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20/06/2024 | FRANCE | N°23/07908

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 20 juin 2024, 23/07908


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 20 JUIN 2024

(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07908 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUXE



Décision déférée à la Cour : Décision du 23 Novembre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 23/01371





APPELANTE :



S.A. NIDEK société anonyme immatriculée au RCS de CRETEIL 3

44 082 144,

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me Sandra OHANA, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : C1050 et par Me Anne LEMARCHAND, avoca...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07908 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUXE

Décision déférée à la Cour : Décision du 23 Novembre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 23/01371

APPELANTE :

S.A. NIDEK société anonyme immatriculée au RCS de CRETEIL 344 082 144,

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Sandra OHANA, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : C1050 et par Me Anne LEMARCHAND, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS, toque : C2154

INTIMÉ :

Monsieur [Z] [U]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Alexandra SABBE FERRI, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : B1138 et par Me Margot JOUANNET, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Paule ALZEARI, présidente

Eric LEGRIS, président

Christine LAGARDE, conseillère

Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Nidek SA (ci-après la 'Société') est la filiale française du groupe japonais Nidek, spécialisée dans les équipements et technologies au service de la santé visuelle.

Le groupe développe, fabrique et distribue des instruments optoélectroniques, unités, petits matériels et consommables en vue d'accompagner notamment les ophtalmologistes, opticiens, orthoptistes.

M.[Z] [U] a été embauché le 16 juin 1998 par la Société au moyen d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, avec reprise d'ancienneté et en dernier lieu il exerçait les fonctions de directeur commercial et de division ophtalmologique et optique France.

En début d'année 2023, M.  [U] a été informé d'une alerte pour harcèlement moral le mettant en cause et de l'ouverture d'une enquête, confiée au cabinet Cleverlex.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 03 juillet 2023, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 13 juillet 2023 et informé de sa mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 20 juillet 2023, la Société lui a notifié son licenciement pour faute grave, à raison de son mode de management et de ses propos qualifiés de déplacés, humiliants voire menaçants à l'égard de certains collaborateurs et notamment des membres de l'équipe technique, s'appuyant sur les conclusions de l'enquête de harcèlement moral, ce que M. [U] a contesté par courrier demandant la production des éléments de l'enquête.

Par requête réceptionnée le 11 octobre 2023, M. [U] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Créteil aux fins de voir contester son licenciement.

Cette requête a été adressée par mail du 12 octobre 2023 du conseil de M. [U] au conseil de la Société auquel il a été fait sommation de communiquer différentes pièces relatives à l'enquête, précisant qu'à défaut, cette demande serait présentée en audience de conciliation.

Par ordonnance du 23 novembre 2023, le bureau de conciliation et d'orientation a statué dans les termes suivants :

«  ORDONNE à la S.A. NIDEK prise en la personne de son représentant légal de remettre à Monsieur [Z] [U]

- les alertes réalisées auprès de la direction et l'ayant menée à diligenter une enquête à l'encontre de M [U]

- les courriels des trois salariés envoyés à la Direction et visés en page 2 du rapport d'enquête,

- le compte rendu de chacune des auditions menées dans le cadre de l'enquête de harcèlement moral;

ce dans le délai de quinze jours à compter de ce jour, le 23 novembre 2023.

Le bureau de conciliation et d'orientation ne fait droit au surplus des demandes.

Rappelle que cette ordonnance est exécutoire de plein droit a titre provisionnelle en vertu des dispositions de l'article R.1454-16 du code du travail;

Réserve les dépens

RENVOIE l'affaire au bureau de jugement du 25 JUIN 2024 à 13H30 au conseil de prud'hommes de Créteil ;

FIXE, en application de l'article R.1454-18 du même code entre les parties un délai de communication de pièces qu`elles devront respecter à savoir :

Demandeur : 22 décembre 2023 puis 03 avril 2024

Défendeur : 20 février 2024 puis 14 mai 2024 ».

Le 15 décembre 2023, la Société a interjeté appel nullité de cette décision.

