La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2024 | FRANCE | N°21/06601

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 18 juin 2024, 21/06601


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 18 JUIN 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06601 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOKW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Février 2021 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 19/13771



APPELANT



Monsieur [O] [J]

[Adresse 2]

[Localit

é 4]

Représenté par Me Jacques CHEVALIER de la SELAS CHEVALIER - MARTY - PRUVOST Société d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R085



INTIMEE



S.E.L.A.R.L. INTERBARREAUX F...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 18 JUIN 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06601 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOKW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Février 2021 - TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 19/13771

APPELANT

Monsieur [O] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Jacques CHEVALIER de la SELAS CHEVALIER - MARTY - PRUVOST Société d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R085

INTIMEE

S.E.L.A.R.L. INTERBARREAUX FEUGAS AVOCATS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753, avocat postulant

Représentée par Me Matthieu PATRIMONIO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, en audience publique, composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 18 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

M. [O] [J] a signé le 25 juillet 2007 avec M. [U] [S], architecte, un contrat de maîtrise d''uvre pour la construction d'une maison sur un terrain dont il est propriétaire à [Localité 4].

Les travaux de construction ont été confiés à la société Batico, suivant contrat du 29 avril 2008, représentant un coût total de 220 000 euros.

Cette société, placée en liquidation judiciaire le 22 décembre 2008, a cédé le 31 décembre 2008 à M. [M] [B], en présence de M. [J], ses droits et obligations issus du contrat du 29 avril 2008.

Arguant de l'abandon du chantier, M. [J] a obtenu du juge des référés la désignation d'un expert le 27 mai 2010, puis assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la société Batico, représentée par son liquidateur judiciaire, M. [B] et leurs assureurs ainsi que M. [S].

L'expert a déposé son rapport d'expertise le 14 mars 2012.

Par jugement du 9 juillet 2013, le tribunal a :

- déclaré irrecevables les demandes présentées contre la société Batico et son liquidateur à défaut de justifier d'une déclaration de créance,

- débouté M. [J] de ses demandes présentées contre M. [S],

- débouté M. [J] de toute demande fondée sur la garantie décennale,

- pris acte de l'absence de demande de M. [J] fondée sur la responsabilité contractuelle de la société Batico et de M. [B],

- débouté M. [J] de ses demandes contre les assureurs de la société Batico et de M. [B],

- condamné M. [J] aux dépens comprenant les frais d'expertise et à payer à M. [B], la société MAAF et la société Axa France Iard la somme de 2 000 euros, chacune, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Saisi d'une action directe à l'encontre de la MAF, assureur de M. [S], le tribunal de grande instance de Nanterre par jugement du 10 avril 2014 a considéré que M. [J] n'apportait pas d'élément nouveau depuis le jugement du 9 juillet 2013 et qu'il ne démontrait aucunement que M. [S] soit redevable d'une garantie légale ou responsable des fautes reprochées sur le fondement de sa responsabilité contractuelle de sorte que la garantie de son assureur n'était pas mobilisable.

M. [J], après avoir choisi M. [Z] [W], membre de la Selarl interbarreaux Feugas avocats comme nouvel avocat, a interjeté appel du jugement du 9 juillet 2013.

Par ordonnance du 3 juin 2014, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Versailles a constaté la caducité de la déclaration d'appel formée à l'encontre M. [S].

Par arrêt du 1er février 2016, la cour d'appel de Versailles a :

- relevé d'office qu'elle n'était pas régulièrement saisie de demandes formées par M. [J] à l'encontre de M. [B], intimé défaillant, à défaut de lui avoir signifié la déclaration d'appel et ses conclusions,

- déclaré M. [J] irrecevable en ses demandes dirigées contre M. [S], au vu de l'ordonnance du conseiller de la mise en état,

- rejeté la demande aux fins de constatation d'une réception amiable ou tacite de l'ouvrage,

- condamné M. [J] aux dépens d'appel et à verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à M. [S], la société Axa France Iard et la société MAAF,

- rejeté toute autre demande.

C'est dans ces conditions que M. [J] a, par acte du 2 février 2017, assigné la Selarl interbarreaux Feugas avocats devant le tribunal judiciaire de Paris.

