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26/06/2024 | FRANCE | N°20/13256

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 2, 26 juin 2024, 20/13256


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 2



ARRET DU 26 JUIN 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/13256 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLR2



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Janvier 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'Auxerre - RG n° 13/01120





APPELANTS



Madame [K] [F] épouse [B]

née le [Da

te naissance 3] 1948 à [Localité 19]

[Adresse 10]

[Localité 18]



Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

ayant ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 2

ARRET DU 26 JUIN 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/13256 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLR2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Janvier 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'Auxerre - RG n° 13/01120

APPELANTS

Madame [K] [F] épouse [B]

née le [Date naissance 3] 1948 à [Localité 19]

[Adresse 10]

[Localité 18]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

ayant pour avocat plaidant : Me François BRAUD, SELARL ATMOS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0321

Madame [N] [F] épouse [O]

née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 19]

[Adresse 12]

[Localité 14]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

ayant pour avocat plaidant : Me François BRAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0321

Monsieur [I] [Y]

né le [Date naissance 5] 1984 à [Localité 17] (89)

[Adresse 4]

[Localité 13]

Représenté par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

ayant pour avocat plaidant : Me François BRAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0321

Madame [C] [F]

née le [Date naissance 9] 1944 à [Localité 19]

[Adresse 7]

[Localité 18]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

ayant pour avocat plaidant : Me François BRAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0321

Madame [H] [P] épouse [F]

née le [Date naissance 2] 1942 à [Localité 15] (Italie)

[Adresse 11]

[Localité 18]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

ayant pour avocat plaidant : Me François BRAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0321

INTIMEES

Société ENTROPE

SARL immatriculée au RCS d'Auxerre sous le numéro 351 573 696, prise en la personne de son gérant, M. [T] [A], domicilié audit siège

[Adresse 6]

[Localité 18]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

ayant pour avocat plaidant : Me Pierre-Emmanuel BLARD de la SELARL LYSIAS PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0113

SOCIETE NOUVELLE DES ETABLISSEMENTS [A](SNEM)

SARL immatriculée au RCS d'Auxerre sous le numéro 331 830 844

[Adresse 8]

[Localité 18]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

ayant pour avocat plaidant : Me Pierre-Emmanuel BLARD de la SELARL LYSIAS PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0113

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Perrine VERMONT, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre

Madame Perrine VERMONT, Conseillère

Madame Caroline BIANCONI-DULIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Dominique CARMENT

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jean-Loup CARRIERE, Président de Chambre, et par Dominique CARMENT, Greffière présente lors de la mise à disposition.

* * * * * * * * * * *

FAITS & PROCÉDURE

La société à responsabilité limitée Société Nouvelle des Etablissements [A] (la SNEM) et la société à responsabilité limitée Entrope exploitent une activité de menuiserie à [Localité 18], sous la direction de M. [T] [A]. Mme [H] [F] née [P], Mme [N] [F], Mme [C] [F], Mme [K] [F] épouse [B], M. [M] [J] et M. [I] [Y] sont propriétaires de biens immobiliers à usage d'habitation ou à usage commercial dans cette commune et sont voisins immédiats des deux entreprises.

Se plaignant de multiples nuisances provenant de l'activité quotidienne des entreprises SNEM et Entrope, ils ont assigné ces dernières en référé-expertise par acte d'huissier du 19 octobre 2011.

Par ordonnance du 12 avril 2012, le juge des référés du tribunal d'Auxerre a ordonné une expertise judiciaire. M. [V] a rendu un premier rapport en fin d'année 2012 avant de rendre son rapport définitif au début de l'année 2013.

Par acte d'huissier, signifié le 31 octobre 2013, les consorts [F], M. [I] [Y] et M. [M] [J] ont assigné la SNEM et la SARL Entrope devant le tribunal de grande instance d'Auxerre afin notamment de les voir condamner à les indemniser de l'ensemble des préjudices causés par leurs activités, à prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser les bruits d'usine, les diffusions d'odeurs de solvants et faire réaliser une étude pour les man'uvres des camions.

Par ordonnance rendue le 5 juin 2015, le juge de la mise en état du tribunal d'Auxerre a condamné les deux sociétés à verser aux demandeurs, sauf à M. [J], une provision à valoir sur les frais de constats d'huissiers et d'étude des nuisances invoquées, ainsi qu'au titre de ces nuisances.

