La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/06/2024 | FRANCE | N°21/08675

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 26 juin 2024, 21/08675


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9





ARRET DU 26 JUIN 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08675 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEQP2



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 20/00770



APPELANT



Monsieur [E] [U]

[Adresse 2]r>
[Localité 3]

Représenté par Me Alissar ABI FARAH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0536



INTIMEE



S.A. TEMSYS

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jérôme POUGET, av...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 26 JUIN 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08675 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEQP2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 20/00770

APPELANT

Monsieur [E] [U]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Alissar ABI FARAH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0536

INTIMEE

S.A. TEMSYS

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jérôme POUGET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0381

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Fabrice MORILLO, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Stéphane MEYER, président

Fabrice MORILLO, conseiller

Nelly CHRETIENNOT, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 juillet 2018, M. [E] [U] a été engagé en qualité de chef des ventes VO (statut cadre) par la société TEMSYS (exerçant sous la marque commerciale ALD Automotive), ladite société employant habituellement au moins 11 salariés et appliquant la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile.

Après avoir été convoqué, suivant courrier recommandé du 10 septembre 2019, à un entretien préalable fixé au 18 septembre 2019, M. [U] a été licencié pour insuffisance professionnelle suivant courrier recommandé du 23 septembre 2019.

Invoquant l'existence d'agissements de harcèlement moral, contestant le bien-fondé de son licenciement et s'estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [U] a saisi la juridiction prud'homale le 29 juin 2020.

Par jugement du 24 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Longjumeau a :

- fixé le salaire moyen de M. [U] à 4 684,76 euros bruts,

- condamné la société TEMSYS à payer à M. [U] les sommes suivantes :

- 42,80 euros à titre de rappel de rémunération variable pour le mois de mai 2019 outre 4,28 euros à titre de congés payés afférents,

- 42,77 euros à titre de rappel de rémunération variable pour le mois de juin 2019 outre 4,27 euros à titre de congés payés afférents,

- dit que le licenciement n'est pas nul et repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté en conséquence M. [U] de toutes ses autres demandes,

- condamné la société TEMSYS à payer à M. [U] la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé l'exécution provisoire de droit pour les sommes allouées au titre des salaires et des congés payés afférents en application des dispositions des articles R. 1454-28 et R. 1454-14 du code du travail,

- mis les éventuels dépens à la charge de la société TEMSYS.

Par déclaration du 19 octobre 2021, M. [U] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 5 octobre 2021.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 mars 2024, M. [U] demande à la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société TEMSYS à lui payer les soldes de sa rémunérations variable à hauteur de 42,80 euros outre 4,28 euros au titre des congés payés y afférents pour le mois de mai 2019 et de 42,77 euros outre 4,27 euros au titre des congés payés y afférents pour le mois de juin 2019, et en ce qu'il a fixé la moyenne de salaire à la somme de 4 684,76 euros et, statuant à nouveau,

- dire le licenciement nul, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société TEMSYS à lui payer les sommes suivantes :

- 517,76 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de novembre 2019 outre 51,77 euros au titre des congés payés y afférents,

- 274,43 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de décembre 2019 outre 27,44 euros au titre des congés payés y afférents,

- 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, 9 369,52 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- condamner la société TEMSYS à lui remettre 11 tickets restaurant au titre du mois de novembre 2019 et 18 tickets restaurant au titre du mois de décembre 2019,

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal avec capitalisation,

- condamner la société TEMSYS au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée en première instance,

- condamner la société TEMSYS aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 avril 2022, la société TEMSYS demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que M. [U] n'a fait l'objet d'aucun harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique dont il ne rapporte pas la preuve, que le licenciement n'est pas nul, que le licenciement pour insuffisances professionnelles est fondé, que M. [U] n'avait pas le droit de percevoir des tickets restaurants pour les mois de novembre et décembre 2019 et qu'il n'a subi aucun préjudice moral,

- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [U] au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'instruction a été clôturée le 23 avril 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 mai 2024.

MOTIFS

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur la rémunération variable des mois de mai et juin 2019

L'appelant fait valoir qu'il n'a pas été réglé de l'intégralité de la rémunération variable lui revenant au titre des mois de mai et juin 2019.

La société intimée conclut au rejet de cette demande.

Il résulte du contrat de travail liant les parties que le salarié bénéficiait d'une « part variable annuelle de 13 000 euros à 100 % d'objectifs atteints, selon la note de rémunération sur la part variable le concernant ».

