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14/06/2024 | FRANCE | N°22/05280

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 14 juin 2024, 22/05280


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11



ARRET DU 14 JUIN 2024



(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire  général : 22/05280 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOQE



Décision déférée à la Cour : Jugement 14 Avril 2015 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2012018264

Arrêt 30 novembre 2018 - Cour d'appel de Paris - RG 15/11690





APPELANTE



S.A.

S. CGI FRANCE

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège.



immatriculée au registre de commerce de Nanterr...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11

ARRET DU 14 JUIN 2024

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire  général : 22/05280 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOQE

Décision déférée à la Cour : Jugement 14 Avril 2015 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2012018264

Arrêt 30 novembre 2018 - Cour d'appel de Paris - RG 15/11690

APPELANTE

S.A.S. CGI FRANCE

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège.

immatriculée au registre de commerce de Nanterre sous le numéro de 702 042 755

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-Catherine VIGNE de la GRV ASSOCIES, avocate au bareau de Paris, toque : L10

assistée de Me LALANNE - MAGNE Margaux, avocate au barreau de Paris.

INTIMEE

S.A.R.L. 2SET2 INFORMATIQUE

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au registre de commerce de Nantes sous le numéro 339 535 049

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Ronan HARDOUIN du cabinet HARDOUIN AVOCAT, avocat au barreau de Paris, toque : B0941

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 1037-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Caroline GUILLEMAIN, conseillère, chargée du rapport..

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de chambre

Mme Marie-Sophie L'ELEU DE LA SIMONE, conseillère

Madame CAROLINE GUILLEMAIN, conseillère

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

Greffière stagiaire : [Y] [X]

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Sophie L'ELEU DE LA SIMONE, conseillère pour le président empêché, et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

La SAS CGI France (la société CGI), anciennement dénommée Unilog puis Logica, spécialisée dans le domaine du service informatique, et la SARL 2SET2 Informatique (la société 2SET2), dont le gérant, M. [Z], a mis au point un système nommé Qualiman, de type EPR (entreprise ressource planning), capable de prendre en charge des processus tels que la qualité, la sécurité, l'environnement et le développement durable, se sont rapprochées en vue de répondre à un appel d'offres de l'Office National de l'Eau et des Milieux Aquatiques (l'ONEMA) pour la mise en place d'un projet dit « SEEE » spécification, réalisations et maintien en condition opérationnelle du système d'évaluation de l'état des eaux, dont la durée de réalisation était prévue sur quatre années.

Elles ont conclu un protocole d'accord pour répondre à cet appel d'offres, que la société 2SET2 a retourné, après l'avoir signé, le 19 janvier 2018.

La société CGI a remis à l'ONEMA un dossier de candidature, le 17 décembre 2007.

Le 23 janvier 2008, l'ONEMA a informé la société CGI que sa candidature était retenue mais qu'il refusait le sous-traitant 2SET2.

Estimant que la société CGI n'avait pas respecté l'accord convenu entre elles et que cette éviction de l'appel d'offres lui avait porté préjudice, la société 2SET2 a, suivant exploit du 5 mars 2012, assigné la société Logica France devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir sa condamnation à l'indemniser.

Par jugement en date du 14 avril 2015, le tribunal a :

- Dit que la société CGI France a manqué à son obligation de bonne foi dans l'exécution du protocole la liant à la société 2SET2,

- Dit la société 2SET2 Informatique bien fondée en ses demandes,

- Condamné la société Logica France à payer à la société 2SET2 la somme de 180.000 € HT à titre de dommages et intérêts,

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

- Ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,

- Condamné la société Logica France à payer à la société 2SET2 Informatique la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Logica France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 € dont 13,52 € de TVA.

La société CGI a formé appel du jugement, par déclaration du 8 mai 2015.

Par arrêt en date du 30 novembre 2018, la cour d'appel de Paris a :

- Confirmé le jugement entrepris sauf en sa disposition ayant condamné la société Logica France (devenue la société CGI France) à payer à la société 2SET2 Informatique la somme de 180.000 € HT à titre de dommages et intérêts,

Et statuant à nouveau sur ce chef,

- Condamné la société CGI France à payer à la société 2SET2 Informatique la somme de 56.700 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

- Condamné la société CGI France à payer à la société 2SET2 Informatique la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société CGI France aux dépens.

