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19/06/2024 | FRANCE | N°21/19201

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 19 juin 2024, 21/19201


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 19 JUIN 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/19201 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETLV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Octobre 2021 - Tribunal de Commerce de Bordeaux - RG n° 2019F00429





APPELANTE



S.A.S. ZIFEL agissant poursuites et diligences en la personne de ses

représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 524 287 711

[Adresse 3]

[Localité 4]



représentée par Me Stép...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 19 JUIN 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/19201 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETLV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Octobre 2021 - Tribunal de Commerce de Bordeaux - RG n° 2019F00429

APPELANTE

S.A.S. ZIFEL agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 524 287 711

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Stéphane Fertier de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : L0075

INTIMEE

S.A. CDISCOUNT prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Bordeaux sous le numéro 424 059 822

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Claire Wartel Severac, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Julien Richaud, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4

Mme Sophie Depelley, conseillère

M. Julien Richaud, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Sonia Jhalli

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4 et par M. Maxime Martinez, greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Zifel exerce une activité principale de fabriquant grossiste d'articles de bagagerie destinés à la vente au sein d'enseignes de la grande distribution.

La SA Cdiscount, qui appartient au groupe Casino, opère, sur son site internet cdiscount.com, des ventes directes auprès des consommateurs de produits et marchandises provenant de ses fournisseurs.

Dès le mois de mars 2015 ou à compter de 2017 selon les positions discordantes des parties, la SA Cdiscount a passé des commandes de bagages à la SAS Zifel. Ces relations commerciales, initialement non formalisées dans un contrat écrit, ont été encadrées par un « accord cadre marque nationale » conclu sur le fondement de l'article L 441-7 du code de commerce pour une durée déterminée pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2017.

Le 26 décembre 2017, la SAS Zifel émettait au bénéfice de la SA Cdiscount un avoir de 35 000 euros dont la cause est débattue, la première y voyant la contrepartie d'une commande, finalement non honorée, de 500 000 euros dans le cadre de deux opérations de déstockage prévues pour la fin de l'année 2017 et les soldes d'été 2018, quand la seconde l'analyse comme l'indemnisation partielle de non-conformités affectant une commande antérieure de 18 147 valises référencées ZIF1616CB.

Le 29 février 2018, la SAS Zifel et la société AMC, centrale de référencement du groupe Casino agissant notamment pour le compte de la SA Cdiscount, concluaient un nouveau contrat cadre pour l'année 2018.

Le 13 avril 2018, la SAS Zifel annulait l'avoir de 35 000 euros. En réponse à la mise en demeure du 17 août 2018 de la SA Cdiscount lui enjoignant de régler le solde des remises de fin d'année n'intégrant pas l'annulation de l'avoir, la SAS Zifel l'a, par courrier de son conseil du 12 octobre 2018, mise en demeure d'exécuter la commande de 500 000 euros.

C'est dans ces circonstances que la SAS Zifel a, par acte d'huissier signifié le 8 avril 2019, assigné la SA Cdiscount devant le tribunal de commerce de Bordeaux en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des relations commerciales établies et en exécution forcée de la commande de 500 000 euros.

Par jugement du 1er octobre 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la SAS Zifel de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la SAS Zifel à payer à la SA Cdiscount la somme de 16 872,96 euros correspondant au solde de son compte ;

- débouté la SA Cdiscount de sa demande indemnitaire au titre du défaut de conformité ;

- condamné la SAS Zifel à payer à la SA Cdiscount la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SAS Zifel aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 2 novembre 2021, la SAS Zifel a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 avril 2024, la SAS Zifel demande à la cour, au visa des dispositions des articles 1103, 1104, 1193, 1231-1 et 1583 du code civil et L 442-6 I 5° ancien du code de commerce :

- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 6 octobre 2021 en ce qu'il a :

o débouté la SAS Zifel de l'ensemble de ses demandes ;

o condamné la SAS Zifel à payer à la SA Cdiscount sa la somme de 16 872,96 euros correspondant au solde de son compte ;

o débouté la SA Cdiscount sa de sa demande indemnitaire au titre de la réparation de son préjudice découlé du défaut de conformité ;

o condamné la SAS Zifel à payer à la SA Cdiscount la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamné la SAS Zifel aux entiers dépens de l'instance ;

- statuant à nouveau, de juger la SAS Zifel recevable et bien fondée en toutes ses demandes ;

- à titre principal, de :

o condamner la SA Cdiscount à exécuter les contrats de vente passés à la SAS Zifel le 21 décembre 2017 pour un montant de 500 000 euros HT ;

o condamner la SA Cdiscount à verser à la SAS Zifel la somme de 83 911,33 euros pour rupture brutale de relation commerciale établie ;

- à titre subsidiaire, si la cour ne faisait pas droit à la demande d'exécution forcée du contrat de commandes de 500 000 euros HT conclu entre la SA Cdiscount et la SAS Zifel en décembre 2017, de :

o condamner la SA Cdiscount à payer à la SAS Zifel la somme de 231 161,31 euros correspondant à la perte de marge brute espérée sur cette commande ;

o condamner la SA Cdiscount à porter au crédit du compte de la SAS Zifel la somme de 35 000 euros HT, au titre de l'avoir n° FH120248 d'un montant de 35 000 euros HT, soit 42 000 euros TTC, indu à la SA Cdiscount par la SAS Zifel ;

o condamner la SA Cdiscount à verser à la SAS Zifel la somme de 26 722,34 euros TTC ;

