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26/06/2024 | FRANCE | N°21/08047

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 26 juin 2024, 21/08047


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9





ARRET DU 26 JUIN 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08047 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEM5D



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/02564



APPELANTE



Madame [Y] [X] épouse [S]

[Adress

e 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvanie NGAWA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1444



INTIMEE



G.I.E. RAMSAY HOSPITALISATION

[Adresse 1]

[Localité 2] / FRANCE

Représ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 26 JUIN 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08047 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEM5D

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/02564

APPELANTE

Madame [Y] [X] épouse [S]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Sylvanie NGAWA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1444

INTIMEE

G.I.E. RAMSAY HOSPITALISATION

[Adresse 1]

[Localité 2] / FRANCE

Représentée par Me Valérie BEBON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0002

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Stéphane MEYER, président

Fabrice MORILLO, conseiller

Nelly CHRETIENNOT, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mai 2016, avec reprise d'ancienneté au 30 novembre 2012, Mme [Y] [S] a été engagée par le GIE RAMSAY HOSPITALISATION en qualité de directrice administrative et financière (DAF) de pôle, l'intéressée exerçant en dernier lieu les fonctions de directrice des opérations finance. Le GIE RAMSAY HOSPITALISATION emploie habituellement au moins 11 salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.

Après avoir fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire et été convoquée, suivant courrier remis en main propre du 4 novembre 2019, à un entretien préalable fixé au 18 novembre 2019, Mme [S] a été licenciée pour faute grave suivant courrier recommandé du 25 novembre 2019.

Contestant le bien-fondé de son licenciement et s'estimant insuffisamment remplie de ses droits, Mme [S] a saisi la juridiction prud'homale le 27 avril 2020.

Par jugement du 6 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- débouté Mme [S] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens,

- débouté le GIE RAMSAY HOSPITALISATION de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 29 septembre 2021, Mme [S] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 30 août 2021.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 mars 2024, Mme [S] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,

- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 9 367,73 euros,

- dire qu'elle n'a commis aucune faute grave et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner en conséquence le GIE RAMSAY HOSPITALISATION à lui payer les sommes suivantes :

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 74 941,81 euros,

- indemnité compensatrice de préavis : 28 103,18 euros,

- congés payés afférents sur l'indemnité compensatrice de préavis : 2 810,31 euros,

- rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire : 5 583,48 euros,

- congés payés afférents : 558,34 euros,

- indemnité conventionnelle de licenciement : 21 920,54 euros,

- dommages-intérêts pour préjudice moral : 18 735,46 euros,

- rappel de salaire au titre de la prime sur objectif : 2 400 euros,

- condamner le GIE RAMSAY HOSPITALISATION à lui remettre les bulletins de paie conformes à la décision, le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi,

- condamner le GIE RAMSAY HOSPITALISATION au paiement de la somme de 5 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal avec capitalisation,

- condamner le GIE RAMSAY HOSPITALISATION aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 mars 2024, le GIE RAMSAY HOSPITALISATION demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter en conséquence Mme [S] de toutes ses demandes,

- condamner Mme [S] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'instruction a été clôturée le 23 avril 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 mai 2024.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

L'appelante, faisant état de l'existence d'un climat social dégradé au sein de l'entreprise compte tenu de la mise en place du centre de service partagé (CSP) ainsi que des suppressions de poste et de la surcharge de travail en ayant résulté pour les équipes, conteste l'ensemble des griefs en indiquant que ceux-ci ne reposent pas sur des éléments objectifs et matériellement vérifiables. Elle souligne que l'employeur ne rapporte pas la preuve que les faits reprochés ou invoqués lui sont personnellement imputables, ceux-ci étant de surcroît imprécis, non datés et non circonstanciés et reposant intégralement sur des propos rapportés par une salariée qui reconnaît expressément ne pas avoir assisté aux faits et cherchait manifestement à se venger de ses supérieurs hiérarchiques. Elle précise que les faits lui étant reprochés sont soit inexistants soit prescrits. Elle ajoute que l'engagement tardif de la procédure disciplinaire exclut la faute grave.

