REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 03 JUIN 2024
RENVOI APRÈS CASSATION
(n° , 17 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 23/06752 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHOBU
Décision déférée à la Cour :
1 /Par un jugement du 13 avril 2021 du Tribunal de commerce de PARIS - RG 2020017687
2/ Arrêt 15 octobre 2021 de la cour d'appel de PARIS -POLE 5-11
3/ Arrêt du 22 Mars 2023 - chambre commerciale financière et économique de la Cour de Cassation de PARIS RG n° 226 F-D
DEMANDEUR A LA REQUÊTE
S.A. ELECTRICITÉ DE FRANCE (« EDF »),
Agissant poursuites et diligences par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Assistée par Me SAVOIE de la DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER , avocat au barreau de PARIS, toque : R170
INTIMEE
S.C.P. BR ASSOCIES
agissant par Maître [C] [O] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Hydroption
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistéeb par Me Etienne GOUESSE de l'AARPI VIGUIE SCHMIDT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R145
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Xavier BLANC, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Xavier BLANC, Président, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Xavier BLANC, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
1. Le 26 octobre 2016, la société Hydroption, fournisseur alternatif d'énergie, a conclu avec la société Electricité de France (la société EDF) un accord-cadre aux termes duquel, chaque année, la première pouvait s'engager à acheter à la seconde un volume d'électricité, déterminé par la Commission de régulation de l'énergie (la CRE) en fonction de sa demande, à un prix fixé par un arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie.
2. Ce contrat relève du dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (l'ARENH), instauré par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, qui a créé l'article 4-1 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, ensuite codifié aux articles L. 336-1 et suivants du code de l'énergie par l'ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011.
3. Etabli selon le modèle d'accord-cadre figurant en annexe de l'arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l'article 4-1 de la loi du 10 février 2000, dans sa rédaction de l'époque, cet accord-cadre comporte, en son article 10, une clause définissant la force majeure comme un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l'exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables et, en son article 13, une clause prévoyant que son exécution pourrait être suspendue en cas de survenance d'un événement de force majeure, tel que défini à l'article 10, et que, dans cette hypothèse, la suspension prendrait effet dès la survenance de l'événement de force majeure et entraînerait de plein droit l'interruption de la cession annuelle d'électricité.
4. Le 28 novembre 2019, en application des dispositions de l'article R. 336-19 du code de l'énergie, dont les dispositions figuraient auparavant à l'article 5 du décret n° 2011-466 du 28 avril 2011, auquel se réfère l'article 4.2 de l'accord-cadre, la CRE, répondant à la demande de la société Hydroption, lui a notifié que la quantité d'énergie qui lui serait cédée par la société EDF s'établissait à 122 MW sur l'année 2020, ce qui correspondait à 68 % de la demande qu'elle avait présentée.
5. Le 18 mars 2020, faisant valoir qu'à la suite des premières mesures décidées par le pouvoir exécutif pour faire face à l'épidémie de Covid-19, la consommation d'électricité de ses clients avait fortement diminué, la société Hydroption a demandé à la société EDF la suspension du contrat en application de son article 13.
6. Le 23 mars 2020, la société EDF a refusé cette suspension, au motif que l'ensemble des critères de la force majeure prévus à l'article 10 n'étaient pas remplis.
7. Par une lettre du 24 mars 2020, la société Hydroption a maintenu sa demande de suspension du contrat.
8. Par une délibération du 26 mars 2020, après avoir constaté que la crise sanitaire et les mesures prises pour y faire face entraînaient une baisse de la consommation d'électricité, plus particulièrement concentrée sur le segment industriel et tertiaire, et une forte baisse des prix de l'électricité sur les marchés de gros, et constaté le désaccord entre la société EDF et plusieurs fournisseurs ayant eu recours au dispositif de l'ARENH quant à l'activation de la clause de force majeure, la CRE a cependant décidé de ne pas transmettre au gestionnaire du réseau une évolution des volumes d'ARENH, au motif que la force majeure ne trouverait à s'appliquer que si l'acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l'exécution de l'obligation de paiement de l'ARENH. La CRE a, en revanche, supprimé les pénalités prévues en cas de demande excessive d'ARENH par un fournisseur et demandé à la société EDF d'accorder des facilités de paiement, notamment celles prévues par l'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020, aux fournisseurs qui en feraient la demande.
9. Par une lettre du 2 avril 2020, la société EDF a invité la société Hydroption à lui indiquer si elle demandait à bénéficier de telles facilités de paiement, lesquelles ont été précisées par une délibération de la CRE du 9 avril 2020.
10. Saisi d'une requête en suspension de la délibération du 9 mars 2020 par deux associations de fournisseurs d'énergie, le juge des référés du Conseil d'Etat l'a rejetée par une ordonnance du 17 avril 2020 (CE, Juge des référés, 17 avril 2020, n° 439949), considérant que la condition d'urgence n'était pas satisfaite, dès lors qu'il n'était pas établi que les pertes subies par les fournisseurs seraient d'une ampleur telles qu'elles mettent en péril la survie de ceux-ci dans le délai nécessaire au juge compétent pour statuer sur les demandes dont il a été saisi. Par un arrêt du 10 décembre 2021 (CE, 10 décembre 2021, n° 439949), le Conseil d'Etat, saisi par la société Hydroption, a annulé la phrase précitée, au motif qu'en réservant l'application de la force majeure à l'hypothèse d'une impossibilité totale pour l'acheteur d'exécuter l'obligation de paiement de l'ARENH alors que les stipulations de l'article 10 de l'accord-cadre subordonnaient uniquement le bénéfice de cette clause à la condition qu'un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rende impossible l'exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables, la CRE a entaché sa délibération d'une erreur de droit.
11. Auparavant, par un courriel du 10 avril 2020, la société Hydroption avait demandé, à nouveau, à la société EDF de mettre en 'uvre les stipulations de l'accord-cadre relatives à la force majeure, ce que la société EDF a refusé par un courriel du 17 avril 2020.
12. Par ailleurs, saisi en référé par d'autres fournisseurs d'énergie ayant souscrit au dispositif de l'ARENH, le président du tribunal de commerce de Paris, par des ordonnances des 20, 26 et 27 mai 2020, a ordonné à la société EDF de faire le nécessaire pour parvenir à la suspension de l'accord-cadre, et notamment l'interruption de la cession d'électricité. Ces ordonnances ont ensuite été confirmées par trois arrêts de la cour d'appel de Paris du 28 juillet 2020 et le pourvoi formé contre l'un de ces arrêts a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2022 (Com., 11 mai 2022, n° 20-20.622).