A la suite du pourvoi formé par la société 2SET2, par arrêt en date du 2 février 2022, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 30 novembre 2018, mais seulement en ce qu'il a condamné la société CGI France à payer à la société 2SET2 Informatique la somme de 56.700 € à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal et a remis, en conséquence, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

La Cour de cassation a censuré l'arrêt aux motifs suivants :

« Vu l'article 4 du code de procédure civile :

4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

5. Pour limiter à une certaine somme le montant de la condamnation prononcée contre la société CGI, l'arrêt retient que si la proposition soutenue par la société CGI en partenariat avec la société 2SET2 mettait en avant le logiciel Qualiman, le refus de ce logiciel par l'ONEMA est lié au fait qu'il ne correspondait pas aux besoins spécifiés. Et il ajoute qu'il n'est pas établi par la société 2SET2 que la société CGI s'est abstenue de transmettre à l'ONEMA les documents qu'elle lui avait fournis les 17 et 18 janvier 2008 en réponse aux questions posées par cet organisme le 15 janvier précédent, de sorte que la perte de chance de vente de licences du logiciel ne peut être retenue au titre du préjudice subi par la société 2SET2 en lien avec une faute de la société CGI.

6. En statuant ainsi, alors que le défaut de transmission des éléments fournis par la société 2SET2 en réponse à la demande de l'ONEMA n'était pas contesté par la société CGI, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé. »

(...)

« Vu l'article 1151 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

8. Aux termes de ce texte, dans le cas même où l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages-intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention.

9. Pour limiter à une certaine somme le montant de la condamnation prononcée contre la société CGI, l'arrêt retient encore que les frais liés aux travaux menés par la société 2SET2 pour répondre à l'appel d'offres de l'ONEMA auraient été supportés par la société 2SET2 même en l'absence de faute de la société CGI, de sorte qu'ils ne peuvent être retenus au titre de son préjudice.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure tout lien de causalité entre le préjudice lié aux frais exposés par la société 2SET2 pour réaliser des travaux en vue de répondre à l'appel d'offres et les manquements contractuels commis par la société CGI, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. »

Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel de Paris le 4 mars 2022, la société CGI France a saisi la Cour de renvoi.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 25 novembre 2023, la SAS CGI France venant aux droits de la SAS CGI France IT Services demande à la Cour de :

« - DECLARER bien fondée en son appel la société CGI France et en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- REJETER les demandes de nullité de l'acte de saisine de la Cour de céans, faute de grief comme de caducité de l'acte d'appel en date du 8 mai 2015 ;

En conséquence,

- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de PARIS en date du 14 avril 2015 en ce qu'il a condamné la société CGI FRANCE à payer la somme de 180.000 euros au profit de la société 2SET2 INFORMATIQUE;

Statuant à nouveau :

- DEBOUTER la société 2SET2 INFORMATIQUE en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société 2SET2 INFORMATIQUE au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens. »

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 5 février 2024, la SARL 2SET2 Informatique demande à la Cour, au visa des articles 901, 908, 954, 1032, 1033 et 1037-1 du code de procédure civile et des articles 1134, 1147 et 1151 anciens du code civil, de :

« - Déclarer nulle la saisine de la Cour d'appel de renvoi par la société CGI ;

- Déclarer caduque l'appel de la société CGI

En tout état de cause,

Sur les chefs de jugement qui seront confirmés

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a constaté les manquements contractuels de la société CGI ;

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a considéré le caractère réparable du préjudice lié aux frais déboursés par la société 2SET2 pour répondre à l'appel d'offres ;

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a considéré le caractère réparable du préjudice lié aux interventions programmées de M. [Z] en sa qualité de président de la société 2SET2.

Sur les chefs de jugement qui seront infirmés

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a exclu la réparation du préjudice lié à la perte de chance de fournir des licences du logiciel QUALIMAN ;

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a limité la perte de chance liée aux interventions programmées de M. [Z] à la hauteur de 50%.