- en toute hypothèse, de :

o débouter la SA Cdiscount de l'intégralité de ses demandes en ce qu'elles sont injustifiées et non fondées ;

o condamner la SA Cdiscount à verser à la SAS Zifella somme de 50 000 euros pour préjudice moral ;

o condamner la SA Cdiscount à verser à la SAS Zifel la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

o condamner la SA Cdiscount aux entiers dépens de première instance et l'appel dont le recouvrement sera effectué par la Selarl JRF & Associes représentée par Maître Stéphane Fertier, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 avril 2024, la SA Cdiscount demande à la cour :

- à titre préliminaire, vu l'article 6§3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et les articles 15 et 16 du code de procédure civile, de :

o rejeter et juger irrecevables les conclusions régularisées par la SAS Zifel le 19 avril 2024, pour tardivité portant atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense ;

o rejeter toutes pièces communiquées par la SAS Zifel le 19 avril 2024, pour tardivité portant atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense.

- vu les articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, de juger la SAS Zifel irrecevables en ses demandes tendant à voir, à titre principal :

o dire et juger que le contrat de vente conclu entre la SAS Zifel et la SA Cdiscount le 21 décembre 2017 et portant sur un prix de 500 000 euros HT est parfait au sens de l'article 1583 du code civil ;

o constater que la SA Cdiscount a abusivement annulé la commande et n'a pas exécuté son obligation contractuelle ;

o prononcer en conséquence l'exécution forcée de la commande passée par la SA Cdiscount à la SAS Zifel pour un montant de 500 000 euros HT ;

o dire et juger que la SA Cdiscount a rompu brutalement la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la SAS Zifel ;

o dire et juger que l'avoir n° FH120248 d'un montant de 35 000 euros HT, soit 42 000 euros TTC, n'est pas dû par la SAS Zifel à la SA Cdiscount ;

- vu les articles 1103, 1104, 1193, 1231-1 et 1583 du code civil, L 442-6 I 5° du code de commerce dans ses anciennes dispositions, et 1353 du code civil, de confirmer le jugement entrepris, et en conséquence, de :

o débouter la SAS Zifel de ses demandes, tant au titre de la rupture des relations entre les parties, qu'au titre de la commande de 500 000 euros dont elle demande l'exécution ou l'indemnisation, ou à celui de l'avoir dont elle demande paiement ;

o condamner la SAS Zifel à payer à la SA Cdiscount la somme de 16 872,96 euros correspondant au solde de son compte ;

- à titre subsidiaire, si la cour infirmait le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux, statuant à nouveau :

o sur la rupture des relations entre les parties, si la cour considérait que la SA Cdiscount est à l'origine de la rupture des relations entre les parties, que cette rupture a été brutale et que les relations étaient établies, de juger que l'indemnité allouée par la SA Cdiscount ne saurait être supérieure à la somme de 12 200 euros ;

o sur la commande de 500 000 euros revendiquée par la SAS Zifel, si par impossible la cour jugeait que la SA Cdiscount a passé commande à la SAS Zifel, de juger que cette commande porterait tout au plus sur une opération fin 2017 pour 250 000 euros et débouter en tout état de cause la SAS Zifel de sa demande d'exécution forcée et de sa demande de dommages-intérêts ;

o encore plus subsidiairement, si la cour entrait en voie de condamnation à l'encontre de la SA Cdiscount, d'ordonner la compensation avec l'avoir établi par la SAS Zifel le 26 décembre 2017 d'un montant de 35 000 euros ;

o sur le défaut de conformité des marchandises livrées à la SA Cdiscount si par impossible, la cour annulait l'avoir établi par la SAS Zifel pour mettre un terme au litige opposant les parties, statuant à nouveau, de condamner la SAS Zifel à payer à la SA Cdiscount la somme de 90 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qui est découlé du défaut de conformité des marchandises livrées à la SA Cdiscount ;

- en tout état de cause, de condamner la SAS Zifel à payer à la SA Cdiscount la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

A titre liminaire, la Cour constate que la SA Cdiscount vise dans le dispositif de ses écritures une fin de non-recevoir générale qu'elle ne motive ni en droit ni en fait et qui ne sera de ce fait pas examinée.

1°) Sur la recevabilité des dernières écritures et pièces de la SAS Zifel

Conformément aux articles 15 et 16 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense, le juge devant en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Et, en vertu de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bienfondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Au sens de ce dernier texte, l'équité est entendue dans sa dimension procédurale et non substantielle et renvoie à l'exigence d'une procédure contradictoire où les parties sont entendues et placées sur un pied d'égalité devant le juge, le caractère équitable d'une procédure s'appréciant systématiquement en l'envisageant dans sa globalité, une irrégularité isolée pouvant de ce fait ne pas suffire à rendre toute la procédure inéquitable (CEDH, Miro'ubovs et autres c. Lettonie, 15 septembre 2009, n° 798/05, §103).

