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26/06/2024 | FRANCE | N°21/04298

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 26 juin 2024, 21/04298


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 26 JUIN 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04298 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDHG5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Février 2021 - tribunal de commerce de Créteil - 1ère chambre - RG n° 2019F00702





APPELANT



Monsieur [T] [P]

[Adresse 4]

[Loc

alité 8]



Représenté par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148, avocat plaidant





INTIMÉE



S.A. SOCIÉTÉ GÉNÉR...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 26 JUIN 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04298 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDHG5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Février 2021 - tribunal de commerce de Créteil - 1ère chambre - RG n° 2019F00702

APPELANT

Monsieur [T] [P]

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représenté par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148, avocat plaidant

INTIMÉE

S.A. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

[Adresse 3]

[Localité 6]

N°SIRET : 552 120 222

agissant poursuites et diligences des représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Loren MAQUIN-JOFFRE de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

PARTIE INTERVENANTE

La société EOS FRANCE, agissant en vertu d'un lettre de désignation en date du 17 janvier 2022 en qualité de représentant-recouvreur du FONDS COMMUN DE TITRISATION FONCRED V, représenté par la société FRANCE TITRISATION, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro 353 053 531 et ayant son siège social [Adresse 1]

Venant aux droits de la SOCIETE GENERALE suivant acte de cession de créances en date du 3 août 2022

[Adresse 5]

[Localité 7]

N°SIRET : 488 825 217

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Loren MAQUIN-JOFFRE de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Marc BAILLY, président de chambre, ayant lu le rapport, et M. Vincent BRAUD, président.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 4 mars 2021 M. [T] [P] a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Créteil rendu le 2 février 2021 dans l'instance l'opposant à la Société Générale et dont le dispositif est ainsi rédigé :

'Déboute M. [T] [P] en sa demande d'annulation des actes de cautionnement au titre de leur indétermination ;

Déboute M. [T] [P] en sa demande de rendre inopposables les actes de cautionnement à son égard par rapport à ses capacités financières.

Dit mal fondé M. [T] [P] en sa demande de condamnation de la SOCIETE GENERALE pour faute contractuelle au titre de son devoir de mise en garde et le déboute de sa demande.

Condamne M. [T] [P] au paiement de la somme de 94 140,00 euros à la SOCIETE GENERALE avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2019.

Condamne M. [T] [P] au paiement de la somme de 55 230,70 euros à la SOCIETE GENERALE avec intérêts au taux de 6,99 % à compter du 2 février 2019.

Condamne M. [T] [P] au paiement de la somme de 766,96 euros à la SOCIETE GENERALE avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2019.

Dit que les intérêts porteront eux-mêmes inérêts à compter du 16 juillet 2019, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière.

Dit mal fondé M. [T] [P] en sa demande de délais de paiement et l'en déboute.

Condamne M. [T] [P] à payer à la SOCIETE GENERALE la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du CPC, déboute la SOCIETE GENERALE du surplus de sa demande et déboute M. [P] de sa demande formée de ce chef.

Ordonne l'exécution provisoire de ce jugement.

Condamne M. [T] [P] aux dépens.'

***

Le 3 août 2022 la Société Générale a cédé sa créance au Fonds commun de titrisation Foncred V ayant pour société de gestion la société France Titrisation, représenté par son recouvreur la société EOS France.

À l'issue de la procédure d'appel clôturée le 2 avril 2024 les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 22 février 2024, l'appelant

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Déclarer Monsieur [T] [P] recevable et bien fondé en son appel,

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau :

Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation,

Vu le caractère disproportionné de l'engagement de caution,

Débouter la SOCIETE GENERALE et EOS France de toutes leurs demandes,

À titre subsidiaire,

Vu l'article 1231-1 du code civil,

Condamner solidairement la SOCIETE GENERALE et EOS France à payer à Monsieur [T] [P] la somme de 166 640 € en réparation du préjudice subi,

Ordonner la compensation de cette somme avec toute somme qui serait due par Monsieur [T] [P],

En conséquence :

Le décharger de toute condamnation,

'À titre encore plus subsidiaire' :

Donner acte à Monsieur [T] [P] de ce qu'il exerce son droit au retrait litigieux en réglant les sommes suivantes :

- Au titre du prêt du 22 avril 2015 : 41 421,60 € avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2022,

- Au titre du prêt du 2 août 2016 : 24 301,50 € avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2022,

- Au titre des indemnités forfaitaires : 337,46 € avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2022,

En tout état de cause :

Débouter EOS France et la SOCIETE GENERALE de toutes leurs demandes,

Les condamner solidairement à payer à Monsieur [T] [P] la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.'

