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20/06/2024 | FRANCE | N°23/06379

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 12, 20 juin 2024, 23/06379


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12



ARRET DU 20 JUIN 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/06379 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHNGK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2023 - JIVAT du Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/10908





APPELANTS



Madame [W] [J] épouse [C]

[Adresse 8]

[Locali

té 13]

née le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 15] (MAROC)

représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque 10034 avocat postulant

Ayant pour avocat plaidant Me ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12

ARRET DU 20 JUIN 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/06379 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHNGK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2023 - JIVAT du Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/10908

APPELANTS

Madame [W] [J] épouse [C]

[Adresse 8]

[Localité 13]

née le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 15] (MAROC)

représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque 10034 avocat postulant

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BIBAL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0580

Monsieur [Y] [C]

[Adresse 8]

[Localité 13]

né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 17] (MAROC)

représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque 10034 avocat postulant

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BIBAL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0580

Madame [Z] [C]

[Adresse 8]

[Localité 13]

née le [Date naissance 7] 1992 à [Localité 18]

représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque 10034, avocat postulant

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BIBAL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0580

Monsieur [O] [C]

[Adresse 8]

[Localité 13]

né le [Date naissance 6] 1994 à [Localité 18]

représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque 10034 avocat postulant

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BIBAL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0580

Monsieur [S] [C]

[Adresse 8]

[Localité 13]

né le [Date naissance 5] 2001 à [Localité 23]

représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque 10034, avocat postulant

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BIBAL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0580

[K] [C]

représenté par ses représentant légaux Madame [W] [J] épouse [C] et Monsieur [Y] [C]

[Adresse 8]

[Localité 13]

né le [Date naissance 1] 2008 à [Localité 21] (ISRAEL)

représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque 10034 avocat postulant

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BIBAL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0580

INTIMES

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS

[Adresse 11]

[Localité 14]

représenté par Me Patricia FABBRO de l'AARPI JASPER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P82

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE du PUY DE DOME

[Adresse 9]

[Localité 10]

défaillante

CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANÇAIS

[Adresse 4]

[Localité 12]

défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport et Madame Sylvie LEROY, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre

Madame Sylvie LEROY, Conseillère

Madame Dorothée DIBIE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Eva ROSE-HANO

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre et par Eva ROSE-HANO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Mme [W] [C], qui avait garé sa voiture le 9 janvier 2015 [Adresse 24] pour aller faire des courses dans le magasin '[19]', expose s'être trouvée devant le magasin au moment où le terroriste, M. [E] [G], a pénétré dans l'établissement et avoir pris la fuite lorsqu'elle a entendu les cris des victimes suite à la première rafale de tirs ; elle s'est réfugiée dans son véhicule où elle est restée jusqu'à ce que des policiers parviennent à lui faire quitter les lieux.

Dans la suite de ces événements, elle a développé un stress post-traumatique compliqué de troubles dépressifs et anxieux intenses, selon les certificats du professeur [T] [B], psychiatre à l'hôpital [16] et chef de service de l'unité d'accueil psychiatrique, qui l'a prise en charge et suivie à compter du mois de février 2015.

Saisi par le conseil de Mme [W] [C], le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a procédé au versement de deux provisions, pour un montant total de 10 000 euros, avant de contester sa qualité de victime.

Plusieurs procédures ont opposé Mme [C] au FGTI devant le juge des référés puis la présente cour, statuant en référé sur appel des ordonnances, et enfin devant la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, laquelle, dans un premier arrêt en date du 8 février 2018, a jugé d'une part que la qualité de victime d'une personne inscrite sur la liste unique des victimes établie par le parquet du tribunal de grande instance de Paris pouvait être contestée par le FGTI et d'autre part que le versement de provisions par le FGTI, en vertu de l'article L.422-2 du code des assurances, à la personne qui en fait la demande ne le prive pas de la possibilité de contester ultérieurement sa qualité de victime.