Le 24 février 2021, le tribunal judiciaire a :

- débouté M. [J] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [J] aux dépens,

- débouté la Selarl interbarreaux Feugas avocats de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

M. [J] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 7 avril 2021.

Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 25 février 2022, M. [O] [J] demande à la cour de :

- le dire recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- fixer son préjudice aux sommes suivantes :

- 70 242, 76 euros TTC au titre des travaux réparatoires et d'achèvement de la maison,

- 22 000 euros au titre des pénalités de retard,

- 118 500 euros au titre du trouble de jouissance,

- 10 000 euros au titre du préjudice moral,

- 10 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- 13 894, 23 euros au titre des dépens comportant les honoraires de l'expert judiciaire,

soit un total de 245 136,99 euros sur lequel doit s'imputer un coefficient de 90 % au titre de la perte de chance, soit 220 623, 29 euros,

- condamner la Selarl interbarreaux Feugas avocats au paiement de la somme de 220 623, 29 euros,

- condamner la Selarl interbarreaux Feugas avocats au paiement de la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner la Selarl interbarreaux Feugas avocats en tous les dépens dont distraction au profit de la Selarl Chevalier Marty Pruvost.

Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 29 avril 2022, la Selarl interbarreaux Feugas avocats demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes,

y ajoutant,

- condamner M. [J] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [J] aux entiers dépens de l'instance qui pourront être recouvrés par Maître Olivier Bernabe,

à titre infiniment subsidiaire,

- constater que l'expert judiciaire a évalué le solde dû à M. [J] au titre des malfaçons à la somme de 30 574, 09 euros TTC,

- débouter M. [J] de sa demande à hauteur de 70 242, 76 euros,

- débouter M. [J] de ses demandes au titre des pénalités, troubles de jouissance et préjudice moral.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 mars 2024.

SUR CE,

Sur la responsabilité de l'avocat

Sur la faute

Le tribunal judiciaire a jugé que M. [W], ayant reçu pour mission de former un recours à l'encontre du jugement du 9 juillet 2013, n'a pas accompli les démarches nécessaires permettant de saisir la cour d'appel de demandes dirigées contre M. [B] et M. [S] puisque la déclaration d'appel et les conclusions d'appel de M. [J] n'ont pas été signifiées au premier, intimé non constitué et que le conseiller de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d'appel effectuée par M. [J] à l'encontre de M. [S].

M. [J] fait sien le raisonnement du tribunal et soutient que M. [W] a manqué à ses obligations en ne respectant pas les délais fixés par le code de procédure civile entraînant la caducité de l'appel dirigé contre M. [S], architecte et en omettant de régulariser la procédure d'appel à l'égard de M. [B], entrepreneur.

La Selarl Feugas avocats ne conclut pas sur les fautes alléguées.

La responsabilité contractuelle de l'avocat peut être engagée à charge pour celui qui l'invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.

Le mandat de représentation en justice emporte, sauf convention contraire, mission d'assistance.

Ce mandat fait peser sur l'avocat une obligation de diligence, celui-ci étant tenu d'accomplir les actes de procédure nécessaires et d'assurer la défense de son client en préservant au mieux ses intérêts.

Le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Versailles a constaté la caducité de la déclaration d'appel de M. [J] à l'encontre de M. [S] au motif que cette déclaration ne lui avait pas été signifiée alors qu'il n'avait pas constitué avocat, ainsi que l'indique la Selarl Feugas avocats.

La cour d'appel a jugé qu'elle n'était pas régulièrement saisie de demandes formées par M. [J] à l'encontre de M. [B], intimé défaillant, à défaut de lui avoir signifié la déclaration d'appel et ses conclusions.

Ces décisions suffisent à caractériser les manquements de M. [W], membre de la Selarl Feugas avocats, à son obligation de diligences pour ne pas avoir respecté les délais prévus aux articles 908 et suivants du code de procédure civile pour notifier ou signifier ses conclusions de l'appelant aux intimés.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu une faute de la Selarl Feugas avocats de nature à engager sa responsabilité.