13. C'est dans ces circonstances que, le 24 mai 2020, la société Hydroption a assigné la société EDF devant le tribunal de commerce de Paris et demandé à ce tribunal de juger que les clauses litigieuses lui ouvraient droit à la suspension du contrat à compter du 16 mars 2020 et qu'en refusant de suspendre le contrat jusqu'au 1er septembre 2020, la société EDF avait manqué à ses obligations contractuelles, et, en conséquence, de condamner cette société à l'indemniser des préjudices causés par ce manquement.
14. Par un jugement du 13 avril 2021, le tribunal a statué comme suit :
« - Déboute la SA ELECTRICITE DE FRANCE de ses exceptions de nullité des articles 10 et 13 du contrat pour illicéité et pour potestatívíté,
- Dit que c'est à bon droit que la SAS HYDROPTION a notifié à EDF, dès le 10 mars 2020, la survenance d'un événement constitutif d'un cas de force majeure afin que cette dernière suspende l'exécution du contrat et notamment cesse de lui fournir de l'électricité ARENH,
- Dit que la SA ELECTRICITE DE FRANCE a commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité en continuant à livrer de l'électricité ARENH après la notification par la SAS HYDROPTION de la survenance d'un événement constitutif d'un cas de force majeure
- Déboute la SA ELECTRICITE DE FRANCE de sa demande de dire qu'une indemnisation du préjudice d'HYDRO serait constitutive d'une aide d`Etat au sens du traité de l'Union Européenne,
- Condamne la SA ELECTRICITE DE FRANCE à payer à la SAS HYDROPTION, au titre du préjudice subi du fait de la non suspension du contrat ARENH pendant la période du 17 mars au 31 mai 2020, la somme de 5.880.000€, déboutant pour le surplus
- Déboute la SAS HYDROPTION de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la résistance abusive,
- Condamne la SA ELECTRICITE DE FRANCE à payer à la SAS HYDROPTION la somme de 100.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonne l'exécution provisoire,
- Condamne la SA ELECTRICITE DE FRANCE aux dépens [...] ».
15. Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment retenu que :
- l'article 10 de l'accord-cadre ne déroge ni à l'article L. 336-2 du code de l'énergie, ni à l'article L. 336-3 de ce code, bien qu'il permette aux parties d'invoquer un cas de force majeure au regard des conditions économiques d'exécution du contrat, même si l'événement en cause n'affecte qu'une partie de la période de livraison, et ce sous le contrôle des juridictions judiciaires, sans réserver l'appréciation de l'existence d'un cas de force majeure au ministre ;
- cet article ne contrevient pas plus au principe de la force obligatoire du contrat et il n'est pas potestatif, dès lors qu'il impose au fournisseur qui invoque la force majeure de démontrer qu'un événement extérieur et imprévisible rend impossible l'exécution du contrat dans des conditions économiques raisonnables ;
- les mesures gouvernementales mises en 'uvre pour lutter contre la pandémie de Covid 19 ont entraîné une violente chute de la consommation d'électricité et une forte chute des prix sur la marché libre de gros et qu'une telle situation remettait en cause le fondement même du dispositif de l'ARENH ; de plus, la société Hydroption a subi une forte baisse de la demande de ses clients mais était néanmoins contrainte d'acheter la quantité initialement prévue, qu'elle a dû revendre sur le marché de gros à un prix moitié moindre que celui qu'elle avait payé à la société EDF ;
- la notion de conditions économiques raisonnables doit être appréciée par rapport à l'objectif poursuivi par le dispositif ARENH, qui consiste à créer un accès avantageux aux nouveaux entrants sur le marché à une électricité à prix coutant, particulièrement compétitif et à sécuriser pour une année leur approvisionnement à des conditions économiques raisonnablement avantageuses ; et il serait contraire à cet objectif de contraindre les fournisseurs alternatifs à revendre à perte l'électricité ARENH ;
- les pièces produites montrent une baisse moyenne d'environ 20 % de la consommation d'électricité par les entreprises et les administrations, pendant la période du confinement et les mois qui ont suivi, et une chute de moitié des prix de gros, qui ont oscillé entre le tiers et la moitié du tarif ARENH ; l'équilibre même du dispositif s'en est trouvé bouleversé et les fournisseurs alternatifs n'étaient plus en mesure de l'exécuter dans des conditions économiquement raisonnables ;
- les conditions de la force majeure stipulées au contrat étant réunies, c'est à bon droit que la société Hydroption a notifié à la société EDF, le 18 mars 2020, la survenance d'un événement de force majeure afin que celle-ci suspende l'exécution du contrat ;
- dès lors que la rédaction de l'article 13 est impérative et ne prévoit nullement une intervention de la CRE, la société EDF ne peut soutenir que le prononcé de la suspension est retardé, si la partie notifiée conteste que les critères de la force majeure sont remplis, jusqu'à la décision du juge ; la société EDF devait suspendre la livraison d'électricité, quitte à contester ultérieurement devant le juge le bien fondé de la mise en 'uvre de l'article 10 par la société Hydroption ;
- en ne suspendant pas les cessions d'électricité, la société EDF a violé les dispositions combinées des article 10 et 13-1 de l'accord-cadre ;
- cette faute a eu une double conséquence, amenant la société Hydroption à recevoir une quantité d'électricité supérieure à ses besoins et l'obligeant à payer un prix supérieur à celui du marché la partie subsistante de la consommation de ses clients ;
- pour évaluer le préjudice subi par la société Hydroption, il convient de replacer celle-ci dans la situation qui aurait été la sienne si les livraisons avaient été suspendues dès le 18 mars 2020, en multipliant les volumes d'ARENH reçus au cours de la période par l'écart entre le prix payé de 42 euros et le cours moyen de l'électricité sur le marché libre de gros ; cette période, au cours de laquelle les fournisseurs alternatifs se sont retrouvés confrontés simultanément à une violente baisse de la consommation et à une baisse historique des cours du marché, s'étale du 17 mars à la fin mai 2020 ;
- s'agissant de la demande d'indemnisation sur le fondement d'une résistance abusive de la société EDF, si cette dernière a décidé de méconnaître délibérément l'article 13 du contrat, qui lui imposait de suspendre immédiatement le contrat, elle n'a pas, ensuite, abusé de son droit de soutenir au fond une autre interprétation de cet article.