Parallèlement, la Société a saisi par requête le premier président de la cour d'appel de Paris aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe, demande rejetée par ordonnance du 27 décembre 2023, au motif que « ni l'urgence, ni le péril invoqué ne sont démontrés ».

PRÉTENTIONS :

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 13 mars 2024, la Société demande à la cour :

« - D'ANNULER l'ordonnance rendue par le Bureau de Conciliation et d'Orientation du Conseil de prud'hommes de Créteil le 23 novembre 2023 en ce qu'elle a ordonné à la S.A. NIDEK prise en la personne de son représentant légal de remettre à Monsieur [Z] [U] :

o Les alertes réalisées auprès de la direction et l'ayant menée à diligenter une enquête à l'encontre de M. [U]

o Les courriels des trois salariés envoyés à la Direction et visés en page 2 du rapport d'enquête

o Le compte-rendu de chacune des auditions menées dans le cadre de l'enquête de harcèlement moral

o Ce dans un délai de quinze jours à compter du 23 novembre 2023.

Et statuant à nouveau :

A titre principal, de DEBOUTER Monsieur [U] de l'intégralité de ses demandes

A titre subsidiaire, si par extraordinaire votre Cour devait considérer que le Bureau de Conciliation et d'Orientation du Conseil de prud'hommes disposait du pouvoir d'ordonner la production de ces pièces :

- D'ORDONNER à la S.A. NIDEK prise en la personne de son représentant légal de remettre à la juridiction prud'homale et à elle seule :

o Les alertes réalisées auprès de la direction et l'ayant menée à diligenter une enquête à l'encontre de M. [U], préalablement anonymisées

o Les courriels des trois salariés envoyés à la Direction et visés en page 2 du rapport d'enquête, préalablement anonymisés

o Le compte-rendu de chacune des auditions menées dans le cadre de l'enquête de harcèlement moral, préalablement anonymisé

En tout état de cause,

- DEBOUTER Monsieur [U] de ses demandes reconventionnelles formulées en appel ».

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 05 mars 2024, M. [U] demande à la cour de :

« DECLARER IRRECEVABLE l'appel-nullité formé par la société NIDEK ;

En conséquence :

- DEBOUTER la société NIDEK SA de l'ensemble de ses demandes ;

- CONDAMNER la société NIDEK SA au paiement de :

o 5.000 € de dommages intérêts pour procédure abusive ;

o 4.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

o Dépens  ».

La clôture a été prononcée le 26 avril 2024.

Lors de l'audience du 15 mai 2024, la cour a proposé aux parties de réfléchir à l'opportunité d'une médiation et de rencontrer un médiateur, présent à l'audience, aux fins de présentation de cette mesure, ce que les parties ont accepté.

La cour a été informée ultérieurement de l'absence d'accord des parties pour recourir effectivement à la médiation.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la recevabilité de l'appel nullité :

La Société soutient que le bureau de conciliation et d'orientation a commis un excès de pouvoir en ordonnant la communication de pièces que le dispositif normatif ne lui attribue pas et précise que :

- ce point a été jugé par les cours d'appel de Chambery et de Lyon ; 

- il n'appartient pas au bureau de conciliation et d'orientation de suppléer la carence probatoire des parties en ordonnant la production de pièces ce qui a été rappelé par la cour d'appel de Paris ;

- le bureau de conciliation et d'orientation a commis un excès de pouvoir en ordonnant la communication de pièces qui sont couvertes par une obligation de confidentialité dont la violation est passible de sanctions pénales ;

- les documents dont la communication est sollicitée se rapportent à des faits dont seul l'employeur a la charge de rapporter, preuve qu'il est libre, à ses risques et périls, de justifier ou non ;

- il lui appartiendra au moment des débats au fond de rapporter les preuves des griefs exposés et au juge de vérifier si les attestations anonymisées sont corroborées par d'autres pièces, alors qu'en l'espèce, s'agissant d'un licenciement pour faute grave, seul l'employeur a la charge de rapporter la preuve de la réalité et de la gravité de la faute.

