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19/06/2024 | FRANCE | N°21/06500

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 19 juin 2024, 21/06500


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 19 JUIN 2024



(n° 2024/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06500 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CECRJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 15/00792



APPELANTES



Madame [F] [O]

[Adresse 1]

[Localité 4] / FRANCE

née le 03 Avril 197

6 à [Localité 7]



Représentée par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222



Syndicat FO EURODEP

[Adresse 5]

[Localité 6] / FRANCE



Représentée par Me Florent H...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 19 JUIN 2024

(n° 2024/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06500 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CECRJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 15/00792

APPELANTES

Madame [F] [O]

[Adresse 1]

[Localité 4] / FRANCE

née le 03 Avril 1976 à [Localité 7]

Représentée par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

Syndicat FO EURODEP

[Adresse 5]

[Localité 6] / FRANCE

Représentée par Me Florent HENNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R222

INTIMEE

S.A.S. EURODEP

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 511 46 9 1 32

Représentée par Me Jean-charles NEGREVERGNE de la SELAS NEGREVERGNE-FONTAINE-DESENLIS, avocat au barreau de MEAUX

Représentée par Me Florian DA SILVA, avocat au barreau de LYON, toque : 1698

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Stéphane MEYER,

M. Fabrice MORILLO, Conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [O] a été embauchée à compter du 1er juillet 2002, en qualité d' " hôtesse standardiste ", au coefficient 160, et elle a évolué au coefficient 170.

Elle est partie à compter du 31 mars 2007 en congé maternité, puis en congé parental le 26 août 2007, pendant deux ans.

À son retour, le 26 août 2009, il lui a été demandé de signer un avenant du 23 septembre 2009, avec effet rétroactif au 1er septembre 2009. Aux termes de cet avenant, elle exerçait des fonctions de " chargée de relation client " au coefficient 160.

En janvier 2013, elle est passée au coefficient 165.

Le 5 novembre 2014, Madame [O] a adressé un courriel à la société EURODEP afin de solliciter des explications au sujet des coefficients qui lui étaient appliqués.

Le 15 juillet 2015, Madame [O] et le syndicat FO EURODEP ont saisi le conseil de prud'hommes de Meaux et formé, pour la salariée, des demandes afférentes à l'exécution de son contrat de travail, et pour le syndicat, une demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession.

Par jugement du 11 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Meaux a :

- Condamné la société EURODEP à payer à Madame [O] les sommes suivantes :

- rappel de prime semestrielle : 740,18 € ;

- congés payés afférents : 74,01 € ;

- frais de procédure : 500 € ;

- les intérêts au taux légal ;

- la capitalisation des intérêts.

- Ordonné la remise des bulletins de paie conformes,

- Condamné la société EURODEP à payer au syndicat FO EURODEP la somme de 100 € à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession,

- Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- Condamné la société EURODEP aux dépens.

A l'encontre de ce jugement notifié le 25 mai 2021, Madame [O] et le syndicat FO EURODEP ont interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclarations du 25 juin 2021 et du 28 juillet 2021.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 février 2024, Madame [O] et le syndicat FO EURODEP demandent à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- condamné la société EURODEP à payer à Madame [O] les sommes suivantes :

- rappel de prime semestrielle : 740,18 € ;

- congés payés afférents : 74,01 € ;

- frais de procédure : 500 € ;

- ordonné la remise des bulletins de paie conformes au jugement ;

- condamné la société EURODEP à payer au syndicat FO EURODEP des dommages et intérêts en application de l'article L2132-3 du code du travail,

Statuant de nouveau,

A titre principal, sur la base du coefficient 185,

Condamner la société EURODEP à verser à Madame [O] les sommes suivantes :

- rappel de salaire évalué au 31 janvier 2024 : 25.467,82 € ;

- congés payés afférents : 2.546,78 € ;

- dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.1132-1 du code du travail ou subsidiairement sur le fondement des articles L. 1225-55 et L. 1222-1 du code du travail : 33.755 €,

A titre subsidiaire, sur la base du coefficient 175 :

Condamner la société EURODEP à verser à Madame [O] les sommes suivantes :

- rappel de salaire évalué au 31 janvier 2024 : 12.637,48 € ;

- congés payés afférents : 1.263,74 € ;

- dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 1132-1 du code du travail ou subsidiairement sur le fondement des articles L. 1225-55 et L. 1222-1 du code du travail : 32.699 € nets.

