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20/06/2024 | FRANCE | N°22/17686

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 20 juin 2024, 22/17686


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 3



ARRET DU 20 JUIN 2024



(n° 176/2024, 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 22/17686 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGRQA



Décision déférée à la Cour : Ordonnance sur incident devant le magistrat chargé de la mise en état de la cour d'appel de Paris pôle 5 chambre 3 en date du 01 décembre 2021 (RG 21/07214)

Jugement du 24 février 2021 du tribunal judiciaire de Pari

s (18ème chambre, 1ère section) - RG 19/09539





APPELANTE



S.A.S. SIANA

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 848 468 245

Agissant en la personne de...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRET DU 20 JUIN 2024

(n° 176/2024, 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/17686 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGRQA

Décision déférée à la Cour : Ordonnance sur incident devant le magistrat chargé de la mise en état de la cour d'appel de Paris pôle 5 chambre 3 en date du 01 décembre 2021 (RG 21/07214)

Jugement du 24 février 2021 du tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 1ère section) - RG 19/09539

APPELANTE

S.A.S. SIANA

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 848 468 245

Agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Yves DELAUNAY, avocat au barreau de Paris, toque : P17

Assistée de Me Fernando RANDAZZO, avocat au barreau de Paris

INTIMES

Maître [Z] [B]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Antoine BEAUQUIER, avocat au barreau de Paris, toque : R191

S.A.R.L. [K]

Immatriculée au R.C.S. de Bobigny sous le n° 508 409 158

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée et assistée par Me Samia Sarah CHERFAOUI, avocat au barreau de Paris, toque : A360

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre

Mme Sandra Leroy, conseillère

Mme Emmanuelle Lebée, magistrate honoraire exerçant des fonctions

juridictionnelles

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte du 3 décembre 2018, la société [K] a promis de vendre sous conditions suspensives à Mme [O] et à M. [L] un fonds de commerce de bar, brasserie, restauration, café, snack, vins, limonadier, traiteur, plats à emporter, auquel est annexé un bureau de validation de jeux de la Française des Jeux, exploité sous l'enseigne « [7] » dans un local situé [Adresse 2], pour un prix de 290 000 euros.

Aux termes d'un avenant du 28 janvier 2019, les parties sont convenues de réduire le prix de vente à la somme de 250 000 euros et de reporter au 8 février 2019 la date limite de réalisation de la condition suspensive liée à l'obtention d'un prêt par les acquéreurs.

La cession du fonds de commerce est intervenue selon acte sous seing privé du 23 avril 2019 signé, d'une part, par la société [K], d'autre part, par Mme [O] et M. [L] en qualité de substituants et par la société Siana, représentée par sa présidente Mme [O], en qualité de substituée. Aux termes de l'article XI du contrat, il était précisé que l'acte avait été rédigé par le cabinet Blondel-Rave-[B]-Le Fier de Bras, société d'avocats, par ailleurs constitué séquestre du prix de vente pendant le délai d'opposition.

Par lettre officielle du 4 juin 2019, le conseil de la société Siana a écrit à Me [B] pour l'informer que sa cliente entendait mettre en jeu sa responsabilité professionnelle au motif que, lors de la conclusion de l'acte de cession, il avait omis d'attirer l'attention de la société Siana sur la baisse du chiffre d'affaires du fonds de commerce pour le premier trimestre 2019.

Par lettre du 18 juin 2019, la société Siana a fait opposition au paiement du prix de vente entre les mains de Me [B] pour un montant de 120 000 euros, faisant valoir qu'elle avait été "victime d'un vice du consentement et d'une tromperie sur le prix de vente".

Les 13 et 16 août 2019, la société Siana a fait assigner la société [K] et Me [B] devant le tribunal de grande instance de Paris afin de voir, selon ses dernières écritures, à titre principal, le tribunal prononcer la nullité de la cession du fonds de commerce, à titre subsidiaire, condamner la société [K] à lui verser la somme de 187 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, par ailleurs, condamner Me [B] à lui payer la même somme en réparation du préjudice subi, à défaut ordonner une expertise afin d'évaluer la valeur du fonds de commerce, en tout état de cause, condamner la société [K] et Me [B], in solidum, à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens et ordonner l'exécution provisoire.

Par jugement en date du 24 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a débouté la société Siana de ses demandes, dit nulle et de nul effet l'opposition au paiement du prix de vente du fonds de commerce, en a ordonné la mainlevée, a condamné la société Siana à payer à la société [K] et à Me [B], chacun, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la société [K] et Me [B] du surplus de leurs demandes, condamné la société Siana aux dépens de l'instance, et a ordonné l'exécution provisoire.

