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19/06/2024 | FRANCE | N°21/09029

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 19 juin 2024, 21/09029


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 19 JUIN 2024



(n° 2024/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09029 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESR7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/05046





APPELANTE



S.A. KEPLER CHEUVREUX

[Adresse 1]>
[Localité 3]

Représentée par Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de PARIS, toque : G0035



INTIME



Monsieur [M] [L]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Frédéric BENOIST, ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 19 JUIN 2024

(n° 2024/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09029 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESR7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/05046

APPELANTE

S.A. KEPLER CHEUVREUX

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de PARIS, toque : G0035

INTIME

Monsieur [M] [L]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Frédéric BENOIST, avocat au barreau de PARIS, toque : G0001

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et de la formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller et rédacteur

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christophe BACONNIER, Président de chambre, et par Gisèle MBOLLO, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE

M. [L] a été embauché par la société Kepler Capital Markets le 24 septembre 2014 par un contrat à durée déterminée d'un an en qualité d''Analyst', statut cadre.

La convention collective nationale des activités de marchés financiers est applicable.

La relation de travail s'est poursuivie par un contrat à durée indéterminée signé avec la société Kepler Cheuvreux le 24 juin 2015 au poste d''Analyst', statut cadre.

Par avenant du 23 juillet 2018, M. [L] est devenu 'Associate Corporate Finance', à compter du 1er mars 2018.

Le 25 octobre 2019, M. [L] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement prévu 1e 6 novembre 2019. Il a été licencié pour insuffisance professionnelle par lettre recommandée avec avis de réception du 12 novembre 2019. Il a été dispensé de l'accomplissement du préavis, d'une durée de deux mois.

M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 22 juillet 2020 aux fins de contester le licenciement, demander des rappels de salaires et des dommages-intérêts.

Par jugement du 06 octobre 2021, le conseil de prud'hommes a :

'Fixé le salaire mensuel à 7 083 euros ;

Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamné la SA Kepler Cheuvreux à verser à Monsieur [M] [L] les sommes suivantes :

- 73 806 euros au titre des heures supplémentaires ;

- 7 380 euros au titre des congés payés afférents ;

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, le 03 août 2020,

Rappelé qu'en vertu de l'article R.454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ,

- 42 498 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 42 498 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

Avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement ;

- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté M. [L] du surplus de ses demandes ;

Débouté la société Kepler Cheuvreux de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.'

La société Kepler Cheuvreux a formé appel par acte du 02 novembre 2021.

Par ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 25 mars 2024, auxquelles la cour fait expressément référence, la société Kepler Cheuvreux demande à la cour de :

Recevoir la société Kepler Cheuvreux en ses conclusions et la déclarer bien fondée

Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 6 octobre 2021 en ce qu'il a :

'- fixé le salaire mensuel de M. [L] à 7 083 euros,

- dit le licenciement de M. [L] sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Kepler Cheuvreux à verser à M. [L] :

. 73 806 euros au titre des heures supplémentaires

. 7 380 euros au titre des congés payés afférents

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation le 3août 2020

. 42 498 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

. 42 498 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé

. 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du CPC et l'a condamnée aux dépens,

Par conséquent

A titre principal,

- Juger que le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [L] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- Juger que les demandes de rappels de salaire pour heures supplémentaires sont injustifiées et en tout état de cause mal-fondées ;

- Juger que M. [L] a été rempli de tous ses salaires et accessoires de salaire ;

En conséquence.

- Débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

A titre reconventionnel,

- Condamner M. [L] à verser à la société Kepler Cheuvreux la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'

Par conclusions déposées au greffe et notifiées le 04 mars 2024, auxquelles la cour fait expressément référence, M. [L] demande à la cour de :

'Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris du 6 octobre 2021 en ce qu'il a :

Dit le licenciement de M. [L] pour insuffisance professionnelle sans cause réelle et sérieuse ;

Condamné la société Kepler Cheuvreux à verser à M. [L] les sommes suivantes:

- rappel de salaire pour heures supplémentaires ................................................... 73 806€

- congés payés afférents .......................................................................................... 7 380 €

- indemnité pour travail dissimulé ........................................................................ 42 498 €

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris du 6 octobre 2021 en ce qu'il a :