Par un arrêt du 20 mai 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a partiellement cassé, pour défaut de base légale, l'arrêt rendu le 10 janvier 2019 en ce qu'il avait condamné le FGTI à payer à Mme [W] [C] une indemnité provisionnelle complémentaire au motif qu'il appartenait à la cour, statuant en référé, de caractériser une infraction constitutive d'un acte de terrorisme prévue par l'article 421-1 du code pénal, ouvrant droit de manière non sérieusement contestable à l'indemnisation allouée par le FGTI.

Mme [C] a fait l'objet d'une expertise psychiatrique, confiée en référé au docteur [N] [P] dont le rapport a été déposé le 14 décembre 2016.

Saisie par Mme [W] [C], la juridiction de l'indemnisation des victimes d'attentats terroristes (la JIVAT) du tribunal judiciaire de Paris, par jugement du 9 mars 2023, a :

- dit qu'elle ne rapporte pas la preuve d'avoir été victime des infractions constitutives d'un acte de terrorisme prévues par l'article 421-1 du code pénal,

- dit qu'elle ne peut prétendre au statut de victime d'acte de terrorisme au sens de la loi du 9 septembre 1986,

- débouté Mme [W] [C] ainsi que MM. [Y] [C], [O] [C], [S] [C] et Mme [Z] [C], de toutes leurs demandes tant principales que secondaires,

- condamné ces derniers au paiement des entiers dépens de l'instance en application de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer, ensemble, au FGTI une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Mme [W] [J] épouse [C] ainsi que M. [Y] [C], son époux, Mme [Z] [C], sa fille, MM. [O] et [S] [C], ses fils majeurs et [K] [C], son fils mineur, représenté par ses parents, (les consorts [C]), ont interjeté appel par déclaration d'appel du 4 avril 2023.

Conformément à l'article 902 du code de procédure civile, la déclaration d'appel a été signifiée, dans le mois de l'avis adressé par le greffe, à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme par acte d'huissier remis à personne habilitée le 16 juin 2023 et à la Caisse nationale des barreaux français, par acte remis à l'étude de l'huissier le 21juin 2023. Celles-ci n'ont pas constitué avocat.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 26 avril 2024, les consorts [C] demandent à la cour de:

- infirmer dans son intégralité le jugement,

- déclarer Mme [W] [C] recevable et bien fondée en sa demande,

- déclarer le FGTI entièrement tenu à réparation des atteintes subies par Mme [W] [C] du fait de l'attentat,

- en cas de besoin, rouvrir les débats et procéder à l'audition de M. [H] [F], brigadier de police et se faire communiquer les délibérations du FGTI en date des 29 avril 2014, 19 mai 2014, 5 octobre 2015, 12 décembre 2016 et 25 septembre 2017,

- juger que Mme [W] [C] a été victime d'atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne résultant de l'acte de terrorisme perpétré le 9 janvier 2015,

- condamner le FGTI à indemniser intégralement Mme [W] [C],

- ordonner son expertise médicale confiée au docteur [N] [P],

- condamner le FGTI à verser une provision de 70 000 euros à Mme [W] [C],

- condamner le FGTI à verser un euro à Mme [W] [C] au titre de sa résistance abusive à reconnaître son droit à indemnisation,

- réserver les droits des victimes par ricochet,

- condamner le FGTI à verser à Mme [W] [C] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le FGTI aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 29 avril 2024, le FGTI demande à la cour de:

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter purement et simplement Mmes [W] [C] et [Z] [C], et MM. [Y] [C], [O] [C], [S] et [K] [C] de toutes leurs demandes,

- condamner ces derniers aux entiers dépens en application de l'article 699 du code de procédure civile, et à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mai 2024.