Après un premier échange de conclusions en janvier et avril 2022 et un nouveau jeu d'écritures de l'appelante du 22 juillet 2022, le conseiller de la mise en état a, par avis du 31 mars 2023, fixé la date de clôture prévisible de l'instruction de l'affaire au 5 mars 2024 pour des plaidoiries prévues le 7 mai 2024. La SA Cdiscount a alors conclu le 18 décembre 2023 après un changement de conseil. La notification par la SAS Zifel de ses écritures le 18 mars 2024, après constitution d'un nouvel avocat mais à la veille d'une clôture déjà reportée par décision du conseiller de la mise en état du 28 février 2024, a entrainé un second report de cette dernière au 23 avril 2024. Dans cet intervalle, la SA Cdiscount a notifié ses écritures en réponse le 11 avril 2024 en communiquant toutefois treize nouvelles pièces (18-1 à 6 et 35-1 à 7), conclusions auxquelles la SAS Zifel a répliqué le 19 avril 2024 en produisant une nouvelle pièce (38, accord cadre groupe Casino de 2012).

S'il est exact que l'intimé doit par principe avoir la parole en dernier pour assurer un équilibre des droits des parties au procès, il en va différemment si ses dernières écritures développent de nouveaux moyens de défense ou demandes reconventionnelles ou sont accompagnées de nouvelles pièces. Aussi, la SAS Zifel devait pouvoir répondre aux conclusions du 11 avril 2018 de la SA Cdiscount qui, quoiqu'elles ne fussent augmentées que par des arguments nouveaux et non par des moyens supplémentaires, comportaient notification de treize nouvelles pièces qui méritaient d'être soumises au débat contradictoire et à la réplique de la SAS Zifel. En outre, les dernières conclusions de celle-ci ne comportent que des arguments factuels prolongeant ceux déjà livrés et répondant plus spécifiquement à ceux opposés par la SA Cdiscount ainsi qu'une critique des pièces récemment produites, sa pièce 38 étant par ailleurs sans intérêt pour la solution du litige et ne méritant aucune analyse en réponse de la part de la SA Cdiscount qui ne conteste pas l'existence de l'accord auquel elle correspond.

En pareilles circonstances, les principes de l'égalité des armes et de la contradiction sont saufs. Aussi, la fin de non-recevoir opposée par la SA Cdiscount sera rejetée.

2°) Sur les engagements contractuels des parties

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Zifel expose que la SA Cdiscount s'est engagée les 21 et 22 décembre 2017, en contrepartie de l'octroi d'un avoir de 35 000 euros, sur un volume d'affaires et de commandes de 500 000 euros HT pour fin 2017 et courant 2018 à raison de 250 000 euros HT au titre d'une première commande portant sur un déstockage en fin d'année 2017, et d'une somme de même montant au titre des soldes d'été à livrer entre le mois de mai et août 2018. Elle ajoute que, tout en la maintenant dans l'illusion que cette commande serait passée pour obtenir sans contrepartie effective l'avoir exigé, la SA Cdiscount n'a pas respecté son engagement alors qu'elle était en mesure de livrer les marchandises dès la fin de l'année 2017 puisqu'elle disposait du stock correspondant. Elle précise que l'avoir de 35 000 euros HT n'est pas causé par des non-conformités affectant une commande d'octobre 2017, celles-ci n'étant de surcroît pas prouvées et le préjudice allégué étant sans rapport avec le montant de l'avoir. Elle en déduit la nécessité de la condamner à l'exécution forcée de son engagement, à défaut, de l'indemniser de sa perte de marge et, plus subsidiairement, de lui rembourser l'avoir non causé. Elle ajoute par ailleurs que la SA Cdiscount est débitrice de factures impayées à hauteur de 26 722,34 euros.

En réponse, la SA Cdiscount explique que l'avoir litigieux, dont le libellé a été arbitrairement choisi par la SAS Zifel, a été consenti non en contrepartie d'un engagement de commandes mais en indemnisation partielle du préjudice causé par les non-conformités affectant les marchandises livrées en octobre 2017, les valises reçues ne comportant pas le filet de séparation observable sur les visuels communiqués par la SAS Zifel et décrit dans sa fiche de présentation des produits aux consommateurs. Elle précise, dans l'hypothèse de l'annulation de l'avoir, que son préjudice, dont elle poursuit subsidiairement la réparation, atteint 90 000 euros.

Elle expose par ailleurs que toute commande n'est validée que par l'émission d'un bon de commande et que rien ne démontre son engagement ferme pour une commande de 500 000 euros en décembre 2017, aucun accord sur la chose (caractéristiques et quantités de marchandises) ou le prix ainsi que sur les délais de livraison n'étant établi. Subsidiairement, elle estime que l'opération de 2018 était un simple souhait aux contours indéfinis et soutient que la SAS Zifel, qui ne justifie pas de l'état de ses stocks, ne prouve ni le principe ni la mesure du préjudice qu'elle allègue et auquel elle a contribué en rompant les relations.

Elle précise enfin que la SAS Zifel est débitrice à son égard d'une somme de 16 872,96 euros.