Fixé le montant dû par la société Kepler Cheuvreux à M. [L] à la somme de 42 498 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Débouté M. [L] de sa demande de dommages et intérêts pour la contrepartie obligatoire en repos ;

Statuant à nouveau,

Condamner la société Kepler Cheuvreux à verser à M. [L] les sommes suivantes:

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse 70 830 euros

- dommages et intérêts pour la contrepartie obligatoire en repos 29 507 euros

Subsidiairement

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse 42 498 euros

En tout état de cause,

Dire que les sommes ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,

Condamner la société Kepler Cheuvreux à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Kepler Cheuvreux aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Frédéric Benoist, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 mars 2024.

Motifs

Sur le licenciement

L'insuffisance professionnelle est caractérisée par l'inaptitude du salarié à exécuter son travail de manière satisfaisante. Elle ne résulte pas d'un comportement volontaire, mais révèle l'incapacité constante du salarié à assumer ses fonctions. Elle constitue une cause de licenciement et doit être caractérisée par des éléments réels et objectifs .

En application des articles L1232-1 et L 1235-1 du code du travail dans leur rédaction applicable à l'espèce, l'administration de la preuve du caractère réel et donc existant des faits reprochés et de leur importance suffisante pour nuire au bon fonctionnement de l'entreprise et justifier le licenciement du salarié, n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de licenciement indique : ' Objet : notification de licenciement pour motif personnel

Monsieur,

Nous faisons suite à l'entretien préalable du 6 novembre 2019 (où vous étiez présent et assisté par deux membres du CSE, [J] [G] et [U] [F]), au cours duquel il vous a été exposé les motifs suivants nous contraignant à envisager la rupture de votre contrat de travail.

Pour mémoire, vous avez été engagé, le 24 septembre 2014, par la société Kepler Cheuvreux, sachant que vous y occupez en dernier lieu les fonctions d' 'Associate Corporate Finance'- statut cadreIII.A.

Or, après un début d'activité qui pouvait laisser croire que vous disposiez des qualités nécessaires au bon accomplissement des missions confiées, vous avez fait montre de compétences d'un niveau très inférieur au standard attendu pour un 'associate' : le travail fourni par vois soins relevant de fait davantage d'un niveau d'analyste.

A titre d'illustration, et alors même que vous étiez chargé de gérer les 'templates' des documents générés par le 'corporate finance', nous avons eu à déplorer un manque de suivi de votre part assez incompréhensible au regard de vos attributions et s'accompagnant d'erreurs manifestes. Vous n'avez d'ailleurs pas alerté votre ligne hiérarchique sur les problématiques importantes rencontrées dans ce métier, et qui ne peuvent être perçues comme de simples erreurs cosmétiques de la part d'un cadre de votre niveau.

Votre manque de rigueur, doublé d'un manque de cohésion avec les différentes équipes internationales, ont eu des conséquences préjudiciables qui ont généré un important travail de réfaction.

En dépit de nos appels à la cohésion et au travail transversal, il est patent que vous n'avez pas réussi à vous intégrer à l'équipe corporate finance et que vous avez eu malheureusement tendance à travailler de manière isolée sur [Localité 5].

Bien que M. [S] [W] (CEO de la branche Corporate Finance), en relai de votre ligne hiérarchique, ait pris la peine de vous recevoir personnellement en 2019 pour préciser les attentes de la société, force est de constater que vous n'avez pas sur tenir compte des conseils et recommandations prodigués.

S'agissant plus particulièrement de l'activité AGAP (produit développé en interne à destination d'une clientèle d'entreprises cotées françaises), et alors même que nous vous avions expressément demandé -lors de votre entretien annuel- d'améliorer le process de coordination de la prospection et du suivi des intérêts, vous n'avez pas réussi à atteindre cet objectif ; ce qui s'est fait ressentir sur le développement des solutions d'incentive management et a eu un impact négatif sur les résultats.

Loin d'avoir eu le rôle 'pivot' attendu entre l'équipe France, et les autres membres du Corporate Finance, dans les différents pays (salariés ou prestataires), vous avez fait preuve d'un manque patent de réactivité en vous cantonnant trop souvent à un rôle d'observateur passif.