Au dispositif de leurs dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 29 mars 2024, les intimés, la Société Générale et le Fonds commun de titrisation Foncred V

présentent, en ces termes, leurs demandes à la cour :

'Il est demandé à la Cour de :

- Donner acte à la société EOS FRANCE, ès-qualités de représentant recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, représenté par la société FRANCE TITRISATION, qu'elle est aux droits de la SOCIETE GENERALE en vertu d'un bordereau de cession de créances en date du 3 août 2022, soumis aux dispositions du Code Monétaire et Financier ;

À titre principal,

- Déclarer mal fondé Monsieur [T] [P] en son appel et l'en débouter ;

- Confirmer le jugement rendu par la 1re Chambre du Tribunal de Commerce de CRETEIL le 2 février 2021 en ce qu'il a :

- Dit irrecevable la demande de tarder à statuer de Monsieur [T] [P],

- Débouté Monsieur [T] [P] en sa demande d'annulation des actes de cautionnement au titre de leur indétermination,

- Débouté Monsieur [T] [P] en sa demande de rendre inopposable les actes de cautionnement à son égard au titre de leur disproportion par rapport à ses capacités financières,

- Dit mal fondé Monsieur [T] [P] en sa demande de condamnation de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE pour faute contractuelle au titre de son devoir de mise en garde et l'a débouté de sa demande,

- Condamné Monsieur [T] [P] au paiement de la somme de 94.140 € à la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2019,

- Condamné Monsieur [T] [P] au paiement de la somme de 55.230,70 € à la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE avec intérêts au taux de 6,99 % à compter du 2 février 2019,

- Condamné Monsieur [T] [P] au paiement de la somme de 766,96 € à la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE avec intérêts au taux légal à compter du 2 février 2019,

- Dit que les intérêts porteront eux-mêmes intérêts à compter du 16 juillet 2019, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,

- Dit mal fondé Monsieur [T] [P] en sa demande de délais de paiement et l'en a débouté,

- Condamné Monsieur [T] [P] à payer à la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, débouté la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE du surplus de sa demande et débouté Monsieur [P] de sa demande formée de ce chef,

- Ordonné l'exécution provisoire de ce jugement,

- Condamné Monsieur [T] [P] aux dépens ;

À titre subsidiaire, vu les dispositions de l'article 1699 du Code Civil,

- Dire que Monsieur [T] [P], pour exercer son droit de retrait litigieux, doit payer à la société EOS FRANCE, es-qualité de représentant recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V, représenté par la société FRANCE TITRISATION, aux droits de la SOCIETE GENERALE, la somme forfaitaire de 90.354,81 €, outre les frais et loyaux coûts, ainsi que les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession ;

- Après avoir constaté que Monsieur [T] [P] offre de régler des sommes d'un montant moindre, le déclarer irrecevable, et en tous cas mal fondé, en sa demande d'exercice de son droit de retrait litigieux ;

En tout état de cause,

- Condamner Monsieur [P] à payer à la société EOS FRANCE, ès-qualités de représentant recouvreur du Fonds Commun de Titrisation FONCRED V représenté par la société FRANCE TITRISATION, et à la SOCIETE GENERALE, chacun la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer en cause d'appel par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Condamner enfin Monsieur [T] [P] aux entiers dépens d'appel.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

Par acte du 6 mars 2015, déposé au greffe du tribunal de commerce de Créteil le 9 mars 2017, M. [T] [P], Mme [E] [K] épouse [P] et onze autres associés, ont créé la société par actions simplifiée Brasserie de l'Hôtel de Ville, dont le siège social était situé : [Adresse 2]. M. [P] et Mme [P] étaient actionnaires majoritaires, détenant à eux deux 52 % du capital social.

