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21/06/2024 | FRANCE | N°22/05355

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 21 juin 2024, 22/05355


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11



ARRET DU 21 JUIN 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05355 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOUD



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Février 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2020044017





APPELANTE



S.A.S. INFORMATIQUE ET CONVIVIALITE IEC

prise en la pe

rsonne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 2]

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 395 320 302



Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET AS...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11

ARRET DU 21 JUIN 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05355 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOUD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Février 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2020044017

APPELANTE

S.A.S. INFORMATIQUE ET CONVIVIALITE IEC

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 2]

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 395 320 302

Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

INTIMEE

S.A.S. [L]

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Localité 4]

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 432 675 163

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Caroline GUILLEMAIN, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de chambre,

Mme Marie-Sophie L'ELEU DE LA SIMONE,conseillère,

Madame CAROLINE GUILLEMAIN, conseillère,

Qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Denis ARDISSON, Président de chambre et par Damien GOVINDARETTY, greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

 

La SAS Informatique et Convivialité IEC (la société IEC) a pour activité la conception et la réalisation de logiciels. Son président est M. [V] [P].

La SAS Kalidéa (anciennement dénommée Calnace) fournit, quant à elle, des produits et des services à destination des comités d'entreprises, tels que des solutions informatiques de gestion, ou encore des services de billetteries et de cartes cadeaux à destination des salariés.

Le 25 juin 2015, la société Kalidéa a conclu avec la société IEC un contrat de prestations de service portant sur la gestion d'opérations devant être saisies ou contrôlées sur son système informatique de gestion de la clientèle. L'article 7 du contrat prévoyait que celui-ci était conclu pour une première période initiale de douze mois incompressible, débutant le 1er juillet 2015, et qu'il était ensuite renouvelable, pour la même période, par tacite reconduction.

Par courrier électronique, doublé d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, datés du 23 mars 2020, la société Kalidéa a indiqué à la société IEC qu'elle entendait suspendre le recours à ses prestations, compte tenu de l'état d'urgence sanitaire, pour une durée indéterminée prenant effet dès le lendemain.

Puis, dans un courriel du 3 juin 2020, la société Kalidéa a indiqué à la société IEC qu'elle acceptait de prendre en charge ses prestations mensuelles jusqu'au 30 juin 2020, date à laquelle prendrait fin leur collaboration.

La société Kalidéa s'est acquittée des factures des mois d'avril et mai 2020 établies par la société IEC, celle-ci n'ayant édité aucune facture pour le mois de juin 2020.

Suivant exploit du 8 octobre 2020, la société IEC a fait assigner la société Kalidéa devant le tribunal de commerce de Paris, afin d'être indemnisée du préjudice consécutif à la rupture brutale d'une relation commerciale établie.

 

Par jugement en date du 28 février 2022, le tribunal a :

 

- Condamné pour rupture brutale de la relation commerciale établie la société Kalidéa au paiement de la somme de 6.525 € à la société IEC,

- Condamné la société Kalidéa à payer à la société IEC la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- Condamné la société Kalidéa aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 € dont 12,20 € de TVA.

La société IEC a formé appel du jugement, par déclaration du 11 mars 2022.

Par conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats, le 23 août 2022, la société Kalidéa a interjeté un appel incident.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 29 janvier 2024, la SAS Informatique et Convivialité demande à la Cour, au visa des articles L. 442-1-II et suivants du code de commerce et de l'article 700 du code de procédure civile, de :

« REFORMER le jugement du tribunal de commerce du 28 février 2022 en ce qu'il a :

CONDAMNER pour rupture brutale de la relation commerciale établie la SAS KALIDÉA au paiement de la somme de 6.525 euros à la SAS INFORMATIQUE ET CONVIVIALITÉ IEC ;

CONDAMNER la SAS [L] à payer la SAS INFORMATIQUE ET CONVIVIALITÉ IEC la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

DÉBOUTER les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif.