Réponse de la cour

- Sur le cadre juridique d'examen de la demande

La SAS Zifel invoque cumulativement le bénéfice des dispositions des articles 1231-1 et 2 du code civil et L 442-6 I 1° à 3° du code de commerce, soit une inexécution contractuelle caractérisant trois pratiques restrictives de concurrence. Cependant, par-delà la contradiction consistant à poursuivre l'exécution forcée d'un contrat estimé valablement formé et négocié tout en dénonçant l'absence de contrepartie ou un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, les pratiques restrictives évoquées ont des conditions d'application distinctes.

L'article L 442-6 I 1° du code de commerce exige que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque (ou sa tentative) ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage qui peut être tarifaire (en ce sens, Com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163). L'appréciation de l'absence de contrepartie ou de sa disproportion manifeste suppose une analyse essentiellement objective et quantitative et s'opère généralement terme à terme sans égard pour l'existence d'une soumission. Celle-ci est en revanche indispensable à la caractérisation de la pratique restrictive visée par l'article L 442-6 I 2° du code de commerce qui suppose en outre l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par la SAS Zifel, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. L'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. Enfin, l'article L 442-6 I 3° vise l'obtention (ou sa tentative) d'un avantage érigé en condition de la passation d'une commande sans engagement sur une contrepartie précise.

Or, la SAS Zifel, qui se contente d'évoquer des rapports structurellement déséquilibrés qu'elle ne documente pas, n'explique pas en quoi elle aurait été dans l'impossibilité de négocier l'avoir litigieux dont elle précise au contraire qu'il a été accordé en contrepartie de l'engagement en volumes de la SA Cdiscount (page 6 de ses écritures), peu important à ce stade le débat sur la détermination de sa cause réelle. Elle ne précise pas non plus la nature du déséquilibre significatif dont elle se prétend victime. Ce seul constat commande le rejet de ses demandes au titre de l'article L 442-6 I 2° du code de commerce dont les conditions d'application ne sont pas réunies. Il emporte également celui de sa prétention au titre de l'article L 442-6 I 3° du même code puisque, dans la logique de la demande de la SAS Zifel, l'avantage en débat a été consenti en contemplation d'un engagement écrit en volume de la SA Cdiscount.

En conséquence, l'avantage sans contrepartie est la seule pratique restrictive qui mérite examen si la demande principale n'est pas accueillie, la SAS Zifel soutenant que la contrepartie attendue n'a pas été effectivement servie et sollicitant de ce fait, subsidiairement, le remboursement de l'avoir.

- Sur l'existence de la commande litigieuse

En vertu des articles 1101 et 1102 du code civil, le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations, chacun étant libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.

En outre, en application de l'article 1113 du code civil, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager qui peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur exprimant son consentement au sens de l'article 1128 du même code, ce dernier devant porter en matière de vente sur la chose et le prix au sens de l'article 1583 du code civil.

Pour prouver la commande de 500 000 euros dont elle sollicite l'exécution forcée à titre principal, la SAS Zifel ne produit aucun bon de commande. S'il est exact que la pratique antérieure des parties semble induire la systématicité de son édition pour toute fourniture de marchandises, ni le droit commun des contrats ni les stipulations du contrat cadre de 2017 ne conditionnent la validité de la vente à sa formalisation, ces dernières précisant que « les commandes sont transmises par tout moyen selon les modalités convenues entre les parties » (article 2.2 dont les termes sont repris à l'article IA de l'annexe 2). Les seules pièces soumises à l'appréciation de la Cour à ce titre sont l'avoir du 26 décembre 2017 émis par la SAS Zifel pour un montant de 35 000 euros au titre d'une « opération de déstockage/période fin d'année 2017/période solde juin et départ en vacances mai à août 2018/montant de l'opération : 500 000 euros HT » (pièce 9 de la SAS Zifel), ainsi que des courriels échangés entre le 14 décembre 2017 et la mise en demeure de la SA Cdiscount du 17 août 2018 suivie de celle adressée par la SAS Zifel le 12 octobre 2018 (pièces 6 à 12, 16 et 24 de l'appelante et 1 à 8, 19 et 26 à 29 de l'intimée).

Il ressort de cette correspondance que :

- le 14 décembre 2017, l'acheteuse de la SA Cdiscount, madame [X] [L], communiquait à la SAS Zifel « la sélection de déstockage lié à l'avoir séparé de 35K € » ainsi que « la nouvelle matrice à compléter ». A défaut de production des échanges antérieurs, la nature du rapport entre l'émission de l'avoir et l'opération projetée, dont les contours sont très imprécis, demeure incertaine. Cette carence affecte également le courriel suivant du 21 décembre 2017 dans lequel la SA Cdiscount écrit : « Comme discuté, j'attends un avoir séparé de 35 000 € HT dès demain. De mon côté, nous t'envoyons (sic) un première bon (sic) de commande à hauteur de 250 000 € comme validé ensemble sur le déstockage de fin d'année et par ailleurs, nous souhaitions également positionner une seconde opération de déstockage pour les soldes de juin et le départ en vacances à livrer entre le mois de mai et d'août (sic) à hauteur de 250 000 € supplémentaire (sic) » ;