16. Par une déclaration du 28 avril 2021, la société EDF a fait appel de ce jugement.
17. Par des conclusions du 4 juin 2021, la société Hydroption a relevé appel incident.
18. Par un arrêt du 15 octobre 2021, la cour d'appel de Paris a notamment rejeté la demande d'annulation du jugement, infirmé ce jugement en toutes ces dispositions, sauf celle déboutant la société Hydroption de sa demande fondée sur « l'abus de procédure », débouté la société Hydroption de ses demandes de dommages et intérêts et condamné la société Hydroption aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société EDF la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
19. Par un arrêt du 22 mars 2023 (Com., 22 mars 2023, n° 22-10.723), la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt dans toutes ces dispositions, au motif que la cour d'appel avaient déclaré recevables des conclusions de la société EDF déposées postérieurement à sa requête en vue de voir examiner l'affaire à jour fixe, sans rechercher si ces conclusions avaient pour objet de répondre aux conclusions de la société Hydroption.
20. Entretemps, par un jugement du 2 décembre 2021 du tribunal de commerce de Toulon, la société Hydroption a été placée en liquidation judiciaire et la société BR associés (la société BR) a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
21. Par une déclaration du 17 avril 2023, la société EDF a saisi la cour d'appel de Paris, désignée comme cour d'appel de renvoi.
22. Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 28 août 2023, la société EDF demande à la cour d'appel de :
« Vu l'article 107, paragraphe 1er, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu le code civil,
Vu le code de procédure civile,
Vu le code de l'énergie,
Vu les articles 10 et 13.1 de l'Accord-cadre,
[']
- ANNULER le Jugement du 13 avril 2021 pour défaut de motivation ;
A titre subsidiaire :
- REFORMER le Jugement du 13 avril 2021, sauf en ce qu'il a débouté BR Associés, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
En tout état de cause, statuant à nouveau :
- JUGER que les conditions de la force majeure stipulées à l'article 10 de l'Accord-cadre ne sont pas réunies ;
- JUGER qu'EDF n'était pas tenue de suspendre l'Accord-cadre ;
- JUGER par conséquent qu'EDF n'a commis aucune faute contractuelle engageant sa responsabilité ;
- JUGER subsidiairement que l'article 10 de l'Accord-cadre est entaché de nullité ;
- JUGER, en tout état de cause, que BR Associés, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, n'a subi aucun préjudice ;
- DEBOUTER BR Associés, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, de toutes ses demandes, fins et conclusions.
A titre infiniment subsidiaire, si la Cour jugeait que les conditions de l'article 10 de l'Accord- cadre étaient réunies :
- REFORMER le Jugement sur le quantum de la somme allouée à BR Associés, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le ramener à de plus justes proportions ;
Enfin, en toute hypothèse,
- CONDAMNER BR Associés, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, à payer à EDF la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- CONDAMNER BR Associés, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, aux entiers dépens de la présente instance. »
23. Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 20 novembre 2023, le liquidateur de la société Hydroption demande à la cour d'appel de :
« Vu les stipulations de l'Accord-Cadre ARENH et notamment ses articles 10, 13 et 19, les dispositions des articles 1101 et suivants, 1170, 1188, 1191, 1195, 1217, 1218, 1231 et s., 1303 et s. et 1351 du Code civil, 700 du Code de procédure civile,
[...]
A titre principal,
- DONNER ACTE à BR Associés, de ce qu'il a été désigné comme liquidateur de la société Hydroption suivant jugement du Tribunal de commerce de Toulon du 2 décembre 2021 ;
- CONFIRMER le Jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 13 avril 2021 en ce qu'il a :
- Débouté la société ELECTRICITE DE FRANCE de ses exceptions de nullité des articles 10 et 13 du contrat pour illicéité et pour potestativité ;
- Dit que c'est à bon droit que la société HYDROPTION a notifié à EDF, dès le 18 mars 2020, la survenance d'un évènement constitutif d'un cas de force majeure afin que cette dernière suspende l'exécution du contrat et notamment cesse de lui fournir de l'électricité ARENH ;
- Dit que la société ELECTRICITE DE FRANCE a commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité en continuant à livrer de l'électricité ARENH après la notification par la société HYDROPTION de la survenance d'un évènement constitutif d'un cas de force majeure ;
- Débouté la société ELECTRICITE DE FRANCE de sa demande de dire qu'une indemnisation du préjudice d'HYDROPTION serait constitutive d'une aide d'Etat au sens du Traité de l'Union Européenne ;
- Condamné la société ELECTRICITE DE FRANCE à réparer le préjudice subi par la société HYDROPTION au titre de la non-suspension du contrat ARENH ;
- Condamné la société ELECTRICITE DE FRANCE à payer à la société HYDROPTION la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
- INFIRMER le Jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 13 avril 2021 en ce qu'il a :
- Limité la période au titre de laquelle ELECTRICITE DE FRANCE a commis une faute contractuelle du fait de la non-suspension du contrat ARENH à la période du 17 mars au 31 mai 2020 ;
- Limité le montant du préjudice subi par la société HYDROPTION à la somme de 5 880 000 euros ;
- Débouté la société HYDROPTION de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la résistance abusive ;
Et statuant à nouveau de ces chefs,
- CONDAMNER la société ELECTRICITE DE FRANCE à verser à la société BR Associés, ès qualité de liquidateur d'HYDROPTION la somme de 8 673 802 euros en réparation du préjudice subi du fait de la non-suspension du contrat ARENH du 18 mars 2020 à l'avant-dernière semaine du mois d'août ;
- CONDAMNER la société ELECTRICITE DE FRANCE à verser à la société BR Associés, ès qualité de liquidateur d'HYDROPTION la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de sa résistance abusive ;
Subsidiairement sur le premier de ces deux chefs,
- CONDAMNER la société ELECTRICITE DE FRANCE à verser à la société BR Associés, ès qualité de liquidateur d'HYDROPTION la somme de 8 673 802 euros en réparation de la perte de chance subie du fait de la non-suspension du contrat ARENH du 18 mars 2020 à l'avant-dernière semaine du mois d'août ;
Sinon,
- CONDAMNER la société ELECTRICITE DE FRANCE à verser à la société BR Associés, ès qualité de liquidateur d'HYDROPTION la somme de 3 487 602 euros en réparation de la perte éprouvée du fait de la non-suspension du contrat ARENH du 18 mars 2020 à l'avant-dernière semaine du mois d'août ;
A titre subsidiaire,
- CONFIRMER le Jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 13 avril 2021 en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause et y ajoutant,
- DÉBOUTER la société ELECTRICITE DE FRANCE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- CONDAMNER la société ELECTRICITE DE FRANCE à verser à la société BR Associés, ès qualité de liquidateur d'HYDROPTION la somme de 100 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la présente instance d'appel ;
- CONDAMNER la société ELECTRICITE DE FRANCE aux entiers dépens outre les frais d'exécution engagés par HYDROPTION pour faire exécuter le Jugement. »