Les sociétés SNEM et Entrope ont fait appel de cette ordonnance, laquelle a été infirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 juin 2018 au motif que les nuisances n'étaient alors pas suffisamment caractérisées pour octroyer des provisions aux demandeurs.

Par jugement du 27 janvier 2020, le tribunal judiciaire d'Auxerre a :

- constaté le décès de M. [M] [J] en cours d'instance et que ses demandes sont en conséquence abandonnées,

- dit que l'action intentée par Mme [H] [F] née [P], Mme [N] [F], Mme [C] [F], Mme [K] [B] née [F] et M. [I] [Y] est prescrite et donc irrecevable envers les sociétés Société Nouvelle des Etablissements [A] et Entrope,

- condamné Mme [H] [F] née [P], Mme [N] [F], Mme, [C] [F], Mme [K] [B] née [F] et M. [I] [Y] à verser aux sociétés Société Nouvelle des Etablissements [A] et Entrope la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les déboute de leur demande à ce titre,

- condamné Mme [H] [F] née [P], Mme [N] [F], Mme [C] [F], Mme [K] [B] née [F] et M. [I] [Y] aux dépens de l'instance.

Mme [H] [P] épouse [F], Mme [N] [F], Mme [C] [F], Mme [K] [B] née [F] et M. [I] [Y] ont relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 21 septembre 2020.

La procédure devant la cour a été clôturée le 14 février 2024.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions notifiées le 7 juin 2021 par lesquelles Mme [H] [P] épouse [F], Mme [N] [F], Mme [C] [F], Mme [K] [B] née [F] et M. [I] [Y], appelants, invitent la cour à :

- infirmer le jugement,

statuant à nouveau sur ces moyens,

- juger qu'aucune prescription de l'action n'est opposable en l'espèce,

- condamner les sociétés SNEM et Entrope à réparer leurs préjudices de jouissance subis par les consorts [F] et M. [Y] et :

110.600 € maison dite '[H] [F]', soit 48.387,50 € pour Mme [N] [F] et 62.212,50 € pour Mme [H] [F], quitte à parfaire, au taux d'intérêt légal à compter de la signification de l'assignation, ainsi que la capitalisation des intérêts,

102.700 € maison dite '[C] [F]', soit 34.233,20 € pour Mme [C] [F], 26.866,66 € pour Mme [K] [B]-[F], 4.279,15 € pour Mme [H] [F] et 29.954,05 € pour Mme [N] [F] quitte à parfaire au taux d'intérêt légal à compter de la signification de l'assignation, ainsi que de la capitalisation des intérêts,

110.600 € (maison) et 173.300 € (hangar) : M. [Y], quitte à parfaire au taux d'intérêt légal à compter de la signification de l'assignation, ainsi que de la capitalisation des intérêts,

- condamner les sociétés SNEM et Entrope à réparer le préjudice moral de Mme [H] [F] à hauteur de 182.130 €, de Mmes [K] et [C] [F] à hauteur de 45.000 € et 79.000 €, quitte à parfaire, au taux d'intérêt légal à compter de la signification de l'assignation, ainsi que la capitalisation des intérêts,

- condamner les sociétés intimées à rembourser l'ensemble des frais d'expertise exposés par les appelants soit 11.416,90 €,

- condamner les intimées à rembourser l'ensemble des frais de constats d'huissier de justice à hauteur de 2.548,64 € et de signification à hauteur de 214,66 € et d'études acoustiques Veritas à hauteur de 6.381,25 € avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation introductive d'instance,

- ordonner l'exécution de l'ensemble des mesures préconisées par l'expert judiciaire, à savoir :

* concernant le bruit :

procéder à une étude d'insonorisation par un bureau spécialisé en acoustique industrielle pour définir les parois enveloppes d'isolation, les natures des matériaux d'isolation et les niveaux de performances acoustiques à atteindre concernant les deux silos,

mettre en place des éléments de couvertures d'isolation acoustiques en partie supérieure de l'espace clos et ouvert à l'air libre du ventilateur actionnant le silo collecteur principal (système d'aspiration),

mettre en place des manchettes souples entre le ventilateur et les gaines en sortie de ventilateur,

vérifier l'existence de dispositifs anti-vibratiles pour l'ensemble des réseaux de gaines,

mettre en place des baffles d'insonorisation au droit des entrées d'air nécessaires au fonctionnement du ventilateur,

faire procéder par un organisme agréé, à des mesures d'émergences de bruits, après travaux d'insonorisation des installations, afin de satisfaire à l'exigence de résultats limitant à +5 dB (A) l'émergence globale de bruit et dans les bandes d'octaves (...),

réduire le bruit à la source produit par les deux aspirateurs durant les phases de décolmatage des filtres,