Sur le lien de causalité et le préjudice

S'agissant de la perte de chance de voir la cour déclarer fondées les demandes formées contre l'architecte et le constructeur, le tribunal judiciaire a jugé que :

- M. [J] expose que s'il avait été en mesure de former des demandes à l'encontre de MM. [S] et [B] devant la cour d'appel, il les auraient fondées sur les articles 1231-1 et 1231-2 du code civil,

- ces demandes auraient été recevables, au sens des articles 564 et 565 du code civil car elles étaient identiques pour l'architecte à celle présentée en première instance et tendaient aux mêmes fins, à savoir la réparation du préjudice matériel du demandeurs'agissant du constructeur, que celles présentées en première instance sur le fondement de l'article 1792 du code civil,

- M. [J] échoue à démontrer une chance que la cour d'appel retienne une faute de M. [S], ce dernier, au vu de sa mission limitée à l'obtention du permis de construire telle que prévue au contrat signé le 25 juillet 2007, n'étant pas tenu à une obligation de conseil à son égard s'agissant de la nature du contrat signé avec la société Batico, les documents comportant le nom de l'architecte mais non sa signature, ne lui étant pas opposables,

- M. [J] n'expose pas les moyens qui auraient pu être utilement développés pour justifier de la responsabilité de M. [B] et ne produit pas les pièces qui ont manqué devant la cour d'appel, laquelle avait examiné la responsabilité de M. [B] à l'aune des demandes présentées contre ses assureurs et ceux de la société Batico et rejeté lesdites demandes, à défaut de démonstration des fautes des constructeurs.

M. [J] soutient qu'il a perdu une chance réelle d'être indemnisé puisque :

* M. [S] a failli à son obligation contractuelle générale de conseil et subsidiairement commis une faute quasi délictuelle, en ce que :

- M. [S] est allé au delà de sa mission limitée à l'obtention du permis de construire telle que définie contractuellement en l'étendant à une mission de conseil à la rédaction du marché d'entreprise qui s'est révélée contraire à la loi,

- une obligation générale de conseil s'imposait à lui et portait sur tous les éléments du projet qu'il pouvait ou devait connaître,

- M. [S] qui lui a recommandé la société Batico, entreprise générale de bâtiment et non constructeur de maison individuelle, a manqué à son devoir de conseil, en lui communiquant un modèle de marché d'entreprise qui n'est pas conforme aux dispositions d'ordre public sur le contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan et lui a fait perdre la garantie de livraison à prix et délais convenus prévue aux articles 232-1 et 232-6 du code de la construction et de l'habitation,

- subsidiairement, M. [S] a engagé sa responsabilité extracontractuelle en communiquant, hors de tout contrat, un modèle de marché non conforme à la loi d'ordre public,

* M. [B] a, en l'absence de réception, engagé sa responsabilité contractuelle au titre des malfaçons et de l'abandon du chantier en ce que :

- la cour d'appel de Versailles n'a pas apprécié la responsabilité de M. [B] puisqu'elle n'était pas saisie de cette question contrairement à ce qu'a retenu à tort le jugement dont appel,

- la question devant la cour d'appel n'était pas celle de l'insuffisance des moyens de preuve devant elle mais celle de l'absence de développement de sa propre argumentation par son avocat et l'absence de production de pièces,

- le rapport d'expertise judiciaire rapporte la preuve des désordres, malfaçons, non-finitions et non-conformités, lesquels suffisent à caractériser les fautes de M. [B], aucune réception du chantier n'ayant été possible, M. [B] l'ayant abandonné,

- aucune preuve de son immixtion, alléguée par l'intimée, n'est rapportée.

La Selarl Feugas avocats rétorque que M. [J] échoue à rapporter la preuve d'une perte de chance d'obtenir la condamnation de MM. [S] et [B], en ce que :

s'agissant de M. [S],

- le tribunal de grande instance de Nanterre dans son jugement du 9 juillet 2013 a estimé que le contrat de maîtrise d''uvre passé entre M. [J] et M. [S] se bornait au dépôt du dossier de permis de construire et que l'allégation de M. [J] selon laquelle l'architecte avait rédigé le contrat d'entreprise signé avec la société Batico et assisté son client lors de la phase d'exécution du chantier n'était pas prouvée, pour en déduire que M. [J] ne pouvait pas lui reprocher un manquement à son obligation de conseil,

- le jugement opposant la Sci Territoire additionnel à M. [S] cité par l'appelant n'est pas transposable puisque M. [S] bénéficiait dans cette espèce d'une mission complète de maîtrise d'oeuvre,

- dans son jugement du 10 avril 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a également débouté M. [J] de ses demandes contre l'assureur de M. [S] en l'absence de garantie légale ou de faute contractuelle de ce dernier,