La société Siana a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 14 avril 2021. Après une ordonnance de radiation en date du 1er décembre 2021, l'affaire a été réintroduite par déclaration de saisine en date du 7 décembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS EN CAUSE D'APPEL

Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :

Vu les conclusions récapitulatives de la société Siana, en date du 10 novembre 2022, tendant à voir la cour infirmer le jugement entrepris, statuer à nouveau, à titre principal, prononcer la nullité de la vente intervenue du fonds de commerce sis [Adresse 2] au prix de 250 000 euros en contrepartie de la restitution dudit fonds, condamner la société [K] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, à titre subsidiaire, condamner la société [K] à lui verser la somme de 187 000 euros à titre de dommages et intérêts, par ailleurs, condamner Me [B] à payer à la société Siana la somme de 187 000 euros en réparation du préjudice subi, en tout état de cause, débouter la société [K] et Me [B] de leurs demandes, fins et conclusions, les condamner in solidum à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont la distraction est demandée ;

Vu les conclusions récapitulatives de la société [K], en date du 30 septembre 2021, tendant à voir la cour confirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts, statuer à nouveau, condamner la société Siana à lui payer la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts, celle de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir (sic) ;

Vu les conclusions récapitulatives de Me [B], en date du 28 septembre 2021, tendant à voir la cour conformer le jugement, condamner la société Siana à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

DISCUSSION

Sur la nullité de la cession :

La société Siana soutient, en premier lieu, que la cession est nulle par application des articles 1137 et 1139 du code civil, le cédant, qui agissait à titre professionnel, lui ayant volontairement caché, ce qui caractérise une man'uvre dolosive, la baisse significative de son chiffre d'affaires pour l'année 2019, à savoir près de 92 % de baisse du chiffre d'affaires Loto et Jeux et près de 32 % de baisse du chiffre d'affaires PMU, et donc la valeur moins importante du fonds de commerce, qu'elle n'aurait pas acheté au prix de 250 000 euros si elle avait connu la baisse de ce chiffre d'affaires, ces informations n'ayant été communiquées que le jour de la signature.

L'appelante ajoute qu'il en est de même pour les diagnostics obligatoires, s'agissant des installations électriques et gazières, communiqués après la signature, notamment celui de la Socotec, qui ont laissé apparaître des non-conformités, électriques, une défaillance de la chaudière nécessitant des travaux et un rince-verres à remplacer.

Cependant, ainsi que l'a relevé le premier juge et que le rappelle la société [K], il ne résulte d'aucune pièce produite par la société Siana que la société [K] lui aurait fait croire que son fonds de commerce générait un chiffre d'affaires annuel stable d'environ 271 130 euros. La promesse de vente signée par les parties le 3 décembre 2018 et le projet d'acte de cession de fonds de commerce transmis aux parties avant la vente mentionnent en effet, pour les exercices 2015 à 2017 inclus, des chiffres d'affaires variables de 321 564 euros HT en 2015, 359 141 euros HT en 2016 et 212 754 euros HT en 2017. La société Siana était donc informée, dès avant la conclusion de la cession, des variations importantes du chiffre d'affaires du fonds de commerce.

S'agissant du chiffre d'affaires de l''exercice 2018 et du premier trimestre 2019, l'acte de vente du 23 avril 2019 mentionne une "estimation " de 271 130 euros TTC et 21 621 euros TTC, basée sur deux attestations de l'expert-comptable de la société [K], annexées à l'acte de cession, qu'elle a visées et paraphées. L'existence d'une man'uvre et d'une intention dolosive ne peut se déduire de la remise au rédacteur de l'acte, le jour de la signature soit le 23 avril 2019, de ces attestations établies le 19 avril 2019, alors que leur remise était prévue pour ce même jour et que ces documents avaient été réclamés à plusieurs reprises à l'expert-comptable par le rédacteur de l'acte.

Au demeurant, il ressort du bilan définitif de la société [K] pour l'année 2018 que son chiffre d'affaires s'est finalement élevé pour cet exercice à la somme de 265 085 euros HT, soit une somme très proche de l'estimation de 271 130 euros TTC mentionnée dans 1'acte de cession.

Enfin, s'agissant de l'état des installations électriques et gazières, la société Siana ne démontre, ni que son partenaire contractuel a tenté de la tromper sur ce point, ni qu'elle n'aurait pas acquis le fonds si les informations prétendument omises avaient été portées à sa connaissance, étant observé que le coût des travaux qu'elle affirme avoir effectués compte tenu de l'état de ces installations s'élève selon elle à la somme de 4 587,26 euros (2 494,80 + 2 092,46 euros), soit une somme négligeable au regard du coût général de l'opération la cour ajoutant qu'aucune précision n'est apportée sur la valeur du rince-verres et son état à la date de la cession.

La cessionnaire soutient, en second lieu, que la cession est nulle par application des article 1132 et 1133 du code civil, son consentement ayant été vicié par l'erreur sur la valeur réelle du fonds, son erreur étant parfaitement excusable, ni le vendeur ni l'avocat, rédacteur unique de l'acte de vente, n'ayant attiré son attention sur la baisse significative du chiffre d'affaires du fonds de commerce.