24. La clôture a été prononcée par le président à l'audience du 26 février 2024.
25. En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties visées ci-dessus quant à l'exposé du surplus de leurs prétentions et de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande d'annulation du jugement du 13 avril 2021
Moyens des parties
26. Au soutien de sa demande d'annulation du jugement, la société EDF fait valoir que, dans ce jugement, le tribunal s'est borné à faire référence à d'autres contentieux dans lesquels la société Hydroption n'était pas partie et qu'au surplus, les décisions sur lequel le tribunal s'est fondé avait été rendues en référé.
27. En réponse, la société Hydroption fait valoir que le jugement est structuré et motivé, avec un examen détaillé et précis des moyens des deux parties, que les renvois à des décisions antérieures auxquels il procède viennent aux termes du raisonnement développé en droit et en fait et que ce jugement ne laisse aucun doute sur les fondements juridiques retenus.
Appréciation de la cour
28. Les articles 455, alinéa 1, et 458 du code de procédure civile disposent que le jugement doit être motivé, et ce à peine de nullité.
29. Il résulte de ces textes que, pour motiver sa décision, le juge doit se déterminer d'après les circonstances particulières du procès et non par voie de référence à des causes déjà jugées.
30. En l'espèce, contrairement à ce que soutient la société EDF, aux termes du jugement attaqué, le tribunal a statué par des motifs de droit et de fait, notamment ceux présentés au point 15, suffisants pour justifier sa décision, sans préjudice du bien-fondé de celle-ci.
31. Rien ne lui interdisait notamment, pour écarter le moyen de la société EDF tiré de ce qu'en cas de contestation du cas de force majeure notifié par une partie, la suspension serait retardée jusqu'à la décision du juge, de citer les motifs d'une décision prononcée, même en référé, dans le cadre d'un autre litige, dès lors que ces motifs, qu'il a expressément fait siens, confortaient sa propre analyse.
32. La société EDF sera déboutée de sa demande d'annulation du jugement.
Sur la responsabilité contractuelle de la société EDF
Moyens des parties
33. Au soutien de sa demande d'infirmation du jugement en ce qu'il retient qu'elle a manqué à son obligation de suspendre le contrat et en ce qu'il la condamne à indemniser la société Hydroption, la société EDF fait valoir que :
- sur l'absence de faute contractuelle de sa part
- le tribunal a commis deux erreurs majeures, en dénaturant le dispositif de l'ARENH qui offre une option d'achat à titre gratuit aux fournisseurs alternatifs mais n'a pas pour objet de leur garantir, quelques que soient les circonstances, un prix nécessairement plus favorable que le prix de marché, et en se méprenant sur les effets de la force majeure, laquelle impose, y compris lorsqu'elle est aménagée par le contrat, de caractériser une entrave à l'exécution d'une obligation, en l'espèce le paiement par la société Hydroption de sa dette envers elle ;
- si l'article 10 aménage le critère d'irrésistibilité en substituant à l'exigence légale d'un empêchement absolu l'impossibilité d'exécution dans des conditions économiques raisonnables, l'impact sur l'exécution de l'obligation contractuelle demeure la condition d'application de cette clause ; or la société Hydroption ne démontre pas avoir été dans une situation d'impossibilité d'exécution de ses obligations ;
- le sens donné à cette clause par le tribunal est contraire, en premier lieu, à la finalité de l'institution de la force majeure, qui n'est pas faite pour soigner la déception du créancier, en deuxième lieu, aux termes mêmes de l'article 10, qui vise l'entrave à l'exécution de ses obligations par la partie débitrice, une clause de force majeure aménagée n'en demeurant pas moins une clause de force majeure et non une clause d'imprévision, en troisième lieu, à l'économie générale du contrat, dès lors que la question de la rentabilité du contrat et de son déséquilibre potentiel est traité par d'autres clauses et, enfin, aux dispositions législatives et réglementaires, qui prévoient une obligation d'engagement ferme, qui ne souffre aucun aménagement, et qui conduit le fournisseur alternatif à assumer un risque volume et un risque prix ;
- le tribunal a donc dénaturé l'article 10 et, si la cour retenait la même interprétation, elle ne pourrait que constater que l'article 10 est entaché de nullité ;
- la société Hydroption n'invoque aucune entrave à l'exécution de ses obligations contractuelles, à savoir la prise de livraison, le paiement du prix et le maintien des garanties de paiement, une telle entrave étant seule susceptible de constituer un cas de force majeure au sens de l'article 10 ;
- cette société ne se prévaut que d'une baisse de rentabilité du contrat, alors que l'article 10 n'a pas pour objet de préserver cette rentabilité ;
- à supposer qu'un changement imprévisible de la profitabilité de l'achat d'électricité soit l'objet de l'article 10, la société Hydroption avait accepté d'assumer ce risque ;
- en tout état de cause, la société Hydroption ne démontre pas que les conditions d'exécution du contrat seraient déraisonnables ; un contrat d'approvisionnement à terme, qui constitue un achat pour revendre, comporte par essence des risques et des chances au regard des conditions qui prévaudront effectivement au cours de son exécution ; le caractère déraisonnable devrait en outre s'apprécier sur une base annuelle et par rapport à la situation financière de la société Hydroption et en relation avec les conditions de revente de l'électricité par cette société à ses clients ;
- sur le préjudice prétendument subi par la société Hydroption
- le tribunal ne pouvait se fonder sur une baisse des prix du marché, qui ne peut être attribuée à la seule crise sanitaire, et une baisse de la consommation d'électricité en France, indépendamment de la baisse de consommation des clients de la société Hydroption, dont cette dernière ne rapporte pas la preuve, pas plus qu'elle ne démontre qu'elle était dans l'impossibilité de compenser, le cas échéant, la baisse des besoins en électricité ARENH en diminuant ses achats sur le marché ;
- la société Hydroption ne rapporte pas la preuve que les contrats conclus avec ses clients ne lui permettaient pas d'absorber en tout ou partie ses prétendues pertes ;
- au surplus, le préjudice invoqué par la société Hydroption n'était pas prévisible ;
- dès lors qu'une multitude de facteurs peuvent expliquer la baisse des prix de l'électricité, le lien de causalité n'est pas établi ;
- en tout état de cause, le quantum du préjudice retenu par le tribunal est erroné, dès lors que la valeur du cours moyen du marché n'est pas justifiée, que le prix du marché spot, journalier, n'est pas comparable avec le prix, à terme, de l'ARENH et que l'indemnisation allouée à la société Hydroption méconnaît le principe de la réparation intégrale et aboutit à un enrichissement, notamment en ce qu'il se fonde sur l'intégralité des volumes ARENH livrés à la société Hydroption et en ce qu'il omet de prendre en compte la valeur des garanties de capacité dans le produit ARENH ;
- par surcroît, l'octroi d'une indemnité à la société Hydroption serait constitutif d'une aide d'Etat illégale ;
- sur la demande incidente de la société Hydroption tendant à la réévaluation de son préjudice
- à supposer que la baisse de la consommation et des prix du marché soit de nature à justifier l'application de l'article 10, ni le niveau d'électricité, ni celui des prix sur le marché de gros de l'électricité à partir de mai ne justifient l'extension de la période de force majeure décidée par le tribunal ;
- la durée de la période de la force majeure retenue ne peut s'étendre qu'entre la date de notification du prétendu événement de force majeure et la date à laquelle a été prononcée la fin du confinement.