Étant rappelé qu'il résulte des dispositions de l'article 1315, devenu 1353, du code civil que lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire, le salarié devant pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues par le contrat de travail, il résulte des échanges de mails du 7 août 2019 que le supérieur hiérarchique de l'appelant (M. [V]) lui a indiqué que, suite à un contrôle concernant des coquilles dans l'extraction des ventes, il était effectivement en droit de bénéficier d'un rattrapage de 42,80 euros bruts pour mai 2019 et de 42,77 euros bruts pour juin 2019.

Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu'il a accordé à l'appelant les sommes de 42,80 euros à titre de rappel de rémunération variable pour le mois de mai 2019 outre 4,28 euros à titre de congés payés afférents et de 42,77 euros à titre de rappel de rémunération variable pour le mois de juin 2019 outre 4,27 euros à titre de congés payés afférents.

Sur les tickets-restaurant de novembre et décembre 2019

L'appelant fait valoir qu'alors que dans le cadre d'une dispense de préavis, le salarié doit voir sa rémunération et ses avantages maintenus, il n'a pas bénéficié de l'intégralité des tickets-restaurant lui revenant au titre des mois de novembre et décembre 2019.

La société intimée réplique que l'attribution des tickets-restaurant est conditionnée à la présence effective du salarié dans l'entreprise et que, par conséquent, les salariés absents ne bénéficient d'aucun ticket-restaurant pour les jours durant lesquels ils ont été absents. Elle ajoute qu'il y a un décalage en paie entre la présence du collaborateur et l'attribution des tickets-restaurant.

Selon l'article L. 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.

L'indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l'indemnité de licenciement et avec l'indemnité prévue à l'article L. 1235-2.

En l'espèce, étant rappelé que le ticket-restaurant, qui constitue un avantage en nature payé par l'employeur, entre dans la rémunération du salarié, laquelle ne doit subir aucune diminution en cas de dispense d'exécution du préavis par l'employeur, la cour ordonne à la société intimée de remettre à l'appelant un reliquat de 11 tickets-restaurant pour le mois de novembre 2019 et de 18 tickets-restaurant pour le mois de décembre 2019, et ce par infirmation du jugement.

Sur la demande de rappel de salaire au titre des mois de novembre et décembre 2019

L'appelant fait valoir qu'il n'a pas été réglé de l'intégralité de la rémunération variable lui revenant au titre de la période de dispense de préavis, l'employeur s'étant abstenu de lui verser une rémunération variable sur la base de la moyenne de rémunération des 12 mois précédant le licenciement, la moyenne de rémunération brute des 12 derniers mois s'élevant à 4 684,76 euros bruts.

La société intimée réplique qu'elle a régulièrement calculé et versé la part variable revenant au salarié durant ses mois de préavis. À titre subsidiaire, elle indique que la moyenne de rémunération (part variable incluse) au titre des 12 mois précédant la rupture est uniquement de 4 677,64 euros.

En application des dispositions précitées de l'article L. 1234-5 du code du travail, l'employeur ayant l'obligation de verser au salarié, qu'il a dispensé d'exécuter le préavis, l'intégralité de la rémunération qu'il aurait reçue s'il avait travaillé et l'appelant étant en partie rémunéré par une part variable annuelle sur objectif, de sorte que le salarié soutient justement qu'il convient de se référer, dans une telle hypothèse, à une moyenne calculée sur les 12 mois précédant la rupture, soit une somme mensuelle de 4 684,76 euros (après intégration des rappels de rémunération variable précités au titre des mois de mai et juin 2019), la cour accorde à l'appelant un rappel de salaire de 517,76 euros pour le mois de novembre 2019 outre 51,77 euros au titre des congés payés y afférents et de 274,43 euros pour le mois de décembre 2019 outre 27,44 euros au titre des congés payés y afférents, et ce par infirmation du jugement.

Sur la rupture du contrat de travail

L'appelant fait valoir que son licenciement est nul comme étant intervenu dans un contexte de harcèlement moral. À titre subsidiaire, il indique que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, les griefs d'insuffisance professionnelle n'étant pas établis, le licenciement relevant en réalité d'une suppression de poste en ce qu'il n'a jamais été remplacé.