CECI ETANT EXPOSE, LA COUR,

Sur le droit à indemnisation de Mme [W] [C] :

Pour décider que Mme [W] [C] ne pouvait prétendre au statut de victime d'acte de terrorisme et la débouter, ainsi que son mari et ses enfants, de leurs demandes, la JIVAT, après avoir analysé les déclarations de Mme [W] [C] au regard des éléments de preuve versés aux débats, a considéré qu'elle 'n'a jamais été exposée à la vue de M. [G], qu'elle n'était pas dans le magasin, qu'elle n'était pas même à proximité de l'une ou l'autre des portes (entrée ou réserve), qu'elle n'a pas su ce qui se passait dans le commerce avant que la jeune [I] ne l'en informe. A aucun moment la vie de Mme [C] n'a été effectivement en danger, elle n'a été confrontée à aucune des infractions constitutives des actes de terrorisme et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration, tous actes perpétrés hors de sa vue et sans que sa vie soit menacée.'

Mme [W] [C] qui soutient que selon la jurisprudence, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, infractions expressément visées par l'article 421-1 1° du code pénal, concernent non seulement les violences physiques mais aussi celles qui, sansatteindre matériellement la personne, sont de nature à provoquer une sérieuse émotion et à porter atteinte à son intégrité psychique, fait valoir que les textes applicables n'exigent en rien que celui qui sollicite l'indemnisation du FGTI ait été visé directement par le terroriste.

Soulignant la distinction qui doit être opérée entre la simple réaction émotionnelle ressentie par le témoin d'un attentat ou le spectateur télévisuel et la réelle atteinte causée par le stress post-traumatique, elle fait également état des arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation les 15 février 2022 (21-80265) et 24 janvier 2023 (21-85.828 et 21- 82778) ; elle prétend en conséquence que la victime doit uniquement apporter la preuve du lien de causalité direct entre sa prise de conscience et sa croyance d'être exposée à l'infraction, son dommage constitué par un réel traumatisme au sens psychiatrique du terme et l'acte de terrorisme.

Elle fait état de témoignages, dont celui de Mme [U] [A] qu'elle reproche à la JIVAT d'avoir ignoré et qu'elle a prévenue du danger, pour démontrer tant la conscience qu'elle en a eue que le réel danger auquel elle a été exposée. Elle ajoute que le terroriste était non seulement armé d'un fusil d'assaut, de deux pistolets mitrailleurs, de deux pistolets mais aussi de quinze bâtons d'explosifs, ce qui confirme qu'elle se trouvait bien dans une zone de danger.

A propos de sa présence à l'entrée du magasin, Mme [W] [C] fait état des dysfonctionnements mnésiques qui peuvent être engendrés par l'état de stress post-traumatique pour expliquer ses difficultés à se souvenir de son emplacement précis lors du début de l'attentat et observe notamment que l'orientation des caméras de surveillance laissait des angles morts dans lesquels elle a pu circuler d'autant qu'elle est arrivée dans le sens opposé du terroriste ; elle critique l'analyse du tribunal qui a considéré qu'elle n'avait pas eu conscience du danger en méconnaissance des témoignages qu'elle a versés aux débats.

Le FGTI, rappelant l'arrêt du 20 mai 2020, précédemment cité, de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation et la nécessité pour Mme [W] [C] de faire la preuve d'avoir été victime d'une infraction constitutive d'un acte de terrorisme prévue par l'article 421-1 du code pénal, soutient qu'au regard des critères également énoncés par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 octobre 2022, Mme [W] [C] n'a été exposée ni à l'acte terroriste ni, à aucun moment, à un danger objectif qui permettrait de considérer qu'elle a été victime d'une tentative d'assassinat ou d'une séquestration sans libération volontaire ; il souligne que l'élément matériel des violences fait défaut en l'espèce dès lors qu'aucun acte ou comportement du terroriste n'a été commis à l'encontre de Mme [W] [C].