L'intimé réplique que le licenciement pour faute grave est bien fondé en ce que l'appelante a dénigré sa hiérarchie auprès de collaborateurs et a adopté une attitude managériale inacceptable consistant à tenir des propos injurieux et dénigrants à I'égard de ses proches collaborateurs auprès de leurs collègues ou de leurs subordonnés ainsi qu'à faire preuve auprès de certains salariés d'attitudes déplacées.

Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instructions qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, le salarié licencié pour faute grave n'ayant pas droit aux indemnités de préavis et de licenciement.

L'employeur qui invoque la faute grave doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :

« [...] « Nous vous informons par la présente que nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour faute grave.

Nous vous rappelons les raisons qui nous amènent à prendre cette mesure :

Vous occupez la fonction de Directrice des Opérations Finance depuis le 1er juillet 2018 au sein de la plateforme des activités finances et RH du groupe.

Dans le cadre de ces fonctions vous devez notamment résoudre les problématiques opérationnelles et conforter une dynamique managériale en accompagnant, mobilisant, motivant vos équipes.

Or, nous avons récemment été alertés par des collaborateurs quant à votre comportement managérial inacceptable à plusieurs titres.

Nous avons donc entendu et recueilli les témoignages de plusieurs collaborateurs qui travaillent avec vous et qui ont confirmé un climat de tension dont vous êtes à l'origine.

La révélation de ces faits inacceptables nous a conduit à vous convoquer à un entretien préalable et à vous mettre à pied à titre conservatoire.

Suite à deux réunions du 8 et 9 octobre 2019 au cours desquelles vous avez eu une attitude agressive à l'égard de certains de vos collaborateurs, la direction des ressources humaines du siège a reçu une alerte d'un salarié faisant état d'une souffrance au travail liée à votre attitude managériale.

Nous avons également été alertés par les représentants du personnel.

Ces faits nous ont amené à interroger plusieurs collaborateurs et la description faite de vos méthodes est radicalement incompatible avec la poursuite de votre contrat de travail au sein de notre entreprise.

Il a été en effet mis en lumière d'une part un dénigrement de votre hiérarchie et d'autre part un management intolérable de votre part, créateur de souffrance au travail.

1- Un dénigrement de votre hiérarchie

Vous tenez des propos de dénigrement à mon égard qui suis votre responsable, auprès de certains collaborateurs qui ont été choqués par leur teneur :

o « [C] ne porte pas ses couilles »

o « [C] a un problème avec les femmes, ni sa mère, ni sa femme ne travaille »

o « t'es fou [P] de lui dire la vérité, il va me défoncer (en parlant de moi), tu trouves normal de lui dire devant les achats, qu'on ne fait pas le travail qu'il nous a demandé. »

Ces propos insultants à mon égard sont inadmissibles, et ce d'autant au regard de votre fonction de cadre et alors que vous êtes mon bras droit au sein de la plateforme :

- Vos propos remettent en cause mon autorité vis-à-vis de l'ensemble des équipes ;

- Vous affichez un mépris à mon égard, alors même que vous êtes censée être mon relais auprès des salariés du Centre de Service Partagé.

2- Attitude managériale inacceptable

- Vous vous permettez de tenir des propos injurieux à l'égard de vos proches collaborateurs ou de les critiquer vertement auprès de leurs collègues ou de leurs subordonnés, ce qui s'avère déstabilisant pour ces derniers.

Vous n'hésitez ainsi pas à critiquer des membres de votre équipe auprès d'autres salariés en vous permettant de tenir les propos suivants :

- « [T] ([O]) il est l'image du vrai antillais, moins j'en fous, mieux je me porte »

- « c'est bon [U] ([H]) va revenir au travail car bon, sa mère est morte mais nous on a une clinique à faire tourner ! »

Mais encore, vous vous permettez de critiquer des salariés auprès de leurs subordonnés :

- Vous critiquez [G] [V] auprès de ses subordonnés en indiquant que ce dernier :

- Descend trop souvent fumer avec [E] [A] et que cela ferait « jaser » dans le service ;

- Est manipulé par [E] [A] ;

- Serait mal dans sa peau et ne supporterait pas la pression.