En outre, condamner la société EURODEP à verser à Madame [O] les sommes suivantes :

- rappel sur prime de rendement : 6.378,19 € ;

- congés payés afférents : 637,81 € ;

- dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention et de sécurité : 14.262 € ;

- dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de formation : 5.626 € nets ;

- dommages-intérêts sur le fondement des articles L. 6315-1, L. 6323-13 et R. 6323-3 du code du travail : 5.626 € nets ;

- compte personnel formation : 3.000 €, sous astreinte de 250 € par jour de retard et se réserver la liquidation de l'astreinte ;

- bulletins de paie conformes, sous astreinte de 250 € par jour de retard et par document ;

- frais de procédure : 5.000 € ;

- les dépens.

- Porter le montant des dommages-intérêts que la société EURODEP sera condamnée à verser au syndicat FO EURODEP en application de l'article L. 2132-3 du code du travail à la somme de 5.000 €,

- Condamner la société EURODEP à verser au syndicat FO EURODEP la somme de 1 500 € au titre des frais de procédure,

- Appliquer aux condamnations les intérêts au taux légal, avec capitalisation de ceux-ci,

- Condamner la société EURODEP aux dépens

- Débouter la société EURODEP de l'ensemble de ses demandes.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 février 2024, la société EURODEP demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Madame [O] de certaines de ses demandes,

- Débouter Madame [O] de ses demandes,

- A titre subsidiaire, réduire à de plus justes proportions les indemnisations sollicitées,

- Condamner Madame [O] à lui verser la somme de 2.000 € au titre des frais de justice, ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur le coefficient applicable et la discrimination

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Aux termes de l'article L. 1133-1 du même code, cette disposition ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée.

L'article L. 1134-1 du même code dispose que lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Madame [O] fait valoir qu'elle a subi une rétrogradation de son coefficient et de la rémunération afférente lors de son retour de congé maternité et congé parental, car son employeur lui a fait signer à son retour un avenant avec effet au 1er septembre 2009 lui attribuant le coefficient 160 , alors qu'elle avait avant son départ un coefficient 170.

Elle ajoute que tous les chargés de relation clients sont passés au coefficient 175, et pour l'un d'entre eux 185, entre 2016 et 2017, et qu'elle a pour sa part dû attendre 2022 pour atteindre le niveau 175. Elle produit en ce sens la liste des quatorze chargés de clientèle et de leur coefficient en 2017, qui laisse apparaître qu'alors qu'elle est la salariée avec le plus d'ancienneté, elle est celle qui a le coefficient le plus bas (165) à cette date.

Elle considère que ces éléments démontrent une discrimination en raison de l'état de grossesse et de ses congés parentaux et maternité, et de son état de santé, car elle a subi des accidents de travail le 29 mars 2016, et un autre le 14 février 2019, ayant entrainé de nombreux arrêts maladie.

Elle considère qu'au regard de son ancienneté et de son expérience, elle aurait dû se voir attribuer le coefficient 185 depuis plusieurs années.

Ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination.

En réponse, l'employeur indique que lors de son retour de congé parental, elle a été repositionnée sur une nouvelle grille de coefficient (160 sur la nouvelle grille), mais qu'il ne s'agissait pas d'une rétrogradation, car il lui a été attribué une rémunération supérieure à celle perçue avec l'ancien coefficient (170 sur l'ancienne grille). Il ajoute qu'elle a évolué au coefficient 165 en janvier 2013.

Il ressort de l'examen des bulletins de paye que la rémunération attribuée après le retour de congé parental de la salariée sous coefficient 160 était en effet légèrement plus élevée que celle perçue avant son congé parental sous l'ancien coefficient 170.

Néanmoins, au regard des critères fixés par l'accord du 22 septembre 2008, le coefficient 160 nouveau correspond à un employé de renseignement clientèle ayant moins de six mois d'expérience, alors que la salariée avait une ancienneté bien supérieure lorsqu'elle a repris son poste à l'issue de son congé parental. Elle aurait donc dû se voir attribuer dès son retour de congé parental un coefficient de 175 qui correspond à un employé ayant acquis après six mois d'ancienneté dans le poste des connaissances plus étendues qu'un débutant, dans la mesure où si l'appellation de son poste a changé à son retour de congé parental avec la signature d'un avenant, ses fonctions étaient les mêmes.

Par ailleurs, si sa rémunération était plus élevée après son retour de congé parental, elle l'aurait été encore plus si elle avait bénéficié du coefficient 175 qui lui correspondait.

En outre, la seule évolution de coefficient a eu lieu en 2013 pour atteindre le niveau 165.