34. Au soutien de sa demande de confirmation du jugement, en ce qu'il condamne la société EDF à l'indemniser, et de réévaluation de son préjudice, la société Hydroption fait valoir que :
- sur la caractérisation de la force majeure contractuelle
- l'accord-cadre aménage les conditions d'application de la force majeure en ajoutant une condition au droit commun tenant à l'impossibilité pour une partie d'exécuter ses obligations dans des conditions économiques raisonnables et il appartient à la partie qui se prévaut de la mise en 'uvre de la clause d'en rapporter la preuve ;
- l'interprétation de l'article 10, dans le sens d'une modération des critères de la force majeure, doit prévaloir sur la lecture proposée par la société EDF, laquelle revient à appliquer strictement les conditions de droit commun de l'article 1218 du code civil, et notamment l'impossibilité matérielle d'exécution, en faisant abstraction des stipulations du contrat et en privant l'article 10 de tout effet, contrairement aux prescriptions de l'article 1191 du code civil ;
- l'épidémie de Covid 19 et les mesures prises par le pouvoir exécutif, qui ont eu pour conséquente directe une diminution de la consommation d'électricité de 15 à 20 % et une baisse brutale du prix de marché de l'électricité, constituent un événement extérieur aux parties, imprévisible et irrésistible ;
- l'impossibilité d'exécuter l'accord-cadre dans des conditions économiques raisonnables s'apprécie in concreto, au regard des objectifs du dispositif de l'ARENH, de la baisse historique de la demande d'électricité et de l'effondrement des cours, et de sa situation particulière, ainsi qu'au regard de la modification apportée depuis à l'article 10 ;
- le dispositif ARENH a été pensé pour permettre aux fournisseurs alternatifs de bénéficier de la possibilité d'acheter de l'électricité à un prix avantageux, afin de développer la concurrence, et l'effondrement des cours corrélatif à l'épidémie de Covid 19 a constitué une anomalie remettant en cause l'exécution du contrat à des conditions économique raisonnables ; l'aménagement de la définition de la force majeure a été voulu par la société EDF elle-même pour éviter d'avoir à fournir de l'électricité à prix régulé en cas d'explosion du coût de production ; si la société EDF ne l'a pas anticipé, cet aménagement doit aussi bénéficier à ses clients, en cas d'effondrement du marché ;
- le confinement a entraîné une baisse de la demande d'électricité et elle-même a subi des baisses de consommation qui sont allées jusqu'à 30 %, sa consommation étant descendue sous le niveau d'ARENH livré qui correspondait à 68 % de son besoin justifié ; cette baisse de la demande a entraîné un effondrement des cours de l'électricité, de sorte que l'électricité ARENH était achetée à un prix deux à trois fois supérieur à celui du cours auquel elle était revendue sur le marché pour la partie non consommée, sans qu'il y ait lieu de raisonner sur une base annuelle ;
- elle-même ne produisait aucune d'électricité, de sorte qu'elle ne pouvait arbitrer sa propre production pour diminuer ses volumes disponibles, et elle a justifié de l'évolution à la baisse des volumes d'électricité vendus en considération de son prévisionnel, avec cette précision que seuls 68 % de son besoin était couvert par l'ARENH, de sorte qu'elle a souscrit des contrats d'approvisionnement pour le surplus et qu'elle a dû vendre ces volumes sur le marché, à un prix cassé ; en outre, elle ne disposait que d'une clientèle de personnes morales, et n'a donc pu amortir la chute de la consommation avec celle de clients particuliers, et, dès le mois de mars, elle a été confrontée à des clients l'informant d'un risque de défaut ;
- si elle-même a surpayé l'électricité, la société EDF a réalisé un trop-perçu, au regard des cours, de plus de 800 millions d'euros ;
- dès le 18 mars 2020, la société EDF devait prendre acte de la notification d'un cas de force majeure et suspendre la cession annuelle d'électricité au titre de l'ARENH et, si elle avait considéré que la clause avait été mise en 'uvre à mauvais escient, il appartenait à la société EDF de porter le litige devant le juge compétent ; en s'affranchissant des stipulations de l'accord-cadre, la société EDF a assumé le risque de voir juger que son refus caractérise un manquement qui engage sa responsabilité contractuelle ;
- sur son préjudice
- la mise en 'uvre de la clause de force majeure aurait dû emporter une suspension du contrat et l'interruption des livraisons, à charge pour la société Hydroption de s'approvisionner sur le marché, au cours de celui-ci ; son préjudice n'est pas la conséquence dommageable de la force majeure, à savoir la perte éprouvée, mais celui résultant du refus de la société EDF d'appliquer les stipulations du contrat dès lors que la force majeure était caractérisée ;
- son préjudice correspond donc, à titre principal, à la différence entre le prix payé par MWh à la société EDF et le cours du marché, multiplié par la quantité d'ARNH sur la période de force majeure à considérer, soit sa marge perdue ;
- elle communique les éléments relatifs à son allocation d'ARENH, qui permettent de reconstituer les volumes d'électricité vendus, dès lors que l'ARENH couvre 68 % de la demande, à ses ventes réalisées en comparaison des ventes projetées et des volumes ARENH livrés, aux baisses de volumes qui ont été subies qui correspondent aux volumes d'électricité qu'il a fallu revendre sur le marché et aux cours spot des années 2018 à 2020 ;
- son préjudice est certain et il était prévisible, dès lors qu'un refus d'appliquer la clause de force majeure emporterait nécessairement pour la société EDF l'obligation d'indemniser le différentiel entre le prix payé et le prix du marché ; en tout état de cause, à supposer que ce préjudice n'ait pas été prévisible, la faute de la société EDF présente les caractéristiques d'une faute lourde ou dolosive ;
