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26/06/2024 | FRANCE | N°21/09009

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 26 juin 2024, 21/09009


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 26 JUIN 2024



(n°2024/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09009 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESPE



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 septembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/02918





APPELANT

Monsieur [G] [F]

[Adresse 1]

[Localité 4

]



Représenté par Me Catherine LESIMPLE-COUTELIER, avocat au barreau de TOURS, toque : 88



INTIMÉE

Société OSTRUM ASSET MANAGEMENT

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 26 JUIN 2024

(n°2024/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09009 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESPE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 septembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/02918

APPELANT

Monsieur [G] [F]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Catherine LESIMPLE-COUTELIER, avocat au barreau de TOURS, toque : 88

INTIMÉE

Société OSTRUM ASSET MANAGEMENT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Constance D'INDY, avocat au barreau de TOURS, toque : 82

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, et par Madame Philippine QUIL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES :

Selon contrat de travail à durée indéterminée, M. [F] a été engagé le 1er novembre 2001 en qualité d'assistant middle office, statut cadre, par la société Sogeposte.

Par avenant au contrat de travail du 22 février 2016, une convention de forfait annuel de 212 jours de travail a pris effet le 1er janvier 2016.

M. [F] a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 15 mars 2017.

Il a été placé en invalidité avec le versement d'une pension à ce titre à compter du 22 mars 2020.

M. [F] a saisi le 30 avril 2020 le conseil de prud'hommes de Paris afin de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de voir condamner l'employeur à lui payer différentes sommes au titre de la rupture ainsi que des rappels de salaire au titre des RTT, des congés payés de 2016 à 2020, du compte épargne-temps et de primes de participation.

Le contrat de travail de travail de M. [F] a été transféré, en application de l'article L.1224-1 du code du travail, à la société Ostrum Asset Management (la société Ostrum) le 1er novembre 2020.

Par jugement du 20 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a rendu la décision suivante:

« Déboute Monsieur [G] [F] de l'intégralité de ses demandes.

Déboute la société SA OSTRUM ASSET MANAGEMENT venant aux droits de la BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamne Monsieur [G] [F] aux entiers dépens. »

M. [F] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 24 juin 2021.

La constitution d'intimée de la société Ostrum a été transmise par voie électronique le 29 octobre 2021.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 janvier 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [F] demande à la cour de:

« Infirmer le jugement du conseil des prud'hommes en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de résiliation judiciaire emportant les effets d'un licenciement nul en raison de la violation du droit au repos, ou à tout le moins sans cause réelle ni sérieuse

Infirmer le jugement prud'homal en ce qu'il a fait peser la charge de la preuve du droit au repos et de la violation de l'obligation de sécurité sur le seul salarié

Infirmer le jugement prud'homal en ce qu'il a débouté le salarié des demandes suivantes

Par conséquent il est demandé à la cour de condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- 51 090,00 € au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail emportant les effets d'un licenciement nul en raison de la violation du droit au repos, ou à tout le moins sans cause réelle ni sérieuse

- 1 548,18 € au titre des 10 jours de RTT (3 406 € / 22 j x 10) jours)

- 13 624,00 € au titre des congés payés (années 2016 à 2020 (3 406 € x 4 ans)

- 37 470,02 € au titre du doublement de l'indemnité légale de licenciement

- 10 220,01 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 1 022,00 € au titre des congés payés l'indemnité compensatrice de préavis

- 40 000,00 € au titre des primes de participation (somme réduite depuis 2017 : 1 500 € payés en avril / mai de chaque année, en raison de l'arrêt maladie au lieu de 10 000 € / an)

- 5 418,63 € au titre du compte épargne temps (35 jours (3 406 € / 22 j x 35 jours)

- 10 000,00 € au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat

Statuant à nouveau, faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail emportant les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse, en raison de la violation d'un droit fondamental, le droit au repos, et violation de l'obligation de sécurité

Dire et juger que la charge de la preuve du respect du droit au repos et de la violation de l'obligation de sécurité repose sur l'employeur

Faire droit à l'ensemble des créances indemnitaires et salariales

En particulier Juger que M [F] est recevable et bien fondé à faire valoir que les congés payés sont acquis au salarié même pendant sa période de maladie