- le 22 décembre 2017, madame [X] [L] transmettait en interne « la commande de DEAL de destock pour les soldes sur Zifel », réclamait à la SAS Zifel, qui s'exécutait le 26 décembre 2017, l'émission de son avoir, et, dès réception, l'adressait au service interne compétent en le présentant comme « l'avoir pour la valise cabine », son destinataire le faisant suivre en expliquant qu'il correspondait « à une compensation partielle suite au problème rencontré sur la valise cabine du Black Friday ». Ces échanges révèlent que, dans l'esprit de la SA Cdiscount, l'avoir litigieux, quoiqu'il fût « lié » à l'opération de déstockage envisagée les 14 et 21 décembre 2017, était, dès l'origine, causé par un défaut de conformité ;

- le 11 janvier 2018, soit postérieurement à la date d'organisation de la première opération de déstockage de 250 000 euros, madame [X] [L] répondait aux inquiétudes de la SAS Zifel sur le sort de « la commande » : « J'ai relancé ! Ce n'est vraiment pas normal que la situation soit toujours bloquée' Je m'en excuse encore » ;

- après une seconde relance de la SAS Zifel du 18 janvier 2018 et l'intervention d'une nouvelle acheteuse au sein de la SA Cdiscount, des négociations n'évoquant plus cet avoir étaient ouvertes en février 2018 au sujet d'une commande de 340 lots, discussions dont les termes soulignent l'importance de l'envoi de la matrice complétée pour finaliser toute commande, élément faisant défaut pour celle alléguée des 14 et 21 décembre 2017. Un bon de commande était édité le 5 mars 2018 puis modifié le 8 mars 2018 à la demande de la SAS Zifel qui avait mal apprécié l'état de ses stocks. Puis, le 14 mars 2018, la SA Cdiscount proposait à la SAS Zifel une commande de 618 250 euros pour une opération « bagagerie Black Friday » et le référencement permanent de divers produits et lui adressait un prévisionnel de ses besoins pour des opérations « maroquinerie ». A cette occasion, elle précisait, en dressant l'état des stocks, avoir « conscience que ce deal [qui n'est pas clairement identifiable] était la contrepartie du deal Black Friday de la valise cabine avec les 500 000 euros non honorés pour l'avoir de 35 000 € », formule particulièrement confuse ne pouvant à elle seule valoir preuve rétrospective d'un accord de volonté fin décembre 2017 et reconnaissance de la cause de l'avoir. Cependant, à la faveur d'une demande de réduction du prix d'achat de 50 centimes par unité présentée par la SA Cdiscount qui invoquait l'existence d'une offre concurrente, la SAS Zifel, dénonçant le caractère dérisoire de cette prétention en rappelant le montant des avoirs consentis, annonçait « mettre un terme à [leurs] relations commerciales » le 20 mars 2018 avant de se raviser le jour même en relayant les exigences de sa direction qui réclamait l'annulation de l'avoir de 35 000 euros faute de passation de la commande de 500 000 euros. Les négociations, poursuivies jusqu'en avril 2018, achoppaient sur le sort de cet avoir et sur sa cause en dépit d'une proposition de reprise des « marchandises Black Friday » faite par la SAS Zifel en contrepartie de l'annulation de l'avoir litigieux.

Ces éléments révèlent que, si l'acheteuse initiale de la SA Cdiscount a pu entretenir une certaine confusion sur la cause de l'avoir, il est certain que, dès l'origine, elle l'estimait justifié par un vice affectant une commande antérieure (« la valise cabine du Black Friday »), ainsi qu'elle le précisait spontanément en interne. De ce fait, l'avoir était conçu, dans son esprit, comme l'élément d'une négociation globale portant sur la compensation d'une livraison de marchandises non-conformes mais également, pour en favoriser l'octroi, sur l'organisation d'une commande de 500 000 euros en deux parties. L'analyse de l'intention de la SAS Zifel est en revanche entravée par l'absence de production des échanges antérieurs auxquels fait écho celui du 14 décembre 2017 qui n'est à l'évidence pas la première évocation de l'avoir. Cependant, il importe peu que la SAS Zifel ait pu, à raison du lien opéré par madame [X] [L] entre avoir et commande, estimer que l'avoir avait pour cause unique la passation d'une commande de 500 000 euros puisqu'il était dans cette logique une condition parmi d'autres, plus essentielles juridiquement, de formation de la vente et non de son exécution. Même en occultant le fait que sa portée est en elle-même équivoque au regard de l'éventuelle incompréhension mutuelle des parties sur sa cause, son émission ne peut ainsi valoir à elle seule preuve de la perfection de la cession.

Or, il ressort des échanges de décembre 2017 que l'opération envisagée avec le plus de détails était celle portant sur la fin de l'année 2017 pour un montant de 250 000 euros, la seconde, prévue pour l'été 2018, n'étant qu'un simple « souhait ». Il manquait à cette première vente des éléments indispensables à sa formation : si le prix était globalement fixé, les marchandises à livrer, à une date d'ailleurs indéterminée malgré la prévision de l'opération pour « la fin de l'année », n'étaient pas identifiées en leurs caractéristiques et en leur quantité, la SAS Zifel n'ayant pas retourné la matrice renseignée. De fait, cette dernière, destinataire des échanges internes du 22 décembre 2017 relatifs à la validation de la commande, reconnaît dans ses écritures (page 16) que la commande n'était « pas encore validée et passée » le 11 janvier 2018, soit à une date postérieure à celle de son exécution prévisible, signe qu'elle connaissait le processus de passation des commandes de la SA Cdiscount et qu'elle savait qu'elle ne pouvait se contenter de ses échanges avec madame [X] [L]. Aussi, ces derniers caractérisent, non la formation d'un contrat, mais de simples pourparlers, peu important qu'ils soient avancés, la SAS Zifel n'invoquant pas les dispositions de l'article 1112 du code civil et demandant la réparation d'un préjudice (gain escompté sur l'exécution de la commande) qui n'est pas indemnisable sur le fondement de la faute commise lors des pourparlers.