- le marché de travaux que M. [S] lui avait adressé le 19 avril 2008 visait une entreprise Cusicahua que M. [J] n'a pas retenue et il a modifié lui-même le document pour l'adresser à la société Batico,

- ce contrat n'est pas signé par lui et n'est pas de nature à prouver qu'il aurait accepté d'étendre sa mission initiale,

- il ne peut invoquer une obligation générale de conseil de M. [S] alors que ce dernier n'avait pas une mission complète de conception et d'exécution des travaux,

- l'expert judiciaire n'impliquait nullement M. [S] dans son rapport du 14 mars 2012,

s'agissant de M. [B],

- la cour d'appel de Versailles, bien que non saisie régulièrement de l'appel contre M. [B] a quand même examiné la demande formée à son encontre sur le fondement de l'article 1147 du code civil dès lors que son assureur était mis en cause et l'a écartée en relevant que le tribunal avait débouté M. [J] de sa demande en l'absence de démonstration juridique des manquements contractuels imputables à M. [B] et qu'il ne développait pas plus devant elle une quelconque argumentation à ce titre,

- la cour d'appel, qui a nécessairement pris connaissance du rapport d'expertise judiciaire et des malfaçons constatées, a rejeté l'argument selon lequel 'les manquements contractuels se déduisent du rapport d'expertise',

- dès lors que la cour d'appel, appelée à statuer sur la garantie de son assureur, a dit que la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur n'était pas démontrée, aucune condamnation n'aurait pu être prononcée à son encontre même si la cour avait été valablement saisie de demandes le concernant et la perte de chance alléguée est totalement inexistante,

- l'avocat avait fait le choix de solliciter l'infirmation du jugement sur le principe de la réception de l'ouvrage en décembre 2009 afin de tenter d'obtenir la condamnation des assureurs au titre de la garantie décennale, précisément parce que cette garantie ne nécessitait pas la démonstration d'une faute des entrepreneurs car il ne disposait d'aucune pièce probante pour étayer une demande de condamnation fondée sur la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur dès lors que le rapport d'expertise ne lui imputait aucune faute précise,

- la cour d'appel de Versailles a retenu une immixtion de M. [J] dans la conduite des travaux,

- l'expert judiciaire a relevé que l'étendue des prestations devenue conflictuelle avait conduit à l'arrêt des travaux sans indiquer que M. [B] avait abandonné le chantier,

- dès lors, la perte de chance est inexistante.

Le préjudice invoqué doit être certain, qu'il s'agisse du préjudice entier ou d'une perte de chance, et en lien de causalité avec le manquement retenu à l'encontre de l'avocat.

Lorsque le manquement a eu pour conséquence de priver un appelant d'une voie d'accès au juge contre certains intimés, il revient à celui-ci de démontrer la réalité de la perte de chance, réelle et sérieuse, laquelle doit résulter de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

Il convient d'évaluer les chances de succès de la voie de droit manquée en reconstituant le procès comme il aurait dû avoir lieu, ce, à l'aune des motivations des décisions qui ont été rendues, des dispositions légales qui avaient vocation à s'appliquer et au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.

Il est précisé que seules sont produites aux débats les conclusions prises par M. [W] dans l'intérêt de M. [J] versées devant la cour d'appel de Versailles et datées du 17 juillet 2015.

Il appartient à M. [J] de démontrer qu'il a perdu une chance d'obtenir la condamnation de M. [S] et celle de M. [B] sur le fondement de leur responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle pour l'architecte et contractuelle pour le constructeur.

- sur la perte de chance de voir reconnaître la responsabilité de M. [S]

Le tribunal de grande instance de Nanterre dans son jugement du 9 juillet 2013 a estimé que :

- M. [J] ne pouvait faire état d'une obligation d'information incombant ex nihilo et de manière générale et absolue à l'architecte, sans référence à ses engagements contractuels,

- le contrat signé le 25 juillet 2007, moyennant un forfait de 4  000 euros HT, prévoyait une mission comprenant l'étude d'esquisses, l'avant-projet sommaire, l'avant-projet détaillé et le dossier de permis de construire à l'exclusion des missions de projet de conception générale et d'assistance à la passation des marchés (etc..),

- il n'est pas prouvé que M. [S] a rédigé le contrat d'entreprise conclu avec la société Batico qui n'est pas signé par lui ni qu'il a proposé à M. [J] une société défaillante ni qu'il l'a assisté lors de la phase d'exécution des travaux,

- la responsabilité contractuelle de M. [S] n'est pas engagée faute de preuve.

