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19/06/2024 | FRANCE | N°21/09023

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 19 juin 2024, 21/09023


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 19 JUIN 2024



(n° 2024/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09023 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESRG



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 18/01562





APPELANT



Monsieur [N], [Z] [Y]

[Adresse 1]



[Localité 3]

Représenté par Me Carine MARCELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 574





INTIMEE



S.A.S. FREE DRIVERS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Annie G...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 19 JUIN 2024

(n° 2024/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09023 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESRG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 18/01562

APPELANT

Monsieur [N], [Z] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Carine MARCELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 574

INTIMEE

S.A.S. FREE DRIVERS

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Annie GULMEZ, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et de la formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller et rédacteur

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christophe BACONNIER, Président de chambre, et par Gisèle MBOLLO, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE

La société Free drivers a engagé M. [N] [Y] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 8 juin 2012 en qualité de conducteur poids lourds.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des transports routiers.

Par lettre notifiée le 18 octobre 2017, M. [Y] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 2 novembre 2017, avec mise à pied à titre conservatoire. M. [Y] a indiqué ne pas pouvoir s'y rendre en raison d'un arrêt de travail.

Le 10 novembre 2017, la société Free drivers a écrit à M. [Y] pour lui indiquer les raisons pour lesquelles son licenciement était envisagé, en raison de son comportement agressif le 17 octobre 2017.

Par courrier, reçu par l'employeur le 20 novembre 2017, M. [Y] a répondu au courrier, donnant sa version des faits.

M. [Y] a été licencié pour faute grave par lettre notifiée le 30 novembre 2017.

Le 30 mai 2018 , M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny pour contester le licenciement et former des demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts. En dernier lieu il a formé les demandes suivantes :

«- A titre principal

- Dire et juger que le licenciement de Monsieur [Y] repose sur un motif discriminatoire tenant à son origine

- Dire et juger le licenciement nul

- Indemnité de licenciement nul . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 000,00 €

- A titre subsidiaire dans l'hyposthèse où le Conseil considérerait que le licenciement n'est pas nul il ne pourrait que :

- Dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Indemnité de licenciement vexatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 746,70 €

- En tout état de cause :

- Fixer le salaire de référence mensuel à la somme de . . . . . . . . . . . . . . 2.124,45 euros

- Dire et juger que la société FREE DRIVERS a méconnu son obligation de sécurité et résultat

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat . . . . . . . . . . . . 10 000,00 €

- Dommages et intérêts pour inégalité de traitement méconnaissance de l'obligation de sécurité de résultat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 000,00 €

-Indemnité compensatrice de préavis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 248,90 €

- Congés payés sur préavis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 424,90 €

- Rappel de salaires sur mise à pied à totre conservatoire (à parfaire) . . . . . . 2 800,00 €

- Congés payés sur mise à pied (à parfaire) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280,00 €

- Indenmité de licenciement . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 655,56 €

- Dommages-intérêts pour résistance abusive relatif à l'envoi tardif des documents de fin de contrat régularisés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 000,00 €

- Ordonner la remise de bulletins de paie conformes aux termes de la décision sous astreinte définitive de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir.

- Ordonner la remise des bulletins de paie de mars 2016, avril 2017, mai 2017, octobre et novembre 2017

- Exécution provisoire

- Article 700 du Code de Procédure Civile . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 500,00 €»

Par jugement du 20 septembre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

«REQUALIFIE le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse

FIXE la moyenne des salaires à 1845.43 euros

CONDAMNE la société FREE DIVERS à verser à Monsieur [N] [Y] les sommes suivantes :

- 3 690,86 euros au titre de l'indemnité de préavis

- 369,08 euros au titre des congés payés ;

- 83,88 euros au titre de rappel de salaire sur la mise à pied ;

- 8,38 euros au titre des congés payés.

RAPPELLE que les créances de nature salariale porteront intérêts de droit à compter de la date de réception parla partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 04 juin 2018, et les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent jugement,

CONDAMNE la société FREE DRIVERS à verser à Monsieur [N] [Y] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE Monsieur [N] [Y] du surplus de ses demandes ;

CONDAMNE la société FREE DRIVERS aux dépens.»