De plus, la Société fait valoir que le bureau de conciliation et d'orientation a aussi commis un excès de pouvoir en la contraignant à violer l'obligation de confidentialité de la loi Sapin II qui ne prévoit aucune possibilité de lever l'obligation de confidentialité pour quelque raison que ce soit.

M. [U] oppose que :

- la Société « a interjeté appel-nullité d'une ordonnance rendue par le conseil de prud'hommes de Créteil, pris en sa formation de bureau de conciliation et d'orientation, aux termes de laquelle il lui est ordonné de communiquer à monsieur [U] certains documents sur lesquels est fondé son licenciement pour faute grave » ; 

- les mesures ordonnées caractérisent une « mesure d'instruction » ou une « mesure nécessaire à la conservation des preuves » (article R. 1454-14 3° et 4° du code du travail) ;

- s'agissant de l'obligation de confidentialité prévue dans la loi sapin II, en matière prud'homale, la preuve est libre et en cas de contradiction entre plusieurs intérêts et plusieurs normes, c'est au juge qu'il revient d'apprécier la loyauté des preuves et d'ordonner ou non la communication des éléments nécessaires à la solution du litige ;

- si des dispositifs d'alerte ont été mis en place par le biais de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016, celle-ci prévoit le principe de confidentialité qui n'est cependant pas immuable ; dans le cadre de son ordonnance, le bureau de conciliation n'a fait qu'application de ces dispositions et de ces circonstances de fait, en considérant que le principe de confidentialité posé par les dispositions de la loi Sapin II ne pouvaient faire échec au respect des droits de la défense et qu'il était en droit de connaître l'identité des personnes l'accusant et le contenu des accusations ; il s'agit donc d'une appréciation tout à la fois souveraine et légale du conseil de prud'hommes qui ne saurait s'analyser en un excès de pouvoir.

Sur ce,

Aux termes de l'article 542 du code de procédure civile, « L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel ».

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

L'article R. 1454-14 du code du travail dispose :

« Le bureau de conciliation et d'orientation peut, en dépit de toute exception de procédure et même si le défendeur ne comparaît pas, ordonner :

1° La délivrance, le cas échéant, sous peine d'astreinte, de certificats de travail, de bulletins de paie et de toute pièce que l'employeur est tenu légalement de délivrer ;

2° Lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable :

a) Le versement de provisions sur les salaires et accessoires du salaire ainsi que les commissions ;

b) Le versement de provisions sur les indemnités de congés payés, de préavis et de licenciement ;

c) Le versement de l'indemnité compensatrice et de l'indemnité spéciale de licenciement en cas d'inaptitude médicale consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle mentionnées à l'article L. 1226-14 ;

e) Le versement de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8 et de l'indemnité de fin de mission mentionnée à l'article L. 1251-32 ;

3° Toutes mesures d'instruction, même d'office ;

4° Toutes mesures nécessaires à la conservation des preuves ou des objets litigieux.(...) ».

Aux termes de l'article R. 1454-16 de ce code, « Les décisions prises en application des articles R. 1454-14 et R. 1454-15 sont provisoires. Elles n'ont pas autorité de chose jugée au principal. Elles sont exécutoires par provision le cas échéant au vu de la minute.

Elles ne sont pas susceptibles d'opposition. Elles ne peuvent être frappées d'appel ou de pourvoi en cassation qu'en même temps que le jugement sur le fond, sous réserve des règles particulières à l'expertise ».

S'agissant du caractère nouveau :

La cour relève que la Société n'a pas soulevé devant le bureau de conciliation et d'orientation, le fait que les demandes présentées par M. [U], s'agissant de la communication des pièces litigieuses, n'entraient pas dans le champ de ses pouvoirs, et ce alors même que M. [U] avait présenté dans sa discussion, un développement relatif à la recevabilité de ses demandes.

Pour autant, la recevabilité de l'appel nullité étant conditionnée par l'existence d'un grief autonome, tel l'excès de pouvoir du bureau de conciliation et d'orientation échappant par sa nature aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile précité, il s'ensuit que ce moyen ne peut être utilement opposé à la Société.