Dans ses conclusions devant la cour d'appel de Versailles, M. [J] faisait valoir qu'il résultait d'un procès verbal de constat du 6 août 2013 que M. [S] était bien le rédacteur du contrat le liant à la société Batico pour le lui avoir adressé par courriel du 19 avril 2008 et que la faute essentielle de l'architecte résidait en ce qu'il s'est abstenu de lui conseiller la rédaction d'un contrat de construction de maison individuelle, ce qui aurait permis à ce dernier de bénéficier des obligations légales et d'ordre public y étant attachées et notamment la garantie obligatoire de livraison à prix et délais convenus souscrite auprès d'un établissement de crédit ou d'une entreprise agréée.

Le manquement de l'architecte à ses obligations contractuelles dépend de l'étendue des obligations contractées et celui-ci n'est pas tenu d'une obligation d'information et de conseil générale comme le prétend vainement M. [J] en se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 1964 qui n'est pas transposable au litige puisqu'au cas d'espèce, l'architecte avait reçu une mission de conception et direction des travaux.

Si M. [S] n'a reçu qu'une mission limitée à l'établissement du dossier du permis de construire, il est cependant établi, au vu du procès verbal de constat d'huissier du 6 août 2013 que, par courriel du 19 avril 2008, il a transmis à M. [J] , à sa demande, un contrat intitulé 'Cahier des charges et conditions particulières - Construction d'un bâtiment d'habitation' ayant pour objet ' des travaux de construction d'une maison individuelle sise à [Localité 4]'.

Ce contrat présentait M. [J] en qualité de maître de l'ouvrage et M. [S] en qualité de maître d'oeuvre de conception et prévoyait que les parties au contrat étaient M. [J] et la Sarl Cusicahua, entreprise générale de bâtiment.

L'article 4 intitulé direction des travaux mentionnait : 'Le maître de l'ouvrage assure la direction des travaux. Il se fera assister de façon ponctuelle par M. [S], architecte, sous forme de vacations.'

Ce contrat n'a pas eu de suite mais M. [J] en a repris entièrement la rédaction pour conclure un contrat d'entreprise avec la Sarl Batico le 29 avril 2008.

Il en ressort que M. [S] a accepté d'assister M. [J] dans la passation du marché et a engagé sa responsabilité contractuelle à ce titre.

Il était donc tenu à un devoir d'information et de conseil sur l'obligation de conclure par écrit un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan prévoyant, notamment, selon les dispositions d'ordre public de l'article 232-1 du code de la construction 'l'engagement de l'entrepreneur de fournir, au plus tard à la date d'ouverture du chantier, la justification de la garantie de livraison qu'il apporte au maître de l'ouvrage, l'attestation de cette garantie étant établie par le garant et annexée au contrat'.

Dès lors, M. [J] justifie qu'il a perdu une chance réelle de voir la responsabilité contractuelle de M. [S] engagée pour ne pas lui avoir conseillé de souscrire un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plans prévoyant une obligation de garantie de livraison.

- sur la perte de chance de voir reconnaître la responsabilité contractuelle de M. [B]

Le tribunal de grande instance de Nanterre dans son jugement du 9 juillet 2013 a estimé que :

- la réception judiciaire des travaux ne peut être prononcée et la garantie décennale des constructeurs ne peut être recherchée,

- en l'absence de demande fondée sur la responsabilité contractuelle des constructeurs ou réputés comme tels (M. [B] et la société Batico) et en l'absence de démonstration juridique de manquements contractuels imputables à ceux-ci, M. [J] doit être débouté de toute demande indemnitaire.