* concernant la diffusion d'odeur de solvants :

soit de procéder à une étude particulière pour surélever la hauteur actuelle (7m) du point de rejet, d'augmenter la vitesse aéraulique de rejet en extrémité des deux conduits et de réaliser un rejet vertical et non horizontal,

soit de mettre en place un dispositif de captage efficace des émissions,

* concernant les man'uvres des camions de livraison dans l'[Adresse 16] :

soit de faire procéder à une étude permettant de réaménager l'espace parking actuel du personnel pour l'accès direct des camions dans cette aire importante de stationnement à partir de la rue Sergent Loger,

soit procéder à l'étude d'un accès des camions par l'arrière du site, évitant le village,

- ordonner la suspension de l'activité jusqu'à la réalisation de l'ensemble des mesures préconisées dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 2.000 € par jour de retard,

à défaut de suppression totale des nuisances subies :

- condamner les sociétés SNEM et Entrope à indemniser le préjudice de perte de valeur vénale des biens des demandeurs, devenus impropres à leur destination, à hauteur de :

210.000 € pour la maison '[H] [F]' quitte à parfaire,

170.000 € pour la maison '[C] [F]' quitte à parfaire,

200.000 € pour l'habitation et le hangar commercial [Y], quitte à parfaire,

- débouter tout concluant de toutes demandes plus amples ou contraires dirigées à leur encontre,

en tout état de cause,

- condamner les intimées à verser 17.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens avec application de l'article 699 du même code ;

Vu les conclusions notifiées le 22 octobre 2021 par lesquelles les sociétés SNEM et Entrope, intimées, demandent à la cour, au visa des articles 1382, 2224 du code civil, L112-16 du code de la construction et de l'habitat, R1334-30, R1334-31 à R1334-37 du code de la santé publique, 123 du code de procédure civile, 26 de la loi du 17 juin 2008, et la loi du 22 décembre 2010, de :

à titre principal,

- juger que l'action des consorts [B], [Y] et [F] est prescrite,

- débouter les consorts [B], [Y] et [F] de l'ensemble de leurs demandes,

- confirmer le jugement,

à titre subsidiaire,

- juger que les appelants ne démontrent pas l'existence de troubles anormaux du voisinage,

- juger que les appelants ne démontrent pas l'existence d'un quelconque préjudice,

- débouter les consorts [B], [Y] et [F] de l'ensemble de leurs demandes,

en tout état de cause,

- condamner solidairement Mme [H] [F], Mme [N] [F], Mme [C] [F], Mme [K] [B]-[F] et M. [I] [Y] à leur verser une somme de 15.000 €, pour chacune des propriétés ('propriété de Mme [H] [F]', 'propriété de Mme [C] [F]' et 'propriété [Y]'), sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'instance ;

SUR CE,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel ;

En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ;

Les moyens soutenus par les appelants ne font que réitérer sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation ;

Il convient seulement de souligner et d'ajouter les points suivants ;

Sur la fin de non-recevoir invoquée par les sociétés SNEM et Entrope

Les sociétés SNEM et Entrope soutiennent que la prescription en matière délictuelle était décennale jusqu'à la loi du 17 juin 2008 et courait à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation en application de l'ancien article 2270-1 du code civil ; elles allèguent que des travaux d'extension ont été achevés en septembre 1991 et fin janvier 1997 et que les appelants évoquent des nuisances depuis 1986 ; elles soutiennent ainsi que le 19 octobre 2011, date de l'assignation en référé-expertise, 14 ans s'était écoulés depuis la fin des travaux de la deuxième extension ;

Elles font valoir qu'alors que la prescription court du jour de la première manifestation du dommage ou de son aggravation, il appartient aux appelants d'apporter la preuve d'une aggravation des nuisances et d'établir un comparatif entre la situation antérieure à 2005 et celle postérieure à cette date ;

Elles affirment qu'aucune nouvelle activité n'a été créée en 2005 pour la société Entrope puisqu'il ne s'agissait que d'une restructuration/réorganisation de ses activités d'atelier de peinture existantes, que les travaux de 2007 n'ont eu pour but que le remplacement des anciens extracteurs par un nouveau, unique, plus performant et donc moins bruyant car bénéficiant d'un caisson d'insonorisation, et que concernant les travaux d'extension ayant eu lieu en 2012, le commissaire-enquêteur a estimé en 2011 que l'extension ne devait pas occasionner plus de gêne que celle déjà ressentie ;