Le FGTI expose qu'elle n'apporte pas la démonstration qui lui incombe de s'être trouvée confrontée et sous la menace du terroriste comme l'ont été les otages et les personnes qui ont réussi à s'enfuir. Observant que Mme [W] [C] a été recensée sur la liste unique des victimes comme ayant été 'impliquée', catégorie qui 'regroupe les témoins choqués, non victimes directes des faits' selon le parquet dans sa réponse du 8 février 2016 et qu'elle n'a jamais été mentionnée ni dans l'ordonnance de mise en accusation ni dans l'arrêt criminel rendu par la cour d'assises, le FGTI soutient, au vu des constatations opérées par les services de police à l'analyse des images de vidéo-surveillance, qu'elle ne se trouvait pas devant le magasin au moment où le terroriste y entrait ; il ajoute que son véhicule, contrairement à ce qu'elle a affirmé, ne se trouvait pas stationné 'juste derrière la porte de livraison du magasin' mais au fond de la rue adjacente, soit à une distance de 150 mètres de ladite porte et que Mme [W] [C] n'a manifestement entendu ni les cris des clients ni les coups de feu tirés avant la fermeture du rideau métallique. Il estime que le rapport, communiqué en dernier lieu en appel, n'apporte aucun élément nouveau et n'établit nullement l'existence objective d'un péril de mort ou d'atteinte corporelle dont elle aurait été victime, relevant que la seule circonstance de s'être trouvée dans une zone éventuelle de danger ne suffit pas à établir sa qualité de victime.

Le FGTI relève enfin que Mme [W] [C] ne peut tirer argument de la jurisprudence de la chambre criminelle dès lors qu'elle ne fait que rappeler le principe de recevabilité et non du bien fondé d'une constitution de partie civile au stade de l'instruction.

Sur ce,

L'indemnisation des préjudices subis par les victimes d'actes de terrorisme obéit à un régime autonome défini aux articles L.126-1 et L.422-1 et suivants du code des assurances.

A titre liminaire, la cour observe que Mme [W] [C] n'est pas fondée, pour se prévaloir de la qualité de victime d'un acte de terrorisme, à invoquer la jurisprudence relative à la seule recevabilité des constitutions de parties civiles devant le juge pénal (arrêts de la chambre criminelle des 15 février 2022, 21-80265 et 24 janvier 2023, 21-82778) ; la détermination du droit à indemnisation des victimes et du bien fondé des demandes d'indemnisation, en lien avec des infractions de terrorisme, relève en effet de la compétence exclusive de la juridiction civile spécialisée pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme, la JIVAT au tribunal judiciaire de Paris, en application de L.217-6 du code de l'organisation judiciaire. Le fait que la chambre criminelle de la Cour de cassation puisse admettre la recevabilité de la constitution d'une partie civile, qui a pu 'légitimement se croire exposée' à l'action criminelle constituée par l'acte terroriste, n'a pas d'incidence dans le cadre de la présente demande d'indemnisation.

Selon l'article L. 126-1 du code des assurances, qui a codifié, en substance, l'article 9 de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit sont indemnisés par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dans les conditions définies aux articles L. 422-1 et L. 422-3 du même code.

L'article 421-1 du code pénal qui définit les infractions à caractère terroriste dispose notamment que constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les atteintes volontaires à la vie et les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne.

S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, comme l'est l'attentat commis le 9 janvier 2015 dans le magasin [19] à [Localité 22], sont des victimes au sens de l'article L.126-1 précité, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.

Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.

Il appartient à la cour d'apprécier dans le cas présent si Mme [W] [C] a, de fait, été directement exposée à un risque objectif de mort ou d'atteintes, physiques ou psychiques, la preuve de ce fait juridique lui incombant ; la preuve de son droit à indemnisation s'apprécie au regard des textes précités, indépendamment des délibérations du conseil d'administration du FGTI portant notamment sur les 'cercles de victimes', sans qu'il soit besoin d'en ordonner la communication comme le sollicite l'appelante. En outre, comme rappelé par le premier juge, la qualité de victime d'une personne inscrite sur la liste unique des victimes d'actes de terrorisme établie par le parquet peut être contestée par le FGTI ; le parquet a précisé, notamment au conseil de Mme [W] [C] le 4 février 2016, que celle-ci y avait été inscrite comme personne 'impliquée, au même titre que les personnes témoins qui se trouvaient aux abords du lieu des faits (...)'

