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14/06/2024 | FRANCE | N°22/09845

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 14 juin 2024, 22/09845


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 14 Juin 2024



(n° , 5 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/09845 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYB7



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Novembre 2022 par le Pole social du TJ de MEAUX RG n° 21/00417





APPELANT

CPAM DE L'ISÈRE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Amy TABOURE,

avocat au barreau de PARIS



INTIMEE

Société [4]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Corinne POTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461 substituée par Me Olivier MAMBR...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 14 Juin 2024

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/09845 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYB7

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Novembre 2022 par le Pole social du TJ de MEAUX RG n° 21/00417

APPELANT

CPAM DE L'ISÈRE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Société [4]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Corinne POTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461 substituée par Me Olivier MAMBRE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Odile DEVILLERS, présidente de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller

Monsieur Christophe LATIL, Conseiller

Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, présidente de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la Caisse primaire d'assurance maladie (la caisse) d'un jugement rendu le 3 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Meaux, dans un litige l'opposant à la société [4] (la société).

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Il est rappelé que, le 31 mars 2021, une déclaration d'accident du travail a été renseignée par la société concernant son salarié, M. [N] [I] (l'assuré), au titre d'un accident qui serait survenu le 29 mars 2021 à 14 heures ; que la déclaration mentionne, au titre des circonstances de l'accident : 'lors de l'intervention, la victime s'est donc rendue près du colis, a retiré le colis de la balance et l'a posé au sol. Dans les secondes qui suivaient le dépôt du colis au sol, il a senti une douleur dans son dos qui l'a alertée sur le fait qu'il s'était potentiellement blessé' ; que la déclaration précise que l'objet dont le contact a blessé la victime est un colis supérieur à 30 kilos ; que l'auteur du certificat médical initial établi le 29 mars 2021 constate l'existence d'une dorsalgie aiguë ; que la société a adressé le 7 avril 2021 une lettre de réserves à la caisse ; que, par courrier du 13 avril 2021, la caisse a indiqué à la société qu'elle prenait en charge l'accident au titre de la législation professionnelle ; que, dans sa séance du 21 juin 2021, la commission de recours amiable a rejeté la contestation de la société qui a porté le litige devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Par jugement du 3 novembre 2022, auquel il est renvoyé pour l'examen des motifs, le tribunal judiciaire de Meaux a :

- déclaré inopposable à la société la décision du 13 avril 2021 prenant en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident déclaré par l'assuré,

- condamné la caisse aux dépens.

Le jugement a été notifié à la caisse le 14 novembre 2022, laquelle en a interjeté appel par courrier recommandé avec demande d'accusé de réception du 30 novembre 2022.

Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience et soutenues oralement par son conseil, la caisse demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré inopposable à la société la décision du 13 avril 2021 prenant en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident déclaré par l'assuré et condamné la caisse aux dépens.

Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience et soutenues oralement par son avocat, la société demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner la caisse au paiement de la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties déposées à l'audience du 24 avril 2024 pour un plus ample exposé de leurs moyens.

SUR CE :

1- Sur le respect du devoir d'information de la caisse :

La caisse fait valoir que les réserves de l'employeur ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu de l'accident ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail ; que la société n'a émis aucune réserve de nature à considérer l'existence d'une cause totalement étrangère au travail susceptible de rompre le lien de subordination avec l'employeur ; que la caisse n'était donc pas dans l'obligation de diligenter une enquête.

La société réplique qu'elle a émis des réserves en invoquant une cause totalement étrangère au travail du fait que le salarié s'était soustrait volontairement à l'autorité de son employeur en s'abstenant d'utiliser l'engin de manutention à sa disposition et en intervenant seul, alors que son binôme, présent sur le site, aurait pu l'aider à décharger le colis ; que les réserves émises sont recevables ; que le fait pour le salarié de se soustraire à l'autorité de son employeur fait obstacle à la reconnaissance d'un accident du travail ; que c'est donc à bon droit que le tribunal a déclaré inopposable à l'employeur la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle en raison de l'absence de mise en oeuvre d'une instruction préalable qui s'imposait à la caisse.

En vertu de l'article R.441-6 du code de la sécurité sociale, lorsque la déclaration de l'accident émane de l'employeur, celui-ci dispose d'un délai de dix jours francs à compter de la date à laquelle il l'a effectuée pour émettre, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, des réserves motivées auprès de la caisse primaire d'assurance maladie.

Lorsque la déclaration de l'accident émane de la victime ou de ses représentants, un double de cette déclaration est envoyé par la caisse à l'employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen conférant date certaine à sa réception. L'employeur dispose alors d'un délai de dix jours francs à compter de la date à laquelle il a reçu ce double pour émettre auprès de la caisse, par tout moyen conférant date certaine à leur réception, des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail.

L'article R.441-7 du code de la sécurité sociale dispose également que la caisse dispose d'un délai de trente jours francs à compter de la date à laquelle elle dispose de la déclaration d'accident et du certificat médical initial prévu à l'article L. 441-6 pour soit statuer sur le caractère professionnel de l'accident, soit engager des investigations lorsqu'elle l'estime nécessaire ou lorsqu'elle a reçu des réserves motivées émises par l'employeur.

Au cas d'espèce, alors que la déclaration d'accident du travail a été souscrite par l'employeur le 31 mars 2021, la société a adressé à la caisse une lettre de réserves le 7 avril 2021.