La cour adopte les motifs du premier juge qui, pour débouter la cessionnaire de sa demande de nullité fondée sur l'erreur, a relevé que la société Siana ne pouvait soutenir avoir commis une erreur portant sur l'importance de la clientèle alors qu'il ressort des mentions des actes qu'elle a signés qu'elle a eu connaissance du chiffre d'affaires de l'entreprise de 2015 à 2017 et qu'elle était par ailleurs informée du chiffre d'affaires de l'année 2018 et du premier trimestre 2019 mentionnés dans l'acte de vente et du caractère provisoire de ces données.

Sur le manquement du vendeur à son obligation d'information :

A titre subsidiaire, la cessionnaire soutient que le cédant a manqué à son obligation d'information sur la valeur réelle du fonds cédé, lui causant ainsi un préjudice qu'elle évalue à la somme de 187 000 euros.

Cependant, ainsi qu'il a été dit plus haut et comme le rappelle l'intimée, le projet d'acte mentionnait les variations importantes du chiffre d'affaires au cours des années précédentes de sorte que la cessionnaire était informée de la volatilité de celui-ci, et les chiffres d'affaires provisoires pour les années 2018 et le premier trimestre 2019 étaient mentionnés à l'acte de sorte que l'appelante, qui, à la suite de la communication des documents comptables, n'a pas sollicité un report de la date de signature, n'établit ni que l'intimée aurait manqué à son obligation d'information ni que les informations données étaient fausses. En l'absence de faute de la cédante, il ne sera pas fait droit à la demande de dommages-intérêts de la cessionnaire.

Sur la responsabilité de Me [B] :

L'appelante, à l'appui de sa demande de condamnation de Me [B], rédacteur de l'acte de cession, soutient qu'il a manqué à son obligation d'information et de conseil et à celles fixées par l'article 7.2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, à savoir d'assurer la validité et la pleine efficacité de l'acte qu'il rédige et de veiller à l'équilibre des intérêts des parties.

Elle ajoute qu'il a commis une faute en omettant d'attirer l'attention des cessionnaires sur les conséquences de l'attestation établie par l'expert-comptable de la société [K], en date du 19 avril 2019, remise le jour de la signature, le 23 avril suivant, et qui faisait pourtant état de la baisse considérable du chiffre d'affaires considérable de la cédante.

Ce manquement à son obligation d'information et de conseil à l'égard de la société Siana a entraîné, selon l'appelante, un préjudice caractérisé par la perte de chance pour celle-ci de renoncer à l'acquisition du fonds de commerce ou d'obtenir une diminution du prix de vente.

Me [B] rappelle que l'acte n'encourt pas les causes de nullité alléguées, de sorte qu'il est efficace, qu'en l'absence de faute du cocontractant ou de l'acquisition d'une clause résolutoire, les critères de la résolution judiciaire prévus à l'article 1224 du code civil ne sont pas réunis et qu'il n'est pas responsable de la négligence de sa cliente, parfaitement informée du montant des chiffres d'affaires.

La cour adopte les motifs du premier juge lequel, pour débouter la société Siana de ce chef de demande, a relevé, notamment, que la société Siana ne peut prétendre qu'elle n'aurait pas été informée des chiffres portés sur les attestations de l'expert-comptable alors qu'ils figuraient dans l'acte de cession de fonds de commerce et dans ses annexes, signés et paraphés, et de leur caractère provisoire, qu'en outre, les chiffres étaient éloquents, en particulier pour une personne ayant déjà géré une entreprise commerciale par le passé, comme c'était le cas de la gérante de la société Siana, étant ajouté qu'aucune faute professionnelle n'est caractérisée et que Me [B] avait relancé l'expert-comptable afin d'obtenir à temps ces documents.

Sur la mainlevée de l'opposition :

à l'appui de sa demande d'infirmation du jugement en ce qu'il a ordonné la mainlevée de l'opposition au paiement du prix de vente du fonds de commerce de la société [K] pratiquée le 18 juin 2019 par la société Siana entre les mains de Me [B], cette dernière soutient qu'il résulte des dispositions de l'article L. 141-14 du code de commerce que l'opposition peut être faite par tout créancier du vendeur, que sa créance soit exigible ou non.

Cependant, il est de principe, ainsi que l'a relevé le premier juge et rappelé la société [K], que le droit de former opposition n'est pas ouvert à l'acquéreur du fonds de commerce.

Sur les demandes de dommages-intérêts :

La cour adopte les motifs du premier juge qui, pour débouter la société [K] de sa demande de dommages-intérêts, a retenu qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un préjudice personnel et précis résultant des faits reprochés à la cessionnaire et que l'appréciation erronée que la société Siana a fait de ses droits n'a pas dégénéré en abus ouvrant droit à réparation.

La solution du litige conduit la cour à débouter l'appelante de sa demande de dommages-intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le jugement entrepris sera confirmé sur les indemnités de procédure allouées.

L'appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens, déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à chacun des intimés, en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Condamne la société Siana à payer à chacun des intimés la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La greffière, La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 22/17686
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.17686 ?
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