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14/06/2024 | FRANCE | N°20/03426

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 14 juin 2024, 20/03426


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 14 Juin 2024



(n° , 1 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/03426 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB4BV



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Février 2020 par le Pole social du TJ de CRETEIL RG n° 19/01281



APPELANTE

Société [3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Valérie PARISON, avoc

at au barreau de LYON, toque : 2418 substituée par Me Charles ROUSSELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0525



INTIMEE

CPAM [Localité 2]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représenté p...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 14 Juin 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/03426 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB4BV

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Février 2020 par le Pole social du TJ de CRETEIL RG n° 19/01281

APPELANTE

Société [3]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Valérie PARISON, avocat au barreau de LYON, toque : 2418 substituée par Me Charles ROUSSELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0525

INTIMEE

CPAM [Localité 2]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

représenté par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Raoul CARBONARO, président de chambre

Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par M. Raoul CARBONARO, président de chambre et par Mme Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la SARL [3] (la société) d'un jugement rendu le 10 février 2020 par le tribunal judiciaire de Créteil dans un litige l'opposant à la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] (la caisse).

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Mme [G] [X] (l'assurée) a déclaré un accident du travail qui est survenu le 26 mai 2014 à 7h45 dans les locaux du palais de justice de Meaux ; que la caisse a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels dans une décision du 5 juin 2014 ; qu'après vaine saisine de la commission de recours amiable, la société a formé un recours devant une juridiction en charge du contentieux de sécurité sociale.

Par jugement en date du 10 février 2020, le tribunal a :

rejeté la demande présentée par la SARL [3] ;

dit que la décision prise par la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident survenu au préjudice de Mme [W] ([G]) [X] est régulière et opposable à la SARL [3] ;

condamné la SARL [3] aux dépens.

Le tribunal a jugé que la présomption d'imputabilité posée par l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale s'applique à toutes les lésions provoquées par l'accident du travail y compris à celles qui se révèlent ultérieurement et qui sont rattachables à l'accident initial. En appliquant la présomption simple d'imputabilité des soins et arrêts à l'accident du fait de la prescription initiale d'un arrêt de travail, il a jugé que la société ne rapportait pas la preuve exigée de l'absence de lien de causalité susceptible de renverser la présomption et qu'elle n'apportait aucun élément sérieux au soutien de sa demande d'expertise.

Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise à une date non déterminée à la SARL [3] qui en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception adressée le 9 juin 2020.

Par conclusions n°2 écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la SARL [3] demande à la cour de :

à titre principal :

juger conformément à l'avis médico-légal du Docteur [U] [T], inopposables à l'égard de la SARL [3], les soins et arrêts de travail prescrits à Mme [G] [X] à la suite de son accident à compter du 12 juillet 2014 (inclus) ;

juger que la consolidation avec ou sans séquelles soit fixée au

12 juillet 2014

à titre subsidiaire

ordonner une mesure d'expertise judiciaire sur pièces et nommer un médecin expert qui aura pour mission de :

se faire remettre le dossier médical de Mme [G] [X] par la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4],

retracer l' évolution des lésions de Mme [G] [X],

retracer les éventuelles hospitalisations de Mme [G] [X],

déterminer si les lésions décrites peuvent résulter directement et uniquement de l'accident du 26 mai 2014,

déterminer si les éventuelles hospitalisations sont directement et uniquement justifiées par cet accident du travail,

déterminer quels sont les arrêts et lésions directement et uniquement imputables à l'accident du 26 mai 2014,

déterminer si une cause étrangère est à l'origine d'une partie des arrêts de travail,

dans l' affirmative, dire si l'accident du 26 mai 2014 a pu aggraver ou révéler l'état pathologique préexistant ou si, au contraire, ce dernier a évolué pour son propre compte,

fixer la date à laquelle l'état de santé de Mme [G] [X] directement et uniquement imputable à l'accident du 26 mai 2014 doit être considéré comme consolidée,

convoquer les parties à une réunion contradictoire.

déclarer que les frais d'expertise seront mis à la charge de la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] en application des dispositions de l'article L. 144-5 du code de la sécurité sociale.

La SARL [3] expose que la victime a bénéficié de 199 jours d'arrêts de travail, soit près de 7 mois d'arrêts de travail pris en charge au titre de la législation professionnelle, pour des « contusions » ne nécessitant initialement que

5 jours d'arrêt de travail; que cette durée apparait d'autant plus discutable qu'après analyse des pièces médicales du dossier, le Docteur [U] [T], conclut que « les arrêts de travail à compter du 11 juillet 2014 sont en lien soit avec une affection intercurrente, soit plus probablement avec un état antérieur évoluant pour son propre compte ; que l'absence de complication est d'ailleurs confirmée selon le médecin, par le renouvellement mensuel des prolongations d'arrêt de travail à compter du

11 juillet 2014, exclusive de la prise en charge d'une lésion aiguë ; qu'à cela, s'ajoute le fait qu'aucun examen médical n'est mentionné sur les certificats médicaux, ce qui semble démontrer que l'état de santé de la victime était stabilisé d'après son médecin ; qu'il est fait état d'une nouvelle lésion, le 11 août 2014 pour laquelle le médecin conseil de la caisse n'a pas été interrogé et qui justifie certainement la poursuite des arrêts de travail, contrairement à la lésion initiale ; que les éléments invoqués précédemment constituent des présomptions sérieuses quant à l'absence de lien causal direct et certain entre les soins et arrêts de travail de cette dernière et son accident du 26 mai 2014 ; que la demande d'expertise médicale judiciaire est formée au regard des éléments médicaux qui constituent des éléments de preuve susceptibles de détruire cette présomption d'imputabilité.