M. [Y] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 30 octobre2021.

La constitution d'intimée de société free drivers a été transmise par voie électronique le 20 janvier 2022.

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 29 décembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, M. [Y] demande à la cour de :

«A titre principal,

INFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [Y] de ses demandes relatives à la discrimination dont il a fait l'objet ;

Statuant à nouveau,

DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [Y] repose sur un motif discriminatoire tenant à son origine ;

En conséquence,

DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [Y] est nul ;

CONDAMNER la société FREE DRIVERS au paiement de la somme de 25 000 € net au titre de l'indemnité pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour considèrerait que le licenciement n'est pas nul, elle ne pourrait que :

INFIRMER le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [Y] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

CONDAMNER la Société FREE DRIVERS au paiement de la somme de 12 746,70 € net au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

INFIRMER le jugement en ce qu'il a retenu un salaire de référence de 1 845,43 € ;

INFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [Y] de ses demandes relatives à l'obligation de sécurité, à l'exécution déloyale du contrat, à l'envoi tardif des documents de fin de contrat régularisés et à la remise des bulletins de paie ;

Statuant à nouveau,

FIXER le salaire de référence mensuel de Monsieur [Y] à la somme de 2 124,45 € brut;

CONDAMNER la Société FREE DRIVERS au paiement de la somme de 10 000 € net à titre de dommages et intérêts pour méconnaissance de l'obligation de sécurité de résultat ;

CONDAMNER la Société FREE DRIVERS au paiement de la somme de 10 000 € net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat ;

CONDAMNER la Société FREE DRIVERS à verser à Monsieur [Y] la somme de 5 000 € net à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive relatif à l'envoi tardif des documents de fin de contrat régularisés ;

ORDONNER la remise de bulletins de paie conformes aux termes de la décision sous astreinte définitive de 50 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir ;

ORDONNER la remise des bulletins de paie de mars 2016, avril 2017, mai 2017, octobre et novembre 2017 ;

CONDAMNER la Société FREE DRIVERS à verser à Monsieur [Y] les sommes suivantes :

- Indemnité compensatrice de préavis : 4 248,90 €

-Congés payés sur préavis : 424,90 €

-Rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire : 2 800 € (à parfaire) ;

-Congés payés sur mise à pied à titre conservatoire : 280,00 € (à parfaire) ;

-Indemnité de licenciement : 2 655,56 €

-DEBOUTER la Société FREE DRIVERS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

-CONDAMNER la Société FREE DRIVERS à payer à Monsieur [Y] une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER la Société FREE DRIVERS aux entiers dépens. »

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 24 février 2023, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, la société Free drivers demande à la cour de :

«A titre principal:

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Bobigny le 20 septembre 2021 en ce qu'il a:

-Requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

-Fixé la moyenne des salaires à 1845,43 euros

-Condamné la société FREE DRIVERS à verser à Monsieur [Y] les sommes suivantes:

·3690,86 euros au titre de l'indemnité de préavis;

·369,08 euros au titre des congés payés afférents;

·83,88euros au titre de rappel de salaire sur la mise à pied;

·8,38 euros au titre des congés payés;

-Condamné la société FREE DRIVERS à verser à Monsieur [N] [Y] la somme de1 200euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

-Condamné la société FREE DRIVERS aux dépens

JUGER que le licenciement de Monsieur [Y] repose sur une faute grave;

CONDAMNER Monsieur [Y] à restituer à la société FREE DRIVERS la somme de 4152,2 euros qui lui a été indument versée en vertu de l'exécution provisoire attaché au jugement prud'homal;

DEBOUTER Monsieur [Y] de l'ensemble de ses demandes;

A titre subsidiaire:

CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Bobigny le 20 septembre 2021 en ce qu'il a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse par substitution de motifs;

En tout état de cause:

CONDAMNER Monsieur [N] [Y] à verser à la société FREE DRIVERS la somme de 3.000€ au titre des dispositions de l'article700 du Code de procédure civile;

CONDAMNER Monsieur [N] [Y] aux entiers dépens.»

L'ordonnance de clôture a été rendue le mars 2024.