Par conséquent condamner la société OSTRUM ASSET MANAGEMENT (anciennement BANQUE POSTALE AM) au paiement des sommes suivantes :

- 51 090,00 € au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail emportant les effets d'un licenciement nul en raison de la violation du droit au repos,

ou à tout le moins sans cause réelle ni sérieuse

- 1 548,18 € au titre des 10 jours de RTT (3 406 € / 22 j x 10) jours)

- 20 911,25 € au titre des congés payés sous forme indemnitaire en raison du préjudice subi

- 42 015,60 € au titre du doublement de l'indemnité de licenciement ou 28 616,03 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

- 10 220,01 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 1 022,00 € au titre des congés payés l'indemnité compensatrice de préavis

- 40 000,00 € au titre des primes de participation (somme réduite depuis 2017 : 1 500 € payés en avril / mai de chaque année, en raison de l'arrêt maladie au lieu de 10 000 € / an)

- 5 418,63 € au titre du compte épargne temps (35 jours (3 406 e / 22 j x 35 jours)

- 10 000,00 € au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat

Condamner la SA OSTRUM ASSET MANAGEMENT (anciennement BANQUE POSTALE AM) à payer à Monsieur [G] [F], la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

Ordonner que les intérêts majorés et capitalisés courent à compter de la saisine du Conseil des prud'hommes conformément à l'article 1343-2 du Code civil.

Condamner la SA OSTRUM ASSET MANAGEMENT (anciennement BANQUE POSTALE AM) à lui remettre les bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle emploi rectifiés en application des dispositions qui précèdent dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement, ou passé ce délai, sous astreinte provisoire de 50 € par document et par jour de retard, que Monsieur [G] [F] pourra faire liquider en sa faveur en saisissant à nouveau la présente juridiction.

Condamner la SA OSTRUM ASSET MANAGEMENT (anciennement BANQUE POSTALE AM) aux entiers dépens qui comprendront le cas échéant les frais d'exécution forcée ; »

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 19 février 2024, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Ostrum demande à la cour de :

« DIRE ET JUGER M. [G] [F] mal fondé en son appel,

En conséquence, CONFIRMER le jugement du Conseil de Prud'hommes de PARIS du 20 septembre 2021 en toutes ses dispositions,

DIRE et JUGER M. [F] mal fondé en sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail conclu avec la BANQUE POSTALE ASSET MANAGEMENT aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société OSTRUM ASSET MANAGEMENT.

DECLARER IRRECEVABLE la demande de Monsieur [F] tendant à se voir allouer la somme de 20 911,25 € au titre des congés payés acquis lors de son arrêt maladie ;

SUBSIDIAIREMENT l'en débouter

Le DEBOUTER de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Le CONDAMNER à verser à la société OSTRUM ASSET MANAGEMENT une indemnité de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le CONDAMNER aux dépens. »

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.

L'affaire a été évoquée à l'audience du 30 avril 2024 puis a été mise en délibéré au 26 juin 2024.

Durant l'audience, en application de l'article 442 du code de procédure civile, la cour a invité les parties à lui adresser, par message RPVA, une note en délibéré sur l'existence de demandes nouvelles en appel.

M. [F] et la société Ostrum ont chacun adressé une note en délibéré à la cour respectivement les 3 et 23 mai 2024.

MOTIFS,

A titre liminaire, la cour constate l'existence d'une erreur matérielle dans le dispositif des conclusions d'appel de M. [F] en ce que qu'il comporte deux fois les mêmes demandes mais avec des montants distincts pour certaines d'entre elles. Il est par conséquent retenu, pour chaque demande, le montant le plus élevé qui est sollicité.

Par ailleurs, la demande de révocation de l'ordonnance de clôture est rejetée dès lors qu'après que l'appelant a déposé le 21 février 2022 ses conclusions initiales suivies de conclusions déposées le 19 avril 2022 par l'intimée, l'appelant a attendu le 19 janvier 2024 afin de communiquer de nouvelles conclusions auxquelles l'intimée a répondu par conclusions déposées dès le 19 février 2024.

Sur la résiliation du contrat de travail

Il est de jurisprudence constante qu'un salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de manquements de son employeur à ses obligations, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. C'est au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire du contrat de travail qu'il incombe de rapporter la preuve que l'employeur a commis des manquements suffisamment graves à ses obligations de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, M. [F], qui demandait en première instance que le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sollicite en appel que cette résiliation produise à titre principal les effets d'un licenciement nul.

