte auprès du commissariat de [Localité 4] pour escroquerie.

La médiation sollicitée par la société CPE n'a pu aboutir.

Par courriers recommandés avec demande d'avis de réception des 5 juin et 10 juillet 2020, le conseil de la société CPE Climatisation a vainement mis en demeure la Banque BCP à l'adresse de son siège social et à l'agence de [Localité 4] de restituer à sa cliente les sommes prélevées sur son compte.

Par exploit d'huissier en date du 16 novembre 2020, la société CPE Climatisation a fait assigner la Banque BCP devant le tribunal de commerce de Paris afin de la voir, notamment, condamner au paiement de la somme de 20 000 euros.

Par jugement contradictoire du 12 mai 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la Banque BCP de son exception de forclusion et déclaré la société CPE Climatisation recevable et bien fondée en ses demandes ;

- débouté la société CPE Climatisation de toutes ses demandes ;

- condamné la société CPE Climatisation à payer 2 000 euros à la Banque BCP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société CPE Climatisation aux dépens.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 28 juin 2022, la société CPE Climatisation a interjeté appel de cette décision contre la Banque BCP.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2022, la société CPE Climatisation demande, au visa des articles 1231-1, 1231-6 et 1353 alinéa 2 du code civil, L. 561-6 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier, 514 et 700 du code de procédure civile, à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel,

En conséquence :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 mai 2022, en ce qu'il a débouté la Banque BCP de son exception de forclusion et l'a déclarée recevable et bien fondée en ses demandes,

- infirmer le jugement dont appel, en ce qu'il l'a :

- déboutée de toutes ses demandes ;

- condamnée à payer 2 000 euros à la Banque BCP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamnée aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA.

Et statuant à nouveau :

Vu les manquements frauduleux intervenus sur son compte bancaire pour un montant global de 20 000 euros,

Vu les manquements contractuels de la Banque BCP, en particulier sa négligence fautive dans les vérifications des ordres de paiement et le manquement à son obligation de résultat par la Banque BCP,

- condamner la Banque BCP à lui restituer la somme de 20 000 euros, majorée d'une indemnité égale à trois fois le taux d'intérêt légal, à compter de la première mise en demeure adressée le 5 juin 2020,

- condamner la Banque BCP à lui payer la somme de 6 000 euros de dommages et intérêts au titre des préjudices subis par elle,

- condamner la Banque BCP au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la Banque BCP aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 décembre 2022, la Banque BCP demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence ;

- débouter la société CPE Climatisation de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

Et y ajoutant ;

- condamner la société CPE Climatisation à lui payer une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la S.E.L.A.R.L.U. Pelit-Jumel avocat, prise en la personne de Me Belgin Pelit-Jumel, avocat au barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024 et l'audience fixée au 14 mai 2024.

MOTIFS

A titre liminaire, il y a lieu de relever que la Banque BCP a renoncé à se prévaloir, en cause d'appel, de la forclusion de l'action de la société CPE Climatisation au titre du virement du 19 avril 2019.

Sur le manquement de la Banque BCP à son obligation de vigilance et de surveillance

La société CPE Climatisation fait valoir qu'en vertu de l'article L. 561-6 du code monétaire et financier, la banque est tenue, pendant toute la durée de la relation d'affaires et ce, dans la limite de ses droits et obligations, à un devoir de vigilance constante et d'examen attentif des opérations effectuées. Par ailleurs, selon l'article L. 561-10-2 du même code, la banque est tenue à un devoir général de vigilance et de vérification, notamment en présence d'irrégularités matérielles ou intellectuelles.

En ce qui concerne les anomalies matérielles, elle allègue que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, elle rapporte la preuve de l'usurpation d'identité dont elle a été victime. Dès qu'elle a pris connaissance de la fraude, elle a immédiatement averti sa banque et les services de police par le biais d'une plainte pénale. Elle a, par ailleurs été victime, plusieurs mois après, de la même fraude dans le cadre du fonctionnement de son compte bancaire ouvert dans les livres de la Caisse d'épargne. La Banque BCP aurait dû déceler toutes les anomalie apparentes, en l'espèce, l'absence d'en-tête ou logo sur la demande de virement en date du 18 avril 2019. La Banque BCP n'a pas non plus fourni de carton de signature permettant de déterminer si la signature de M. [P] [D], représentant légal de la société CPE Climatisation, était bien conforme.