L'affaire a été appelée à l'audience du 6 mai 2024.

MOTIFS

Sur la nullité du licenciement

M. [Y] fait valoir que le licenciement est nul au motif qu'il est discriminatoire pour avoir été prononcé en raison de ses origines.

L'article L1132-1 du code du travail dispose que ' Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L 3221-3 des mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.'

L'article L. 1134-1 du code du travail dispose que 'Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à l'emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

L'article L. 1132-4 du code du travail dispose que 'Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.'

M. [Y] produit plusieurs attestations de personnes qui ont travaillé dans l'entreprise.

M. [S] atteste qu'il y avait un grand nombre d'irrégularités 'pour certain type de personne (couleur noir)...concernant les tournées aussi il y a que les noirs qui sent visée pour effectué le travail du lundi au samedi et a des heures très décalé sans prendre en conte la coté soicale. De ce fait il y aura toujours des tensions et la direction ne se gêne pas d'agresser verbalement et physiquement part des mots qui touche l'estime de soie et aussi raciale. Le 05 du mois c'est toujours une histoire poyr récupéré le builletin de paie. M. [K] ce permet de dire que la fin du mois va être dur car il attribue une tournée sans pannier de repas ou heure de nuit. La direction [R] [E] agresse de façon permanente les chauffeurs de façon verbale et physique..''

M. B indique avoir été salarié de 2012 à 2014, que l'attribution des tournées était inégale, par affinité, et que Madame [V] sortait de son bureau en étant verbalement agressive.

Dans un courrier auquel la pièce d'identité est jointe, Mme [J] écrit avoir travaillé dans l'entreprise à la même période que M. [Y], que Mme [E] insultait les chauffeurs de 'bande de bon à rien' ou de 'sale noir' et faisait en sorte qu'une autre personne de la direction soit toujours présente avec elle pour avoir des témoins, que le 05 du mois ils convoquaient les chauffeurs pour remettre les fiches de paie et leur faisaient des remarques personnelles, sur leur physique ou qu'ils sentaient mauvais.

M. [Y], dont l'origine n'est pas discutée, a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave par courrier du 30 novembre 2017 qui indique : 'Nous reprenons contact avec vous suite à notre courrier du 10 novembre 2017 dans lequel nous vous avons exposé les griefs que vous nous avions à formuler à votre encontre.

Les explications recueillies auprès de vous ne nous ayant pas permis de modifier notre appréciation des faits, nous sommes contraints de vous notifier par la présence, votre licenciement pour les raisons exposées ci-après.

Nous avons eu à déplorer un comportement que nous jugeons inadmissible de votre part dans les événements qui se sont produits le mardi 17 octobre 2017, au sein de l'entreprise. Aux alentours de 12h30 ce jour-là, vous avez eu un échange avec Madame [R] [E], Directrice.

C'est à cette occasion que vous êtes sorti de vos gonds et que vous avez adopté une attitude agressive d'une violence inouïe à son égard.

Vous vous êtes cru autorisé à attraper ses bras violemment alors qu'elle tentait de vous repousser à l'aide de Monsieur [K].

En présence de plusieurs autres salariés, qui tentaient également de vous faire sortir du bureau, vous avez été totalement hors de contrôle, en refusant d'entendre raison, et êtes revenu à la charge à deux reprises dans un état de colère ahurissant.

Alors que Madame [E] tentait de vous repousser à l'aide de Monsieur [K].

vous êtes parvenu à la projeter au sol, sans qu'à aucun moment cela ne vous fasse réagir et ne calme votre colère démesurée et inadmissible, à l'égard de la Directrice de l'établissement.

C'est publiquement que vous avez porté atteinte à son autorité et à votre hiérarchie, sans qu'à aucun moment cet acharnement physique n'ait eu la moindre motivation.

Vous aviez visiblement eu envie d'en découdre avec Madame [E] et avez même été menaçant à l'égard de vos collègues de travail qui tentaient de vous calmer. Votre attitude est inqualifiable.

Un tel comportement n'a pas sa place au sein de notre entreprise.

Votre attitude a eu des conséquences extrêmement graves pour l'entreprise, 11 jours d'incapacité totale de travail ayant été prescrits à Madame [E].