- son préjudice est direct, dès lors qu'il ne dépend pas du lien entre la pandémie et la baisse des prix sur le marché de gros mais du lien entre, d'une part, les pertes éprouvées et les gains manqués, et d'autre part, le refus de la société EDF de suspendre le contrat ;
- son préjudice correspond à la marge perdue qui, sur une période donnée, s'obtient en multipliant la différence entre le prix de l'électricité ARENH par MWh, soit 42 euros, et le cours spot de cette période, par la puissance notifiée par la CRE, soit 122 MW, et par le nombre d'heures de la période ;
- contrairement à ce que soutient la société EDF, c'est bien le cours journalier spot qu'il convient de prendre en compte, dès lors que la durée de la suspension étant incertaine, ce dont il résulte la nécessité d'un approvisionnement au jour le jour ;
- s'agissant de la période de à prendre en considération, l'événement de force majeure a couru du 17 mars 2020 à l'avant-dernière semaine du mois d'août, en non au 31 mai 2020 comme l'a retenu le tribunal, puisque c'est à cette période que les cours ont retrouvé la cohérence des années précédentes ; son préjudice s'établit donc à 8 673 802 euros, et non à 5 880 000 euros, comme l'a jugé le tribunal ;
- subsidiairement, s'il devait être considéré que son préjudice s'analyse en une perte de chance de réaliser un gain, le pourcentage à appliquer à la somme de 8 673 802 euros ne pourrait être que de l'ordre de 0,1 % à 2 %, dès lors que l'aléa modérant les conséquences qu'elle aurait pu titre de l'interruption des livraisons est très limité ;
- très subsidiairement, pour le cas où la cour ne prendrait en considération que la perte qu'elle a éprouvée sur les volumes qu'elle a revendus sur la période de force majeure, cette perte s'établit, à la date du 1er septembre 2020, à la somme de 3 487 602 euros.
Appréciation de la cour
35. L'article 1231-1 du code civil dispose :
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure. »
Sur l'interprétation de l'accord-cadre conclu le 26 octobre 2016
36. L'article 10 de l'accord-cadre conclu le 26 octobre 2016 par les sociétés EDF et Hydroption stipule, sous l'intitulé « Force majeure » :
« La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l'exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables.
La Partie souhaitant invoquer le bénéfice de la force majeure devra, dès connaissance de la survenance de l'événement de force majeure, informer l'autre Partie, la CDC et la CRE, par lettre recommandée avec accusé de réception, de l'apparition de cet événement et, dans la mesure du possible, leur faire part d'une estimation, à titre indicatif, de l'étendue et de la durée probable de cet événement.
La Partie souhaitant se prévaloir d'un événement de force majeure s'efforcera, dans des limites économiques raisonnables, de limiter les conséquences de l'événement de force majeure et devra, pendant toute la durée de cet événement, tenir régulièrement l'autre Partie informée de l'étendue et de la durée probable de cet événement.
Les obligations des Parties sont suspendues pendant la durée de l'événement de Force majeure. »
37. L'article 13.1 stipule ensuite, sous l'intitulé « Suspension » :
« L'exécution de l'accord-cadre pourra être suspendue, dans les cas de défaillance et suivant les modalités indiquées ci-après :
[...]
-en cas de survenance d'un événement de force majeure, défini à l'article 10 de l'accord-cadre (3) ;
[...]
Pour le point 3, la suspension prend effet dès la survenance de l'événement de force majeure et entraîne de plein droit l'interruption de la Cession annuelle d'électricité et de garanties de capacité. La Partie invoquant la force majeure doit la notifier à la CRE, à la CDC et à l'autre Partie dans les conditions définies à l'article 10 du présent accord-cadre.
[...]
Dans tous les cas, la suspension du présent accord-cadre se prolongera aussi longtemps que l'événement qui en est à l'origine n'aura pas pris fin.
Sauf stipulation contraire, la suspension de l'accord-cadre entraîne de plein droit l'interruption de la Cession annuelle d'électricité et de garanties de capacité en cours au premier jour du mois suivant lorsque celle-ci n'a pas été interrompue préalablement au titre d'une disposition du décret ou d'une stipulation du présent accord-cadre.
La suspension de l'accord-cadre entraîne l'obligation pour l'Acheteur de payer l'intégralité du Produit cédé jusqu'à la date effective de suspension. En tout état de cause, les montants liés au Produit cédé antérieurement à la suspension de l'accord-cadre, notamment les compléments de prix, restent dus. [...] »
38. Le premier alinéa de l'article 10 de l'accord-cadre stipule une définition contractuelle de la force majeure dont le champ d'application est plus large que celui résultant de la définition donnée à l'article 1218 du code civil, en ce qu'il substitue au critère de l'impossibilité de l'exécution de son obligation par le débiteur le critère de l'impossibilité pour les parties d'exécuter leurs obligations dans des conditions économiques raisonnables.
39. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société EDF, pour caractériser la force majeure que la société Hydroption invoque, au sens de ces stipulations qui dérogent expressément à la définition légale de cette cause d'exonération du débiteur, cette société n'est pas tenue d'établir qu'elle aurait été dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations, à savoir prendre livraison de l'électricité cédée et payer le prix convenu, mais il suffit qu'elle démontre que l'événement dont elle se prévaut, outre qu'il lui était extérieur et qu'il était imprévisible et irrésistible, rendait impossible l'exécution de ces obligations dans des conditions économiques raisonnables.