STATUANT À NOUVEAU :

RECEVOIR l'intégralité des moyens et prétentions de la société IEC ;

CONSTATER la durée des relations commerciales établies à 12 années entre les parties ;

CONSTATER que la durée raisonnable de préavis aurait dû être de 12 mois ;

ENGAGER la responsabilité de la société [L] sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales ;

CONDAMNER la société [L] au paiement de la somme de 57 196 euros HT au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales.

CONDAMNER la société [L] au paiement d'une somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ;

Ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction faite au profit de Maître Murielle CAHEN. »

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 17 janvier 2024, la SAS Kalidéa demande à la Cour, sur le fondement des articles 1240 du code civil, L. 442-1-II du code de commerce et des articles 514-1 et 542 et suivants du code de procédure civile, de :

«- CONFIRMER le jugement du 28 février 2022 seulement en ce qu'il a retenu que la durée de la relation commerciale entre [L] et IEC est de 4 ans et 11 mois ;

- CONFIRMER le jugement du 28 février 2022 en ce qu'il a retenu qu'un préavis de 2 mois était nécessaire pour mettre fin à la relation commerciale entre [L] et IEC ;

Et statuant à nouveau

- INFIRMER le jugement du 28 février 2022 en ce qu'il n'a retenu qu'un préavis de 27 jours respecté par [L] ;

- INFIRMER le jugement du 28 février 2022 en ce qu'il a retenu un taux de marge de 75% pour IEC ;

- INFIRMER le jugement en ce qu'il a condamné [L] au paiement d'une somme totale de 8 099,50 euros ;

EXONERER la société [L] de toute condamnation ;

DEBOUTER IEC de l'ensemble de ses demandes, moyens et prétentions ;

CONDAMNER IEC à rembourser et à payer [L] la somme de 3 749,50 euros ;

En tout état de cause

CONDAMNER IEC au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 CPC et aux entiers dépens.»

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie 

Enoncé des moyens

La société IEC prétend que plusieurs contrats de prestation ont été signés entre les parties, et que, depuis 2007, elle a adressé des factures chaque année à la société Kalidéa, anciennement Canalce, de sorte que leur relation durait depuis douze ans. Elle réplique qu'elle justifie de facturations également pour l'année 2009, en soulignant qu'à cette époque, elle n'avait cessé de fournir des prestations que pendant quelques mois. Concernant la période de 2013 à 2015, elle fait valoir qu'elle a continué à émettre des factures, qui ont été honorées, de sorte que la relation entre les parties s'est effectivement prolongée, bien que M. [P] ait été en même temps salarié à temps partiel de la société Kalidéa ; elle souligne qu'un cabinet d'expert-comptable atteste, à cet égard, du montant du chiffre d'affaires réalisé par la société. Enfin, elle conteste l'analyse du tribunal ayant retenu que les prestations facturées dans le cadre du contrat du 25 juin 2015 ne représentaient qu'un temps partiel.

L'appelante considère que la rupture du contrat lui a été notifiée, en tout état de cause, seulement le 3 juin 2020, après la suspension du contrat intervenue le 24 mars précédent, et que la durée du préavis de vingt-sept jours concédé par la société Kalidéa présente un caractère insuffisant, au regard de la durée de leur relation commerciale. Elle estime, plus précisément, que ce délai aurait dû être fixé à un an.

Pour justifier du montant de son préjudice, correspondant au gain manqué, elle se prévaut d'une attestation d'expert-comptable, faisant état d'un chiffre d'affaires moyen annuel de 47.196 € HT. Elle sollicite, en outre, l'indemnisation de préjudices en lien avec les coûts qu'elle a dû supporter par suite de la désorganisation de son activité, et de sa dépendance économique.

La société Kalidéa fait valoir, pour sa part, que la relation entre les parties durait uniquement depuis l'année 2015, dans la mesure où elle employait antérieurement M. [P] en tant que salarié, dont le contrat travail avait mis un terme à la relation commerciale établie jusqu'alors entre les deux sociétés. Elle ajoute que la société IEC n'a émis, en tout état de cause, aucune facture au cours de l'année 2009, de sorte que la période antérieure à 2010 ne peut pas être prise en compte. Selon elle, il a été mis un terme à la relation alors que celle-ci durait depuis quatre années et onze mois, et ne concernait que onze jours et demi de prestations par mois.