La société intimée réplique que le licenciement de l'appelant est fondé en ce qu'il ne parvenait pas à accomplir correctement ses fonctions de chef des ventes, cette incapacité étant démontrée par des carences dans le suivi de l'activité des collaborateurs, une incapacité à appliquer et à faire appliquer les règles internes et process et une incapacité à réagir face aux dysfonctionnements en mettant notamment en place un plan d'action adéquat. Elle souligne par ailleurs que l'appelant n'établit aucun lien entre son licenciement pour insuffisances professionnelles et son prétendu harcèlement moral, la dénonciation de faits de harcèlement moral étant en outre intervenue après la remise de sa convocation à un entretien préalable.

La lettre de licenciement est rédigée de la manière suivante :

« [...] Vous avez été engagé le 2 juillet 2018 en qualité de Chef des Ventes Retail au sein de la Société ALD Automotive. A ce titre, il vous incombe notamment de diriger et organiser les missions du service au quotidien, assurer le respect des règles internes, participer à la mise en place des actions nécessaires au maintien du niveau de qualité requis ainsi que de respecter et faire respecter les règles définies dans le cadre de la Surveillance Permanente.

Or, nous avons à déplorer des manquements notables dans l'exécution de vos missions.

A cet effet, nous constatons des carences dans le suivi de l'activité de vos collaborateurs ainsi qu'une incapacité à appliquer et à faire appliquer les règles internes et process.

A titre d'exemples non exhaustifs,

- Le 5 août 2019, votre responsable, Monsieur [G] [V], a constaté que les règles n'avaient pas été suivies dans le cadre des ventes à marchand, puisque des ventes ont été réalisées avec une réduction de 5 000 €, sans accord de votre hiérarchie, et dans un délai non conforme au process interne. Pour rappel, la vente à marchand ne peut intervenir dans un délai inférieur à 15 jours, or l'annonce a été diffusée dans un délai de 8 jours.

- Lors de la surveillance permanente d'août 2019, de nouveaux manquements au process interne ont été constatés, notamment un oubli de scan dossier, des conditions générales de vente ou fiches de livraison non signées, des World check non faits, un scan dossier, pour lequel une remise de 1 000 € avait été effectuée, incomplet sous arms.

- Le 24 juillet 2019, il a été constaté que 43 chemises de classement étaient encore en attente de traitement de même que des enveloppes envoyées par DEKRA (cartes grises, double de clé, barré rouge).

Ces situations traduisent un manque de pilotage et de suivi de l'activité de vos collaborateurs, ce qui n'est pas acceptable et conduit de toute évidence à la désorganisation du service.

En cas de difficulté pour appliquer les process, il vous appartenait de mettre en place un plan d'actions pour rétablir la situation. Or, force est de constater que vous n'êtes pas parvenu à mettre en place les 2 mesures nécessaires. Vos carences ne permettent pas aux collaborateurs d'assurer leurs missions de manière optimale et efficiente.

De toute évidence, ces carences nuisent au bon fonctionnement du service et ne permettent nullement d'assurer le niveau de qualité de service requis.

A ce titre, il est utile de noter que des clients ont fait part de leur insatisfaction quant à l'organisation de l'agence. Pour illustration, le 21 août dernier, Monsieur [H] a été destinataire d'un mail au terme duquel un client a fait part de son mécontentement quant aux règles concernant l'essai de véhicule. De même, le 12 juillet 2019, la société a réceptionné un courrier au terme duquel le client a fait connaître son mécontentement quant au traitement de son dossier.

Vous comprendrez que ces situations ne sont pas acceptables. Il est d'autant plus regrettable que suite aux mécontentements qui ont pu être émis de la part des clients, vous n'avez pas mis en place des mesures pour rectifier la situation ni cherché à participer à une éventuelle optimisation des processus internes afin d'améliorer la performance du service et la qualité de service rendu.

De telles lacunes ne sont pas tolérables, d'autant plus pour un Chef des Ventes.

Les explications que vous nous avez fournies lors de l'entretien préalable précité ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Par conséquent, eu égard à la nature de vos fonctions, ces faits rendent donc impossible la poursuite de nos relations contractuelles. [...] ».