Et, statuant à nouveau

- Condamner la société CGI à payer à la société 2SET2 la somme de 102 060,00 euros au titre du préjudice découlant de la perte de chance des interventions programmées de M. [Z] ;

- Condamner la société CGI à payer à la société 2SET2 la somme de 261 673,01 euros au titre de la perte de chance de vendre de licences du logiciel QUALIMAN et de les maintenir ;

- Condamner la société CGI à payer à la société 2SET2 la somme de 90 755,00 euros au titre du préjudice relatifs aux frais déboursés pour répondre à l'appel d'offres ;

- Condamner la société CGI à payer à la société 2SET2 la somme de 20 000,00 euros au titre du préjudice moral.

En tout état de cause

- Condamner la société CGI à payer à la société 2SET2 la somme de 30 000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.»

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

 

Sur le périmètre de la saisine de la cour de renvoi

Il résulte des articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile que la cassation qui atteint un chef de dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation, les parties étant remises dans l'état où elles se trouvaient avant la décision censurée et l'affaire étant à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.

Dans le cas présent, les parties s'accordent à reconnaître que la juridiction de renvoi n'est pas saisie de la question de la faute commise par la société CGI. L'inexécution des termes du protocole d'accord par la société CGI, constitutive d'un manquement contractuel, sera donc considérée comme étant acquise.

La Cour demeure saisie à la fois des questions afférentes au lien de causalité et à la réalité des postes de préjudices allégués par société 2SET2, sans que celle-ci puisse prétendre que le principe de son indemnisation serait acquis au titre des interventions programmées de M. [Z], cette demande n'ayant pas fait l'objet d'un chef de dispositif de l'arrêt que la cassation aurait laissé subsister, quels que soient les moyens qui ont déterminé la cassation.

Sur la régularité de l'acte de saisine de la juridiction de renvoi

Enoncé des moyens

La société 2SET2 fait valoir que la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi est entachée d'un vice de forme, au sens de l'article 114 du code de procédure civile, justifiant son annulation, à défaut d'avoir été régularisé dans le délai de deux mois, dans les conditions des articles 115 et 1034 dudit code. Elle prétend, plus précisément, que la déclaration ne vise aucunement les chefs du jugement critiqués, en méconnaissance des prévisions des articles 1032 et 1033 et de l'article 901. Elle estime que cette omission lui a causé nécessairement grief, en ce qu'elle l'a empêchée de préparer utilement sa défense, cependant que le dispositif des conclusions d'appel de la société CGI tend à l'infirmation de la condamnation au paiement de la somme de 180.000 € et à ce que la cour déboute la société 2SET2 de toutes ses demandes d'indemnisation, ce qui entretient une totale ambiguïté.

La société CGI réplique que la déclaration d'appel du 8 mai 2015 est conforme à l'article 901 du code de procédure civile, qui n'imposait pas, dans sa version alors en vigueur, de viser les chefs du jugement critiqués, et que la société 2SET2 était parfaitement informée du périmètre de saisine de la cour de renvoi. Elle rappelle, en outre, que la déclaration de saisine ne s'apprécie pas à l'aune des conclusions déposées à son soutien et qu'elle ne constitue pas une déclaration d'appel. 

Réponse de la Cour

Selon l'article 1032 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi est saisie par déclaration au greffe de cette juridiction. L'article 1033 du même code précise que la déclaration contient les mentions exigées pour l'acte introductif d'instance devant cette juridiction et qu'une copie de l'arrêt de cassation y est annexée.

La saisine après cassation étant en date du 4 mars 2022, par application du décret n° 2017-1227 du 2 août 2017 modifiant les modalités d'entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, les dispositions de l'article 13 de ce décret relatives aux mentions de la déclaration d'appel, visées par l'article 901, 4°, du code de procédure civile, s'appliquent dans la présente instance.