Elle prétend que la rupture a été notifiée à la société IEC dès le 23 mars 2020, l'arrêt de leur collaboration lui ayant été confirmé le 3 juin 2020, avec effet au 1er juillet 2020, de sorte que cette dernière a bénéficié, dans les faits, d'un préavis de trois mois et huit jours préalablement à la résiliation du contrat. Elle souligne qu'elle a, en tout état de cause, respecté les stipulations du contrat, parvenu à son échéance, qui ne prévoyait aucun délai de préavis. Elle précise qu'elle s'était engagée à régler les factures des mois d'avril à juin 2020, et qu'elle s'est acquittée des factures des mois d'avril et mai 2020, bien que la société IEC n'ait fourni aucune prestation durant cette période, la facture du mois juin 2020 ne lui ayant pas été adressée.

Elle soutient, enfin, que la société IEC ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle prétend avoir subi, faute de justifier de difficultés pour retrouver de nouveaux clients, d'une situation de dépendance économique ou d'éventuelles difficultés de réorganisation. Elle ajoute que l'attestation d'expert-comptable qu'elle verse aux débats fait état uniquement du chiffre d'affaires, et que la société IEC ne fournit aucun élément probant permettant de déduire les coûts variables, afin d'évaluer son dommage.

Réponse de la Cour

Selon l'article L. 442-1, II, du code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable au jour de la rupture litigieuse, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

Le même texte précise que, en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment, qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Dans le cas présent, les parties s'accordent à reconnaître qu'elles ont noué une relation commerciale, qui était établie pour le moins depuis le 25 juin 2015, date de la conclusion d'un contrat de prestations de services, renouvelé depuis lors, tous les ans, par tacite reconduction.

Pour justifier d'une relation plus ancienne, la société IEC verse aux débats deux contrats de prestations de services signés antérieurement, les 1er juillet 2010 et 1er juillet 2011, d'une durée déterminée d'un an chacun, couvrant la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2012. L'appelante produit, en outre, des factures mensuelles sur une période comprise entre le 31 mai 2007 et le 31 mai 2020, établies au nom de la société Calnace, puis de la société Kalinéa, dont le changement de dénomination n'est pas contesté.

Il est constant que M. [P] a, par ailleurs, été employé en tant que salarié par la société Kalidéa entre le 1er février 2013 et le 30 juin 2015, à temps partiel (à raison de 84,50 heures par mois), moyennant une rémunération mensuelle brute de 1.650 €, selon un contrat de travail à durée indéterminée, signé le 1er février 2013, modifié par avenants des 1er janvier et 1er juillet 2014 et 1er janvier 2015. La société IEC démontre que la relation commerciale s'est poursuivie, malgré tout, pendant ce temps. Elle produit, en effet, des factures mensuelles de prestations, éditées sur l'ensemble de la période considérée, ainsi qu'une attestation d'expert-comptable certifiant l'existence d'un chiffre d'affaires réalisé avec la société Kalidéa ; s'y ajoutent des échanges de courriels avec Mme [B] [C], directrice du Service Clients Marché des CE & Collectivité, aux termes desquels celle-ci indique valider nombre de factures établies entre les mois de mars 2013 et avril 2015 correspondant à la période litigieuse ; enfin, il est justifié, au vu d'un mail de Mme [S] [W], Responsable des ressources humaines de la société Kalidéa, daté du 23 janvier 2013, que les parties étaient convenues de recruter M. [P], à compter du 1er février 2013, uniquement à mi-temps, afin de permettre à la société IEC de continuer à facturer des prestations. C'est donc à tort que les premiers juges ont estimé que le contrat de travail de M. [P] était incompatible avec la poursuite de la relation commerciale entre la société IEC et la société Kalidéa.