Aux termes de ce courrier, la société déclare : '(...) nous formulons les plus expresses réserves quant au caractère professionnel de l'incident relaté par notre salarié. En effet, nous tenons à souligner que M. [I] avait à sa disposition, pour réaliser son intervention, un chariot spécifique au port de charges lourdes. Ce chariot était disponible et rangé à sa place ; c'est donc une exposition au risque volonatire de la part de

M. [I]. De surcroît, il a également décidé d'intervenir seul, alors que son binôme, présent sur le site au moment des faits, aurait pu venir l'aider à décharger ce colis lourd. Nous ne saurons rappelés ici que, dès lors et conformément aux dispositions de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale qui subordonnent le bénéfice de la présomption d'imputabilité à la preuve par le salarié d'un fait accidentel et d'une lésion en lien avec le travail, la présomption d'imputabilité ne saurait être appliquée à cet incident déclaré par notre collaborateur le 30 mars 2021".

Il est relevé que la société ne remet pas en cause, aux termes de ce courrier, l'existence d'une lésion subie par l'assuré survenue aux temps et lieu du travail.

La société fait valoir que ses réserves portent sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail au motif que le salarié se serait soustrait volontairement à son autorité en s'abstenant d'utiliser un engin mis à sa disposition et en intervenant seul alors qu'un collègue sur le site aurait pu l'aider.

Mais, contrairement à ce que soutient la société, la soustraction volontaire à l'autorité de l'employeur ne peut concerner que des actes totalement étrangers à l'exécution du travail.

A supposer que le salarié n'aurait pas respecté des consignes qui lui auraient été données par son employeur, ce seul manquement, dès lors que le salarié faisait le travail qui lui était demandé, ne peut constituer une soustraction volontaire à l'autorité de l'employeur de nature à caractériser une cause totalement étrangère au travail.

Par conséquent, la société n'a émis aucune réserve motivée sur l'existence potentielle d'une telle cause, de sorte que la caisse n'a pas manqué à ses obligations en prenant en charge l'accident au titre de la législation professionnelle sans procéder au préalable à des investigations.

2- Sur la matérialité de l'accident :

La société fait valoir que la preuve de la survenance d'un fait accidentel aux temps et lieu du travail n'est pas rapportée, aucun témoin n'étant présent lorsqu'il se serait blessé en soulevant un colis ; que le salarié a attendu le lendemain à 14 heures pour informer son employeur ; qu'en toute hypothèse, il se serait soustrait volontairement à l'autorité de son employeur.

La caisse réplique que la survenance d'un fait accidentel aux temps et lieu du travail est rapportée, de sorte que la présomption d'imputabilité doit s'appliquer ; que le salarié ne s'est pas soustrait à l'autorité de son employeur ; que la déclaration est intervenue dans les 24 heures de l'accident ; que le certificat médical initial a été établi le même jour corroborant les déclarations du salarié tandis que l'absence de témoin est indifférente.

Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, n°00-21.768, Bull. n°132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).

Le salarié (ou la caisse substituée dans les droits de la victime dans ses rapports avec l'employeur) doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel (Soc., 26 mai 1994, Bull. n°181) ; il importe qu'elles soient corroborées par d'autres éléments (Soc., 11 mars 1999, n°97-17.149, Civ 2ème 28 mai 2014, n°13-16.968).

En revanche, dès lors qu'il est établi la survenance d'un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celle-ci est présumée imputable au travail, sauf pour celui entend la contester de rapporter la preuve qu'elle provient d'une cause totalement étrangère au travail.

En l'espèce, il résulte de la déclaration d'accident du travail que l'assuré a déclaré que le 29 mars 2021 à 14 heures, il a ressenti une douleur dans le dos en soulevant un colis.

Il est relevé que l'accident a été déclaré par l'employeur le 31 mars 2021, soit le surlendemain ; la déclaration mentionne que l'accident a été connu de l'employeur le

30 mars 2021 à 14 heures, soit le lendemain, ce qui constitue un délai raisonnable ; un médecin a été consulté par le salarié le jour même des faits déclarés, lequel a constaté l'existence d'une dorsalgie aiguë, soit une lésion conforme aux déclarations du salarié.

Au regard de ces éléments, nonobstant l'absence d'un témoin qui ne présente pas un caractère dirimant, la caisse établit l'existence d'un faisceau d'indices suffisants pour établir la matérialité de l'accident du travail, soit l'existence d'une lésion corporelle survenue brutalement à l'assuré aux temps et lieu du travail, l'employeur ne pouvant utilement se prévaloir que le salarié se serait soustrait à son autorité alors qu'au moment de l'accident, il n'est pas contesté qu'il accomplissait les tâches qui lui étaient confiées.

En l'absence de démonstration par l'employeur d'une cause totalement étrangère au travail, l'accident litigieux est présumé revêtir un caractère professionnel et c'est à bon droit que la caisse a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle.

Le jugement sera donc infirmé et la décision de prise en charge de la caisse déclarée opposable à la société.

La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

DÉCLARE l'appel recevable,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré,

STATUANT à nouveau :

DÉCLARE opposable à la société [4] la décision de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident dont M. [N] [I] a été victime le le 29 mars 2021,

CONDAMNE la société [4] aux dépens de première instance et d'appel,

DÉBOUTE la société [4] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 22/09845
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-14;22.09845 ?
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