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26/06/2024 | FRANCE | N°21/09006

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 26 juin 2024, 21/09006


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 26 JUIN 2024



(n° 2024/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09006 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESNI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 septembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F 19/03875





APPELANT

Monsieur [F] [B]

[Adresse 2]

[Localité 4]>
Représenté par Me Chaouki GADDADA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0739



INTIMÉE

S.A. LE CREDIT LYONNAIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicolas DURAND GAS...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 26 JUIN 2024

(n° 2024/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09006 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESNI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 septembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F 19/03875

APPELANT

Monsieur [F] [B]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Chaouki GADDADA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0739

INTIMÉE

S.A. LE CREDIT LYONNAIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicolas DURAND GASSELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0505

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Alisson POISSON

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Didier LE CORRE, président de chambre, et par Madame Philippine QUIL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES,

M. [B] a été engagé en qualité de conseiller d'accueil par la société Crédit Lyonnais dans le cadre d'un contrat à durée déterminée « seniors pour le retour à l'emploi des salariés âgés » du 3 janvier 2017 au 30 juin 2017. Celui-ci a été renouvelé du 1er juillet au 16 décembre 2017 puis du 26 décembre 2017 au 15 décembre 2018.

M. [B] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 20 janvier 2018 au 11 mars 2018.

Par lettre du 13 mars 2018, la société Crédit Lyonnais a convoqué M. [B] à un entretien préalable à sanction fixé au 11 avril suivant.

Par lettre du 17 avril 2018, la société Crédit Lyonnais a notifié un avertissement à M. [B].

M. [B] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 9 au 30 mai 2018 puis du 5 au 9 septembre 2018.

M. [B] a saisi le 9 septembre 2019 le conseil de prud'hommes de Bobigny de demandes de dommages-intérêts au titre d'un harcèlement moral, d'une discrimination et d'une violation par l'employeur de son obligation de sécurité.

En dernier lieu, il a formé devant la juridiction prud'homale les demandes suivantes:

« Condamne la société LCL à payer à M. [B] les sommes suivantes:

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral : 10 000 €

- Dommages et intérêts pour discrimination : 10 000 €

- Dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de l'employeur : 3 000 € 

Ordonne l'exécution provisoire du jugement à intervenir par application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

Condamne la société LCL aux entiers dépens lesquels comprendront les frais d'huissier de justice en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir»

Par jugement du 28 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Bobigny a rendu la décision suivante:

« Déboute Monsieur [F] [B] de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute la SA LE CREDIT LYONNAIS de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [F] [B] aux dépens.»

M. [B] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 29 octobre 2021.

La constitution d'intimée de la société Crédit Lyonnais a été transmise par voie électronique le 19 novembre 2021.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 31 janvier 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [B] demande à la cour de:

« Infirmer le jugement au fond en date du 28 septembre 2021 rendu par la section commerce, en sa formation paritaire, du conseil de prud'hommes de Bobigny, dans le cadre de la procédure enregistrée au répertoire général sous le numéro F 19/03875 en ce qu'il a débouté Monsieur [F] [B] de ses demandes et condamné Monsieur [F] [B] aux entiers dépens.

Et statuant à nouveau :

- Juger Monsieur [F] [B] bien fondé et recevable en ses demandes, fins et conclusions,

- Juger que Monsieur [F] [B] a été victime d'un harcèlement moral.

En conséquence, condamner la société Crédit Lyonnais à payer à Monsieur [F] [B] des dommages-intérêts pour harcèlement moral : 10.000 euros

A titre subsidiaire, juger que l'avertissement du 17 avril 2018 n'est pas fondé et condamner la société Crédit Lyonnais à payer à Monsieur [F] [B] des dommages-intérêts pour le préjudice moral subi : 10.000 euros

- Juger que Monsieur [F] [B] a été victime d'une discrimination

En conséquence, condamner la société Crédit Lyonnais à payer à Monsieur [F] [B] des dommages-intérêts pour discrimination liée à l'état de santé : 10.000 euros