En ce qui concerne les anomalies intellectuelles, elle soutient que si la Banque BCP se prévaut de virements d'un montant de 6 214,20 euros au bénéfice de la société Solquimia et de 20 000 euros au bénéfice du Crédit agricole, le premier virement revêtait un caractère unique alors que le second virement s'inscrivait dans une opération de virement intra-compte. L'échange de correspondances pour la mise en place d'un service 'Smart EDI', dont se prévaut la Banque BCP, n'a aucun rapport avec la mise en place d'un ordre de virement et était relatif à un contrat tiers. La Banque BCP ne rapporte pas non plus la preuve de l'existence de virements réguliers à destination de personnes physiques dont la domiciliation bancaire était située à l'étranger. Elle émet peu de virements et ce, pour un faible montant, au regard de la nature de son activité. Ainsi, les virements des mois d'avril et mai 2019, effectués au profit de personnes physiques étrangères à son activité professionnelle, à savoir Mme [B] [G] et Mme [F] [X] [I], constituaient bien des opérations anormales, qui auraient dû attirer l'attention de la Banque BCP. Malgré la tentative d'usurpation d'identité dont elle a été victime portant sur un compte ouvert dans les livres de la Caisse d'épargne, cette dernière a immédiatement contacté sa cliente et a annulé la demande de virement.

Enfin, la société CPE Climatisation soutient que la banque a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard du fait de sa négligence fautive en ce qu'elle a exécuté des virements d'un montant global de 20 000 euros sans procéder aux vérifications d'usage. En outre, son préjudice revêt un caractère certain et prévisible en ce qu'elle a subi une perte financière de 20 000 euros, qu'elle n'a pas été en mesure de recouvrer. Elle relève qu'en sa qualité de dépositaire de fonds, la banque est tenue à une obligation de restitution de résultat quant à la chose déposée, en vertu de l'article 1937 du code civil. Enfin elle sollicite une indemnisation d'un montant de 6 000 euros en indemnisation de son préjudice matériel et moral.

La Banque BCP réplique qu'en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la société CPE Climatisation ne peut se prévaloir des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier relatifs aux obligations des banques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

En ce qui concerne le devoir général de vigilance des banques, elle soutient avoir exécuté les virements conformément aux ordres émanant de la société CPE Climatisation. Les demandes de virement émanaient de l'adresse électronique de cette société, qui fut par ailleurs, utilisée par la société CPE Climatisation elle-même dans une suite d'échanges de courriels antérieurs et postérieurs aux ordres de virement litigieux, avec la Banque BCP. En ce qui concerne le premier ordre de virement, le rédacteur, le logo, la présentation, la police et l'usage des couleurs étaient identiques à tous les autres courriels de la société CPE Climatisation. Peu après le premier ordre de virement, la Banque BCP a envoyé le justificatif de virement à la société CPE climatisation ainsi que des documents tiers, relatifs à la mise en place du service 'Smart EDI' que cette dernière a signé et renvoyé à la banque, sans contester l'opération de virement. Le second ordre de virement ressemblait au premier en ce qu'il ne présentait aucune anomalie apparente, la Banque BCP ayant, de nouveau, envoyé un justificatif de virement non contesté par la société CPE Climatisation, deux heures après l'émission de l'ordre.

La banque fait également valoir que la société CPE Climatisation ne rapporte pas la preuve de l'usurpation de son identité. Elle a en effet porté plainte le 27 novembre 2019, soit près de sept mois après le second virement litigieux. Si la société CPE Climatisation prétend avoir été à nouveau victime de la même fraude quelques mois plus tard, cette prétention ne suffit pas à rapporter la preuve d'une usurpation d'identité, les courriels envoyés le 30 juillet 2019 à la Caisse d'épargne démontrant, par ailleurs, que les ordres de virement à destination de la Caisse d'épargne émanaient bien de la société CPE Climatisation elle-même.

En ce qui concerne les anomalies matérielles, la Banque BCP fait valoir que la société CPE Climatisation prétend de manière erronée que la Caisse d'épargne aurait décelé ces dernières, contrairement à la Banque BCP. Les pièces versées aux débats par la société CPE Climatisation révèlent que la conseillère habituelle de la Caisse d'épargne était absente lorsque l'ordre de virement a été émis, ce qui explique que des conseillers qui ne connaissaient pas la société aient pu alors prendre contact avec la cliente. Or, ce n'est pas le cas des ordres de virement litigieux qui ont été adressés au conseiller habituel de la banque, ils émanaient de l'adresse électronique de la société CPE Climatisation et l'en-tête de l'entreprise était identique sur tous les courriels envoyés par l'appelante. Cette dernière avait, par ailleurs, déjà formulé des demandes de virement par courriel. En ce qui concerne la mise en place du service 'Smart EDI', si la société CPE climatisation prétend que l'échange de correspondances y afférent n'a aucun rapport avec la mise en place d'un ordre de virement, elle ne nie pas pour autant avoir reçu le justificatif de virement par courriel de la Banque BCP par la même occasion, sans opposition de sa part.