40. Cela étant, le caractère raisonnable des conditions économiques d'exécution de l'accord-cadre, auquel se réfèrent ces stipulations, doit nécessairement s'apprécier au regard de la nature des opérations qu'il encadre, à savoir des opérations d'achat à terme, pour les revendre, de volumes donnés d'électricité à un prix fixé par avance, et donc du risque accepté par le fournisseur alternatif quant à la rentabilité de ces opérations, ainsi que du contexte contractuel dans lequel ces opérations s'inscrivent, en considération, notamment, des engagements pris par les clients finals de ce fournisseur, mais également de sa stratégie d'approvisionnement. Et il n'y a pas lieu, contrairement à ce que soutient la société EDF, de porter cette appréciation au regard de la durée totale de l'engagement d'achat pris par le fournisseur, soit une année entière, dès lors que les stipulations précitées tendent précisément à suspendre cet engagement pour une durée limitée, ce qui est incompatible avec une appréciation rétrospective, sur l'année entière, des conditions économiques ayant présidé à l'exécution du contrat.
41. Une telle interprétation de l'article 10 de l'accord-cadre ne conduit pas à garantir la profitabilité du contrat pour le fournisseur alternatif, ni à ce que celui-ci bénéficie d'un tarif avantageux par rapport aux cours constatés sur le marché de l'électricité, dès lors qu'au regard des critères énoncés au point précédent, le seul fait que la souscription à ce dispositif s'avèrerait, dans les faits, moins avantageuse qu'un approvisionnement au prix du marché, ne suffirait pas à établir que les conditions économiques d'exécution du contrat ne serait plus raisonnables. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société EDF, cette interprétation n'outrepasse pas l'objectif du dispositif de l'ARENH, qui consiste à permettre aux fournisseurs alternatifs d'accéder à l'électricité produite par le parc nucléaire historique français à un prix reflétant les conditions économiques de production d'électricité par ces centrales.
42. Par ailleurs, cette interprétation n'est pas contredite par les stipulations de l'accord-cadre qui prévoient des cas de résiliation, notamment dans l'hypothèse de modifications durables des conditions économiques de son exécution, de telles stipulations n'étant pas incompatibles avec un mécanisme de suspension provisoire de l'exécution du contrat, lorsqu'il peut être anticipé que ces modifications ne seront que transitoires. C'est d'ailleurs le sens de la stipulation de l'article 13.2.1, qui prévoit que l'accord-cadre peut être résilié lorsque la suspension intervenue du fait de la survenance d'un événement de force majeure perdure au-delà de deux mois.
43. Enfin, une telle interprétation de l'article 10 de l'accord-cadre, et sa mise en 'uvre selon les modalités prévues à l'article 13, ne contreviennent pas plus aux dispositions législatives et réglementaires instituant le dispositif de l'ARENH, et notamment aux dispositions de l'article R. 336-10 du code de l'énergie, qui prévoient que la transmission à la CRE par un fournisseur alternatif d'une demande d'ARENH vaut engagement ferme d'acheter la quantité qui lui sera notifiée, dès lors que l'article L. 336-2 du même code prévoit que les conditions dans lesquelles cet achat s'effectue sont définies par l'arrêté, pris pour son application, auquel est annexé le modèle d'accord-cadre sur la base duquel les parties ont contracté. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il déboute la société EDF de son exception de nullité de ces stipulations.
Sur la caractérisation de la force majeure invoquée par la société Hydroption
44. La société Hydroption soutient que l'événement que constituent l'épidémie de Covid 19 et les mesures prises à compter du 16 mars 2020 pour endiguer sa propagation, ainsi que les effets de ces mesures sur la consommation globale d'électricité et les prix constatées sur le marché de l'électricité, rendait impossible l'exécution de l'accord-cadre dans des conditions économiques raisonnables, dès lors que ses clients ont réduit leur consommation dans des proportions telles qu'elle a été contrainte de revendre au prix du marché journalier de gros, et donc à perte, les volumes d'électricité qui n'étaient pas consommés.
45. Comme l'a retenu le tribunal, l'épidémie de Covid 19, les mesures prises pour l'endiguer et leurs effets sur la consommation globale d'électricité et les cours du marché, constituent un événement extérieur, imprévisible et irrésistible, au sens de l'article 10 de l'accord-cadre.
46. Cependant, s'agissant de l'incidence de cet événement sur les conditions économiques de l'exécution de ce contrat, il ne suffit pas de constater, comme l'a fait le tribunal, qu'en raison de la crise sanitaire, la consommation globale d'électricité des entreprises et des administrations a baissé d'environ 20 % et que les prix du marché de gros de l'électricité ont chuté de moitié, pour osciller entre le tiers et la moitié du tarif ARENH, pour en déduire que, dans la situation particulière de la société Hydroption, qu'il convient de prendre en considération au regard des critères énoncés au point 40, et bien qu'il ait été incontestablement plus rentable pour cette société de renoncer aux livraisons d'électricité ARENH, la poursuite de l'exécution de l'accord-cadre n'aurait pas été possible dans des conditions économiques raisonnables.
47. A cet égard, s'agissant précisément de sa situation particulière, la société Hydroption se prévaut d'une réduction de la consommation de ses clients finals entre le 16 mars 2020 et le 31 août 2020, qu'elle mesure en opérant la différence entre un « volume client estimé », compris selon les mois entre 150 000 MWh et 170 000 MWh, et un « volume client consommé », compris entre 109 219 MWh et 152 690 MWh, soit une réduction alléguée de la consommation mensuelle de ses clients comprise entre 10 % et 27 %. La société Hydroption soutient qu'elle a revendu ces volumes non consommés sur le marché journalier à un prix compris entre 13,82 €/MWh et 31,25 €/MWh, tandis qu'elle était contrainte d'acheter au prix de 42 €/MWh les volumes ARENH que lui livrait la société EDF.
48. Cependant, la société Hydroption ne justifie pas des modalités de calcul du « volume client estimé » en considération duquel elle évalue, dans sa pièce 28, la réduction de la consommation de ses clients consécutive aux mesures de lutte contre l'épidémie de Covid 19, étant observé, d'une part, qu'en février 2020, l'écart entre ce volume estimé et le volume consommé était déjà supérieur à 10 % et qu'il était encore compris entre 12 % et 26 % de septembre à décembre 2020, et, d'autre part, que les courriels échangés avec ses clients, qu'elle produit en pièce 31 et dont il résulte effectivement que ceux-ci lui ont demandé des facilités de paiement, ne permettent pas d'attester, et encore moins de mesurer, une réduction de leur consommation.