La Société générale a alors consenti à la société Brasserie de l'hôtel de ville deux prêts :

1) Par acte sous seing privé en date du 22 avril 2015 : un prêt d'un montant de 280 000 euros, aux fins de financer l'acquisition d'un fonds de commerce de bar-brasserie-restauration situé : [Adresse 2], à [Localité 8], d'une durée de 7 ans, moyennant un taux d'intérêt hors assurance de 2,99 % l'an ; par acte sous seing privé en date du 18 mars 2015, M. [P] s'est porté caution solidaire de la société Brasserie de l'Hôtel de Ville au titre de ce prêt, dans la limite de la somme de 94 640 euros et pour la durée de neuf ans ;

2) Par acte sous seing privé en date du 2 août 2016 : un prêt d'un montant de 72 000 euros, en vue de de financer un besoin en fonds de roulement, moyennant un taux d'intérêt hors assurance de 2,99 % l'an ; par acte sous seing privé en date du 7 juillet 2016, M. [P] s'est porté caution solidaire de la société Brasserie de l'Hôtel de Ville au titre de ce prêt, dans la limite de la somme de 93 600 euros et pour la durée de neuf ans.

D'autres cautionnements solidaires ont été souscrits par les autres actionnaires de la société Brasserie de l'Hôtel de Ville.

Par jugement en date du 27 juin 2018 le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire en faveur de la société Brasserie de l'Hôtel de Ville.

La Société Générale a déclaré sa créance (privilégiée nantie) entre les mains du mandataire judiciaire, la Selarl JSA, le 24 août 2018, pour les montants de 195 618 euros au titre du prêt de 280 000 euros, représentant cinquante mensualités à échoir de 3 912,36 euros, et de 61 906,32 euros au titre du prêt de 72 000 euros, représentant soixante-trois mensualités à échoir de 982,64 euros, dans l'un et l'autre cas outre intérêts au taux contractuel de 2,99 % majoré de quatre points en cas d'impayé. Ces deux créances ont été inscrites sur l'état des créances déposées par le mandataire judiciaire à la procédure collective de la société Brasserie de l'Hôtel de Ville, à titre privilégié et à échoir, à hauteur de 195 618 euros pour le premier prêt, et de 61 906,32 euros pour le second prêt.

Chacune des cautions a été informée par la Société Générale, en ce qui concerne M. [P] par courrier recommandé avec accusé de réception du 27 août 2018, de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Brasserie de l'Hôtel de Ville et du fait que leur engagement de caution était susceptible d'être mis en jeu.

Le redressement judiciaire de la société Brasserie de l'Hôtel de Ville ayant été converti en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Créteil du 12 décembre 2018, la Société Générale a actualisé sa créance auprès de la Selarl JSA désignée liquidateur judiciaire, par courrier recommandé avec accusé de réception du 25 janvier 2019 pour un montant de 181 287,68 euros au titre du premier prêt et de 55 230,70 euros augmentée de 766,96 euros au titre de l'indemnité forfaitaire, au titre du second prêt.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 31 janvier 2019 M. [P] a été mis en demeure d'honorer ses engagements de caution.

Par acte d'huissier de justice daté du 16 juillet 2019, la Société Générale a fait assigner M. [P] devant le tribunal de commerce de Créteil en sa qualité de caution au titre des deux prêts, afin de le voir condamner au paiement des sommes de 94 140 euros et 55 230,70 euros en principal. Le même jour, Mme [P] ainsi que les autres associés ont été assignés en paiement devant le tribunal de grande instance de Créteil.

M. [P] interjetant appel du jugement de condamnation rendu à son encontre par le tribunal de commerce de Créteil rendu le 2 février 2021 limite désormais ses prétentions, à hauteur de cour, aux questions de la disproportion manifeste de ses engagements de caution et du manquement de la banque prêteur de fonds à son devoir de mise en garde, abandonnant ses autres demandes, mais y ajoute une demande relative à l'exercice de son droit au retrait litigieux.