- Juger que la société Crédit Lyonnais a manqué à son obligation de sécurité

En conséquence, condamner la société Crédit Lyonnais à payer à Monsieur [F] [B] des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité : 3.000 euros

- Requalifier le contrat à durée déterminée senior du 26 décembre 2018 de Monsieur [F] [B] en contrat à durée indéterminée

En conséquence, condamner la société Crédit Lyonnais à payer à Monsieur [F] [B] les sommes suivantes :

- indemnité de requalification : 2.000 euros

- indemnité légale de licenciement : 500 euros

- indemnité compensatrice de préavis : 4.000 euros

- indemnité de congés payés afférents sur préavis : 400 euros

- indemnité pour licenciement abusif : 2.000 euros

- indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement : 2.000 euros

- Juger que Monsieur [B] a été victime d'une inégalité de traitement injustifiée

En conséquence, condamner la société Crédit Lyonnais à payer à Monsieur [F] [B] des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation d'égalité de traitement: 3.000 euros

En tout état de cause, la société Crédit Lyonnais à payer à Monsieur [F] [B]:

- Article 700 du Code de procédure civile : 2.500 €

- Les entiers dépens et frais éventuels d'exécution »

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 28 avril 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société Crédit Lyonnais demande à la cour de :

« JUGER irrecevables les demandes nouvelles de Monsieur [F] [B], en particulier la requalification du contrat à durée déterminée du 26 décembre 2018 et sa demande de dommages et intérêts en raison « d'une inégalité de traitement injustifiée »,

- CONFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Bobigny en ce qu'il a débouté Monsieur [F] [B] de ses demandes,

En conséquence,

- DEBOUTER Monsieur [F] [B] de ses demandes,

En toute hypothèse,

- CONDAMNER Monsieur [F] [B] à verser à la société LE CREDIT LYONNAIS la somme supplémentaire de 2.500 ' au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNER Monsieur [F] [B] aux entiers dépens. »

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 janvier 2024.

MOTIFS,

Sur la recevabilité des demandes nouvelles

L'article 564 du code de procédure civile dispose que « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

L'article 565 du même code précise que « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ».

En l'espèce, M. [B] forme en appel de nombreuses demandes qu'il n'avait pas présentées devant le conseil de prud'hommes.

Il convient de rappeler que devant la juridiction prud'homale M. [B] n'avait formé des demandes qu'à trois titres : dommages-intérêts pour harcèlement moral, pour discrimination et pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Il en résulte que les demandes formées en cause d'appel relativement à l'annulation de l'avertissement du 17 avril 2018 et la condamnation subséquente de l'employeur à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, à la requalification du contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et la condamnation subséquente de l'employeur à lui payer différentes sommes à titre d'indemnités de rupture, et à la condamnation de l'employeur à payer au salarié la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour inégalité de traitement, en ce qu'elles ne tendent pas aux mêmes fins que les demandes qui étaient présentées devant le conseil de prud'hommes, sont irrecevables.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L.1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est de jurisprudence constante que, sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [B] reproche d'abord à la société Crédit Lyonnais, alors qu'il venait juste de reprendre son poste de travail à l'issue de son arrêt de travail pour maladie du 20 janvier 2018 au 11 mars 2018, de l'avoir convoqué par lettre du 13 mars 2018 à un entretien préalable à sanction et de lui avoir notifié un avertissement le 17 avril 2018. Ce fait matériel est établi par l'existence de cette convocation et dudit avertissement.