En ce qui concerne les anomalies intellectuelles, la banque soutient que, contrairement aux affirmations de la société CPE climatisation, les montants des virements litigieux ne sauraient être considérés comme élevés au regard du fonctionnement de son compte et de son chiffre d'affaires. Le compte est toujours resté créditeur. Les opérations contestées sont, en outre, des virements SEPA classiques, à destination de l'espace économique européen et plus précisément de l'Allemagne et de l'Espagne, Etats n'étant pas des 'paradis fiscaux', et d'établissements bancaires jouissant d'une 'bonne réputation', les banques ING et Santander, ce qui ne suffit pas à caractériser une opération inhabituelle. La société CPE Climatisation, a, par ailleurs, effectué un virement SEPA d'un montant de 6 214,20 euros au bénéfice de la société de droit espagnol Solquimia le 14 février 2020. Enfin, la banque était soumise à une obligation de non-immixtion dans les affaires de sa cliente.

Enfin, s'agissant du préjudice allégué, la banque fait valoir que ce sont les négligences répétées de la société CPE Climatisation qui ont rendu possible la réalisation des ordres de virement litigieux et qui sont à l'origine exclusive de son préjudice. En effet, si la société CPE Climatisation avait réagi rapidement, elle aurait pu mettre en 'uvre la procédure de recall, prévue par le règlement européen 260/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 établissant les exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros. La société CPE climatisation ne démontre pas davantage le préjudice matériel et moral qu'elle prétend avoir subi.

Comme le relève à juste titre la banque, l'obligation de vigilance imposée aux organismes financiers en application de l'article L. 561-6 du code monétaire et financier a pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation de cette obligation pour réclamer des dommages et intérêts à l'organisme financier (Com., 28 avr. 2004, n° 02-15.054 ; 21 sept. 2022, n° 21-12.335).

La société CPE Climatisation n'est donc pas fondée à en tirer argument pour conclure qu'il appartenait à la banque de l'alerter sur le risque de fraude pouvant être associé aux opérations qu'elle effectuait avec des sociétés tierces situées à l'étranger.

En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.

En l'espèce, ainsi qu'indiqué, les 19 avril et 10 mai 2019, soit une période de moins d'un mois, deux ordres de virement ont été émis par la société CPE Climatisation, donneur d'ordre, depuis son compte ouvert dans les livres de la Banque BCP pour des montants respectifs de 12 000 euros et 8 000 euros, soit un montant total de 20 000 euros, à destination de comptes ouverts dans les livres des banques ING et Santander respectivement situées en Allemange et en Espagne et au bénéfice pour le premier de '[B] [G]' et pour le second de '[F] [X] [I]' (pièces n° 1 et 5 de la banque).

La société CPE Climatisation soutient avoir été victime d'une usurpation d'identité et en veut pour preuve la plainte déposée par son gérant, M. [Y] [T] [D], le 27 novembre 2019 auprès du commissariat de police de [Localité 4] (Val de Marne).

Cependant, force est de constater que :

- après chaque virement litigieux, la banque a adressé à la société CPE Climatisation des justificatifs de ces virements dans les heures suivant leur émission sans que la société appelante ne les conteste,

- ce n'est que par mail du 8 octobre 2019 à 15 heures 32, soit 6 mois après le premier virement, que la société CPE Climatisation, a demandé à son conseiller bancaire à la BPC de lui 'transmettre des informations relatives aux virements de 12 000 euros du 19/04/2019 et 8 000 euros du 10/05/2019" (pièce de l'appelante n° 8) sans faire mention d'une quelconque usurpation d'identité, avant d'envoyer un second mail le même jour au même conseiller précisant cette fois que : 'Il s'agit d'une usurpation d'identité.'(pièce de l'appelante n° 8),

- ce n'est que 27 novembre 2019, soit plus de 7 mois après le premier virement litigieux que M. [Y] [T] [D] a déposé plainte auprès du commissariat de police de [Localité 4] pour des faits de 'piratage' de l'adresse mail de la société (pièce n° 11 de l'appelante) étant observé que seule la première page du procès verbal d'audition de M. [D] est versée aux débats et qu'aucun élément n'est communiqué sur la suite donnée à cette plainte.

Il s'en induit que la société appelante ne démontre pas qu'elle ait été victime d'une usurpation d'identité qui ne saurait résulter, comme elle le soutient vainement dans ses écritures, d'une prétendue usurpation d'identité dont elle aurait été victime plusieurs mois après sur son compte bancaire ouvert dans les livres de la Caisse d'Epargne, les mails envoyés le 30 juillet 2019 à cet établissement bancaire, comme la déclaration de main courante de M. [D] du 1er août 2019, étant insuffisants à rapporter cette preuve. De plus, la preuve de l'existence d'un lien entre cette opération et les virements litigieux n'est pas démontrée.