SUR LES CAUTIONNEMENTS

En droit (selon les dispositions de l'article L. 341-4 devenu L. 332-1 du code de la consommation) un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée ne lui permette de faire face à son obligation.

La proportionnalité du cautionnement s'appréciera donc au jour de l'engagement de caution, soit en l'espèce :

a) au 18 mars 2015, date du cautionnement solidaire de M. [P] en garantie du prêt consenti le 22 avril 2015 à la société Brasserie de l'Hôtel de Ville par la Société Générale, d'un montant de 280 000 euros, destiné à financer l'acquisition du fonds de commerce. Ce cautionnement a été donné dans la limite de la somme de 94 640 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 9 ans ;

b) puis, considération prise de ce premier engagement, au 7 juillet 2016 date du cautionnement solidaire de M. [P] en garantie du prêt consenti le 2 août 2016 à la société Brasserie de l'Hôtel de Ville par la Société Générale, d'un montant de 72 000 euros, dont l'objet était le financement d'un besoin en fonds de roulement. Ce cautionnement a été donné dans la limite de la somme de 93 600 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 9 ans.

À chaque fois, la preuve de la disproportion et de son caractère manifeste incombera à la caution, et non pas à la banque.

a) Sur le premier cautionnement, du 18 mars 2015

Selon les énonciations du jugement déféré, la fiche de renseignements sur une personne physique acceptant de se porter caution, établie le 19 mars 2015 par Mme [P], épouse de M. [T] [P], met en évidence que les époux [P] sont mariés sous le régime de la communauté et que l'actif immobilier du couple est estimé à 700 000 euros et son passif à 609 000 euros, soit un actif net immobilier de 91 000 euros, pour un engagement de caution de M. [P] d'un montant de 94 640 euros.

Il sera rappelé que la disproportion manifeste de l'engagement de la caution commune en biens, comme c'est le cas en l'espèce, s'apprécie non seulement par rapport aux biens et revenus de celle-ci mais aussi par rapport aux biens communs incluant les revenus de son conjoint.

Dès lors, à retenir ces constatations du tribunal, il n'existe aucune disproportion de cet engagement de caution par rapport au patrimoine de la caution.

Cependant, la fiche patrimoniale de Mme [P] du 19 mars 2015 dont fait état le tribunal de commerce ne fait pas partie des pièces produites devant la cour dans le cadre de la présente instance, et en tout état de cause il n'est versé au débat aucun document de ce genre propre à M. [P], qui aurait été établi à l'occasion de son engagement personnel du 18 mars 2015.

La caution n'est pas dispensée pour autant d'avoir à rapporter la preuve, qui en toute hypothèse lui incombe, de la disproportion manifeste qu'elle invoque, et sur ce point le premier juge a relevé que 'M. [P] est taisant sur son patrimoine'.

C'est vraisemblablement pour cette raison que le tribunal a estimé utile de se référer aux éléments apparaissant dans la fiche patrimoniale de Mme [P] datée du 19 mars 2015, d'autant qu'il est acquis que les époux sont mariés sous le régime matrimonial légal, et que concrètement cette fiche consigne nécessairement des renseignements qui leur sont communs.

Ici M. [P] verse aux débats : son avis d'imposition 2016 sur les revenus 2015 (étant fait observer qu'il aurait été judicieux de produire celui de l'année précédente) dont il ressort des revenus du couple pour un montant de 42 404 + 6 509 + 40 932 euros, soit 89 845 euros ; trois tableaux d'amortissement - de prêts portant la date du 30 août 2015 en ce qui concerne les prêts immobiliers et de juin 2025 s'agissant du prêt dénommé 'Crédit Compact', c'est-à-dire contractés postérieurement à son engagement de caution donné le 18 mars 2015 ; divers justificatifs de charges dont aucun ne se rapporte à la date de souscription de l'engagement de caution contesté, du 18 mars 2015.