Les consorts [F] et M. [Y] exposent que des travaux de développement de l'activité ont été réalisés postérieurement à 1997 et ont généré des nuisances nouvelles pour les voisins les plus proches, à la fois pour la circulation de camions et le fonctionnement de l'extracteur de poussières ; ils soutiennent que les travaux de 2007 n'ont pas eu pour objet de remplacer deux extracteurs par un seul puisque l'expert a constaté en 2013 qu'il existait encore trois extracteurs, dont un qui ne servait plus ; ils prétendent que le juge doit vérifier si la situation nouvelle causée par des modifications aggrave la situation et génère un trouble anormal de voisinage, peu importe la situation antérieure et allèguent qu'une modification des conditions d'exploitation, notamment l'installation de nouveaux équipements, sont de nature à démontrer l'aggravation d'un trouble anormal de voisinage ; ils soulignent que l'expert judiciaire a établi que les nuisances sonores sont causées par le silo principal, qui est l'équipement mis en fonctionnement durant l'été 2007 ;

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ;

En vertu de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ;

L'ancien article 2270-1 du code civil, applicable au litige, dispose que les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ;

Il résulte de ces dispositions, contrairement à ce que soutiennent les consorts [F] et M. [Y], que seule une aggravation démontrée du préjudice antérieur peut constituer un nouveau point de départ de la prescription décennale ; l'assignation en référé ayant été délivrée le 19 octobre 2011, il leur appartient donc de démontrer une aggravation de leur préjudice postérieure au 19 octobre 2001 ;

Il ressort des pièces versées au dossier que les nuisances causées par l'établissement de M. [A] ont été signalées dès 1984 ; en effet, des membres de la famille [F] indiquaient au préfet de l'Yonne souffrir du bruit des machines-outils, de la pollution de l'air par la fumée du chauffage de l'atelier par un poêle à sciure de bois et des odeurs toxiques de vernis ou peintures ;

Mme [Z] [F] relatait quant à elle au préfet en 2006 : «le calvaire a commencé vers 1990, lorsque l'activité augmentant, le bruit des machines, les odeurs de vernis et surtout la diffusion de sciure, de poussière de bois et d'agglomère n'ont fait que croître. Dès le mois de mars, les portes, dont une est située à moins de 6 mètres de ma fenêtre de salle à manger, sont ouvertes, favorisant la diffusion du bruit, des odeurs et surtout de la poussière de bois. ['] Les toits de tuile (le sien et le mien, qui sont mitoyens) sont blancs de sciure dès qu'il ne peut pas, et quand il pleut les gouttières et émonctoires débordent car ils sont bouchés par une sorte de ciment constitué par les particules de bois et aggloméré, détrempés par la pluie. Les arbres de mon verger crèvent. Je ne peux plus manger ni mes framboises et mes groseilles, ni mes légumes comme les poireaux, les salades, les fines herbes, qui même lavés, sont englués de dépôts de sciure résiduels» ;

Les sociétés SNEM et Entrope ne contestent pas avoir fait procéder à des extensions de la menuiserie, notamment en 1991 et 1997 ;

Pour justifier qu'aucune extension n'a été réalisée en 2005, relatif notamment à la création d'un atelier de vernis invoqué par les appelants, elles produisent le courrier accompagnant le dossier de déclaration d'installation classée, daté du 5 novembre 2009, démontrant qu'il s'agit du prolongement d'un projet d'agrandissement datant de 2005 mais non réalisé ;

Concernant l'installation du nouvel extracteur, il ressort des pièces produites que la SNEM a fabriqué et posé elle-même un caisson d'insonorisation, qu'elle a facturé le 31 décembre 2008 ; il ressort de la fiche des constatations effectuées lors de la visite d'inspection du 14 avril 2009 que «le système d'aspiration et de filtration de poussières est en circuit fermé. La concentration de poussières mesurée dans les conduits retournant dans l'atelier est inférieure au seuil de détection. Les poussières récupérées sont stockées dans une benne bâchée située à l'extérieur du bâtiment. Absence de dépôt de poussières aux alentours de l'installation» et qu'un 'caisson d'insonorisation a été installé autour de la centrale d'aspiration, le niveau sonore mesuré est de 49dB. La limite admissible est de 50 dB selon l'arrêté ministériel du 20 août 1985 auquel est soumise l'installation' ;