Sur les conditions de l'appel nullité :

L'appel nullité est recevable en l'absence de voie de recours en présence d'un excès de pouvoir lorsque l'auteur de la décision a méconnu l'étendue de ses pouvoirs.

Les pièces dont la communication a été ordonnée ne sont pas celles mentionnées au 1° de l'article précité.

Cette demande de communication de pièces relève du 3° de cet article s'agissant de « toute mesure d'instruction » de sorte que le bureau de conciliation et d'orientation n'a pas excédé ses pouvoirs à ce titre, en ayant apprécié, en fonction des éléments qui lui étaient soumis et des intérêts en présence, la nécessité d'ordonner à l'employeur la communication des documents, ayant jugé « ces éléments essentiels pour permettre au conseil de statuer sur le fond ».

S'agissant du respect de la loi sapin II :

L'article 9 de la loi Sapin II dispose :

« Les procédures mises en 'uvre pour recueillir et traiter les signalements, dans les conditions mentionnées à l'article 8, garantissent une stricte confidentialité de l'identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et de tout tiers mentionné dans le signalement et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires du signalement.

Les éléments de nature à identifier le lanceur d'alerte ne peuvent être divulgués qu'avec le consentement de celui-ci. Ils peuvent toutefois être communiqués à l'autorité judiciaire, dans le cas où les personnes chargées du recueil ou du traitement des signalements sont tenues de dénoncer les faits à celle-ci. Le lanceur d'alerte en est alors informé, à moins que cette information ne risque de compromettre la procédure judiciaire. Des explications écrites sont jointes à cette information.

Les éléments de nature à identifier la personne mise en cause par un signalement ne peuvent être divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'une fois établi le caractère fondé de l'alerte. »

Le décret n° 2019-139 du 18 juillet 2019 portant adoption d'un référentiel relatif aux traitements de données à caractère personnel destinée à la mise en 'uvre d'un dispositif d'alertes professionnelles dispose :

« 8.3.4. Information spécifique de la personne visée par l'alerte.

Conformément à l'article 14 du RGPD, le responsable de traitement doit informer la personne visée par une alerte (par exemple, en tant que témoin, victime ou auteur présumé des faits) dans un délai raisonnable, ne pouvant pas dépasser un mois, à la suite de l'émission d'une alerte.

Néanmoins, conformément à l'article 14-5-b du RGPD, cette information peut être différée lorsqu'elle est susceptible « de compromettre gravement la réalisation des objectifs dudit traitement ». Tel pourrait par exemple être le cas lorsque la divulgation de ces informations à la personne visée compromettrait gravement les nécessités de l'enquête, par exemple en présence d'un risque de destruction de preuves. L'information doit alors être délivrée aussitôt le risque écarté. Cette information est réalisée selon des modalités permettant de s'assurer de sa bonne délivrance à la personne concernée. Elle ne contient pas d'informations relatives à l'identité de l'émetteur de l'alerte ni à celle des tiers. Toutefois, lorsqu'une sanction disciplinaire ou une procédure contentieuse est engagée suite à l'alerte à l'égard de la personne visée, celle-ci peut obtenir la communication de ces éléments en vertu des règles de droit commun (droits de la défense notamment) ».

Ainsi, il résulte de la combinaison des textes précités que la confidentialité des auteurs des émetteurs d'alerte peut être levée alors que M. [U] a été licencié pour faute grave dans ce cadre et peut ainsi obtenir la communication de ces éléments en vertu des règles de droit commun.

En outre, comme le souligne à juste titre l'intimé, la communication des plaintes et courriels d'alerte des salariés qui se sont plaints du comportement harcelant de M. [U] est possible dès lors qu'elle intervient postérieurement à la clôture de l'enquête et dans le cadre d'un contentieux judiciaire visant à contester la mesure disciplinaire fondée sur les conclusions de l'enquête et peu important aussi qu'un audit en cours vise un système de récupération de machines d'occasion auquel aurait participé M. [U], alors que cette problématique est sans lien avec le présent contentieux et déjà évoquée en octobre 2022 par ce dernier en comité de direction.