Ainsi, il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [P] ne fait pas la démonstration qu'au jour de sa signature, son engagement de caution était manifestement disproportionné eu égard à ses revenus et patrimoine et au regard de ses charges, et par conséquent, le jugement déféré ne peut être que confirmé en ce que le tribunal est entré en voie de condamnation à l'encontre de M. [P] au titre du cautionnement du 18 mars 2015.

b) Sur le deuxième cautionnement, du 7 juillet 2016

La banque verse aux débats, en pièce 57, un document intitulé 'Renseignements confidentiels sur une personne physique acceptant de se porter caution', daté du 7 juillet 2016, rempli et signé par M. [P], qui manuscritement a certifié l'exactitude des renseignements qu'il contient. Il ressort de cette fiche patrimoniale que M. [P] a déclaré :

- être marié, sans contrat de mariage, avoir trois enfants à charge,

- exercer la profession de chef d'entreprise,

- percevoir des revenus annuels de 81 000 euros (74 200 euros à titre de salaires, 6 800 euros à titre de revenus immobiliers locatifs),

- être propriétaire de deux biens immobiliers, qualifiés de biens propres : une maison estimée à 600 000 euros financée par le moyen d'un crédit sur lequel il reste dû un capital de 408 000 euros, et générant des mensualités de remboursement de 1 998 euros, et un appartement estimé à 240 000 euros, financé par le moyen d'un crédit sur lequel il reste dû un capital de 199 000 euros, et générant des mensualités de remboursement de 1 090 euros ;

- avoir pour charges le remboursement de trois crédits : les deux crédits immobiliers concernant la maison et l'appartement, en cours jusqu'en 2034 et 2035, et un prêt personnel dont le capital restant dû est de 23 000 euros, générant des mensualités de remboursement de 414 euros, en cours jusqu'en juin 2022.

Il est de principe que la banque est en droit de se fier aux éléments ainsi recueillis sans être tenue de faire de vérification complémentaire dès lors que, comme au cas présent, la fiche de renseignements patrimoniale ne révèle en soi aucune anomalie ou incohérence, et en ce cas la caution déclarante n'est pas fondée à se prévaloir de revenus ou de charges qui seraient d'une autre réalité.

Au vu des éléments contenus dans cette fiche patrimoniale, auxquels il convient d'ajouter quant au passif, le précédent cautionnement consenti pour un montant de 94 400 euros, en sorte que l'endettement de M. [P] a été porté au 7 juillet 2016 à 188 000 euros (94 400 + 93 600), M. [P] disposait, pour faire face à son engagement :

- d'un patrimoine immobilier d'une valeur nette de 233 000 euros (600 000 ' 408 000) + (240 000 ' 199 000),

- et de revenus de 81 000 euros dont il convient a minima de déduire les charges d'emprunt, de 42 024 euros : (1 998 + 1 090 + 414) x 12, soit un revenu net de 38 976 euros, ou 3 248 par mois, pour subvenir aux besoins d'une famille de cinq personnes.

En conséquence, n'étant caractérisée aucune disproportion manifeste de l'engagement de caution signé par M. [P] le 7 juillet 2016, par rapport à son patrimoine et compte tenu de ses charges, le jugement déféré doit être confirmé en ce que le tribunal est entré en voie de condamnation à son encontre au titre de ce cautionnement.

Sur la responsabilité de la banque

M. [P] fait valoir qu'ayant travaillé comme assistant parlementaire, il a tenté une reconversion professionnelle dans la restauration, en constituant la société Brasserie de l'Hôtel de Ville. Totalement novice, il n'était donc pas au fait de l'étendue des risques qu'il prenait en s'engageant comme caution, et reproche à la banque de ne pas l'avoir mis en garde tant sur son engagement de caution que sur les capacités financières du débiteur principal.

Il est de principe que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie, lorsqu'au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de son inadéquation aux capacités financières de l'emprunteur.

M. [P], partant du postulat que son engagement était disproportionné, c'est à dire qu'il n'était pas adapté à ses propres capacités financières, estime que la banque lui devait une mise en garde qu'elle ne démontre pas avoir délivrée.

Il souligne que son engagement en qualité de caution d'un montant total de 166 140 euros correspondait à plus de cinq fois le montant de sa rémunération annuelle, et ce alors alors que son épouse se portait également caution pour un montant de 94 140 euros portant ainsi l'engagement du couple à 260 780 euros.