En l'espèce, Mme [W] [C] soutient qu'elle se trouvait devant le magasin [19] le 9 janvier 2015, lorsque le terroriste y est entré.

Elle n'a pas déposé plainte dans le cadre de la procédure pénale, de sorte que la cour ne dispose pas des déclarations qu'elle aurait pu faire à cette occasion.

Elle communique, à l'appui de ses allégations, deux 'attestations' datées des 13 janvier 2015 et 10 mars 2016 établies par la psychologue attachée à la brigade de protection des mineurs qu'elle a rencontrée dans les suites immédiates de l'attentat, qui confirme qu'elle lui a confié qu'elle allait rentrer dans le magasin lorsque des coups de feu ont retenti.

Mme [W] [C] qui est avocate, produit également le témoignage d'une de ses clientes, avec laquelle elle s'entretenait au téléphone au moment de l'attentat ; celle-ci, Mme [D] [V] [R] qui est coiffeuse, y atteste de ce qu' 'en cours de discussion, maître [C] s'est mise à crier en disant au secours [V] on tire, on tire, j'ai peur. Un bruit sourd comme des tirs. Elle a dit je vais mourir et le téléphone a coupé'. Elle explique avoir tenté vainement de la rappeler.

Cependant, s'il n'est pas douteux que Mme [W] [C] se trouvait à proximité immédiate de l'[19] lorsque l'attentat y a été perpétré, et qu'elle a éprouvé une peur intense, le FGTI fait exactement valoir qu'il n'est pas démontré, comme elle l'affirme, qu'elle se trouvait devant le magasin lorsque le terroriste y a pénétré.

En effet, il résulte des constatations opérées par les services de police qui ont analysé les images de vidéo-surveillance, qu'elle n'apparaît sur aucune des captures d'images, extraites de l'exploitation des vidéos filmées par les deux caméras mises en place dans le magasin, côté extérieur et côté intérieur qui montrent le terroriste arriver à proximité à 13 heures 05, et pénétrer dans le magasin à 13 heures 06, d'après l'horodatage corrigé des images auquel l'exploitant du système de surveillance a précisé qu'il fallait retrancher douze minutes et six secondes (cote D1633 de la procédure d'instruction, communiquée par le FGTI).

Des témoignages recueillis, il ressort que Mme [W] [C] a entendu des tirs d'arme à feu qui lui ont fait comprendre que des événements graves étaient perpétrés dans le magasin et l'ont décidée à rebrousser chemin.

Elle a alors regagné sa voiture stationnée dans la [Adresse 24], voie sans issue située sur le côté gauche du magasin [19] et elle s'y est réfugiée jusqu'à l'arrivée d'un équipage de quatre policiers dont deux attestent être arrivés sur les lieux aux alentours de 13 heures 15.

Il ne ressort pas des éléments de preuve versés aux débats que, comme Mme [W] [C] l'affirme, sa voiture était stationnée 'juste derrière la porte de livraison du magasin'.

Seule Mme [I] [L], jeune fille qui faisait partie du groupe des trois clients qui se sont enfuis de l'[19] par la porte de la réserve du magasin qui donnait sur la [Adresse 24] et que Mme [W] [C] a ensuite abritée dans sa voiture, donne une indication à cet égard, laquelle ne conforte pas celle de l'appelante ; cette jeune fille déclare en effet qu'après sa sortie de la réserve, elle s'est cachée avec l'homme et la femme avec lesquels elle s'était réfugiée dans la réserve, 'derrière les voitures au fond du parking' et que c'est alors qu'une femme, qui 'se trouvait sur le parking dans sa voiture', Mme [W] [C], en est sortie en leur demandant 'ce qu'il se passait' et lui a dit de venir se cacher dans sa voiture. Celle-ci précise aussi que lorsque les policiers lui ont demandé de sortir du véhicule, ils lui ont dit de 'rester au fond du parking'.