En conséquence, en l'absence de contrat, les demandes principale d'exécution forcée et subsidiaire d'indemnisation de la SAS Zifel, qui supposent toutes deux une convention valablement formée, doivent être rejetées et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef par ces motifs substitués.

- Sur l'avoir de 35 000 euros

Au sens de l'article L 442-6 I 1° du code de commerce, la notion de service commercial est entendue largement et ne correspond pas seulement à celle de coopération commerciale, et l'avantage peut être tarifaire, tel, potentiellement, l'avoir objet du litige qui ne saurait être exclu a priori de son champ d'application. En outre, l'émission d'avoirs décorrélés de tout service commercial est possible dès lors qu'ils ont une cause identifiable qui en justifie l'existence et le montant (retour de marchandises défectueuses, régularisation d'une facturation erronée ou toute autre cause d'un avoir au sens classique du terme).

Ainsi qu'il a été dit, l'avoir litigieux constituait pour la SAS Zifel un élément nécessaire, mais non suffisant, à la validation de la commande de 500 000 euros. La vente n'ayant finalement pas été conclue, ce premier élément causal fait défaut. Demeure la cause alléguée par la SA Cdiscount qui a la charge de la preuve des vices qu'elle dénonce.

L'existence de la commande que ceux-ci affectent est constante et est confirmée par les factures émises entre le 13 octobre et le 30 novembre 2017 par la SAS Zifel (sa pièce 31). Pour prouver la non-conformité des marchandises livrées (absence de séparateur zippé), la SA Cdiscount produit, outre ses courriels qui n'ont pas plus de valeur que ses déclarations et sont ainsi insuffisants pour prouver leur véracité à raison de la contestation de la SAS Zifel (ses pièces 2 à 4, 6 à 8, 14 et 15) :

- une impression d'écran des résultats du moteur de recherches Google à partir de la référence du modèle litigieux (sa pièce 18-2). Ainsi que le souligne la SAS Zifel, cette pièce ne comporte pas de garantie sur la fiabilité et l'authenticité de son contenu ainsi que sur l'exactitude de sa date, aucune des formalités techniques permettant de s'assurer de l'exactitude des résultats affichés n'ayant été effectuées. Elle n'est pas probante et ne permet pas d'identifier les caractéristiques du modèle en débat. Ce raisonnement vaut pour ses pièces 18-4 à 6, 23, 24, 34 et 35-1 à 7 qui comportent des carences identiques ;

- des photographies d'une valise dont les conditions de captation et l'origine sont indéterminables et qui n'ont de ce fait aucune force probante (ses pièces 18 et 18-1) ;

- un « tableau des bons de réductions accordés » dressé de sa main à partir de données non communiquées et de ce fait invérifiables (sa pièce 22). Ce document, faute de la moindre certification, n'a pas de force probante. Il en va de même du tableau produit en pièce 32 dont les modalités de constitution sont inconnues et les informations qu'il comprend invérifiables ;

- des impressions ou copies d'écran (ses pièces 9 à 11 et 13) tirées d'un logiciel interne rapportant des réclamations de clients, non jointes mais qualifiées de « hors délai », relatives, pour deux d'entre elles seulement, à l'absence de compartimentation zippée dans la valise objet de la commande litigieuse. Etablies par la SA Cdiscount pour elle-même, ces pièces contestées ne sont pas probantes faute d'être accompagnées des réclamations qu'elles rapportent. Il en est de même pour la feuille volante censée contenir une cinquième réclamation, dont l'objet est de surcroît indéterminable (sa pièce 12).

Si le procès-verbal de constat produit en pièce 18-3 permet de faire le lien entre la référence de la valise litigieuse et les avis qu'il détaille dénonçant l'absence de séparation zippée, rien ne démontre que sa présentation au client correspond à la fiche produit fournie par la SAS Zifel en application de l'article 1 de l'annexe 1 de l'accord cadre de 2017 qui n'est pas versée au débat, les pièces 18 et 18-1 ne pouvant, même en les supposant probantes, remplir cette fonction. Et, le courriel du 21 mars 2018 de la SAS Zifel (pièce 8 de la SA Cdiscount), rédigé dans un contexte particulièrement conflictuel et dans un souci évident d'apaisement, ne peut être qualifié d'aveu extrajudiciaire au sens de l'article 1383-1 du code civil à raison de son équivocité : la proposition de reprise des marchandises, qui ne s'accompagne d'aucune reconnaissance explicite des non-conformités alléguées, s'achève au contraire par la contestation des griefs de la SA Cdiscount (« Je propose de vous récupérer au plus vite les marchandises Black Friday qui ne correspond (sic) pas à votre "cahier des charges" s'il y [en a eu] un ' »).