La Cour de cassation a jugé qu'est recevable en appel la demande en nullité du licenciement qui tend aux mêmes fins que la demande initiale au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dès lors que ces demandes tendent à obtenir l'indemnisation des conséquences du licenciement qu'un salarié estime injustifié (Soc., 1 décembre 2021, pourvoi n° 20-13.339, B).

Si M. [F] n'a pas été licencié, ses demandes tendent, tant en première instance qu'en appel, à obtenir l'indemnisation des conséquences de la rupture de son contrat de travail dont il demande le prononcé en raison de manquements imputés à l'employeur et ayant entraîné la dégradation de son état de santé.

Dès lors que la demande formée en première instance au titre d'une résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse tend aux mêmes fins que la demande en cause d'appel d'une résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement nul, celle-ci est déclarée recevable.

Pour justifier sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, M. [F] invoque une charge de travail excessive ayant conduit à la dégradation de son état de santé et précise que les manquements de la société Ostrum sur la charge de travail ont été continus et ont persisté jusqu'à son arrêt de travail.

M. [F], qui détaille dans ses conclusions d'appel quelles étaient selon lui toutes ses fonctions ainsi que le nombre de tâches, incluant les courriels, qu'il devait gérer chaque jour, ne verse pas aux débats de pièce démontrant ses dires. L'employeur communique une fiche de description de poste datée du 6 février 2017 (pièce n°8 de l'employeur), c'est-à-dire antérieure au début de l'arrêt de travail, sans que M. [F] ne produise d'élément établissant que ses missions allaient au-delà de celles qui y sont décrites que ce soit avant ou après cette date. La lettre adressée le 17 décembre 2018 par l'avocat du salarié à l'entreprise et qui mentionne que M. [F] « a été amené à traiter 3 000 mails par semaine » et la déclaration du salarié lors de la visite de pré-reprise du 10 octobre 2018 selon laquelle il traitait « 500 à 1 000 mails par jours » (pièce n°5 du salarié) ne constituent que les dires de M. [F] et, en l'absence de production d'autre élément qu'auto-déclaratif, ne suffisent pas à établir la charge de travail du salarié en matière de gestion de courriels et donc une surcharge à cet égard, étant ajouté que l'attestation de M. [C] ne comporte pas d'élément permettant de déterminer la charge de travail de l'appelant.

Les parties débattent dans leurs conclusions de l'avertissement notifié le 5 juin 2014 au salarié. Cependant, outre qu'il est ancien, les motifs de la sanction qui y sont énoncés ne sont pas en lien avec la charge de travail de M. [F] et ne révèlent aucun élément utile pour la détermination de celle-ci. Par ailleurs, il ne résulte pas des pièces communiquées que l'employeur avait connaissance avant le 5 juin 2014 que le salarié souffrait d 'apnée du sommeil. Cet avertissement, qui n'a de plus pas donné lieu à contestation ou à une demande d'annulation, ne laisse pas supposer l'existence d'une discrimination en raison de l'état de santé.

Les comptes-rendus d'entretiens « de performance 2014-2015 » du 14 décembre 2015, « d'évaluation » du 6 janvier 2015, de « fixation des objectifs et plan de développement » du 13 mars 2016, « d'évaluation » du 29 décembre 2016, qui ne sont signés ni par le salarié ni par l'employeur, ne comportent de toute façon pas d'élément de nature à déterminer la charge de travail de l'appelant.

Cependant, M. [F] verse aux débats de nombreux documents médicaux qui font état d'un stress et d'une souffrance au travail dont les symptômes sont constatés par divers médecins, dont le médecin du travail, et qui ont justifié l'arrêt de travail initial et ses prolongations.

Au cours de ces prolongations d'arrêt de travail, le médecin conseil de la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France a estimé que M. [F] présentait « un état d'invalidité réduisant des 2/3 au moins » sa capacité de travail (pièce n°6 du salarié). La circonstance que M. [F] continue à pratiquer l'activité sportive de judo à titre de loisir n'est pas incompatible avec ce constat médical et la pension d'invalidité attribuée.