Sur la nullité du licenciement

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte par ailleurs de l'article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, le salarié, qui indique avoir été victime de la part de son supérieur hiérarchique, M. [V], d'un harcèlement moral caractérisé par un dénigrement constant auprès de son équipe et de la clientèle, par une attitude et des propos agressifs voire insultants ainsi que par des ordres contradictoires, produit les éléments suivants :

- une attestation rédigée par M. [N] (vendeur VO),

- une attestation rédigée par Mme [M] (assistante revente VO),

- une attestation rédigée par M. [P] (assistant revente VO),

- un mail adressé à M. [L] (nouveau supérieur hiérarchique) le 10 septembre 2019 à 18h19,

- la convocation à un entretien préalable à licenciement du 10 septembre 2019,

- un courrier du 23 septembre 2019 adressé à Mme [W] (directrice des ressources humaines) à la suite de l'entretien préalable au licenciement du 18 septembre 2019

- la lettre de licenciement du 23 septembre 2019.

Il apparaît que le salarié présente ainsi des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement, lesdits éléments faisant état de la mise en 'uvre par son supérieur hiérarchique de pratiques managériales génératrices d'anxiété et de perte de confiance se manifestant par :

- des humiliations publiques ainsi que des critiques ouvertes et répétées à son encontre,

- une stigmatisation ainsi qu'une volonté de le discréditer auprès de son équipe, notamment au cours de réunions organisées lorsqu'il était absent, son supérieur cherchant alors manifestement à obtenir des salariés de son équipe des éléments d'information pouvant lui permettre de retenir de potentiels griefs à son encontre,

- l'utilisation d'un niveau verbal élevé, de propos vexatoires, irrespectueux et blessants ainsi qu'une attitude agressive et irascible,

- une organisation de l'activité comprenant des injonctions paradoxales (ordres et contre-ordres successifs) aboutissant à des critiques systématiques sur la qualité du travail,

- lesdits agissements ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité et de compromettre son avenir professionnel ainsi que cela résulte des différents éléments versés aux débats.

La société intimée se limitant principalement en réplique à contester les affirmations du salarié appelant et à critiquer les pièces produites par ce dernier en soulignant que l'intéressé n'établit aucun lien entre son licenciement et son prétendu harcèlement moral et en soutenant que la dénonciation d'agissements de harcèlement du 10 septembre 2019 à 18h19 n'est intervenue qu'après que le salarié se soit vu remettre, le même jour, sa convocation à un entretien préalable à licenciement, il sera tout d'abord relevé que l'employeur s'abstient de produire des éléments de preuve de nature à contredire utilement les déclarations précises, circonstanciées et concordantes des différents salariés de l'équipe de l'appelant ayant été personnellement et directement témoins des agissements litigieux.

Par ailleurs, si l'employeur indique que la dénonciation par l'appelant d'agissements de harcèlement moral serait dénuée de tout caractère sérieux en ce qu'elle serait intervenue postérieurement à la réception par l'intéressé de sa convocation à un entretien préalable à licenciement suivant courrier remis en main propre le 10 septembre 2019, il sera cependant observé à la lecture du mail du 10 septembre 2019 à 18h19, adressé à son nouveau supérieur hiérarchique (M. [L]), que l'appelant indique expressément « Suite à ta demande, je te prie de trouver ci-dessous les griefs que j'ai pu subir durant ma collaboration avec [G] [V] », ce qui implique nécessairement l'existence de précédents échanges entre les intéressés ainsi qu'une demande antérieure du nouveau supérieur hiérarchique de l'appelant de lui apporter des précisions concernant les faits dénoncés.

Il résulte de surcroît du courrier de l'appelant du 23 septembre 2019, adressé à la directrice des ressources humaines (Mme [W]) à la suite de l'entretien préalable au licenciement du 18 septembre 2019, que ce dernier lui a alors précisé : « [...]comme évoqué également lors de notre entretien, je relève la survenance de cette convocation 3 semaines après ma dénonciation des faits, propos et attitudes répétés depuis octobre 2018 relevant du harcèlement moral de la part de [G] [V] (dont a été également victime mon équipe), faits dont j'ai aussi alerté le CSE courant août 2019, et qui sont à l'ordre du jour du prochain CSE. La concomitance entre cette dénonciation d'une situation relevant du harcèlement moral et la procédure de licenciement initiée pour des motifs relevant du prétexte interpelle pour le moins », et ce alors que deux salariés ayant rédigé les attestations susvisées (M. [N] et Mme [M]) confirment que les agissements dont faisait l'objet l'appelant ont effectivement été portés à la connaissance de Mme [I] (secrétaire du CSE) lors de sa visite le 8 août 2019.