M. [B] reproche ensuite à la société Crédit Lyonnais d'avoir été victime d'humiliations et de remarques dégradantes de la part de Mme [L] [U], sa supérieure hiérarchique, et de certains collègues dont la prénommée [G]. L'appelant expose avoir été convoqué le 4 mai 2018 dans le bureau de sa supérieure hiérarchique et qu'au cours de l'entretien qui s'en est suivi, en présence d'[G], celle-ci lui a reproché d'avoir « passé 20 minutes aux toilettes » et l'a menacé de le dénoncer à la Sécurité sociale en l'accusant d'avoir eu un arrêt maladie de complaisance. Il indique avoir par la suite subi des questions humiliantes sur son intervention chirurgicale et sa maladie. Il explique avoir fait également l'objet de critiques de la part de Mme [U] qui lui reprochait de ne pas être assez opérationnel à son retour d'arrêt maladie et le convoquait régulièrement dans son bureau. Il soutient enfin avoir fait l'objet de moqueries scatologiques, en présence de clients, de la part d'un cadre de la direction de l'agence. Néanmoins, M. [B] ne justifie par aucune pièce objective (courriel de Mme [U], attestation d'un collègue etc) avoir été convoqué régulièrement dans le bureau de Mme [U] et d'avoir subi des reproches ou des remarques déplacées de celle-ci ou d'un autre membre du personnel. Le courriel que M. [B] a adressé le 9 mai 2018 à sa direction à propos d'un incident du vendredi 4 mai 2018 ne suffit pas, par son contenu, à établir qu'il avait subi des propos dégradants et menaçants. Les courriels du 3 décembre 2018 adressés par M. [B], et dans lesquels il reproche à la médecine du travail de ne pas être intervenue malgré sa sollicitation de celle-ci, n'établissent pas davantage la matérialité des brimades alléguées, étant ajouté que l'appelant ne produit pas la lettre recommandée qu'il indiquait dans son second courriel du 3 décembre 2018 vouloir envoyer à son employeur. Ces faits matériels ne sont donc pas établis.

M. [B] communique en outre deux extraits de son dossier médical « patient » chez son médecin traitant qui mentionne un harcèlement au travail.

Pris dans leur ensemble, les éléments de fait qui précèdent relatifs à l'avertissement et aux pièces médicales laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail.

La société Crédit Lyonnais, en réponse, soutient d'abord que l'avertissement prononcé à l'encontre de M. [B] était fondé sur des faits non prescrits et et était justifié.

Il ressort de la lettre d'avertissement que la sanction a été prononcée pour des faits datant du 16 septembre 2017 ayant consisté pour M. [B] à effectuer ce jour-là un virement de 60 000 euros sans avoir vérifié la signature du donneur d'ordre apposée sur l'ordre de virement. Toutefois la société Crédit Lyonnais justifie que ces faits, ayant donné lieu à un dépôt de plainte pour escroquerie du client concerné auprès des services de police le 19 septembre 2017, ont nécessité une enquête interne par le service des Risques et des contrôles permanents de la Direction de réseau Ile-de-France Nord qui s'est achevée par le dépôt d'un « rapport confidentiel » le 19 janvier 2018, ledit rapport étant très circonstancié sur les différentes investigations et auditions menées durant l'enquête interne. Par conséquent, dès lors que la réalisation de l'enquête était nécessaire et que l'employeur n'a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié qu'à l'issue de l'enquête, c'est la date de dépôt du rapport le 19 janvier 2018 qui constitue le point de départ du délai de prescription de deux mois en matière disciplinaire. M. [B] ayant été placé en arrêt de travail du 20 janvier 2018 au 11 mars 2018, son contrat de travail étant suspendu durant cette période, il en résulte que le délai de prescription de deux mois n'était pas expiré lorsque par lettre du 13 mars 2018 la société Crédit Lyonnais a convoqué M. [B] à un entretien préalable à sanction.

S'agissant du bien-fondé de l'avertissement, il ressort du rapport d'enquête que M. [B], qui était conseiller d'accueil au guichet de l'agence bancaire Croix de Chavaux, ne connaissait pas l'individu s'étant présenté au guichet pour effectuer un virement de 60 000 euros et lui a demandé sa carte nationale d'identité. Or, le rapport d'enquête, qui inclut la copie de différentes pièces internes à la banque, démontre que le numéro de la carte d'identité présentée par l'individu ne correspondait pas au numéro de celle enregistrée dans le dossier électronique du client au sein de la banque, et que les signatures ne correspondaient pas non plus. Or, M. [B] a pourtant effectué l'opération de virement. Il en résulte que M. [B] n'ayant, malgré ses dires, pas effectué les vérifications supplémentaires suffisantes qui s'imposaient alors, étant précisé que le rapport d'enquête a conclu qu'une sanction disciplinaire devait aussi être notifiée à Mme [U], l'avertissement prononcé le 17 avril 2018, qui n'était pas disproportionné, était justifié.