La cour d'appel de Versailles, dans son arrêt du 1er février 2016 a retenu que :

- une réception amiable ou tacite ne peut être contestée et le rejet de la demande aux fins de réception judiciaire est confirmé de sorte que la demande au titre de la garantie décennale des constructeurs est rejetée,

- si M. [J] admet ne pas avoir posé ni développé les manquements contractuels qu'il reprochait à la société Batico et à M. [B] devant le tribunal, il soutient que ceux-ci se déduisent du rapport d'expertise tenant à des malfaçons, des non façons, des non finitions et des non conformités chiffrées par l'expert,

- il ne développe toujours aucun moyen ni en fait ni en droit pour établir la responsabilité de la société Batico et de M. [B] dans la survenance des dommages qu'il allègue et renvoie au rapport d'expertise qu'il considère comme 'très peu exploitable' et n'étant pas de nature 'à permettre de connaître les désordres imputables à la société Batico et ceux dont M. [B] est responsable',

- le mandataire de la société Batico n'a pas participé à l'expertise, M. [S] n'y a pas été attrait, M. [B] n'a pas transmis à l'expert les documents sollicités et l'expert a relevé que M. [J] avait pris une part active au suivi des travaux apportant des modifications au projet d'origine et assurant la commande et la fourniture des matériaux et des équipements,

- M. [J] est toujours défaillant à établir les fautes qu'il reproche à ses co-contractants et le lien de causalité entre ces fautes et les préjudices allégués.

Contrairement à l'allégation de M. [J], la cour d'appel de Versailles, appelée à statuer sur la garantie de la société Axa devait nécessairement examiner la responsabilité alléguée de son assuré, M. [B], ce qu'elle a effectivement fait pour ne pas la retenir, y compris sur un fondement contractuel, comme rappelé supra.

Dès lors, la Selarl Feugas avocats soutient avec pertinence qu'aucune condamnation n'aurait pu être prononcée à l'encontre de M. [B] même si la cour avait été valablement saisie de demandes dirigées contre lui et que la perte de chance alléguée est inexistante.

- sur les préjudices

M. [J] soutient avoir perdu une chance qui peut être évaluée à 90 % d'être indemnisé d'un préjudice qu'il chiffre à 245 136, 99 euros se décomposant comme suit:

- 70 242, 76 euros au titre de l'inachèvement de la maison et de la réparation des malfaçons justifié par les factures versées aux débats et le dossier photographique réalisé en 2019, l'expert ayant minimisé son préjudice à ce titre,

- 22 000 au titre des pénalités de retard contractuellement prévues, soit 80 euros par jour de retard plafonnés à 10% du marché qui auraient dû être garanties,

- 117 000 euros au titre du préjudice de jouissance, la maison étant totalement inachevée depuis 2010,

- 10 000 euros au titre du préjudice moral, son projet de vie pour lequel il se bat depuis 10 ans s'étant transformé en cauchemar, sans avoir obtenu l'assistance de son avocat qui était censé le sortir d'une situation particulièrement grave,

- les condamnations qui ont été prononcées à son encontre en première instance et en appel au titre des frais irrépétibles (10 500 euros) et des dépens comprenant les frais d'expertise (13 894,23 euros).

La Selarl Feugas avocats réplique que les préjudices invoqués par M. [J] sont excessifs et infondés en ce que :

- M. [J] n'a pas réglé l'intégralité du prix convenu avec l'entrepreneur et ce dernier bénéficie d'un trop perçu de 30 574, 09 euros tel que retenu par l'expert,

- le marché de travaux prévoyait des pénalités de retard 'en fin de travaux' et il n'est pas démontré qu'elles auraient pu être appliquées puisque M. [B] n'a pas pu finir les travaux en raison d'un conflit sur l'étendue des prestations,

- la demande au titre du trouble de jouissance doit être rejetée puisque la responsabilité de M. [B] n'a pas été retenue,

- le préjudice moral relatif à la durée des travaux n'est pas imputable à l'avocat.

La chance de voir la responsabilité contractuelle de M. [S] engagée pour ne pas lui avoir conseillé de souscrire un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plans mettant à la charge du constructeur une garantie de livraison que M. [J] a perdue est, en considération de son caractère très sérieux puisque les dispositions du code de la construction précitée imposant cette garantie de livraison sont d'ordre public, évaluée à 90 %.

La garantie de livraison prévue à l'article 232-6 du code de la construction applicable au contrat prévu à l'article 232-1 en vertu de l'article 232-2 prévoit que :

'I.-La garantie de livraison prévue au k de l'article L. 231-2 couvre le maître de l'ouvrage, à compter de la date d'ouverture du chantier, contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus. Dans le cas prévu à l'antépénultième alinéa de l'article L. 231-2, elle couvre également le maître de l'ouvrage, à compter de l'ouverture du chantier, contre les risques d'inexécution ou de mauvaise exécution de la fabrication, de la pose et de l'assemblage des éléments préfabriqués.