- Vous critiquez également [P] [N] auprès de ses subordonnés en indiquant que ce dernier :

- Ne sait pas gérer son équipe ;

- Ne ferait pas avancer son service et vous allez encore être obligée de reprendre les choses en main ;

- Aurait dû être « dégagé » .

- Concernant la DRH de la plateforme, [Z] [M] :

- « [P] m'a fait un vrai coup de pute, il a été craché sur moi avec l'autre connasse de [Z], en disant que je parle mal aux gens ».

Ce type de propos, tenus par un cadre de direction tenant à dénigrer et/ou injurier des salariés auprès de leurs collègues ou de leurs subordonnés n'est pas concevable.

- Vous adoptez auprès de certains salariés des attitudes totalement déplacées :

Vous criez de façon récurrente sur les salariés dès lors que ces derniers vous font part de leurs demandes d'amélioration quant à l'organisation que vous avez mise en place.

Tel a été le cas lors de la réunion du 9 octobre 2019.

Vous faites preuve de traitement différencié envers vos collaborateurs.

Ainsi, vous vous comportez de façon totalement inadmissible avec les membres des équipes Comptabilités Clients en ne montrant aucun intérêt pour ce qui se passe dans ces services.

Votre désintérêt est tel que vous ne dites jamais bonjour aux membres de ces services.

Vos attitudes managériales et de dénigrement régulier ont des conséquences sur la santé de plusieurs de vos collaborateurs, contribuant à une dégradation des conditions de travail, et les place dans une position d'affaiblissement.

Plusieurs ont indiqué que cette situation n'était plus supportable, certains étant en arrêt maladie où envisageant même de quitter l'établissement si cette situation devait perdurer.

Il est inconcevable que de telles méthodes de management fautives aient cours au sein de notre Groupe, tout cela est fortement préjudiciable à la santé et sécurité de nos salariés, au fonctionnement et au climat social de l'entreprise.

Votre présence au sein de l'établissement est en conséquence inconcevable y compris durant le temps du préavis. [...] ».

Pour caractériser le comportement de la salariée ainsi que l'existence d'une faute grave, l'employeur produit les éléments justificatifs suivants :

- un mail d'alerte pour souffrance au travail du 10 octobre 2019 adressé à la direction des ressources humaines par Mme [R] [D] (responsable de pôle comptabilité fournisseurs),

- une attestation rédigée par Mme [R] [D],

- un mail de témoignage de Mme [B] (responsable relances et comptabilité clients),

- une attestation établie par M. [J] (comptable fournisseurs)

- un mail de Mme [W] (SIRH et reporting social)

- la lettre de licenciement pour faute grave de M. [N] (Responsable domaine fournisseur).

S'agissant de la prescription, il résulte de l'article L. 1332-4 du code du travail qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales, étant rappelé qu'en application de ces dispositions, le point de départ du délai de prescription est constitué par le jour où l'employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié et que l'engagement de poursuites disciplinaires s'entend de la convocation à l'entretien préalable lorsque celui-ci est obligatoire.

En l'espèce, au vu des différentes pièces versées aux débats et notamment du mail précité du 10 octobre 2019 adressé par Mme [R] [D] à la direction des ressources humaines, la cour relève que c'est uniquement à la suite de ce courriel que l'intimé a pu bénéficier d'une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à l'appelante, cette dernière ayant été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 4 novembre 2019, et ce avec mise à pied à titre conservatoire.

Dès lors, les dispositions précitées ayant été respectées en ce que la procédure de licenciement a été engagée dès le 4 novembre 2019, date de la convocation à un entretien préalable, la cour retient qu'aucune prescription des faits litigieux ne peut être retenue en l'espèce, l'engagement de la procédure de licenciement pour faute grave apparaissant par ailleurs être intervenu dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs eu égard à la nécessité de procéder aux vérifications nécessaires et de se laisser un délai de réflexion.