L'employeur ne fait pas état d'éléments objectifs étrangers à toute discrimination pour justifier l'attribution à la salariée d'un coefficient ne correspondant pas à son expérience au retour de son congé parental. La discrimination en raison de l'état de grossesse, de maternité, et de l'état de santé est donc établie.

La salariée soutient qu'elle aurait dû être classée au coefficient 185 à compter de 2010 compte tenu de son expérience et de l'évolution des collègues ayant le même emploi. Toutefois, parmi les quatorze collègues citées, seule une se trouvait au niveau du coefficient 185, les autres ayant le niveau 175. Par ailleurs, l'attribution de ce coefficient n'est pas uniquement liée à l'ancienneté mais à un niveau de connaissance du poste que la salariée ne démontre pas avoir acquis en 2010. La non attribution du coefficient 185 n'est donc pas discriminatoire.

- Sur la demande de rappel de salaires au regard du coefficient applicable

En considération de ce qui précède, la salariée sera déboutée de sa demande de rappel de salaire sur le fondement du coefficient 185, dans la mesure où elle n'établit pas qu'elle pouvait y prétendre et où sa non application n'est pas discriminatoire.

En raison de l'attribution d'un coefficient erroné à la salariée, celle-ci a perçu une rémunération moindre, puisqu'elle aurait dû se voir verser le salaire de base correspondant au coefficient 175. Elle sollicite donc à juste titre un rappel de salaire sur la base du coefficient qui aurait dû lui être appliqué.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré sur ce point, et statuant de nouveau, de condamner la société EURODEP à verser à Madame [O] la somme de 12.637,48 € pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 janvier 2024, outre 1.263,74 € de congés payés afférents.

- Sur la demande de dommages et intérêts en raison de la discrimination subie

Madame [O] s'est vue priver pendant près de quinze ans d'un coefficient adapté à son poste et son expérience, en raison de pratiques discriminatoires. Cela lui a causé un préjudice financier en lien avec la perte de salaire associée au coefficient, réparé par le rappel de salaires accordé, mais également moral dans la mesure où elle était la seule salariée de son service à être sous-évaluée de la sorte, ce qui était dévalorisant professionnellement.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré sur ce point, et statuant de nouveau, de condamner la société EURODEP à verser à Madame [O] la somme de 1.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination.

Sur la demande de rappel de la prime semestrielle

Le contrat de travail de Madame [O] prévoit que la salariée percevra une prime semestrielle, en juin et en décembre de chaque année, sans toutefois détailler ses modalités de calcul.

Madame [O] soutient avoir été indûment privée d'une partie de ses primes en juin 2016 et juin 2019 au motif d'absences pour arrêts maladie sur ces périodes.

L'employeur indique avoir réduit les primes versées en raison des absences maladie, conformément aux dispositions de l'accord d'entreprise sur les avantages CERP, qui prévoit des abattements sur la prime en fonction du nombre d'absences, sauf si celles-ci ont lieu en raison d'un congé maternité, accident de travail, mise à pied, grève, absences autorisées non payées, hospitalisation.

Toutefois, d'une part, la salariée soulève qu'il n'est pas établi que l'accord d'entreprise invoqué était applicable dans la société EURODERP, et celle-ci n'en fait pas la démonstration, étant précisé que le CERP est une autre entreprise du groupe ASTERA, auquel appartient la société EURODERP.

D'autre part, la salariée indique avoir subi des accidents de travail le 29 mars 2016, et un autre le 14 février 2019, ayant entrainé de nombreux arrêts maladie. Or, les absences liées à un accident du travail sont légalement assimilées à du temps de travail effectif et ne peuvent donc pas donner lieu à la réduction d'une prime. L'employeur ne justifie pas sur les périodes concernées du calcul qu'il a opéré pour réduire la prime de la salariée et en raison de quelles absences il l'a réduite.

A défaut pour l'employeur de justifier du mode de calcul appliqué ayant justifié la réduction de la prime de la salariée, la totalité de la prime est due à celle-ci.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société à verser un rappel de prime semestrielle à hauteur de 740,18 €, ainsi que 74,01 € de congés payés afférents.

Sur la demande de rappel de la prime de rendement

Lorsqu'une prime n'est pas stipulée au contrat de travail, elle peut résulter d'un engagement unilatéral ou d'un usage de l'employeur, à condition que l'avantage salarial soit général, constant et fixe.

En l'espèce, les salariés de l'entreprise EURODEP perçoivent mensuellement une prime de rendement. Il ressort ainsi des bulletins de paie de la salariée que celle-ci a perçu depuis son entrée dans l'entreprise une prime pouvant varier entre 40 et 110 € par mois, la prime se situant en moyenne autour de 80 € par mois.