La continuité de la relation au cours des années 2007, 2008 et des années 2010 à 2012 jusqu'au mois de janvier 2013 n'est pas remise en cause par l'intimée. Celle-ci fait, cependant, valoir à juste titre que la relation avec la société IEC a été interrompue au cours de l'année 2009, aucune facturation n'ayant été établie durant cette période, à l'exception d'une facture du 2 janvier 2010 impliquant tout au plus une reprise de la relation commerciale au mois de décembre précédent, les copies de chèques produites par l'appelante étant insuffisantes, faute d'indication précise, pour justifier du paiement de prestations échues antérieurement, étant souligné que la société IEC reconnaît, de toute façon, qu'elle avait cessé de fournir des prestations pendant quelques mois.

Il s'ensuit que le début de la relation commerciale remontait ainsi au mois de décembre 2009.

La lettre recommandée du 23 mars 2020, adressée par la société Kalidéa à la société IEC, le 23 mars 2020, comprend les indications essentielles suivantes : « (') nous sommes contraints, indépendamment de notre volonté, et au moins temporairement, de vous demander de suspendre immédiatement la réalisation de l'ensemble des prestations que vous réalisez pour nous conformément à l'article 1218 du code civil. Cette suspension est effective à compter de demain, le 24 mars 2020, et pour une durée indéterminée dont la fin dépendra de la levée du confinement général et de la reprise de notre activité ».

La formulation utilisée entretient, en réalité, l'incertitude sur la date de cessation effective de la relation, en ce que celle-ci est supposée uniquement être suspendue.

Aussi, contrairement à ce que soutient la société Kalidéa, la teneur de cette lettre ne peut s'entendre d'une notification de la rupture de la relation, pas plus que le courriel qu'elle a envoyé concomitamment à la société IEC, rédigé dans des termes approximativement similaires, cela d'autant moins que l'éventualité d'une non-reconduction du contrat n'est pas évoquée.

La société Kalidéa a, en réalité, attendu le 3 juin 2020 pour informer, par courriel, la société IEC de sa décision non équivoque de mettre fin à la collaboration, dans les termes suivants : « Dans le cadre du Covid-19, nous avions pris la décision en date du 24 Mars de suspendre toutes les prestations. A titre exceptionnel, je t'ai proposé la prise en charge des prestations mensuelles jusqu'au 30 juin 2020, date à laquelle la collaboration prendra fin ».

La Cour dira que la notification de la cessation de la relation est ainsi intervenue le 3 juin 2020.

Il résulte de ce qui précède que la relation commerciale était établie, non pas depuis quatre années et onze mois, comme l'a retenu le tribunal de commerce, mais depuis dix années et six mois, au jour de la notification de la rupture.

Compte tenu de l'ancienneté cette relation, la société IEC ne pouvait pas moins espérer que celle-ci se poursuivrait au-delà de l'année 2020.

- Sur le caractère brutal de la rupture

Il résulte L. 442-1, II, du code de commerce que le principe de la responsabilité de l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation, ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation (Com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119, inédit).

La décision de la société Kalidéa de suspendre de la relation est motivée, dans les courriers datés 23 mars et 3 juin 2020, par une baisse substantielle de son volume d'activité, due à la crise sanitaire. Pour autant, l'intimée, qui prétend avoir respecté un délai de préavis suffisant, n'invoque aucun moyen tiré de la force majeure pour prétendre qu'elle était exonérée de cette obligation. Il n'y a donc pas lieu d'examiner si les conditions de la force majeure étaient réunies, sachant que le droit de la société IEC de bénéficier d'un délai de préavis tenant compte de la durée de la relation n'est pas discuté.

La société Kalidéa justifie qu'elle a accepté de régler le coût des prestations de la société IEC malgré la suspension du contrat intervenue le 24 mars 2020, jusqu'au mois de juin 2020. Il n'est pas contesté qu'elle s'est ainsi acquittée des factures des mois d'avril et mai 2020, de sorte que la relation, alors même qu'elle avait été « suspendue », s'est poursuivie dans des conditions financières analogues, jusqu'au 3 juin 2020, date à laquelle la société Kalidéa a notifié sa rupture à la société IEC, peu important que celle-ci ait, ou non, fourni des prestations en contrepartie.