S'agissant du premier grief relatif au dénigrement de sa hiérarchie par l'appelante, il résulte des éléments justificatifs précités qui apparaissent précis, circonstanciés et concordants, et dont aucune pièce versée aux débats en réplique ne permet de remettre en cause la valeur probante, qu'outre des propos irrespectueux, dénigrants et dégradants tenus à l'encontre de son supérieur hiérarchique, M. [C] [I], exerçant les fonctions de directeur de la plate-forme des activités finances et RH (« [C] ne porte pas ses couilles », « [C] a un problème avec les femmes ni sa mère, ni sa femme ne travaillent », « T'es fou [P] de dire la vérité, il va me défoncer tu trouves normal de lui dire devant les achats qu'on ne fait pas le travail qu'il nous a demandé ! ») ainsi qu'à l'encontre de la directrice des ressources humaines, Mme [Z] [M] (« [P] m'a fait un coup de pute en septembre 2018, il a été cracher sur moi avec l'autre connasse de [Z] en disant que je parle mal aux gens »), l'appelante n'a de surcroît pas hésité à remettre en cause l'autorité de ces derniers (« A plusieurs reprises Mme [S] m'a mise en garde concernant M. [I] et Mme [M] en les qualifiant de personnes pas fiables avec des langues de pute »).

Concernant le second grief relatif à l'existence d'une attitude managériale inacceptable, il ressort des éléments précités que l'appelante a tenu des propos injurieux et dénigrants à I'égard de ses proches collaborateurs auprès de leurs collègues ou de leurs subordonnés (« [F] est un bon pâtissier mais ici, il doit faire de la compta », « [T] est l'antillais type, moins j'en fous, mieux je me porte », « [L] ne sert à rien, il faut voir comment la dégager car elle prend un ETP complet alors qu'elle ne travaille que 4 jours par semaine et encore », « c'est bon [U], elle va revenir au travail car bon sa mère est morte mais nous on a une clinique à faire tourner », « [P] m'a fait un coup de pute en septembre 2018, il a été cracher sur moi avec l'autre connasse de [Z] en disant que je parle mal aux gens », « Putain, je m'en veux d'avoir

gardé [P], quand [I] et [M] voulaient le dégager j'aurais dû les écouter », « [Y] a également tenu des propos sur [P] [N] : au lendemain d'une réunion avec la compta fournisseur à laquelle avait assisté [C] [I], elle a très clairement dénigré [P] en me disant : ce n'est plus possible il ne sait pas gérer ses équipes il est copain avec eux c'est pas ce que je lui demande, rien n'avance dans son service, il va falloir qu'il se bouge ça ne peut pas durer. Je vais encore être obligée de reprendre les choses en main », «[Y] a tenu à plusieurs des propos sur [G] [V] : descendait trop souvent fumer avec [E] [A] ça faisait jaser dans le service, pas bien dans sa peau, il avait du mal à supporter la pression mais il ne fallait pas lui en vouloir elle allait l'aider pour qu'il aille mieux, trop d'affinités avec [E] [A] »).

Il apparaît également que l'intéressée avait adopté auprès de certains salariés des attitudes déplacées consistant, soit à leur crier dessus de manière humiliante, notamment lors de réunions et en présence d'autres salariés, ainsi qu'à exercer des pressions sur eux en affichant leurs performances et en les dénigrant devant leurs collègues (« durant 2 ou 3h descendait les collaborateurs les moins performants en saisie et commençait à les dénigrer », « ici votre avis on s'en fiche, vous devez exécuter »), soit, à l'inverse, à les ignorer totalement en ne montrant aucun intérêt pour certaines équipes (service relances et comptabilité clients), en s'abstenant notamment de leur dire bonjour ou de les féliciter.

S'agissant de ces deux séries de griefs, il sera observé qu'aucun élément produit en réplique par l'appelante ne permet de remettre en cause la valeur probante des attestations et éléments justificatifs précités, le seul fait que Mme [R] [D] ait précisé qu'elle n'avait pas assisté à tous les échanges, et ce alors que l'intéressée distingue clairement dans le cadre de son mail les propos lui ayant uniquement été rapportés par l'appelante, n'est en lui-même pas de nature à remettre en cause la réalité des propos dont elle a été directement et personnellement témoin tels qu'ils ressortent des développements précédents, aucune autre pièce versée aux débats par l'appelante ne permettant par ailleurs, mises à part ses propres affirmations de principe, de démontrer que Mme [R] [D] aurait en réalité été animée par une volonté de vengeance après que des critiques aient été émises sur la qualité de son travail.