L'inspection réalisée a ainsi permis d'établir que des travaux d'aménagement ont été réalisés et que les principales non conformités, tenant au bruit et au conditions de rejet à l'atmosphère, ont été levées ;

Par ailleurs, les appelants ne produisent aucune pièce permettant de contredire les explications des intimées selon lesquelles cet extracteur a remplacé deux appareils plus anciens et plus bruyants ;

Les travaux de voiries invoqués par les appelants ont consisté en un changement d'assiette du chemin rural des [Adresse 16], celui-ci ayant été déplacé afin de permettre l'extension des établissements [A] ; le commissaire enquêteur ayant réalisé l'enquête publique conjointe a conclu en 2011 qu'il procurerait aux usagers des conditions de dessertes sensiblement analogues à celles offertes auparavant ; les appelants ne démontrent pas que ce déplacement est une cause d'aggravation de leur préjudice ;

Les intimées ne contestent pas avoir fait procéder à des travaux d'extension des bâtiments vers l'arrière en 2012 grâce au déplacement du chemin communal ; elles produisent une attestation de leur architecte relatant que le projet d'extension des bâtiments, initié en 2004, a été repoussé à de nombreuses reprises pour finalement faire l'objet d'un permis de construire accepté en 2012 : il en ressort que le projet avait pour objectif de mettre l'outil de production en conformité avec les normes en vigueur au niveau de l'aspiration, réorganiser et agrandir l'outil de production, restructurer et améliorer l'accès aux ateliers par les camions et se désenclaver du bourg pour réduire le passage des camions, et enfin intégrer le projet dans le paysage rural ;

Les appelants produisent de nombreux constats d'huissier dressés depuis 2005, constatant des nuisances notamment sonores ; des mesures acoustiques, réalisées en 2010, démontrent que l'émergence maximale et l'émergence globale maximale autorisées ne sont pas respectées ;

Néanmoins, comme l'a relevé le tribunal, ces constats ne permettent pas de caractériser une aggravation des nuisances rapportées, notamment en ce que l'huissier «ne précise en aucun cas que ces nuisances sont supérieures à celles dont se prévalaient déjà les membres de la famille [F] depuis 1984 et surtout depuis 1990, dans la mesure notamment où les demandeurs n'avaient pas fait procéder au constat clair et précis de la nature et de l'ampleur de ces nuisances à l'époque, d'autant qu'aucune expertise à ce titre n'avait été ordonnée ou réalisée non plus» ;

Le rapport d'expertise judiciaire rendu en 2012 relève lui aussi des «non-conformités en matière de niveaux de bruits émis dans l'environnement reçus dans les propriétés des demandeurs» ; le tribunal a néanmoins justement relevé que :

«Le rapport d'expertise judiciaire rendu en 2012, bien que constatant certaines nuisances notamment sonores ou tout du moins la présence d'éléments 'de nature à caractériser des nuisances', ne conclut pas non plus au fait que ces nuisances ont été nécessairement aggravées par les travaux réalisés par les sociétés défenderesses entre 2005 et 2012 (pièce 55 des demandeurs) ; ce constat doit d'ailleurs être fait pour l'ensemble des expertises et autres mesures réalisées respectivement et ponctuellement par chacune des parties : en effet, si chacune d'entre elle tend à constater ou non l'absence de nuisances ou de seuils non conformes à la réglementation adéquate, aucune d'entre elle ne fait clairement de comparatif entre la situation antérieure à 2005 et celle postérieure à cette date, soit un comparatif de la nature et de l'ampleur des troubles déjà dénoncés par les consorts [F] depuis 1984 et surtout depuis les années 1990» ;

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les appelants ne démontrent pas que leur préjudice s'est trouvé aggravé depuis le 19 octobre 2001, soit dans les dix ans précédant leur assignation en référé, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a constaté que leur action était prescrite et a déclaré leur action irrecevable ;

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été équitablement faite de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les consorts [F] et M. [Y], parties perdantes, doivent être condamnés in solidum aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer la somme supplémentaire de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du code de procédure civile formulée par les consorts [F] et M. [Y] ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum Mme [H] [P] épouse [F], Mme [N] [F], Mme [C] [F], Mme [K] [B] née [F] et M. [I] [Y] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société à responsabilité limitée Société Nouvelle des Etablissements [A] et la société à responsabilité limitée Entrope ensemble la somme supplémentaire de 5.000 € par application de l'article 700 du même code en cause d'appel ;

Rejette toute autre demande.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 20/13256
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;20.13256 ?
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