Par ailleurs, en ce qui concerne le forfait en jours, un avenant au contrat de travail en date du 22 février 2016 a été signé par les parties aux termes duquel il était indiqué qu'à compter du 1er janvier 2016 M. [F] allait relever « du statut de cadre autonome, compte tenu de la nature de ses fonctions, du niveau de ses responsabilités et du degré d'autonomie dont M. [F] dispose dans l'organisation de son temps de travail ». Un forfait annuel de 212 jours de travail par année complète était ainsi prévu.

M. [F], qui ne demande pas l'invalidation ou la nullité de cette convention dans le dispositif de ses conclusions d'appel, reproche à l'employeur de s'être abstenu d'assurer un suivi de sa charge de travail et d'avoir ainsi manqué à son obligation de sécurité, manquement qu'il invoque au soutien de sa demande de résiliation judiciaire.

Si l'exposé des demandes figurant en page 2 du jugement du conseil de prud'hommes ne mentionne pas de demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, il résulte des éléments de la procédure devant le conseil de prud'hommes, en l'occurrence le procès-verbal d'audience, que M. [F] formait pourtant bien devant le conseil de prud'hommes une demande de dommages-intérêts à ce titre. Celle-ci est donc recevable en cause d'appel.

Il résulte de l'article L.3121-65 du code du travail qu'une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect de différentes dispositions dont notamment l'organisation par l'employeur, une fois par an, d'un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats que la société Ostrum ne rapporte pas la preuve que le forfait en jours auquel elle avait soumis M. [F] a fait l'objet de l'entretien annuel visé par le texte précité, étant précisé que plus d'un an s'est écoulé entre la date de prise d'effet de la convention de forfait en jours, à compter du 1er janvier 2016, et le début de l'arrêt de travail du salarié le 15 mars 2017. Les entretiens de « fixation des objectifs et plan de développement » du 13 mars 2016 et « d'évaluation » du 29 décembre 2016, déjà cités, ne peuvent caractériser, par leur objet différent, l'entretien spécifique exigé par l'article L.3121-65 du code du travail.

Cette absence de suivi et de contrôle par la société Ostrum de la charge de travail de M. [F] n'a pas permis de garantir à ce dernier une durée de travail raisonnable alors même qu'il a subi une souffrance au travail médicalement constatée, caractérisant ainsi un préjudice pour le salarié.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient, par infirmation du jugement, de condamner la société Ostrum à payer à M. [F] la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Il en résulte que ce manquement, en ce qu'il a entraîné une situation de souffrance au travail ayant conduit à l'arrêt de travail initial et ses prolongations, constitue un manquement de la société Ostrum à ses obligations contractuelles qui est suffisamment grave pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail de M. [F].

En revanche, aucun avis d'inaptitude n'a été établi par le médecin du travail.

De plus, M. [F] soutient dans ses conclusions d'appel avoir subi un harcèlement moral « collectif ». Néanmoins, l'attestation de M. [C], qui indique avoir été témoin de « harcèlement sous forme de mails forwardés visant à intimider et culpabiliser Monsieur [F] » sans donner plus de détails sur le contenu de ces courriels, et les pièces médicales, prises dans leur ensemble, ne sont pas suffisantes pour laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail.

M. [F] ne verse pas aux débats de pièces utiles établissant une atteinte par la société Ostrum à une liberté fondamentale.

Par conséquent, compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, il convient de prononcer, par infirmation du jugement, la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [F], cette résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non d'un licenciement nul comme soutenu à titre principal.

Sur les conséquences financières de la rupture

a) La résiliation judiciaire prononcée produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [F] peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.

Compte tenu des éléments produits par les parties, le salaire mensuel moyen de M. [F] est fixé à 3 406,67 euros.

La durée de trois mois du préavis applicable à M. [F], en raison des dispositions de la convention collective nationale de la banque, n'est pas contestée par les parties.

L'indemnité compensatrice de préavis est égale à la rémunération totale qui aurait été perçue si le salarié avait accompli son préavis.

Par conséquent, et par infirmation du jugement, la société Ostrum est condamnée à payer à M. [F] la somme de 10 220,01 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 022 euros au titre des congés payés afférents.

b) L'article R.1234-2 du code du travail dispose que:

« L'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;

2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans. »

La cour constate que M. [F] n'a pas fait l'objet d'un avis d'inaptitude à son poste de travail par le médecin du travail, son arrêt de travail étant d'ailleurs toujours en cours. Dès lors, la demande de M. [F] en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement prévue à l'article L.1226-14 du code du travail est dénuée de pertinence juridique.