Il sera également relevé que le fait qu'un autre salarié de l'entreprise (M. [N]) ait également fait l'objet d'un licenciement pour faute grave pour des faits similaires de dénigrement de sa hiérarchie ainsi que pour des propos inacceptables tenus à l'égard de ses subordonnés, n'est pas en lui-même de nature à remettre en cause les propres agissements de l'appelante, la circonstance que les deux salariés licenciés aient pu utiliser des termes injurieux identiques ou similaires étant inopérante à cet égard.

Il sera également noté que le fait que M. [T] [K] ait indiqué à l'appelante qu'elle n'avait pas tenu de propos injurieux à son encontre n'est pas contradictoire avec les déclarations précitées (« [T] est l'antillais type, moins j'en fous, mieux je me porte ») en ce qu'il résulte du témoignage de Mme [R] [D] que les propos dénigrants prononcés par l'appelante ne l'étaient jamais en présence des salariés concernés.

La cour relève par ailleurs que les seules déclarations d'anciens collègues de travail de l'appelante, n'ayant pas pu être personnellement témoins des faits litigieux et se limitant à indiquer de manière générale qu'ils n'ont jamais assisté à un comportement ou à des propos inappropriés de sa part tout en soulignant que l'intéressée avait toujours fait preuve de professionnalisme et d'humanité ainsi que d'un comportement respectueux et courtois à l'égard de ses collaborateurs, sont manifestement inopérantes dans le cadre du présent litige en ce qu'elles ne sont pas de nature à remettre en cause les éléments circonstanciés et concordants versés aux débats par l'employeur, de même que les témoignages de sympathie ou de soutien ayant été adressés à l'appelante par des collègues lorsqu'ils ont eu connaissance de la mesure de licenciement dont elle venait de faire l'objet. Il en va également de même s'agissant des témoignages anonymes versés aux débats par l'appelante, ceux-ci ne permettant pas de déterminer que leurs auteurs ont effectivement été directement et personnellement témoins des faits litigieux.

Dès lors, au vu des différents éléments précis, circonstanciés et concordants produits par l'employeur, il apparaît que celui-ci justifie de la réalité et de la matérialité des manquements et agissement fautifs reprochés à l'appelante, cette dernière n'établissant pas, mises à part ses propres affirmations de principe et au vu des seules pièces versées aux débats, que le climat social existant au sein de l'entreprise à la suite de la mise en place du centre de service partagé aurait créé un environnement malsain et généré des rancoeurs contre elle en ce qu'elle était le « maillon intermédiaire » entre la direction et les salariés.

Au vu de l'ensemble des développements précédents, eu égard aux griefs effectivement établis dans le cadre de la présente instance et au caractère fautif desdits manquements, compte tenu par ailleurs de la persistance et de la réitération des faits fautifs ainsi que de l'atteinte portée à la bonne marche de l'entreprise en résultant, étant en outre rappelé que l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs, et ce notamment en mettant un terme aux faits ayant pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des autres salariés, en sanctionnant le cas échéant le salarié en étant à l'origine dans le cadre de son obligation de sécurité, la cour retient que, compte tenu notamment de leurs conséquences pour les salariés concernés ainsi que de leur réitération, les agissements de l'appelante rendaient effectivement impossible son maintien dans l'entreprise, et ce nonobstant son ancienneté ou l'absence d'antécédents disciplinaires, ceux-ci ne pouvant aucunement être retenus en l'espèce comme des circonstances permettant à la salariée de s'exonérer des conséquences de son comportement.

Par conséquent, la cour confirme le jugement en ce qu'il a retenu que le licenciement pour faute grave de la salariée était justifié et en ce qu'il a débouté l'intéressée de l'intégralité de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail.

Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral

Si l'appelante soutient avoir subi un préjudice moral distinct de la rupture en ce qu'elle a été profondément choquée des griefs formulés à son encontre sans qu'elle ait pu s'en défendre hormis le jour de l'entretien préalable, en ce que l'employeur n'a pas cherché à confronter sa version des faits avec celle des autres salariés et en ce qu'elle a perdu son emploi après avoir un an plus tôt, modifié l'équilibre familial afin de donner suite à la proposition de mutation qui lui avait été soumise, outre le fait que son licenciement est fondé sur une faute grave ainsi que cela résulte des développements précédents, la cour ne peut également que relever, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations de la salariée, que cette dernière ne démontre pas l'existence d'une faute ou d'un manquement de l'intimé à ses obligations en sa qualité d'employeur s'agissant de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement litigieuse. Il sera de surcroît observé que l'intéressée ne justifie pas, au vu des seuls éléments produits, du principe et du quantum du préjudice allégué ni en toute hypothèse de son caractère distinct des seuls effets du licenciement.

Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Sur la demande de rappel de prime sur objectif

L'appelante fait valoir qu'elle est bien fondée à obtenir le paiement de la somme de 2 400 euros à titre de rappel de prime d'objectif en ce que ses objectifs ne lui ont pas été fixés, ceux-ci n'étant en toute hypothèse pas adossés à ses capacités managériales.

L'intimé réplique qu'il ne lui a été versé que la somme de 7 200 euros à titre de prime sur objectifs lors de son solde de tout compte en novembre 2019, en partant du principe qu'il ne pouvait considérer que la salariée avait atteint ses objectifs au regard des faits découverts ayant justifié son licenciement.

Il résulte du contrat de travail liant les parties que la salariée était éligible à une prime sur objectifs dont le montant pouvait atteindre 10 % de sa rémunération annuelle de base brute « selon l'atteinte des objectifs qui seront fixés par la politique salariale groupe et par son responsable hiérarchique, et qui lui seront communiqués le 1er semestre de chaque exercice ».

En l'espèce, outre que l'employeur ne démontre pas avoir fixé à sa salariée les objectifs à atteindre ni qu'ils auraient effectivement été portés à sa connaissance au cours du premier semestre de l'exercice, la cour relève également que l'intimé s'abstient de produire des éléments de nature à contredire utilement les affirmations de l'appelante selon lesquelles les objectifs des années antérieures n'étaient pas établis en fonction de ses capacités managériales.

Dès lors, au vu de ces éléments, l'appelante étant en droit de bénéficier de l'intégralité de sa prime sur objectif, la cour lui accorde un rappel de ce chef d'un montant de 2 400 euros, et ce par infirmation du jugement.

Sur les autres demandes

Il convient d'ordonner à l'employeur de remettre à la salariée un bulletin de paie récapitulatif ainsi qu'une attestation employeur destinée à France Travail (anciennement Pôle Emploi) conformes à la présente décision, et ce par infirmation du jugement.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

L'employeur, qui succombe partiellement, supportera les dépens de première instance, et ce par infirmation du jugement, ainsi que ceux d'appel, l'intimé devant également être débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera condamné à payer à la salariée la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance ainsi qu'en cause d'appel, et ce par infirmation du jugement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement en ce qu'il a débouté Mme [S] de l'intégralité de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail ainsi que de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et en ce qu'il a débouté le GIE RAMSAY HOSPITALISATION de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE le GIE RAMSAY HOSPITALISATION à payer à Mme [S] la somme de 2 400 euros à titre de rappel de prime sur objectif ;

RAPPELLE que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par le GIE RAMSAY HOSPITALISATION de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil ;

ORDONNE au GIE RAMSAY HOSPITALISATION de remettre à Mme [S] un bulletin de paie récapitulatif ainsi qu'une attestation employeur destinée à France Travail (anciennement Pôle Emploi) conformes à la présente décision ;

CONDAMNE le GIE RAMSAY HOSPITALISATION aux dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE le GIE RAMSAY HOSPITALISATION à payer à Mme [S] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance ainsi qu'en cause d'appel ;

DÉBOUTE Mme [S] du surplus de ses demandes ;

DÉBOUTE le GIE RAMSAY HOSPITALISATION du surplus de ses demandes reconventionnelles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 21/08047
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;21.08047 ?
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