Elle est actuellement en accident du travail à la suite de la grave agression qu'e1le a subie.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Votre licenciement prend effet immédiatement à la date d'envoi de la présente et solde de tout compte sera arrêté a cette date, sans préavis, ni indemnité de licenciement.

Votre mise à pied à titre conservatoire ne sera pas rémunérée [...]».

M. [Y] conteste le déroulement des faits qui sont mentionnés dans la lettre de licenciement et explique que c'est la directrice qui l'a agressé alors qu'il était venu régler un problème concernant sa paie. Il indique que lors de l'audience devant le conseil de prud'hommes l'employeur a reconnu que les faits ne s'étaient pas déroulés de cette façon.

Ces éléments de fait présentés par le salarié, un comportement spécifique adopté par l'employeur à l'égard de salariés en raison de leur origine qui a été suivi par un licenciement dont les faits sont contestés, laissent supposer l'existence d'une discrimination en raison de son origine.

La société Free drivers produit plusieurs certificats médicaux concernant Mme [E], la directrice de l'établissement. Celui du 17 octobre 2017 a prescrit une ITT de 7 jours ; celui du 21 octobre 2017 a conclu à une ' ITT au sens pénale de 10 jours'. Une plainte pénale a été déposée par Mme [E].

Il ne résulte pas du jugement du conseil de prud'hommes que l'employeur  a fait état d'un autre déroulement des faits que ceux qui sont indiqués dans la lettre de licenciement. Le propos suivant de la note d'audience, qui est produite, 'Mme [E] n'a pas été projetée au sol n'est pas une erreur matérielle' est expressément attribué à la partie demanderesse, c'est à dire à M. [Y], et non à l'employeur. Il ne s'agit donc pas d'une quelconque reconnaissance de la part de ce dernier.

La société Free drivers verse aux débats des attestations de salariés de l'entreprise qui indiquent avoir été présents lors de l'altercation du 17 octobre 2017.

M. [K], chef d'équipe, atteste que ' Dans l'entreprise il y au moins 40% de salariés qui sont d'origine antillaise ou africaine, il y a également des maghrébins. Je n'ai jamais reçu aucune instruction me demandant de recruter telle ou telle origine au sein de l'entreprise, cela n'a aucune importance. .... Le 17 octobre 2017 M. [Y] est venu à mon bureau sans rendez-vous. J'étaits avec M. [B] (nous partageaons le même bureau) et nous discutions. Mme [E] était dans son bureau (collé au nôtre) avec M. [G], conducteur dans la société. Mme [E] estr venue dans notre bureau et a salué M. [Y] et elle lui a fait une remarque sur le fait qu'il n'était pas accompagné par sa femme ce jour-là. M. [Y] était venu en effet plusieurs fois se plaindre par l'intermédiaire de sa femme.... Quand Mme [E] lui a fait la réflexion M. [Y] s'est brusquement emporté et a foncé sur Mme [E]. J'ai dû m'interposer avec M. [B] parce que M. [Y] était extrêmement remonté et menaçant physiquement. Il a attrapé le bras de Mme [E], très fortement et j'ai bien cru qu'il allait la frapper.... Il a menacé à plusieurs reprises Mme [E] et nous n'avons pas été de trop de deux pour le calmer et le faire quitter les locaux....'

M. [B], chef de parc, atteste être d'origine antillaise, être entré conducteur et avoir été promu, n'avoir jamais subi de propos raciste et qu'il y a des salariés de différentes origines, puis 'j'atais présent le 17 octobre ... M. [Y] s'est présenté ce jour là seul, il s'était présenté à plusieurs reprises avec sa femme... Mme [E] était dans son bureau avec M. [G], son bureau étant collé à notre open space. Mme [E] est entrée dans l'open space et ets venue chercher quelque chose dans le bureau et a salué M. [Y]. Elle lui a alors fait une remarque sur l'absence de sa femme à ses côtés. C'est alors que M. [Y] s'est levé, a poussé la chaise et lui a répondu 'je vais la chercher'. J'ai eu le sentiment que M. [Y] n'attendait que cela parce que je le trouvais très remonté contre Mme [E]. M. [Y] s'est énervé de façon totalement démeusurée. Je me suis immédiatement interposé avec M. [K]...nous n'étions pas trop de deux... nous avons eu du mal à retenir M. [Y] qui voulait frapper Mme [E]...'