Le mode de calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement n'est pas contesté à l'exception de l'ancienneté à prendre en considération.

A cet égard, il est de jurisprudence constante qu'en l'absence de dispositions conventionnelles prévoyant que les absences pour maladie sont prises en compte dans le calcul de l'ancienneté propre à déterminer le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, la période de suspension ne doit pas entrer en compte pour la détermination du montant de cette indemnité (Soc., 21 octobre 2020, pourvoi n° 19-14.557; Soc., 28 septembre 2022, pourvoi n° 20-18.218).

Par conséquent, en considération de l'ancienneté de M. [F] depuis son embauche jusqu'à son arrêt de travail du 15 mars 2017, il convient, par infirmation du jugement, de condamner la société Ostrum à lui payer la somme de 14 421,56 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

c) Les dispositions de l'article L.1235-3 du contrat de travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au litige, prévoient l'octroi au salarié, dans les entreprises de moins de 11 salariés, d'une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre un minimum et un maximum de mois de salaire brut selon l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, celle-ci n'étant calculée que sur le fondement d'années complètes.

M. [X] ayant été engagé le 1er novembre 2001, son ancienneté est donc de 22 années complètes. Le montant minimal de l'indemnité est ainsi de 3 mois de salaire brut et le montant maximal prévu est de 16,5 mois de salaire brut.

Par conséquent, et eu égard à la situation particulière de M. [F] tenant notamment à son âge, son état de santé et sa capacité à retrouver un emploi, il convient, par infirmation du jugement, de condamner la société Ostrum à lui payer la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande en rappel de salaires au titre des congés payés de 2016 à 2020

La société Ostrum soutient que cette demande est irrecevable en ce qu'il s'agit d'une demande nouvelle, présentée pour la première fois en cause d'appel.

Toutefois, même si dans ses conclusions d'appel M. [F] se fonde sur le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 pour justifier sa demande, il ressort de la lecture des conclusions de première instance du salarié qu'il formait déjà devant le conseil de prud'hommes une demande en paiement des congés payés pour la période d'arrêt de travail de 2016 à 2020. Dès lors, même si en appel M. [F] invoque un moyen juridique différent tenant à ce revirement de jurisprudence, cette demande n'est pas nouvelle et n'est donc pas irrecevable.

Il résulte de plusieurs arrêts publiés le même jour (Soc., 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.340, B), que la Cour de cassation juge dorénavant que le salarié dont le contrat de travail est suspendu, par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.

Le législateur a entériné le principe de cette acquisition de droits à congés payés par le salarié en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle par les dispositions de l''article 37 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 qui, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée ou de stipulations conventionnelles plus favorables en vigueur à la date d'acquisition des droits à congés, sont applicables rétroactivement pour la période courant à compter du 1er décembre 2009.

L'article L.3141-5-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de ladite loi, dispose que par dérogation au droit commun de l'acquisition de congés payés énoncé à l'article L.3141-3 du même code, le salarié placé en arrêt de travail lié à un accident ou une maladie n'ayant pas un caractère professionnel a droit, au titre de cette période, à deux jours de congés payés ouvrables par mois.

L'article L.3141-19-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la même loi, précise que lorsqu'un salarié est dans l'impossibilité, pour cause de maladie ou d'accident, de prendre au cours de la période de prise de congés tout ou partie des congés qu'il a acquis, il bénéficie d'une période de report de quinze mois afin de pouvoir les utiliser, cette période ne débutant qu'à la date à laquelle le salarié reçoit, après sa reprise du travail, les informations prévues à l'article L.3141-19-3.

Toutefois, selon l'article L.3141-19-2 du code du travail, la période de report des congés payés débute à la date à laquelle s'achève la période de référence au titre de laquelle ces congés payés ont été acquis si, à cette date, le contrat de travail est suspendu depuis au moins un an en raison de la maladie ou de l'accident.