L'employeur n'a pas communiqué le mode de calcul de cette prime aux salariés, mais produit un document qu'il a transmis à l'inspection du travail duquel il ressort que la prime est de 50 € par mois, outre 30 € dépendant de critères individualisés relatifs à l'esprit d'équipe et la qualité du travail. Par ailleurs, des abattements sont réalisés en cas d'absences non autorisées, et les sommes non attribuées à certains salariés par rapport au montant maximum sont redistribuées aux autres salariés. Il en résulte que la prime maximum était de 80 € par mois, outre l'éventuelle redistribution des sommes non attribuées à certains salariés.

L'employeur n'ayant pas communiqué aux salariés les critères d'attribution de cette prime variable, et ne produisant pas les éléments lui ayant permis de déterminer le montant de la prime versée à Madame [O], il y a lieu de retenir que celle-ci avait droit au montant maximum de la prime, soit 80 € par mois.

Au regard de ce qu'elle a perçu, elle a donc droit au versement de la somme de 2.000 € à titre de rappels de prime de rendement, outre 200 € de congés payés afférents. L'employeur sera condamné à lui verser ces sommes .

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention et de sécurité

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et aux termes de l'article L 4121-2, il met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés.

En l'espèce, la salariée soutient qu'elle a été exposée à des conditions de travail dégradées en raison du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité, et qu'elle a subi deux accidents de travail le 29 mars 2016 et le 14 février 2019.

Elle invoque :

- les risques psychosociaux mis en évidence par le CHSCT le 19 mars 2015, qui ont conduit à la désignation d'un expert,

- l'absence de mise à jour du document unique d'évaluation des risques,

- l'absence de formation à la sécurité.

Il ressort des pièces produites qu'il existe des manquements de la société s'agissant des mesures générales de prévention prises dans l'entreprise relativement à la sécurité des salariés, et notamment s'agissant du DUER. En effet :

- le DUER de 2008 ne concernait qu'une partie de l'installation, certains postes n'étant pas couverts,

- des risques psychosociaux ont été mis en évidence par le CHSCT le 19 mars 2015, qui ont conduit à la désignation d'un expert, et le CHSCT a sollicité plusieurs fois la société sur l'absence de mise à jour du DUER,

- le DUER de 2016 versé au débat indique qu'il manque certains documents relatifs à la sécurité,

- des démarches de mise à jour ont été entamées uniquement en 2021 et n'avaient pas encore abouti en 2023.

Toutefois, Madame [O] ne justifie pas d'un lien de causalité avec un préjudice qu'elle aurait subi. Elle évoque deux accidents de travail, mais ne décrit pas leurs circonstances ni le lien qu'ils pourraient avoir avec les manquements relatifs à l'obligation de sécurité, étant précisé que l'un d'eux est un accident de trajet.

En conséquence, il convient de débouter la salariée de sa demande .

Sur la demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de formation

En vertu de l'article L. 6321-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail, en particulier au moyen de la formation.

Madame [O] soutient que l'employeur a manqué à son obligation dans la mesure où elle n'a bénéficié d'aucune formation depuis sa prise de poste.

Cette affirmation est toutefois contredite par la production par l'employeur de diverses formations suivies par la salariée :

- le 5 novembre 2003 (durée non précisée), 7 janvier 2010 : 1h , 5 novembre 2015 : 1h ; 13 novembre 2019 1h " BPD (bonnes pratiques de distribution) "

- le 3 juin 2010 : 1h " ouverture d'une réclamation ", qui est une formation sur la mise en 'uvre d'une procédure interne,

- le 26 juin 2012 : 1h formation règlementaire dispensé par le laboratoire Johnson & Johnson sur la pharmacovigilance,

- le 15 novembre 2020, 1 heure, " les alertes de pharmacovigilance ".

La salariée ne démontre pas que ces formations suivies étaient insuffisantes pour permettre son adaptation à son poste, et il ressort de son entretien d'évaluation de 2021 qu'elle faisait parfaitement face à ses fonctions.

A défaut de démontrer un manquement et un préjudice subi, la salariée sera déboutée de sa demande d'indemnisation .

Sur la demande au titre de l'absence de tenue des entretiens professionnels obligatoires

Madame [O] fait valoir que la société EURODERP n'a pas mis en 'uvre les entretiens professionnels dont chaque salarié doit bénéficier tous les deux et six ans, en application de l'article L6315-1 du code du travail, destinés à examiner ses perspectives d'évolution professionnelle pour le premier, et à faire un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié pour le second.