A titre d'exemple, les comptes rendus hebdomadaires attendus n'étaient pas réalisés en temps voulu par vois soins, et étaient fournis toutes les 2 ou 3 semaines sans dynamique.

Concernant l'AGAP (I.e branche 'Solutions Structurées'), vous avez d'ailleurs reconnu que le nombre de mandats signés n'avait pas été à la hauteur des attentes de l'entreprise.

Ce faisant, vous n'avez pas été au rendez-vous de la montée en puissance attendue de votre part, tant en termes d'autonomie que de résultats.

Loin de prendre la pleine mesure de la situation, et postérieurement à votre dernier entretien d'évaluation, vous n'avez eu de cesse depuis lors de réitérer les mêmes erreurs et carences professionnelles, comme le démontre l'absence d'améliorations des résultats de l'activité AGAP sur l'année 2019 (chiffre d'affaires nettement inférieur à 100.000€).

Constat étant dressé d'une insuffisance professionnelle caractérisée dans l'exercice de vos responsabilités, doublée d'une insuffisance de résultats, nous sommes contraints de mettre un terme à notre collaboration.

Nous sommes par conséquent contraints de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.'

Le contrat à dure indéterminée indique que M. [L] est recruté comme 'analyst' au sein du département corporate finance, sans décrire ses activités ou les tâches qui lui sont confiées. L'avenant au contrat de travail signé le 23 juillet 2018 indique que M. [L] 'exercera les fonctions d'associate corporate finance' puis ' à ce titre, le salarié reportera directement aux membres de la direction des sociétés Kepler Cheuvreux et Kepler Corporate Finance.', sans autre précision concernant les tâches à accomplir.

Aucune fiche de poste de M. [L] n'est versée aux débats et les entretiens d'évaluation ne mentionnent pas les activités relevant du poste du salarié.

Le dernier compte-rendu d'évaluation produit a été établi après un entretien du 12 décembre 2018. Il évalue l'année 2018 et indique les objectifs pour l'année 2019.

Sur les trois objectifs évalués au cours de l'entretien, deux sont évalués à A, qui correspond au plus haut niveau d'évaluation 'attentes dépassées', et un est évalué à B, 'conforme aux attentes', au deuxième niveau parmi les quatre. Sur les seize rubriques d'évaluation des compétences, neuf sont au niveau 'attentes dépassées', trois sont 'conforme aux attentes', une rubrique est évaluée intermédiaire à ces deux niveaux ; seules deux rubriques sont renseignées par 'progrès requis' : celles de 'management ability' et 'teamwork'. Le score total est de 57 sur 64 et le pourcentage obtenu est de 89%.

Le commentaire du supérieur hiérarchique indique que l'activité 'SMID 360" a été menée à bien et que les objectifs ont été remplis. Les demandes liées à la réalisation d'analyses quantitatives ont été réalisées. Une formule indique 'Sur le point de l'activité AGAP, il est demandé à [M] d'améliorer le process de coordination de la prospection et du suivi des intérêts afin d'avoir une meilleure visibilité sur le développement des solutions d'incentive Management.' L'appréciation globale n'est pas renseignée par le supérieur.

Le 'Nplus2" du salarié indique : 'Il est absolument prioritaire qu'[M] s'insère dans le reste de l'équipe KCF France. Aujourd'hui [M] s'est isolé aux deux activités AGAP et le Cobing. Il doit profiter de l'extension de l'équipe pour s'exposer aux autres métiers de Corporate Finance.'

Pour l'année 2019 quatre objectifs ont été fixés :

- dans le cadre du développement du 'SMID 360", assister le supérieur, création d'un tableau de bord de prospection,

- mise à jour des supports de présentations 'SMID 360" de manière autonome, revue mensuelle des présentations,

- pilotage du fichier de part de marché contrat liquidité, synthèse mensuelle à communiquer,

- formation et suivi des stagiaires français et suisses sur le sujet cobing, qualité des simulations cobing.

Lors de son entretien d'évaluation sur l'année 2018, aucun objectif quantitatif n'a été fixé à M. [L] pour l'année 2019, et aucune autre pièce ne démontre la fixation de tels objectifs.