L'obligation, prévue à l'article 1033 du code de procédure civile, de faire figurer dans la déclaration de saisine de la cour d'appel de renvoi après cassation, au regard des chefs de dispositif de l'arrêt attaqué atteints par la cassation, les chefs critiqués de la décision entreprise, s'impose même dans l'hypothèse d'une cassation partielle d'un seul chef de dispositif de l'arrêt attaqué. L'irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation ne la rend pas irrecevable, mais nulle pour vice de forme, la nullité ne pouvant être prononcée que s'il est justifié d'un grief (2e Civ., 15 avril 2021, n° 19-20.416, publié au Bulletin).

En l'occurrence, l'acte de saisine du 4 mars 2022 est rédigé de la manière suivante : « Déclare par la présente saisir la Cour d'appel de PARIS, Cour de Renvoi, en exécution de l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 02 février 2022 cassant et annulant partiellement l'arrêt de la Cour d'appel rendu le 30 novembre 2018, « seulement en ce qu'il condamne la société CGI France à payer à la société 2SET2 la somme de 56700 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal, » statuant sur l'appel du jugement rendu le 14 avril 2015 par le Tribunal de Commerce de Paris. »

Cette déclaration de saisine ne fait pas mention des chefs du jugement critiqués consécutivement au renvoi après cassation, de sorte que l'obligation prévue par l'article 1033 du code de procédure civile n'a pas été respectée.

Il n'en demeure pas moins que la société 2SET2 était parfaitement informée du périmètre de saisine de la cour de renvoi. Celle-ci n'est en effet saisie que de la partie du litige dont le jugement lui est déféré par la Cour de cassation, les chefs non attaqués ou non cassés de la décision frappée de pourvoi subsistant avec l'autorité de la chose jugée.

La société 2SET2 formule, d'ailleurs, des prétentions au titre de l'indemnisation des préjudices qu'elle prétend avoir subi, ce qui induit qu'elle a été en mesure de préparer utilement sa défense, sans pouvoir prétendre que les conclusions d'appel de la société CGI auraient entretenu une confusion.

Ainsi, contrairement à ce qu'elle prétend, la société 2SET2 ne démontre avoir subi un grief. Elle sera donc déboutée de sa demande d'annulation.

Sur la caducité de l'appel

Enoncé des moyens

La société 2SET2 ajoute que les conclusions d'appel de la société CGI sont caduques, en application de l'article 908 du code de procédure civile, au motif qu'elles ne permettent pas à la cour d'appel de statuer sur une demande expresse et qu'elles ne prennent pas en considération les enseignements de la procédure, la juridiction de renvoi étant tenue d'apprécier uniquement le montant des dommages et intérêts, sans possibilité de la débouter de sa demande d'indemnisation.

La société CGI prétend que la critique est inopérante, dès lors que la procédure a été reprise en l'état où elle se trouvait avant l'arrêt cassé, ce dont il résulte qu'elle pouvait régulièrement solliciter l'infirmation du chef du jugement lui faisant grief, dont la cour reste saisie, et conclure au débouté des demandes formées par la société 2SET2. Elle ajoute que la caducité des conclusions prises après un renvoi après cassation n'est pas prévue par l'article 908 du code de procédure civile et que l'acte d'appel, daté du 8 mai 2015, n'encourt lui-même aucune caducité, cette sanction étant applicable uniquement aux appels formés à compter du 1er septembre 2017.

 

Réponse de la Cour

Les parties étant replacées dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt de cassation, les conclusions de la société CGI, en ce qu'elles tendent à l'infirmation du jugement du chef de la condamnation prononcée à son encontre, à hauteur de 180.000 €, et au rejet des demandes de la société 2SET2, sont parfaitement régulières, la cour d'appel de renvoi étant en mesure de statuer dans la limite du chef de dispositif atteint par la cassation.

En tout état de cause, l'article 908 du code de procédure civile, prévoyant que l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe, à peine de caducité de la déclaration d'appel, n'est pas applicable à l'instance sur renvoi après cassation.

La société 2SET2 ne pourra ainsi qu'être déboutée de sa demande relative à la caducité de l'appel.