Sans fondement, les réclamations tardives de la SA Cdiscount étaient également irrégulières en la forme. En effet, les annexes au contrat cadre de 2017 stipulent :

- article 2.2 de l'annexe 1 : « CDISCOUNT est doté d'un dispositif d'alerte pour mettre en 'uvre le retrait/rappel des produits non conformes. Pour le cas où certains produits présenteraient une non-conformité, les parties collaboreront pour prendre les mesures nécessaires à leur retrait/rappel.

Dans le cas où il ne serait pas à l'origine de la demande de retrait/rappel, le Fournisseur pourra inspecter les produits concernés dans les délais convenus avec CDISCOUNT afin de lui permettre, le cas échéant. de faire valoir par écrit toute éventuelle objection quant au retrait/rappel des produits.

['] Les réclamations clients seront communiquées au Fournisseur qui s'engage à fournir à CDISCOUNT, dans le délai demandé, les explications techniques relatives à l'origine et aux causes des problèmes posés par les produits litigieux et les mesures à prendre pour y remédier » ;

- article IE-2 de l'annexe 2 qui régit les non-conformités de livraison qui comprennent notamment les « inversions d'articles » et « tout écart entre les caractéristiques du produit communiquées par le Fournisseur et le produit réellement livré (dimensions, poids') » : « CDISCOUNT pourra notifier dans les trois (3) jours ouvrés suivant la date de livraison la non-conformité des produits à la CDA et non-conformité des livraisons dans les modalités prévues par l'article L 133-3 du Code de commerce ».

Or, la SA Cdiscount, qui s'est affranchie du respect de l'ensemble de ces obligations et n'a jamais mise la SAS Zifel en mesure de constater les non-conformités alléguées, de fournir ses explications et le cas échéant de les contester, n'a émis aucune réserve lors de la réception des marchandises, n'a évoqué des non-conformités que dans des échanges internes fin décembre 2017 et ne prouve avoir informé officiellement son cocontractant qu'en mars 2018.

Aussi, l'avoir litigieux n'a aucune cause. Objectivement indu, il s'analyse en un avantage obtenu sans contrepartie par la SA Cdiscount qui en doit de ce fait répétition.

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et la SA Cdiscount, dont la demande indemnitaire au titre des non-conformités doit en revanche être rejetée, sera condamnée à payer à la SAS Zifel la somme de 42 000 euros, correspondant au montant TTC de l'avoir litigieux tel qu'il a été consenti le 26 décembre 2017.

- Sur les comptes entre les parties

Conformément à l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Pour justifier sa demande en paiement, la SAS Zifel produit une attestation de son expert-comptable certifiant que le solde du compte client de la SA Cdiscount est débiteur de 40 523,94 euros mais que celui de son compte fournisseur est créditeur de 13 801,60 euros (sa pièce 25). Cependant, ainsi que le révèle son annexe 3, figure au débit du compte client la somme de 42 000 euros correspondant au montant de l'avoir. La SA Cdiscount étant condamnée à le rembourser, il ne peut être pris en compte pour établir les comptes entre les parties, sauf à répéter deux fois la même créance. Et, celle-ci écartée, la balance des comptes de la SA Cdiscount est créditrice.

A ce titre, cette dernière produit des extraits de compte non contestés en leur teneur visant une dette de la SAS Zifel d'un montant de 16 872,96 euros, déduction de la facture de 14 400 euros dont la SA Cdiscount reconnaît l'omission (ses pièces 19 et 20 et page 43 de ses écritures).

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la SAS Zifel et condamné celle-ci à payer à la SA Cdiscount la somme de 16 872,96 euros. Aucune compensation ne sera ordonnée, celle-ci n'étant sollicitée par la SA Cdiscount que dans l'hypothèse de sa condamnation au titre de la commande de 500 000 euros.

3°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Zifel expose que les relations commerciales étaient établies à raison de leur durée, de la signature répétée des contrats cadres à compter du 1er janvier 2017 ainsi que de leur stabilité et de leur continuité. Elle précise venir aux droits de la société Zifel avec qui les relations ont débuté en 2015 en vertu d'une transmission universelle de patrimoine et revendique de ce fait une ancienneté de relation de trois ans. Elle estime que, en refusant de passer la commande promise de 500 000 euros, la SA Cdiscount a rompu brutalement et sans motif sérieux ces relations, aucun appel d'offres n'ayant été mis en 'uvre par le passé ou dans le courant de l'année 2018 et l'écart de prix allégué par rapport à ceux de la concurrence étant insignifiant. Contestant avoir refusé la moindre commande et fait obstacle à la poursuite de la relation, elle évalue le préavis éludé à une année et indique subir un préjudice financier résidant dans la perte de marge brute pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé (83 911,33 euros) ainsi qu'un préjudice moral (50 000 euros).