M. [G], chauffeur poids lourd, atteste quant à lui 'En date du 17/10/17 j'étais dans le bureau de la directrice, quand elle se leva pour récupérer mon dossier elle salua M. [Y] qui se trouvait avec M. [K] quand il a commencé à hausser le ton puis se leva et là il attrapa le poignet de Mme [E]. C'est à ce moment la que je me suis lever pour lui dire de la lâcher que c'était une femme et que ça ne se faisait pas. M. [K] et M. [B] étaient déjà debout en train de séparer...'

Par ces différents éléments concordants, l'employeur établit la réalité du comportement violent à l'encontre de la directrice qui a été reproché à M. [Y]. L'importance de la violence du salarié à l'égard de la directrice est soulignée par les personnes intervenues pour les séparer. Elle constitue une faute de M. [Y] d'une gravité qui a rendu impossible son maintien dans l'entreprise. La faute grave à l'origine du licenciement est ainsie démontrée par la société Free drivers.

L'employeur établit ainsi que le licenciement de M. [Y] était justifié par la faute grave et était ainsi étranger à toute discrimination.

La demande de nullité du licenciement doit être rejetée, ainsi que la demande d'indemnité à ce titre. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le licenciement

M. [Y] fait valoir à titre subsidiaire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il est retenu que le comportement du salarié est établi par l'employeur et qu'il caractérise une faute grave. M. [Y] ne verse aux débats aucun élément qui remettrait en cause les attestations des personnes présentes, corroborées par les pièces médicales.

Le licenciement est justifié par une faute grave.

Le jugement qui a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse sera infirmé de ce chef.

M. [Y] doit être débouté de toutes ses demandes consécutives à la rupture du contrat de travail ainsi que celle de rappel de salaire au cours de la mise à pied conservatoire et de congés payés afférents.

Le jugement qui a condamné la société Free drivers au paiement de sommes à ce titre cera infirmé de ces chefs.

Il n'y a pas lieu à condamner M. [Y] au remboursement des sommes versées en application de l'exécution provisoire du jugement du conseil de prud'hommes, ce qui est une conséquence de droit de la présente décision.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité et sur l'exécution déloyale du contrat

M. [Y] n'articule pas de moyen et n'expose pas d'argumentation au soutien de ces demandes de dommages-intérêts.

Le jugement qui l'a débouté sera confirmé de ces chefs.

Sur la résistance abusive à l'envoi tardif des documents de fin de contrat

Les documents de rupture ont été adressés à M. [Y] le 20 décembre 2017 alors que le licenciement avait été prononcé le 30 novembre 2017. Si plusieurs jours se sont écoulés, ce délai ne démontre pas une résistance abusive de l'employeur à adresser les documents de fin de contrat.

M. [Y] ne justifie par ailleurs d'aucun préjudice consécutif.

Le jugement qui a débouté M. [Y] de sa demande sera confirmé de ce chef.

Sur la remise de bulletins de paie conformes

M. [Y] n'explique pas en quoi les documents remis par l'employeur ne sont pas conformes.

Il sera débouté de sa demande.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [Y] qui succombe supportera les dépens et la charge de ses frais irrépétibles et sera condamné à verser à la société Free drivers la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement qui a alloué une somme sur ce fondement à M. [Y] sera infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté M. [Y] :

- de ses demandes de nullité du licenciement, d'indemnités pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

- de ses demandes de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et pour exécution déloyale du contrat de travail,

- de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive à l'envoi des documents de rupture,

- de sa demande de remise de bulletins de paie conformes,

L'infirme pour le surplus,

Juge que le licenciement est fondé sur une faute grave,

Déboute M. [Y] de ses demandes consécutives à la rupture du contrat de travail et de rappel de salaire,

Condamne M. [Y] aux dépens,

Condamne M. [Y] à payer à la société Free drivers la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [Y] de sa demande au titre des frais irrépétibles.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/09023
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.09023 ?
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