En tout état de cause, la société CPE Climatisation n'a pas porté à la connaissance de la banque l'escroquerie dont elle soutient avoir été victime dans un délai qui aurait pu permettre à cette dernière d'effectuer une procédure de 'recall' des fonds prétendument détournés.

Le tribunal a écarté l'existence d'anomalies 'flagrantes et apparentes facilement détectables par la Banque BCP' au motif que :

- 'les mails utilisés sont ceux de l'entreprise CPE Climatisation puisque cette dernière affirme avoir été victime d'une usurpation d'identité tant pour ses mails que pour sa signature',

- 'les virements sont respectivement de 12 000 euros sur le mois d'avril et de 8 000 euros sur le mois de mai, ces sommes sont en cohérence avec les flux bancaires constatés sur les relevés bancaires de l'entreprise CPE Climatisation, les banques destinataires des virements SEPA (ING et Santander) et les bénéficiaires sont situés en Espagne et en Allemagne, pays de la Communauté Européenne, la banque BCP n'a aucune raison extérieure de douter ni de l'origine des instructions ni du risque de fraude de la part de son client.'

Sur l'existence d'anomalies matérielles

En l'espèce, les demandes de virement des 18 avril et 9 mai 2019 émanent de l'adresse électronique de la société CPE Climatisation : 'cpe-climatisation@orange.fr'.

Or, cette adresse électronique a été utilisée par la société CPE Climatisation dans des courriels adressés à la banque antérieurement et postérieurement aux virements litigieux et, notamment, dans ses courriels précités du 8 octobre 2019.

Le rédacteur des mails des 18 avril et 9 mai 2019 est Mme [A] [E] assistante de M. [D], qui avait déjà adressé à la banque de précédents mails, notamment les 10 et 11 avril 2019.

Ces mails comportent, comme le relève la banque, le logo, l'adresse du siège social de la société CPE Climatisation et une police de caractères identique à tous les autres courriels émanant de la société CPE Climatisation.

Les mails donnent des instructions précises et détaillées à la banque.

La banque a adressé à sa cliente dans les deux heures suivant ses demandes de virements des justificatifs des virements effectués et s'agissant du premier virement du 19 avril 2019, elle lui a adressé en outre avec ce justificatif, des documents à signer concernant le service 'SMART EDI', sans rapport avec le virement, dont il n'est pas contesté qu'ils ont été renvoyés signés à la banque.

Aucune anomalie apparente n'est donc caractérisée.

Sur l'existence d'anomalies intellectuelles

Il ressort des relevés de compte versés aux débats par la banque pour la période litigieuse que les virements litigieux correspondent aux modalités de fonctionnement habituel du compte au regard de leur montant (pièces n° 11 et 12 de la banque) et du chiffre d'affaires de la société CPE Climatisation qui était de 2 100 800 euros pour l'année 2020 (pièce de la banque n° 3).

Le solde du compte est demeuré créditeur à l'issue de chaque virement ordonné par la société CPE Climatisation qui a veillé à alimenter suffisamment son compte bancaire.

Les pays de destination, à savoir l'Allemagne pour le premier et l'Espagne pour le second, membres de l'Union européenne, n'étaient pas placés dans des zones à risque particulier.

Les opérations contestées sont des virements SEPA classiques.

De la même manière, le nom des bénéficiaires de ces virements, à savoir [B] [G] pour le premier et [F] [X] [I] pour le second n'étaient pas de nature à alerter la banque.

Il y a lieu de rappeler également que la banque n'est intervenue qu'en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu'elle n'était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil.

De plus, la société CPE Climatisation a effectué postérieurement aux opérations litigieuses un virement SEPA le 14 février 2020 depuis son compte ouvert dans les livres de la Banque BCP sur un compte ouvert dans les livres d'une banque espagnole au bénéfice de la société de droit espagnol Solquimia (pièce n° 14 de la banque).

Enfin, les virements ayant été effectués sur ordre de la société CPE Climatisation et aucune anomalie apparente, ni matérielle, ni intellectuelle n'étant établie, la banque n'a pas manqué à son obligation de conservation des fonds en sa qualité de dépositaire.

Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a considéré que la responsabilité de la Banque BCP ne saurait être retenue et a débouté en conséquence la société CPE Climatisation de l'intégralité de ses demandes.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens dont distraction au profit de la S.E.L.A.R.L.U. Pelit-Jumel avocat, prise en la personne de Me Belgin Pelit-Jumel, avocat au barreau de Paris, qui en a fait la demande, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. La société CPE Climatisation sera condamnée à payer à la société Banque BCP la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 mai 2022 ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société CPE Climatisation à payer à la société Banque BCP la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société CPE Climatisation aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la S.E.L.A.R.L.U. Pelit-Jumel avocat, prise en la personne de Me Belgin Pelit-Jumel, avocat au barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.

*****

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 22/12040
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;22.12040 ?
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