Sur les demandes indemnitaires de la société 2SET2

Enoncé des moyens

La société CGI fait valoir que les premiers juges ne pouvaient sans contradiction réparer un préjudice consécutif à l'impossibilité pour M. [Z] d'effectuer des interventions programmées dans le cadre du marché de l'ONEMA et refuser de réparer un préjudice tiré de la vente de licences QUALIMAN. Elle prétend que la société 2SET2 ne rapporte pas la preuve d'une perte de chance d'être retenue par l'ONEMA en qualité de sous-traitant, aucun élément n'étant versé aux débats pour permettre d'apprécier le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice allégué. Sur ce point, elle soutient que la décision de l'ONEMA était justifiée par des considérations techniques, dans la mesure où l'outil QUALIMAN ne répondait pas à ses besoins. En outre, selon elle, la société 2SET2 ne démontre pas que les éléments que celle-ci lui a fournis en réponse aux demandes de l'ONEMA auraient modifié la décision de celui-ci, même s'ils lui avaient été transmis. Elle estime, pour les mêmes raisons, qu'il n'existait aucune probabilité raisonnable que la société 2SET2 réalise la maintenance sur les licences. S'agissant des interventions programmées de M. [Z], elle rappelle que le protocole d'accord ne lui faisait aucune obligation de garantir un volume minimum, et que l'ONEMA n'avait pris aucun engagement à ce titre.

Pour refuser de prendre en charge les frais engagés au titre des travaux menés dans le cadre de l'appel d'offres, elle fait valoir que l'impossibilité pour la société 2SET2 de participer à la réalisation du projet résulte exclusivement de la décision d'évincer le sous-traitant, que ni l'une ni l'autre n'était en mesure de contester. Elle en déduit qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le préjudice allégué et le manquement contractuel retenu à son encontre, en faisant valoir que la société 2SET2 aurait, de toute façon, exposé des frais pour répondre à l'appel d'offres. Elle ajoute qu'aucune pièce justificative ne permet d'établir le montant du préjudice allégué.

Pour sa part, la société 2SET2 explique que l'ONEMA lui avait laissé entendre que sa candidature serait susceptible d'être retenue, dès lors qu'elle entrerait en partenariat avec une SSII, dont elle lui avait fourni une liste intégrant la société CGI. Elle prétend que le succès de la candidature à l'appel d'offres reposait sur son entier savoir-faire. Elle considère qu'elle a subi consécutivement une perte de chance de pouvoir proposer des interventions programmées de M. [Z] devant être évaluée à 90 %.

Elle sollicite, en outre, l'indemnisation de la perte de chance de vendre des licences du logiciel Qualiman, assorties d'un service après-vente, évaluée également sur la base de 90 % ; elle souligne que la société CGI ne conteste plus s'être abstenue de transmettre à l'ONEMA les documents qu'elle lui avait fournis, ce qui l'a empêchée d'affiner sa proposition technique et de faire évoluer sa solution logicielle.

Enfin, la société 2SET2 estime avoir subi un préjudice en lien de causalité avec la faute commise par la société CGI correspondant aux frais qu'elle a exposés inutilement pour répondre à l'appel d'offres. Elle expose qu'elle n'avait ainsi aucune possibilité de faire fructifier ces investissements en raison des spécificités gérées par l'outil Qualiman, ce modèle ne pouvant être utilisé par une autre société. Elle estime que le préjudice qu'elle a subi, qui ne s'analyse pas seulement en une perte de chance, doit être réparé intégralement en raison du caractère dolosif de la faute commise par la société CGI.

 

Réponse de la Cour

Le contrat litigieux ayant été conclu avant l'entrée en vigueur, fixée au 1er octobre 2016, de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les dispositions antérieures à cette réforme ont vocation à s'appliquer.

Selon l'article 1147 ancien du code civil, « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

En application de l'article 1149, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

L'article 1151 précise que « Dans le cas même où l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention ».

Toute perte de chance ouvre droit à réparation (1re Civ., 14 décembre 2016, n° 16-12.686, publié au Bulletin ; 2e Civ., 20 mai 2020, n° 18-25.440, publié au Bulletin). La perte de chance est définie comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (1re Civ., 21 novembre 2006, n° 05-15.674, publié au Bulletin).