Dans un mail adressé au CEO le 23 octobre 2019, le secrétaire général indique l'évolution à la baisse de l'indicateur AGAP, de 280 à 90. Le nombre de reports effectués au cours des dix premiers mois de l'année est de onze. Dans une attestation le secrétaire général indique 'Lorsque j'ai pu l'interroger (M. [L]) sur des documents dont il avait la responsabilité, sa réaction première était d'affirmer qu'il n'était pas au courant alors que l'historique des modifications apportées au document montrait qu'il était la dernière personne ayant modifié le document.' Ce propos est extrêmement général, n'indique pas quelle est l'activité en cause, ni la période concernée.

L'entretien avec M. [S] [W], le CEO de la branche Corporate Finance, qui est mentionné dans la lettre de licenciement n'est pas établi.

La société Kepler Cheuvreux produit un historique des modifications apportées aux 'Templates' qui ne porte que sur le mois d'août 2019. Ce listing indique des modifications qui ont été apportées par plusieurs personnes sur certains documents, notamment M. [L]. Il porte sur une période ponctuelle, et n'apporte pas de réelle information sur l'activité dans l'entreprise.

L'évaluation de la fin de l'année 2017 produite par M. [L] indique que son évaluation globale avait été fixée sur la case intermédiaire entre A (au-dela des attentes) et B (conforme aux attentes). Le score total était de 56,5 sur 60 et le pourcentage de 94%. Le salarié y est mentionné comme exerçant encore au poste d'analyste.

M. [L] fait justement valoir que, chaque année, il a perçu un bonus et que sa rémunération annuelle fixe a été augmentée, la dernière fois le 1er mars 2019.

L'absence d'intégration de M. [L] dans les équipes ne résulte pas des pièces produites par l'employeur, alors que le salarié verse aux débats plusieurs attestations de salariés qui font état des échanges réguliers avec lui, de son investissement et du sérieux dans la réalisation de ses prestations.

M. [L] produit de nombreux échanges de mails dans lesquels il informe ses interlocuteurs des données de l'activité de l'entreprise. Plusieurs d'entre eux sont relatifs à l'activité AGAP et démontrent la régularité des informations données par M. [L] à ses supérieurs concernant cette activité, entre 2017 et 2019. Aucune fréquence minimale concernant l'information par M. [L] de ses supérieurs ne résulte des éléments produits.

L'employeur ne verse pas aux débats d'élément permettant d'apprécier la réalisation, ou non, des objectifs qui ont été fixés à M. [L] pour l'année 2019.

En définitive, l'insuffisance professionnelle de M. [L] ne résulte pas des éléments versés aux débats par l'une et l'autre des parties.

Le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les heures supplémentaires

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence de rappels de salaire, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le contrat de travail de M. [L] indique un temps de travail hebdomadaire de 35 heures en moyenne sur l'année, sous forme d'un aménagement annuel de 37 heures hebdomadaires de travail effectif, les 2 heures étant compensées par l'attribution de 12 jours ouvrés de repos sur l'année. Le contrat de travail comporte une convention de forfait d'heures supplémentaires, la rémunération fixe comportant les dépassements d'horaire dans la limite de 12,27 heures supplémentaires par mois.

M. [L] expose qu'il était confronté à une surcharge de travail considérable, travaillant tard le soir, les fins de semaine, jours fériés et vacances.

M. [L] verse aux débats trois tableaux qui indiquent pour les années 2017, 2018 et 2019 le nombre d'heures supplémentaires réalisées chaque semaine, le taux de majoration et la créance revendiquée. Les attestations des autres salariés qu'il produit font état d'horaires de travail tardifs ainsi que du travail régulièrement accompli lors des fins de semaine. Des notes de frais correspondant au remboursement des frais de repas du soir ou de retour en taxi sont produites, ainsi que de nombreux mails professionnels adressés, ainsi que des demandes faites à la hiérarchie pour pouvoir rester dans les locaux lors des fins de semaine, les agents de sécurité ayant demandé aux personnes présentes de quitter le bâtiment.