Il résulte de ce dernier texte que les droits à congés payés expirent au terme du délai de report de quinze mois quand le salarié continue d'être en arrêt de travail à la date de ce terme. Par conséquent, le salarié toujours en arrêt de travail ne peut demander, dans le cadre d'une instance judiciaire, le paiement des congés payés acquis que dans la limite de la période de quinze mois.

En l'espèce, il ressort des arrêts de travail versés aux débats que tant l'arrêt de travail initial que les arrêts de prolongation ont été délivrés à M. [F] pour cause de maladie non professionnelle. M. [F] étant toujours en arrêt de travail, il ne peut donc prétendre qu'au paiement de deux jours de congés payés par mois pendant une période de quinze mois, soit un total de 30 jours, et non au cumul des congés payés qu'il estime avoir acquis depuis son placement en arrêt de travail initial le 15 mars 2017.

Dans ses conclusions d'appel, M. [F] évalue à 157,23 euros la somme correspondant à son salaire pour un jour de travail sans que ce montant ne soit utilement contesté par la société Ostrum.

Dès lors, et par infirmation du jugement, il convient de condamner la société Ostrum à payer à M. [F] la somme de 4 716,90 euros (157,23 X 30) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période d'arrêt de travail.

Sur la demande de rappel de salaire au titre du compte épargne-temps

Il résulte du bulletin de paie le plus récent communiqué que le solde du compte épargne-temps de M. [F] était de 35 jours en janvier 2020.

En conséquence, la société Ostrum est condamnée à payer à M. [F] la somme de 5 418,63 euros à titre de rappel de salaire pour le compte épargne-temps.

Sur la demande de rappel de salaire au titre des RTT

Cette demande, qui n'est soutenue par aucun développement pertinent dans les conclusions permettant d'en comprendre la justification, est rejetée dès lors, d'une part, que les seuls jours de congés acquis pendant la période d'arrêt de travail pouvant être indemnisés le sont par l'indemnité compensatrice de congés payés déjà fixée et, d'autre part, que le solde de jours de congés payés restant au salarié avant l'arrêt de travail est indemnisé au titre du compte épargne-temps, la démonstration que des jours de RTT resteraient dus au salarié n'étant pas établie.

Sur les primes de participation

La société Ostrum justifie que la prime de participation due aux salariés dans l'entreprise est calculée à concurrence de 2/3 proportionnellement au salaire et à hauteur de 1/3 par rapport au temps de présence du salarié concerné.

Il résulte des éléments versés aux débats que M. [F] à perçu chaque année de son employeur depuis 2017 la part de prime de participation calculée proportionnellement au salaire.

Par conséquent, M. [F], qui est en arrêt de travail depuis le 15 mars 2017, doit être débouté de sa demande de rappel qui correspond à la part subordonnée au temps de présence dans l'entreprise.

Sur la délivrance de documents

M. [F] sollicite la remise de bulletins de paie, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes à la décision à intervenir.

Il est fait droit à ces demandes.

En revanche, aucun élément ne permettant de présumer que la société Ostrum va résister à la présente décision, il n'y a pas lieu d'ajouter une astreinte à cette obligation de remise. La demande d'astreinte est donc rejetée.

Sur les autres demandes

Les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement. Les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués. En outre, il est précisé que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

La société Ostrum succombant, elle est condamnée aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il paraît équitable de condamner la société Ostrum à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [F] de ses demandes en condamnation de la société Ostrum Asset Management à lui payer des rappels de salaire au titre des RTT et des primes de participation.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare recevable les demandes de dommages-intérêts au titre de l'obligation de sécurité et d'indemnité au titre des congés payés acquis pendant l'arrêt de travail.

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [F], aux torts de la société Ostrum Asset Management.

Dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la société Ostrum Asset Management à payer à M. [F] les sommes de :

- 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité;

- 10 220,01 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis;

- 1 022 euros au titre des congés payés afférents;

- 14 421,56 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement;

- 20 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 4 716,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés pour la période d'arrêt de travail;

- 5 418,63 euros à titre de rappel de salaire pour le compte épargne-temps.

Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement.

Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués.

Dit que les intérêts échus produisent eux-mêmes intérêts au taux légal en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Ordonne à la société Ostrum Asset Management de remettre à M. [F] des bulletins de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes à la présente décision.

Condamne la société Ostrum Asset Management à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Condamne la société Ostrum Asset Management aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/09009
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;21.09009 ?
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