L'intimée ne peut prétendre, pour autant, qu'elle a concédé un délai de préavis de trois mois et huit jours, la date de la rupture étant postérieure aux prestations facturées pour les mois d'avril et mai 2020. Ayant accepté, le 3 juin 2020, de s'acquitter des prestations de la société IEC jusqu'au 30 juin 2020, le délai de préavis effectivement accordé était, plus exactement, équivalent à vingt-sept jours.

Le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée (Com., 20 mai 2014, n° 13-16.398, publié au Bulletin).

Comme il a été dit, la durée de la relation commerciale établie était, en l'espèce, de dix années et six mois, au jour où de la rupture. Il doit ainsi être tenu compte, avant tout, de l'ancienneté importante de cette relation.

Par ailleurs, il résulte de l'attestation d'expert-comptable versée aux débats par la société IEC que celle-ci réalisait avec la société Kalidéa l'essentiel de son chiffre d'affaires, de l'ordre d'un peu plus de 80 %, sur les exercices 2013/ 2014 à 2015/2016, de plus de 90 % à compter de l'exercice 2016/2017 et de 100 % sur l'exercice 2019/2020.

Le contrat du 25 juin 2015 précise que le prestataire travaillera sur une base hebdomadaire forfaitaire de trente-neuf heures, avec un pourcentage différent en fonction des mois de l'année pour tenir compte du caractère saisonnier de l'activité, en contrepartie d'une rémunération forfaitaire mensuelle fixe, frais inclus, de 4.350 € HT. Les sommes facturées tous les mois depuis le 1er juillet 2015 correspondent effectivement à ce montant, ce qui induit une activité de travail à temps complet de M. [P], seul intervenant de la société IEC. La référence à une durée de 11,5 jours représentant 8 heures par jour, mentionnée sur les factures, qui équivaut selon les explications de l'appelante, au tarif minimum d'ingénieur de 342 € HT par jour, ne contredit pas les stipulations du contrat. Il n'y a donc pas lieu, contrairement à l'analyse retenue par le tribunal, de considérer que l'activité ne représentait qu'un temps partiel.

Il n'en demeure pas moins que la société IEC n'était tenue par aucune clause d'exclusivité et d'autre part il est constant, ainsi que celle-ci le reconnaît dans ses écritures, que le secteur des prestations informatiques est ouvert et concurrentiel, ce qui lui ouvrait la possibilité de prospecter de nombreuses entreprises en recherche de main-d''uvre, et de diversifier le cas échéant sa clientèle, quand bien même M. [P], qui travaillait à temps plein, aurait disposé d'un temps relativement réduit pour entreprendre ces démarches.

Il s'ensuit que la société IEC ne se trouvait pas dans l'impossibilité de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente à la relation nouée avec la société Kalidéa. Dans ces conditions, son état de dépendance économique n'apparaît pas caractérisé.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la durée suffisante du préavis sera estimée, non pas à deux mois, comme l'a retenu le tribunal, mais à sept mois.

En concédant un préavis d'une durée de vingt-sept jours, inférieure à ce délai, la société Kalidéa s'est ainsi rendue responsable d'une rupture brutale de la relation commerciale établie ouvrant droit à indemnisation.

Les dispositions de l'article L. 442-1, II, du code de commerce imposent, en tout état de cause, à l'auteur de la rupture d'une relation commerciale établie de faire précéder celle-ci d'un préavis tenant compte de la durée de cette relation, si bien que la société Kalidéa ne peut se prévaloir de l'absence de préavis contractuel, pour prétendre s'affranchir de cette obligation.

- Sur la réparation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture

Lorsque le préavis accordé est insuffisant, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire (Com., 9 juillet 2013 n° 12-20.468, publié au Bulletin).

Sont seuls indemnisables, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, les préjudices découlant de la rupture et non la rupture elle-même (Com., 10 février 2015, n° 13-26.414, publié au Bulletin).

Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période (Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940, publié au Bulletin).

Compte tenu de la durée importante de la relation commerciale, de plus de dix années, il y a lieu de se référer au montant du chiffre d'affaires réalisé par la société IEC avec la société Kalidéa sur les trois derniers exercices complets (2016/2017, 2017/2018 et 2018/2019) ayant précédé la rupture.

La société IEC produit une attestation d'expert-comptable qui certifie que le montant du chiffre d'affaires global, réalisé avec la société Kalidéa, s'élevait pour chacun de ces exercices, clos le 30 juin, à la somme de 47.196 € hors frais et hors taxe.

Le montant des frais déduits par l'expert-comptable correspond à la totalité des frais figurant sur les factures mensuelles, qui se rapportent nécessairement à des dépenses engagées par M. [P] pour lui permettre de travailler sur place, dans les locaux de la société Kalidéa.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, s'agissant d'un contrat de prestations de services, fournies par un seul intervenant, M. [P], il n'y a pas lieu de déduire d'autres charges qui n'auraient pas été supportées du fait de la baisse d'activité de la société IEC.

Le tribunal a ainsi estimé, à juste titre, que la rémunération de M. [P], qui devait continuer à lui être versée, même en l'absence d'activité, ne correspondait pas elle-même à des dépenses variables.

La moyenne de 47.196 € par an, calculée par l'expert-comptable hors frais et hors taxe, équivaut ainsi à la marge sur coûts variables.

Il convient, par conséquent, d'évaluer le préjudice subi par la société IEC sur la base de cette estimation, ramenée à une période de sept mois, et de dire que la société Kalidéa devra l'indemniser à hauteur de 27.531 €, le montant de cette réparation intégrant le forfait du mois de juin 2020 non facturé.

Le jugement sera corrélativement infirmé du chef du montant inférieur de la condamnation qu'il a prononcée à l'encontre de la société Kalidéa.

Pour le reste, la société IEC ne démontre pas avoir supporté des coûts supplémentaires liés à la désorganisation qu'elle prétend avoir subie, et ne justifie, en l'occurrence, d'aucun état de dépendance économique. Il sera rappelé que celle-ci, pourvu qu'elle soit justifiée, est de toute façon prise en compte pour la détermination du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, de sorte qu'elle ne peut faire l'objet d'une indemnisation complémentaire. La société IEC sera ainsi déboutée de la demande de dommages et intérêts qu'elle forme à ce titre.

Sur la restitution des sommes versées par l'intimée

 

Compte tenu du sens de la présente décision, la société Kalidéa ne pourra être que déboutée de sa demande de restitution des sommes qu'elle a réglées à la société IEC en exécution du jugement querellé. Il sera rappelé qu'un arrêt infirmatif constitue, en tout état de cause, le titre ouvrant droit à restitution, de sorte que la Cour n'a pas vocation à statuer sur ce point.

Sur les autres demandes

 

La société Kalidéa succombant au recours, le jugement sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

 

Statuant de ces chefs en cause d'appel, la Cour la condamnera aux dépens, dont distraction au profit de Maître [E] [F] ainsi qu'à payer à la société IEC une indemnité de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

  PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement, en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il a condamné la SAS Kalidéa à payer à la SAS Informatique et Convivialité IEC la somme de 6.525 € pour rupture brutale de la relation établie,

STATUANT à nouveau du chef infirmé,

CONDAMNE la SAS Kalidéa à payer à la SAS Informatique et Convivialité IEC la somme de 27.531 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

DÉBOUTE la SAS Informatique et Convivialité IEC du surplus de sa demande de dommages et intérêts,

Y ajoutant,

 

DÉBOUTE la SAS Kalidéa de ses demandes,

 

CONDAMNE la SAS Kalidéa aux dépens de l'appel, dont distraction au profit de Maître Murielle Cahen,

 

CONDAMNE la SAS Kalidéa à payer à la SAS Informatique et Convivialité IEC la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 22/05355
Date de la décision : 21/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-21;22.05355 ?
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