Dès lors, au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que l'employeur ne démontre pas, mises à part ses seules affirmations de principe et en l'absence de production en réplique d'éléments de preuve suffisants de nature à les corroborer, que les agissements litigieux ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que les différentes décisions précitées étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, la cour retient l'existence d'agissements de harcèlement moral subis par l'appelant, et ce par infirmation du jugement.

Étant rappelé qu'en application des dispositions de l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, l'article L. 1152-3 du même code prévoyant que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul, compte tenu des développements précédents concernant la caractérisation d'agissements de harcèlement moral et au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, la cour retient que le licenciement prononcé à l'encontre de l'appelant s'inscrit dans le contexte précité de harcèlement moral dont le salarié faisait l'objet, et ce alors qu'il avait dénoncé à sa hiérarchie ainsi qu'au comité social et économique l'existence d'une situation de harcèlement moral sans que l'employeur ne procède à la moindre enquête à cet égard, l'appelant ayant manifestement été licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ainsi que pour en avoir témoigné et les avoir relatés.

Dès lors, il convient, sans avoir dans une telle hypothèse à examiner les faits énoncés dans la lettre de licenciement, de déclarer nul le licenciement prononcé à l'encontre de l'appelant, et ce par infirmation du jugement.

Sur les conséquences financières de la rupture

Il résulte de l'article L. 1235-3-1 du code du travail que l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d'une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

En l'espèce, eu égard à l'ancienneté dans l'entreprise (1 an et 5 mois), à l'âge du salarié (36 ans) et à sa rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail (4 684,76 euros) et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l'intéressé justifiant avoir perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi à tout le moins jusqu'au mois de septembre 2020 et n'avoir retrouvé un emploi qu'à compter du mois d'octobre 2020, la cour lui accorde la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, et ce par infirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral

L'appelant fait valoir qu'il a été victime d'attitudes et de propos désobligeants et dénigrants lors de l'exécution de son contrat de travail, dans un contexte de surcharge de travail. Il ajoute que la société intimée, bien qu'informée, a laissé faire pour finalement le licencier dans le temps de la dénonciation formelle, de telle sorte qu'elle a manqué à son obligation de sécurité vis-à-vis de son salarié.

La société intimée réplique qu'il appartient au salarié de démontrer l'existence d'un préjudice et que ce dernier ne rapporte pas la moindre preuve au soutien de ses allégations.

Étant rappelé que les obligations résultant des articles L. 1152-1 et L. 1152-4 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à réparation, la cour relevant en l'espèce que l'employeur ne justifie ni du fait d'avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ni, une fois informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, d'avoir pris les mesures immédiates propres à le faire cesser, l'intimée, qui a au contraire notifié au salarié son licenciement pour insuffisance professionnelle, ayant ainsi manqué à ses obligations en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, il convient, compte tenu du préjudice moral spécifique non contestable subi par le salarié à ce titre, de lui accorder en réparation une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, et ce par infirmation du jugement.

Sur les autres demandes

Selon l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à l'employeur fautif de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

L'employeur, qui succombe, supportera les dépens d'appel et sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera condamné à payer au salarié la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel, la somme accordée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a condamné la société TEMSYS à payer à M. [U] les sommes de 42,80 euros à titre de rappel de rémunération variable pour le mois de mai 2019 outre 4,28 euros à titre de congés payés afférents, de 42,77 euros à titre de rappel de rémunération variable pour le mois de juin 2019 outre 4,27 euros à titre de congés payés afférents, de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

ORDONNE à la société TEMSYS de remettre à M. [U] un reliquat de 11 tickets-restaurant pour le mois de novembre 2019 et de 18 tickets-restaurant pour le mois de décembre 2019 ;

DÉCLARE nul le licenciement prononcé à l'encontre de M. [U] ;

CONDAMNE la société TEMSYS à payer à M. [U] les sommes suivantes :

- 517,76 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de novembre 2019 outre 51,77 euros au titre des congés payés y afférents,

- 274,43 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de décembre 2019 outre 27,44 euros au titre des congés payés y afférents,

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

RAPPELLE que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société TEMSYS de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour les montants confirmés et du présent arrêt pour le surplus ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil ;

CONDAMNE la société TEMSYS aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la société TEMSYS à payer à M. [U] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ;

ORDONNE à la société TEMSYS de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées à M. [U] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités ;

DÉBOUTE M. [U] du surplus de ses demandes ;

DÉBOUTE la société TEMSYS du surplus de ses demandes reconventionnelles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 21/08675
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;21.08675 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award