M. [L] produit ainsi des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en fournissant ses propres éléments.

La société Kepler Cheuvreux conteste la réalisation d'heures supplémentaires, sans produire d'éléments permettant de vérifier le temps de travail accompli par M. [L]. Les horaires collectifs de l'entreprise, auxquels l'employeur fait référence, ne sont pas justifiés. L'employeur soutient que l'absence de travail effectif est démontrée par de nombreux messages et fait justement valoir qu'à de nombreuses reprises M. [L] était en congés sur des périodes pour lesquelles il revendique l'accomplissement d'heures supplémentaires, soit en totalité, soit sur une partie de la semaine. La société Kepler Cheuvreux produit le listing des absences de M. [L], pour différents motifs de congés, RTT ou maladie.

Il résulte ainsi des éléments produits par l'une et l'autre des parties que M. [L] a accompli des heures supplémentaires au-delà du forfait prévu au contrat, qui n'ont pas été rémunérées, mais dans une moindre mesure que celles dont il demande le paiement.

La société Kepler Cheuvreux doit être condamnée au paiement de la somme de 11 248,65 euros au titre du rappel des heures supplémentaires, outre 1 124,86 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

Pour caractériser le travail dissimulé prévu par l'article L.8221-5 du code du travail la preuve de l'élément intentionnel de l'employeur doit être rapportée.

Si une condamnation en paiement de rappel d'heures supplémentaires est prononcée, la preuve de l'élément intentionnel de l'employeur n'est pas rapportée. L'employeur avait connaissance d'horaires importants accomplis à certaines périodes, dans un cadre de forfait prévoyant le paiement d'heures supplémentaires, ce qui ne démontre pas la volonté de se soustraire aux formalités concernant les salariés.

La demande d'indemnité formée à ce titre par M. [L] doit être rejetée.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la contrepartie obligatoire en repos

Compte tenu du nombre d'heures supplémentaires retenues, M. [L] n'a pas travaillé au-delà du contingent annuel de 220 heures au cours des années 2017, 2018 et 2019.

M. [L] doit être débouté de sa demande de dommages-intérêts formée à ce titre.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'article L.1235-3 du code du travail dispose que :

'Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.

Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9.

Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au présent article.'

M. [L] demande que la cour d'appel n'applique pas le barème prévu par le code du travail, invoquant les dispositions de la convention n°158 de l'OIT.

Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention précitée et il n'y a pas lieu d'écarter leur application. Il appartient seulement au juge d'apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L. 1235-3 du code du travail.

M. [L] ayant débuté dans la société le 24 septembre 2014, ce qui est repris dans les bulletins de paie, son ancienneté était de cinq années complètes au moment du licenciement.

L'indemnité doit être comprise entre trois et six mois de salaire brut, salaire qui doit inclure les primes, la rémunération variable ainsi que la moyenne mensuelle des heures supplémentaires accomplies. La rémunération fixe mensuelle de M. [L] étant de 5 833,33 euros, en prenant en compte l'annualisation du bonus et la moyenne des heures supplémentaires retenues, la rémunération mensuelle de M. [L] à prendre en compte est ainsi de 7 400,44 euros.

Compte tenu de ces éléments, de la situation professionnelle de M. [L] et de son ancienneté, la société Kepler Cheuvreux doit être condamnée à lui verser la somme de 33 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

En application des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail la société Kepler Cheuvreux doit être condamnée à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées entre le jour du licenciement et le jugement, dans la limite de six mois.

Il sera ajouté au jugement.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les dommages et intérêts alloués à compter de la présente décision.

Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [L] et la société Kepler Cheuvreux succombant toutes deux partiellement en leurs demandes, chaque partie supportera la charge des dépens qu'elle a exposés et sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel. L'indemnité allouée à ce titre par le conseil de prud'hommes sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes, sauf en ce qu'il a condamné la société Kepler Cheuvreux à payer à M. [L] les sommes suivantes :

- 73 806 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires et 7 380 euros au titre des congés payés afférents,

- 42 498 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 42 498 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Kepler Cheuvreux à payer à M. [L] les sommes suivantes:

- 11 248,65 euros au titre du rappel des heures supplémentaires et 1 124,86 euros au titre des congés payés afférents,

- 33 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute M. [L] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

Ordonne à la société Kepler Cheuvreux de rembourser au Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [L] , du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois des indemnités versées,

Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens qu'elle a exposés,

Déboute les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/09029
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.09029 ?
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