Si le FGTI affirme que Mme [W] [C] n'avait pas conscience de l'existence d'un attentat puisqu'elle a demandé 'ce qu'il se passait', il ressort de l'attestation du 13 mars 2016 établie par Mme [U] [A], également garée dans cette rue pour se rendre à l'[19], que Mme [W] [C] l'a alertée et lui a dit de ne pas y entrer au motif qu'il se passait 'quelque chose de grave' ; cette personne précise que Mme [C] a également alerté un autre couple avant qu' 'une série de coups de feu' retentissent et que '3 personnes arrivent en courant' vers eux, les policiers n'étant toujours pas intervenus à ce moment-là.

Il ressort des témoignages de deux des fonctionnaires de police qui sont intervenus en premier lieu [Adresse 24], M. [X] [M], gardien de la paix et M. [H] [F], brigadier de police et chef de bord de la patrouille cynotechnique composée de quatre fonctionnaires, que :

- Mme [W] [C] se trouvait, avec huit autres personnes, [Adresse 24], toutes étant 'apeurées' ;

- comme l'indique M. [F], les neufs personnes qui s'y trouvaient 'de part et d'autre' 'n'avaient pas la possibilité de quitter les lieux sans s'exposer dangereusement aux abords de l'épicerie' ; Mme [W] [C] était 'cachée, recroquevillée à l'intérieur de son véhicule à l'arrière de celui-ci aux côtés d'une jeune fille', Mme [I] [L] précédemment citée ; il a été alerté par 'des bruits de pleurs et des secousses émanant de son véhicule' alors qu'il était dissimulé derrière un véhicule proche de celui de Mme [W] [C] ;

- toujours comme observé par M. [F], 'la zone où elles se trouvaient présentait un réel danger pour leur intégrité physique dans la mesure où un échange de coups de feu entre le terroriste et (son) équipage était potentiellement probable'.

Ce fonctionnaire de police qui est parvenu à convaincre Mme [W] [C] de quitter son véhicule a alors pris en charge avec ses collègues l'évacuation de ces neuf personnes qu'il a pu mettre en sécurité 'en amont de la [Adresse 25] à [Localité 20]'.

Au vu de ces éléments pris dans leur ensemble, la cour considère que si Mme [W] [C] était alors terrorisée et qu'elle a eu conscience qu'il se déroulait, dans le magasin dans lequel elle comptait se rendre, des faits d'une extrême gravité, puisqu'elle a entendu des tirs d'arme à feu, elle n'a cependant pas été personnellement directement exposée à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.

Il n'est ainsi pas établi que les troubles anxio-dépressifs et les préjudices dont elle a souffert dans la suite de ces événements soient en lien direct avec une infraction terroriste dont elle aurait été victime.

Il se déduit des éléments précédemment analysés que Mme [W] [C], dont il n'est pas établi qu'elle se soit trouvée en présence du terroriste, n'a été victime, à l'inverse des autres clients du magasin, ni de séquestration ni d'une tentative d'assassinat ni de violences volontaires commises à son égard ; la rue qu'elle n'a pu quitter qu'avec l'aide des policiers, dans la mesure où il aurait été effectivement dangereux de passer dans la rue desservant l'entrée du magasin, n'a été le lieu d'aucun échange de tirs.

Par conséquent, la cour confirme le jugement de première instance en ce qu'il a considéré que Mme [W] [C] ne pouvait prétendre au statut de victime de terrorisme et en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes, de même que son mari et ses enfants.

La situation des appelants ne justifie pas en équité, au regard des circonstances de l'espèce, d'accueillir en appel la demande du FGTI au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement du 9 mars 2023 en toutes ses dispositions,

Rejette en appel les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens de la procédure d'appel à la charge de Mme [W] [C], M. [Y] [C], Mme [Z] [C] et MM. [O] et [S] [C],

Dit que l'avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions qui en a fait la demande, pourra recouvrer sur la partie condamnée, ceux des dépens dont il aura fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 23/06379
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.06379 ?
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