49. Par ailleurs, ce « volume client estimé » ne correspond pas à la demande d'électricité ARENH qu'avait soumise la société Hydroption à la CRE pour l'année 2020, pourtant présentée dans ses conclusions comme correspondant à son prévisionnel de ventes. En effet, la quantité de 122 MW qui a été notifiée à cette société, définie par l'article R. 336-2 du code de l'énergie comme la puissance moyenne délivrée pendant la période de livraison, représente un volume annuel de 1 068 720 MWh. Dès lors que la CRE a alloué à chacun des fournisseurs alternatifs candidats au dispositif ARENH une quantité correspondant à 68 % de sa demande, la demande de la société Hydroption portait donc sur un volume annuel d'environ 1 572 000 MWh, qui ne correspond pas au « volume client estimé » annuel de 2 000 000 MWh figurant dans la pièce 28.
50. Il en résulte que la société Hydroption ne justifie pas de l'ampleur de la réduction de consommation de ses clients finals consécutive à la survenance de la crise sanitaire.
51. En outre, il ressort du tableau communiqué en pièce 20 par la société Hydroption que le volume d'électricité ARENH qui lui a été livré par la société EDF s'établissait à 46 338 MWh du 16 au 31 mars 2020, puis était compris entre 81 515 MWh et 96 029 MWh au cours des mois d'avril à août 2020. Ces données apparaissent cohérentes avec la quantité de 122 MW qui a été notifiée à cette société et qui, conformément à la définition donnée par l'article R. 336-2 du code de l'énergie, précitée, correspondait à un volume annuel de 1 068 720 Mwh, comme indiqué au point 49, soit, dans l'hypothèse d'une livraison constante au cours de l'année, à des volumes mensuels moyens d'électricité ARENH d'environ 89 000 MWh. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient la société Hydroption dans ses conclusions, et selon les données qu'elle a elle-même communiquées, les volumes d'électricité ARENH que lui a livrés la société EDF sont demeurés inférieurs, au cours des mois considérés, aux volumes, repris au point 47, qu'elle présente comme ayant été effectivement consommés par ses clients finals.
52. Au surplus et en tout état de cause, la société Hydroption ne fournit aucune information sur ses autres sources d'approvisionnement, notamment sur les volumes d'électricité qu'elle a effectivement achetés hors du dispositif ARENH et les conditions auxquelles elle s'était engagée à le faire, pas plus qu'elle ne justifie, par la seule production des tableaux figurant en pièce 28 bis, des conditions dans lesquelles elle a vendu l'ensemble des volumes d'électricité qu'elle a achetés, que ce soit aux clients finals avec lesquels elle avait contracté ou sur le marché de gros, de sorte qu'elle n'établit pas que la poursuite de l'exécution de l'accord-cadre l'aurait contrainte à revendre des volumes d'électricité, non consommés par ses clients du fait de la crise sanitaire, à un prix inférieur à leur prix d'achat.
53. En conséquence, la société Hydroption échoue à démontrer que l'épidémie de Covid 19, les mesures prises pour l'endiguer et les conséquences de celles-ci auraient rendu impossible la poursuite de l'exécution de l'accord-cadre du 28 octobre 2016 dans des conditions économiques raisonnables, de sorte qu'il n'est pas établi que cet événement constituait un cas de force majeure, au sens de l'article 10 de cet accord-cadre. La société Hydroption ne peut ainsi rechercher la responsabilité de la société EDF pour avoir refusé de suspendre l'exécution du contrat du fait de la survenance de cet événement.
54. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il dit, d'abord, que c'est à bon droit que la société Hydroption a notifié à la société EDF la survenance d'un événement de force majeure et, ensuite, que la société EDF a commis une faute contractuelle en continuant à livrer de l'électricité ARENH après cette notification, et en ce qu'il condamne la société EDF à indemniser la société Hydroption.
Sur la demande de la société Hydroption fondée sur une résistance abusive de la société EDF
Moyens des parties
55. Au soutien de sa demande d'indemnisation fondée sur une résistance abusive de la société EDF, la société Hydroption fait valoir que, depuis qu'elle a sollicité l'application du contrat en mars 2020, la société EDF n'a eu de cesse de temporiser et de se réfugier derrière des arguties pour prétendre être dans l'impossibilité d'aménager l'exécution du contrat, puis a multiplié les procédés dilatoires dans le cadre de la procédure judiciaire.
56. En réponse, la société EDF soutient, d'une part, qu'elle ne fait que contester les conditions d'application de l'article 10 et qu'il ne peut lui être reproché de contester une clause qui suscite des difficultés d'interprétation et, d'autre part, que le préjudice invoqué par la société Hydroption n'est toujours étayé par aucune justification.
Appréciation de la cour
57. Compte tenu du sens de la présente décision, il ne peut être reproché à la société EDF d'avoir abusivement résisté aux demandes de la société Hydroption.
58. Le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute la société Hydroption de sa demande d'indemnisation à ce titre.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
59. Compte tenu, encore, du sens de la présente décision, le jugement sera infirmé en ses dispositions statuant sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
60. La société BR Associés, partie perdante, sera condamnée, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, aux dépens des procédures du première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
61. En application des dispositions de l'article 700 du même code, la société BR Associés, ès qualités, sera déboutée de sa demande de remboursement des frais exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel et non compris dans les dépens et sera condamnée à ce titre, ès qualités, à payer à la société EDF la somme de 20 000 euros.
PAR CES MOTIFS, la cour d'appel :
Rejette la demande de la société EDF d'annulation du jugement ;
Confirme le jugement en ce qu'il déboute la société EDF de ses exceptions de nullité de l'article 10 et de l'article 13 de l'accord-cadre conclu le 28 octobre 2016 et en ce qu'il déboute la société Hydroption de sa demande de dommages et intérêts fondée sur une résistance abusive de la société EDF ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute la société BR Associés, en sa qualité de liquidateur de la société Hydroption, de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne la société BR Associés, ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel ;
Déboute la société BR Associés, ès qualités, de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne sur ce fondement, ès qualités, à payer à la société EDF la somme de 20 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel et non compris dans les dépens ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ X.BLANC