- Sur la perte de chance de faire intervenir M. [Z] et de vendre les licences du logiciel

Le partenariat entre la société CGI et la société 2SET2, tel que défini dans le protocole d'accord signé entre les parties, qui était assorti d'une clause d'exclusivité, constituait le fondement de la proposition soumise à l'ONEMA, en réponse à l'appel d'offres, en raison du recours à l'expertise technique de la société 2SET2.

Il est acquis que la société CGI n'a pas respecté les stipulations du protocole. En contravention avec son article 6.10, elle a ainsi adressé à l'ONEMA le dossier de candidature, le 17 décembre 2017, sans le soumettre préalablement à la société 2SET2, de sorte que cette dernière n'a pas été en mesure de le valider, peu important qu'elle n'ait élevé ultérieurement aucune contestation.

Le 15 janvier 2008, la société CGI a transmis à la société 2SET2 deux questions posées par l'ONEMA concernant le produit Qualiman. La société 2SET2 y a apporté des réponses circonstanciées, auxquelles étaient joints des documents techniques, par courriels des 17 et 18 janvier suivants. Or, il n'est pas contesté que la société CGI, bien que rendue destinataire de ces documents, s'est abstenue de les transmettre à l'ONEMA.

La société CGI a, ensuite, omis d'informer immédiatement la société 2SET2 du refus de l'ONEMA, formalisé par courrier du 23 janvier 2008, de l'intégrer dans le projet en tant que sous-traitant. La société CGI a ainsi répondu directement, le lendemain, à trois questions posées par l'ONEMA, et a attendu le 25 février 2008, soit quatre jours avant la date d'attribution du marché, le 29 février, pour informer par téléphone la société 2SET2 de son éviction.

Comme le souligne la société CGI, il est exact que la décision de refuser le sous-traitant a été prise par l'ONEMA, celui-ci ayant expliqué, dans le courrier daté du 23 janvier 2008, que l'outil Qualiman ne correspondait pas aux besoins spécifiés.

Il n'en demeure pas moins que les manquements contractuels de la société CGI ont empêché la société 2SET2 de tenter de convaincre l'ONEMA de l'intégrer dans le cadre de la réalisation du projet, faute d'avoir été en mesure de lui transmettre toutes les informations qu'elle jugeait nécessaires.

L'annexe A du protocole conclu entre les parties prévoit que l'intervention de M. [Z], en tant que chef de projet, n'était pas conditionnée à l'utilisation du système Qualiman, qui restait une simple faculté.

Il résulte de ce qui précède que la société 2SET2 a perdu une chance, en lien de causalité directe avec les fautes commises par la société CGI, non seulement de faire intervenir M. [Z], indépendamment de l'utilisation de l'outil Qualiman, en raison de son expertise reconnue, mais également de vendre les licences du logiciel, au nombre de trois, et la Cour estimera cette perte de chance à 50 % du préjudice financier allégué.

S'agissant des interventions programmées de M. [Z], si le protocole d'accord ne faisait aucune obligation à la société CGI de garantir un volume minimum, l'annexe de ce document prévoit, néanmoins, une base de sous-traitance de 100 jours. Le Fascicule 2 « Economie du marché » remis à l'ONEMA précise lui-même que le prix moyen par jour d'intervention de M. [Z] s'élève à 1.050 €, à raison de 106 jours d'intervention. La société CGI sera, en conséquence, condamnée à indemniser la société 2SET2 à hauteur de 55.650 €.

La proposition remise à l'ONEMA, dans le Fasicule 2, chiffre le prix des licences de la façon suivante :

- Licence QUALIMAN - Production Mode autonome : 88.235,29 € ;

- Licence QUALIMAN ' Production Mode web : 58.823,53 € ;

- Licence QUALIMAN ' Version de développement : 17.250 €.

Au vu de ces éléments, la perte de chance de vendre ces licences par la société 2SET2 devra être réparée par la société CGI à hauteur de 82.154,41 €.

Le coût de la maintenance du logiciel était prévu, quant à lui, uniquement dans le protocole d'accord, mais ne figurait pas dans la proposition soumise à l'ONEMA, de sorte que la perte financière alléguée par la société 2SET2 est elle-même hypothétique. La demande de réparation formée à ce titre sera ainsi rejetée.