Or, au vu des éléments précédemment exposés M. [P] ne démontre pas la disproportion manifeste de ses engagements de caution, et donc de ce que leur signature aurait créé pour lui, de ce fait, un risque d'endettement excessif. En outre, le couple disposait d'un patrimoine immobilier et de revenus qui suffisaient à assumer leur endettement incluant celui découlant du cautionnement consenti par Mme [P].

Par ailleurs, si de principe, même en présence d'un engagement proportionné il peut être retenu un devoir de mise en garde à la charge de la banque vis à vis de la caution, lorsqu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti lequel résulte de l'inadéquation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, en l'espèce cela n'est aucunement démontré par M. [P].

À cet égard, il sera fait observer que les prêts ont été remboursés sans incident par la société Brasserie de l'Hôtel de Ville jusqu'au prononcé de l'ouverture de la procédure collective, le 27 juin 2018, et que la liquidation judiciaire de la société Brasserie de l'Hotel de Ville n'a pas été prononcée ab initio mais à l'issue d'une procédure de redressement judiciaire elle-même ouverte plus de trois ans après l'octroi du prêt.

Les appelants indiquent que la société n'a pu le faire que grâce aux apports en compte courant effectués par les associés pour lui permettre d'honorer ses charges : 70 997 euros en 2015, première année d'exploitation, et 136 420 euros en 2016, et par le moyen du second prêt, mais qui a eu pour effet d'alourdir sa trésorerie.

Pour autant, M. [P] échoue à démontrer que l'opération garantie était vouée à l'échec, et donc ne rapporte pas la preuve d'un quelconque risque d'endettement excessif de la caution.

Dès lors, la banque à son égard n'était tenue d'aucun devoir de mise en garde.

En outre, l'appelant ne fait pas la démonstration suffisante que la banque prêteur de fonds aurait eu sur la société Brasserie de l'Hôtel de Ville ou sur ses perspectives de développement, des informations déterminantes que la caution aurait elle-même ignorées.

M. [P] admet que la société Brasserie de l'Hôtel de Ville a acquis le fonds de commerce dans le cadre d'une liquidation judiciaire, mais fait valoir qu'il n'a pas bénéficié de l'analyse de la Société Générale, qui était la banque du précédent exploitant, et relève que sa faillite avait pour cause son inexpérience, comme tel était précisément le cas de M. [P].

Or il ressort de la pièce 21 de l'appelant - rapport du liquidateur judiciaire de la société Richer Thai - que les causes des difficultés de cette dernière ne se résument pas à la seule inexpérience alléguée par le gérant, mais tiennent aussi à la dégradation de la qualité des repas servis qui a entraîné la désaffection de la clientèle, puis au mauvais choix du gérant qui a tenté de redresser la situation en adjoignant une activité de jeux PMU ce qui n'a fait qu'accroitre la baisse du chiffre d'affaire lié à la restauration. Il est à noter aussi que la liquidation judiciaire de la société Richer Thai a été prononcée d'emblée.

Il n'est pas allégué que M. [P] dans sa gestion auraient répété les mêmes erreurs que son prédécesseur, l'appelant ne peut donc sérieusement soutenir que la non connaissance de ces éléments l'aurait privé d'une chance de ne pas s'engager comme caution.

M. [P] sera donc débouté de sa demande indemnitaire formée à ce titre, et le jugement déféré confirmé de ce chef.

Enfin, il sera fait observer que les demandes de dommages et intérêts résultant du prétendu manquement de la banque prêteur de fonds à son devoir de mise en garde ne peuvent être dirigées qu'à l'encontre de la banque elle-même et ne pourraient donner lieu à une condamnation in solidum avec le Fonds commun de titrisation, qui n'a fait fait qu'acquérir une créance et n'est pas tenu de répondre de la responsabilité de la banque.

SUR LE DROIT AU RETRAIT LITIGIEUX

En application de l'article 1699 du code civil, celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s'en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite.

Aux termes de l'article 1700 du même code, la chose est censée litigieuse dès qu'il y a procès et contestation sur le fond du droit.