En cas de défaillance du constructeur, le garant prend à sa charge :

a) Le coût des dépassements du prix convenu dès lors qu'ils sont nécessaires à l'achèvement de la construction, la garantie apportée à ce titre pouvant être assortie d'une franchise n'excédant pas 5 % du prix convenu ;

b) Les conséquences du fait du constructeur ayant abouti à un paiement anticipé ou à un supplément de prix ;

c) Les pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant trente jours, le montant et le seuil minimum de ces pénalités étant fixés par décret.'

L'expert judiciaire a chiffré à la somme de 43 333 euros HT le montant des travaux de reprise des non façons et non finitions que M. [J] considère sous-estimés et pour lesquels il sollicite la somme de 70 242, 76 euros mais ce préjudice n'est pas en lien de causalité avec la garantie dont il a perdu la chance de bénéficier laquelle ne concerne que le coût des dépassements du prix convenu des travaux dès lors qu'ils sont nécessaires à l'achèvement de la construction et non la reprise des désordres et qu'il n'est pas justifié d'un dépassement du prix des non finitions.

Le contrat d'entreprise prévoyait en fin de travaux une pénalité de retard définitive calculée sur le montant des travaux de 80 euros par jour calendaire de retard plafonnée à 10 % du montant total du marché de l'entreprise soit 220 000 euros TTC.

Le contrat de construction de maison individuelle qu'aurait conclu le maître de l'ouvrage s'il avait été informé de son caractère obligatoire et bien conseillé aurait de manière certaine contenu des pénalités de retard puisque celles-ci sont prévues dans le contrat d'entreprise. M. [J] aurait bénéficié du paiement de pénalités en cas de retard de livraison excédant trente jours, ce qui a largement été le cas puisque l'immeuble n'a jamais été livré et leur montant aurait atteint la somme de 22 000 euros réclamée.

En revanche, l'indemnité sollicitée au titre du trouble de jouissance est sans lien de causalité avec la perte de chance de bénéficier d'un contrat de construction prévoyant une garantie de livraison.

La faute de l'avocat qui lui a fait perdre une chance de voir M. [S] condamné au titre de sa responsabilité contractuelle à l'indemniser de la perte de chance de souscrire un contrat de construction de maison individuelle prévoyant une garantie de livraison a seulement aggravé le préjudice moral subi par M. [J] qui a vu son projet de construction s'interrompre sans espoir de reprise, lequel est indemnisé, à défaut de production des justificatifs de son intensité, par l'octroi d'une somme de 5 000 euros.

Seuls peuvent être retenus les frais irrépétibles que M. [J] a payés à M. [S] en première instance soit la somme de 2 000 euros et qui auraient fait l'objet d'une infirmation par la cour d'appel de Versailles et ceux d'un montant de 1 500  euros alloués à M. [S] par la même cour et qui n'auraient pas été accordés si la responsabilité contractuelle de ce dernier avait été retenue.

En revanche, les autres condamnations au paiement de frais irrépétibles sont sans lien de causalité avec la perte de chance retenue de même que l'engagement de frais d'un montant de 13 894,23 euros pour une expertise à laquelle M. [S] n'a pas été appelé et qui n'auraient pas été mis à sa charge si sa responsabilité avait été retenue.

En conséquence, la Selarl Feugas avocats doit être condamnée à payer à M. [J] la somme de 27  450 euros au titre de sa perte de chance évaluée à 90 % du préjudice retenu ( [22 000 + 2 000 + 5 000 +1 500] x 90 %).

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions relatives aux dépens de première instance sont infirmées.

Les dépens d'appel doivent incomber à la Selarl Feugas avocats, partie perdante, laquelle est également condamnée à payer à M. [J] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la Selarl interbarreaux Feugas avocats de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Infirme le jugement en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la Selarl interbarreaux Feugas avocats à payer à M. [O] [J] la somme de 27  450 euros au titre de sa perte de chance,

Condamne la Selarl Feugas avocats aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl Chevalier Marty Pruvost,

Condamne la Selarl interbarreaux Feugas avocats à payer à M. [O] [J] une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 21/06601
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;21.06601 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award