- Sur les frais exposés par la société 2SET2 pour répondre à l'appel d'offres

La société 2SET2 a nécessairement engagé des dépenses et des investissements en vue de répondre à l'appel d'offres, en élaborant une proposition technique destinée à être transmise par la société CGI à l'ONEMA.

Ces frais, qu'elle a engagés en pure perte, lui ont causé un préjudice financier intégralement consommé, en lien de causalité directe avec les manquements contractuels commis par la société CGI.

La société 2SET2 ne produit, pour autant, aucun document permettant de justifier du temps de travail qu'elle prétend avoir employé pour réaliser ces travaux. Le protocole d'accord n'a été retourné signé qu'après l'envoi du dossier de candidature, de sorte que la date de conclusion du contrat reste indéterminée. L'examen des pièces versées aux débats révèle que les parties ont commencé à échanger, au plus tôt le 12 novembre 2017, de sorte que la société 2SET2 justifie au mieux qu'elle a pu consacrer environ cinq semaines à la préparation du dossier, depuis cette date jusqu'à l'envoi du dossier de candidature à l'ONEMA, le 17 décembre suivant. En l'absence d'autre stipulation contractuelle, le coût de ces travaux peut légitimement être estimé sur la base du prix moyen par jour d'intervention de M. [Z], d'un montant de 1.050 €, prévu dans le Fascicule 2 « Economie du marché » remis à l'ONEMA. La société CGI sera, en conséquence, condamnée à payer à la société 2SET2 la somme de 26.250 € (25 jours ouvrés X 1050 €).

Pour le reste, la société 2SET2 ne produit aucun justificatif des postes de travaux qu'elle prétend avoir réalisés, pas plus que de prétendus déplacements. Elle sera donc déboutée des demandes d'indemnisation qu'elle forme à ce titre, faute de rapporter la preuve des préjudices correspondants.

Le jugement sera corrélativement infirmé du chef du montant de la réparation mise à la charge de la société CGI au profit de la société 2SET2 en compensation de la perte de chance de faire intervenir M. [Z] et des frais engagés en pure perte, et également infirmé, en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société 2SET2 au titre de l'absence de vente des logiciels.

Sur les autres demandes

 

Compte tenu du sens de la présente décision, la société 2SET2 sera déboutée de sa demande d'indemnisation du préjudice moral qu'elle prétend avoir subi, à raison de l'appel du jugement.

Partie perdante, la société CGI sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront ceux de l'arrêt cassé.

Il paraît équitable de la condamner à payer à la société 2SET2 la somme de 8.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

 

Vu l'arrêt de cassation partielle n° 20-17.127 rendu par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, le 2 février 2022,

REJETTE la demande de la SARL 2SET2 Informatique portant sur l'annulation de l'acte de saisine du 4 mars 2022,

DIT n'y avoir lieu à constater la caducité de l'appel,

Statuant dans les limites du renvoi,

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Logica France à payer à la SARL 2SET2 la somme de 180.000 € HT à titre de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau du chef infirmé,

CONDAMNE la SAS CGI France à payer à la SARL 2SET2 Informatique la somme de 55.650 € au titre de la perte de chance de faire intervenir M. [Z],

CONDAMNE la SAS CGI France à payer à la SARL 2SET2 Informatique la somme de 82.154,41 € au titre de la perte de chance de vendre les licences du logiciel,

CONDAMNE la SAS CGI France à payer à la SARL 2SET2 Informatique la somme de 26.250 € au titre des frais qu'elle a engagés en pure perte,

DÉBOUTE la SARL 2SET2 Informatique du surplus de ses demandes d'indemnisation,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS CGI France aux dépens de première instance et d'appel incluant ceux de l'arrêt cassé,

CONDAMNE la SAS CGI France à payer à la SARL 2SET2 Informatique la somme de 8.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes des parties.

LE GREFFIER  LA CONSEILLÈRE POUR

LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 22/05280
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-14;22.05280 ?
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