Il résulte des considérations qui précèdent qu'en ayant estimé que les éléments sollicités sont essentiels pour statuer sur le fond le bureau de conciliation et d'orientation n'a pas commis d'excès de pouvoir de sorte que l'appel nullité doit être déclaré irrecevable.

Sur la demande subsidiaire de remise des documents sous forme anonymisée à la juridiction prud'homale :

La cour relève que la Société précisait dans ses conclusions devant le bureau de conciliation et d'orientation que « la production de procès verbaux d'audition, même anonymisés, ne permettraient pas de respecter cette obligation de confidentialité, puisque les propos tenus par les témoins/ou les victimes, notamment au sujet de leurs missions professionnelles et de leurs interactions avec M. [U], permettraient de les identifier immédiatement ».

Le bureau de conciliation et d'orientation n'ayant pas commis d'excès de pouvoir en ayant ordonné la communication des pièces non anonymisées, et ce alors même que l'anonymisation lui avait été présentée comme ne permettant pas de garantir la confidentialité, cette demande ne peut utilement aboutir dans le cadre d'un appel nullité déclaré irrecevable, de même que la demande de remise de ces documents à la juridiction prud'homale.

Sur la demande de dommages intérêts présentée par M. [U] pour procédure abusive :

M. [U] fait valoir que:

- c'est de façon tout à fait abusive que la Société prétend que le conseil de prud'hommes aurait commis un excès de pouvoir, alors qu'elle ne cherche d'évidence, par le biais de cette action, qu'à contourner l'obligation qui lui a été faite de communiquer les documents visés dans l'ordonnance du 23 novembre 2023 ;

- la Société utilise des moyens de défense diffamatoires, visant à le discréditer ; son argumentaire laisse en effet penser qu'il serait l'auteur des détournements de machines ;

- c'est aussi de mauvaise foi que la Société soutient n'avoir aucune « intention dilatoire » alors même qu'elle ne lui a toujours pas communiqué ses écritures et pièces dans le cadre de l'instance au fond devant le conseil de prud'hommes malgré le calendrier de procédure fixant au 20 février 2024, la date de communication de ses pièces et conclusions.

La Société oppose que :

- M. [U] est irrecevable à demander des dommages et intérêts à son bénéficie sur ce fondement ;

- M. [U] ne démontre ni la malice ni la mauvaise foi alors qu'elle a besoin de la position de la cour pour statuer sur cette divergence de vue avec le bureau de conciliation et d'orientation ;

- elle a fait preuve de diligence pour que l'affaire puisse être jugée rapidement devant le conseil de prud'hommes.

Sur ce,

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés ».

Une partie peut toujours solliciter, sur la base de l'article 32-1 du code de procédure civile, des dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il convient de rappeler que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue un droit et ne dégénère en abus de droit qu'en cas de mauvaise foi ou d'erreur grossière.

S'il est établi que la Société n'a pas contesté devant le bureau de conciliation et d'orientation, le pouvoir de ce dernier de statuer sur les demandes de documents présentées par M. [U], force est de considérer cependant que M. [U] ne rapporte pas la preuve de ce que la Société aurait fait un usage abusif de son droit d'exercer un recours en faisant un appel nullité, et au surplus ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui résultant de la nécessité d'assurer la défense de ses intérêts dans le cadre de la présente instance devant la cour d'appel, lequel sera réparé par la prise en charge des dépens et l'indemnité allouée au titre des frais irrépétibles.

Il y a dès lors lieu de le débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La Société qui succombe sur les mérites de son appel doit être condamnée aux dépens et à payer à l'intimé une indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

DÉCIDE qu'est irrecevable l'appel nullité interjeté par la société Nidek SA à l'encontre de la décision rendue par le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Créteil le 23 novembre 2023 ;

DÉCIDE qu'est irrecevable la demande de la société Nidek SA tendant à voir ordonner à la seule juridiction prud'homale les documents anonymisés ;

DÉBOUTE M. [Z] [U] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

CONDAMNE la société Nidek SA aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société Nidek SA à payer à M. [Z] [U] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/07908
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.07908 ?
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