Elle sollicite en conséquence en application des articles L6315-1 et L6323-13 du code du travail l'abondement de son compte personnel de formation à hauteur de 3.000 €, outre des dommages et intérêts en réparation de son préjudice à hauteur de 5.626 € nets.

Il ressort des pièces produites qu'elle a bénéficié des entretiens biannuels en 2021 et 2023, mais n'a jamais bénéficié de l'entretien qui doit avoir lieu tous les six ans afin de faire un état des lieux du parcours du salarié.

L'article L6315-1, II prévoit que dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque, au cours des six années, le salarié n'a pas bénéficié des entretiens prévus et d'au moins une formation autre que celle mentionnée à l'article L. 6321-2, son compte personnel est abondé dans les conditions définies à l'article L. 6323-13.

En l'espèce, l'entreprise compte plus de cinquante salariés et la salariée a bénéficié uniquement de formations qui relèvent de l'article L6321-2 selon ses dires, non contredits par l'employeur. A défaut pour elle d'avoir bénéficié de l'entretien d'état des lieux de parcours professionnel, elle a donc droit à un abondement de son compte personnel de formation à hauteur de 3.000 €, en vertu de l'article R6323-3 du code du travail.

L'employeur soutient qu'il aurait abondé le compte mais n'en justifie pas.

En conséquence, il convient de condamner la société EURODEP à un abondement du compte personnel de formation de Madame [O] à hauteur de 3.000 € , sans qu'une astreinte apparaisse nécessaire.

S'agissant de la demande de dommages et intérêts de Madame [O], la cour relève que la salariée ne caractérise pas le préjudice qu'elle aurait subi en raison de l'absence d'entretien de parcours professionnel conforme aux dispositions de l'article L6315-1.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts .

Sur la remise des documents

Il convient d'ordonner la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi devenu France travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire.

Sur la demande de dommages-intérêts pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession

L'article L. 2132-3 du code du travail prévoit que les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

Il ressort de ce qui précède que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité à l'égard des salariés de l'entreprise en ne mettant pas en place un DUER à jour pendant plusieurs années. Par ailleurs, le cas particulier de Madame [O] fait apparaître que les obligations de l'employeur relatives à la tenue d'entretiens permettant aux salariés de faire le point sur leur parcours professionnel ne sont pas respectées.

Ces éléments caractérisent une atteinte à l'intérêt collectif des professions représentées, s'agissant des salariés de l'entreprise EURODEP.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'employeur à verser au syndicat la somme de 100 € à ce titre, celle-ci étant insuffisante au regard du préjudice subi, et statuant de nouveau, de condamner l'employeur à lui verser la somme de 1.000 € à ce titre.

Sur les dépens et les frais de procédure

Il y a lieu de confirmer la décision du conseil de prud'hommes sur ces points, et y ajoutant, de condamner la société EURODEP aux dépens de l'appel ainsi qu'à verser au titre des frais de procédure engagés en cause d'appel :

- la somme de 2.000 € à Madame [O],

- la somme de 500 € au syndicat FO EURODEP.

La société EURODEP sera déboutée de sa demande au titre des frais de procédure.

Sur les intérêts

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2015, date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du même code et de faire application de celles de l'article 1343-2 au titre de la capitalisation des intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société EURODEP à payer à Madame [O] les sommes suivantes :

- rappel de prime semestrielle : 740,18 €,

- congés payés afférents : 74,01 €,

- frais de procédure : 500 €,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société EURODEP à verser à Madame [O] les sommes suivantes :

- 12.637,48 € de rappels de salaires sur la base du coefficient 175 pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 janvier 2024, outre 1.263,74 € de congés payés afférents,

- 1.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la discrimination,

- 2.000 € à titre de rappels de prime de rendement, outre 200 € de congés payés afférents,

- 2.000 € au titre des frais de procédure engagés en cause d'appel,

CONDAMNE la société EURODEP à abonder le compte personnel formation de Madame [O] à hauteur de 3.000 €, sans qu'une astreinte apparaissent nécessaire,

DÉBOUTE Madame [O] :

- de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention et de sécurité,

- de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,

- de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'absence de tenue des entretiens professionnels obligatoires,

ORDONNE la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi devenu France travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire,

CONDAMNE la société EURODEP à verser au syndicat FO EURODEP les sommes suivantes :

- 1.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente,

- 500 € au titre des frais de procédure engagés en cause d'appel,

DÉBOUTE la société EURODEP de sa demande au titre des frais de procédure,

DIT que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 21 juillet 2015,

ORDONNE la capitalisation des intérêts.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 21/06500
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.06500 ?
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