En réponse, la SA Cdiscount expose qu'elle souhaitait poursuivre les relations commerciales ainsi qu'en témoignent la signature du contrat cadre de 2018, l'invitation de la SAS Zifel à participer à des appels d'offres et à des pourparlers destinés à les organiser ainsi que le maintien d'une commande pourtant annulable à raison des modifications apportées par la SAS Zifel qui était incapable de l'honorer. Se prévalant d'un courriel du 20 mars 2018 par lequel la SAS Zifel mettait explicitement un terme aux relations commerciales, elle conteste l'imputabilité de leur rupture. Elle ajoute à ce titre que l'inexécution de la commande de 500 000 euros, qu'elle nie avoir passée pour les raisons déjà exposées, ne caractérise pas une rupture des relations commerciales. Subsidiairement, elle estime que les relations commerciales n'étaient pas établies, celles-ci ayant duré un an puisque les échanges antérieurs au contrat cadre de 2017 concernaient une société tierce de même dénomination et le flux d'affaires étant irrégulier, les commandes étant ponctuelles, destinées à satisfaire les besoins d'opérations spécifiques et passées après mise en concurrence et négociations ad hoc. Elle ajoute que la SAS Zifel ne peut prétendre à une indemnisation au titre de la rupture brutale alors qu'elle a refusé une commande de 250 000 euros. Plus subsidiairement, elle limite le préavis éludé à deux mois et souligne l'absence de justification de la mesure du préjudice allégué.

Réponse de la cour

En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Ce texte sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).

La SAS Zifel soutient que la rupture des relations commerciales est imputable à la SA Cdiscount en ce qu'elle a refusé de passer la commande litigieuse de 500 000 euros. Or, outre le fait qu'un refus ponctuel ne caractérise pas à lui seul une rupture des relations, il est désormais établi que cette vente n'était pas formée et qu'elle n'avait de ce fait pas à être exécutée.

Par ailleurs, s'il est exact que l'introduction d'une procédure d'appel d'offres ou d'une mise en concurrence systématique dans une relation commerciale qui n'en comportait pas peut caractériser une modification substantielle du partenariat et partant, une rupture, encore faut-il que la SAS Zifel qui se prétend évincée ait a minima tenté de répondre favorablement aux commandes de la SA Cdiscount, peu important sur ce plan l'absence de formalisation claire d'un appel d'offres dès lors que des offres précises ont été émises. Or, l'examen des échanges électroniques des parties à compter du mois de février 2018 révèle que :

- des négociations ont été ouvertes en février 2018 au sujet d'une commande de 340 lots, un bon de commande étant édité le 5 mars 2018 puis modifié le 8 mars 2018 à la demande de la SAS Zifel qui avait mal apprécié l'état de ses stocks ;

- le 14 mars 2018, la SA Cdiscount proposait à la SAS Zifel une commande de 618 250 euros pour une opération « bagagerie Black Friday » et le référencement permanent de divers produits et lui adressait un prévisionnel de ses besoins pour des opérations « maroquinerie ». Elle invitait la SAS Zifel à valider ses offres en apportant les éléments nécessaires à la réalisation des opérations envisagées. Cependant, à la faveur d'une demande de réduction du prix d'achat de 50 centimes par unité présentée par la SA Cdiscount qui invoquait l'existence d'une offre concurrente, la SAS Zifel, dénonçant le caractère dérisoire de cette prétention en rappelant le montant des avoirs consentis, annonçait « mettre un terme à [leurs] relations commerciales » le 20 mars 2018 avant de se raviser le jour même en relayant les exigences de sa direction qui réclamait l'annulation de l'avoir de 35 000 euros faute de passation de la commande de 500 000 euros.

Si ces échanges ne caractérisent aucune notification univoque de rupture par la SAS Zifel, l'annonce du 20 mars 2018 ayant été immédiatement contredite, ils démontrent qu'elle n'a pas donné suite aux offres de la SA Cdiscount en refusant une baisse de prix dont elle soulignait elle-même le caractère marginal et en érigeant en condition générale de la poursuite des relations l'annulation de l'avoir, qui portait sur une opération distincte objet de discussions dissociables, sans pour autant prétendre que son obtention constituerait une faute grave fondant à elle seule la rupture. Le tarissement du flux d'affaires, qui est seul susceptible de caractériser la cessation du partenariat en l'absence de toute formalisation d'une volonté de rompre par les parties, est exclusivement imputable à la SAS Zifel.

En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens des parties relatifs au caractère établi de la relation et à sa durée, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de la SAS Zifel au titre de la rupture brutale des relations commerciales, préjudice moral compris.

4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens. Aussi, les dépens de première instance seront mis à la charge de la SA Cdiscount qui aurait dû succomber partiellement. La Cour constate néanmoins que la SAS Zifel, bien qu'elle sollicite l'infirmation du jugement de ce chef également, ne présente aucune demande au titre des frais irrépétibles de première instance.

Succombant, la SA Cdiscount, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la SAS Zifel la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Déclare recevables les dernières écritures et pièces notifiées et communiquées par la SAS Zifel le 19 avril 2024 ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a :

- rejeté la demande de la SAS Zifel au titre de la répétition de l'avoir ;

- condamné la SAS Zifel au paiement des frais irrépétibles et des dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la SA Cdiscount à payer à la SAS Zifel la somme de 42 000 euros TTC au titre du remboursement de l'avoir obtenu sans contrepartie ;

Condamne la SA Cdiscount à supporter les entiers dépens de première instance qui seront recouvrés directement par Maître Stéphane Fertier conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SA Cdiscount au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SA Cdiscount à payer à la SAS Zifel la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA Cdiscount à supporter les entiers dépens d'appel qui seront recouvrés directement par Maître Stéphane Fertier conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/19201
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.19201 ?
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