En ce qui concerne les deux extraits du dossier médical « patient », la société Crédit Lyonnais fait valoir à juste titre que les mentions qui y ont été inscrites par le médecin traitant de M. [B], à l'issue de deux consultations les 9 mai 2018 et 4 décembre 2018, ne font que reprendre les dires du salarié.

Par conséquent, la cour constate que la société Crédit Lyonnais prouve que les agissements établis ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral est donc rejetée, le jugement étant confirmé sur ce chef.

Sur l'obligation de sécurité

L'article L.4121-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010, applicable au litige, dispose que:

« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. »

L'article L.4121-2 du contrat de travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2012-954 du 6 août 2012, dispose que:

« L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs. »

Il résulte de ces textes que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Toutefois, l'employeur ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un manquement à son obligation de sécurité, a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.

En l'espèce, si la matérialité des faits allégués par M. [B] dans son courriel déjà cité du 9 mai 2018, adressé à sa direction à propos d'un incident le vendredi 4 mai 2018, ne sont pas établis par les pièces versées aux débats, il n'en demeure pas moins que la société Crédit Lyonnais ne justifie pas avoir entrepris, après avoir reçu ce courriel, la moindre action afin de vérifier la réalité des reproches énoncés par M. [B] dans ce courriel. En cela, la société Crédit Lyonnais a manqué à son obligation de prévention et de sécurité, de sorte qu'elle doit être condamnée à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages-intérêts pour discrimination en raison de l'état de santé

L'article L.1132-1 du contrat de travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-832 du 24 juin 2016, applicable au litige, dispose que:

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »

En application de l'article L. 1134-1 du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, M. [B] présente majoritairement les mêmes éléments de fait que ceux qu'il invoquait au titre de sa demande relative au harcèlement moral et qui ont déjà été exposés.

S'agissant des « humiliations et remarques quotidiennes de Mme [U] ainsi que de certains de ses collègues », mais aussi de l'allégation qu'à compter de début 2018 M. [B] n'a plus bénéficié des avantages du comité d'entreprise et n'a plus été convoqué en vue de l'obtention de la prime trimestrielle, la cour constate que le salarié ne verse pas aux débats d'élément sur la matérialité de ces faits.

Seul l'avertissement, par la date de son prononcé peu après le retour de M. [B] de son arrêt de travail, et les deux extraits médicaux de son dossier « patient » chez son médecin traitant, laissent supposer, pris dans leur ensemble, l'existence d'une discrimination en raison de l'état de santé.

Cependant, comme il l'a déjà été retenu, l'avertissement étant fondé, la société Crédit Lyonnais prouve ainsi que sa décision de prononcer cette sanction était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il en est de même pour les deux extraits du dossier médical de M. [B] puisque le médecin traitant de ce dernier ne fait qu'y relater ses dires.

En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination en raison de son état de santé.

Sur les autres demandes

La société Crédit Lyonnais succombant, elle est condamnée aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il paraît équitable de condamner la société Crédit Lyonnais à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [B] de ses demandes en condamnation de la société Crédit Lyonnais à lui payer des dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour discrimination.

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

Déclare irrecevable les demandes de M. [B] relatives à l'annulation de l'avertissement du 17 avril 2018 et la condamnation subséquente de la société Crédit Lyonnais à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, à la requalification du contrat à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et la condamnation subséquente de l'employeur à lui payer différentes sommes à titre d'indemnités de rupture, et à la condamnation de l'employeur à payer au salarié la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour inégalité de traitement.

Condamne la société Crédit Lyonnais à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Condamne la société Crédit Lyonnais à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties de leurs autres demandes.

Condamne la société Crédit Lyonnais aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/09006
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;21.09006 ?
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