En l'espèce les conditions d'application de ce dispositif sont remplies en ce qu'il existait un litige sur le fond du droit antérieurement à la cession de la créance, en effet, en l'espèce, il est constant que la créance détenue par la Société Générale contre la société Brasserie de l'Hôtel de Ville a été cédée au Fonds commun de titrisation Foncred V suivant acte de cession de créance du 3 août 2022.

Cette cession est intervenue alors que la caution contestait la créance sur le fond, pour avoir opposé la disproportion de leur engagement.

Le droit est ainsi devenu litigieux, et à cet égard les cautions seraient fondées à exercer le droit au retrait.

La cession en bloc d'un grand nombre de droits et créances ne fait pas obstacle à l'exercice du droit de retrait litigieux à l'égard d'une créance qui y est incluse dès lors que la détermination de son prix est possible. En ce cas, il appartient au juge de dire si le prix est déterminable en fonction des éléments d'appréciation précis et concrets produits par les parties.

En l'espèce, le caractère déterminable du prix en son principe n'est pas discuté par les parties, qui ne s'opposent que sur le point de savoir si la proposition de paiement qui en est faite serait libératoire.

En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties que le total des créances, d'un montant de 235 069 139,36 euros, a été cédé au prix de 103 655 000 euros soit 44 % du montant des créances.

Ainsi l'appelant entend donc, à titre infiniment subsidiaire, à se faire quitte de sa créance par la société EOS en remboursant le prix réel de la cession soit 44% des sommes de :

- 94 140,00 euros soit 41 421,60 euros,

- 55 230,70 euros soit 24 301,50 euros,

- 766,96 euros soit 337,46 euros,

avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2022.

Cependant, l'intimé en réponse soutient que le pourcentage de 44 % ne doit pas être appliqué au montant de l'engagement de caution, mais au montant réel de la créance cédée, et par suite demande à la cour :

' de dire que M. [P], pour exercer son droit de retrait litigieux, doit payer à la société EOS France, ès-qualités de représentant recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, représenté par la société France Titrisation, venant aux droits de la Société Générale, au titre du prêt de 280 000 euros, la somme forfaitaire de 90 354,81 euros outre les frais et loyaux coûts ainsi que les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession,

' et après avoir constaté que M. [P] offre de régler des sommes d'un montant moindre, le déclarer irrecevables, et en tous cas mal fondé, en sa demande d'exercice de leur droit de retrait litigieux.

M. [P], objecte qu'il n'est justifié ni du montant de la créance cédée, ni des montants actualisés des sommes restant dues après imputation des sommes réglées par les autres cautions, tel M. [Z] [W], diminuant d'autant le montant de la créance de la banque. Enfin, les engagements de M. [P] au titre du droit au retrait litigieux ne peuvent qu'être que proportionnels à leur engagement de caution, en ce sens que le Fonds ne saurait solliciter 11 fois (puisqu'il y a 11 cautions) 44% du montant total de sa créance déclarée de 79 766,58 euros soit 877 432,38 euros.

Cependant c'est à bon droit que le Fonds intimé en réponse soutient que le pourcentage de 44 % ne doit pas être appliqué au montant de l'engagement de caution, mais au montant réel de la créance cédée.

Par conséquent, proposant des sommes moindres, M. [P] sera débouté de sa demande tendant à être admis à faire valoir son droit de retrait litigieux.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. [P], qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de la société EOS France, ès-qualités, formulée sur ce même fondement, mais uniquement dans la limite de la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

DIT que les condamnations prononcées sont au profit de la société EOS France ès-qualités de représentant recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V ;

Et y ajoutant,

DÉBOUTE M. [T] [P], de sa demande au titre de l'exercice du droit au retrait litigieux ;

CONDAMNE M. [T] [P] à payer à la société EOS France ès-qualités de représentant recouvreur du Fonds Commun de Titrisation Foncred V, la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

DÉBOUTE M. [T] [P] de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

CONDAMNE M. [T] [P] aux entiers dépens d'appel.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/04298
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;21.04298 ?
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