Par conclusions écrites, visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] demande à la cour de :

confirmer le jugement du 10 février 2020 en toutes ses dispositions ;

en conséquence,

débouter la SARL [3] de l'ensemble de ses demandes ;

condamner la SARL [3] aux entiers dépens.

La Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] expose que l'assurée s'est initialement vu prescrire un arrêt de travail de 5 jours, du 26 au 31 mai 2014, de sorte que la présomption d'imputabilité a incontestablement vocation à s'appliquer jusqu'à la consolidation ; que pour détruire cette présomption d'imputabilité et obtenir l'inopposabilité à son égard de la prise en charge, l'employeur doit rapporter la preuve que les soins et arrêts de travail dont la prise en charge est contestée ont une cause totalement étrangère à l'accident du travail ou que la salariée présente un état pathologique préexistant auquel les prestations sont exclusivement imputables ; que dans cette affaire, l'employeur est défaillant dans l'administration d'une telle preuve ; qu'en effet, la société produit une note du Dr [T], son médecin conseil, faisant état de considérations d'ordre général et estimant que la durée d'arrêt de travail dont a bénéficié l'assurée serait disproportionnée au regard de sa lésion initiale et des barèmes médicaux ; que la jurisprudence claire et établie en la matière de la Cour de cassation et de la Cour d'Appel de Paris précise que de simples doutes fondés sur la supposée bénignité de la lésion et la longueur de l'arrêt de travail ne sauraient suffire à remettre en cause le bienfondé de la décision de la caisse, et qu'en l'absence de tout élément de nature à étayer les prétentions de l'employeur - lesquelles ne sauraient résulter de ses seules affirmations - il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise ; que le Docteur [T] conteste l'imputabilité de la nouvelle lésion « dorso lombalgie invalidante », constatée par certificat médical du 31 mai 2014, à l'accident du travail du 26 mai 2014 ; que cette nouvelle lésion est apparue avant la consolidation de l'assurée, de sorte qu'elle bénéficie de la présomption d'imputabilité ; qu'en effet, cette nouvelle lésion a été constatée par certificat médical du 31 mai 2014 faisant état de dorso-lombalgies aigues, soit avant la consolidation de la salariée fixée au 30 mai 2017, de telle sorte que la prise en charge de cette nouvelle lésion était parfaitement justifiée ; que le médecin conseil de la caisse s'est prononcé favorablement quant à l'imputabilité de cette nouvelle lésion à l'accident du travail dont a été victime l'assurée le 26 mai 2014 ; qu'en toute hypothèse, la prise en charge de cette nouvelle lésion a été notifiée à l'employeur par courrier en date du

16 juin 2014 et n'a pas été contestée en son temps ; que, concernant les douleurs cervicales constatées par certificat médical de prolongation du 11 août 2014, ces dernières n'ont pas été considérées comme imputables à l'accident du travail du

26 mai 2014 par le médecin conseil, de sorte que ces lésions n'ont pas été prises en charge au titre du risque professionnelle ; que la poursuite de la prise en charge de l'assurée était néanmoins parfaitement cohérente, le certificat de prolongation du

11 août 2014 faisant également état d'une dorso lombalgie persistante, lésion prise en charge au titre de la législation professionnelle.

SUR CE

Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime. Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, à savoir celle de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou la maladie ou d'une cause extérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs (2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n 20-20.655 ). La cour ne peut, sans inverser la charge de la preuve demander à la caisse de produire les motifs médicaux ayant justifié de la continuité des soins et arrêts prescrits sur l'ensemble de la période. (2e Civ., 10 novembre 2022, pourvoi n 21-14.508). Il en résulte que l'employeur ne peut reprocher à la Caisse d'avoir pris en charge sur toute la période couverte par la présomption d'imputabilité les conséquences de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle s'il n'apporte pas lui-même la démonstration de l'absence de lien.

Ainsi, la présomption d'imputabilité à l'accident des soins et arrêts subséquents trouve à s'appliquer aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l'accident (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n 19-24.945) et à l'ensemble des arrêts de travail, qu'ils soient continus ou non.

En outre, les dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ne sont pas applicables lorsque la demande de prise en charge porte sur de nouvelles lésions survenues avant consolidation et déclarées au titre de l'accident du travail initial. (Civ.2: 24 juin 2021 n 19-25.850).

Par ailleurs, il résulte de la combinaison des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l'opportunité d'ordonner les mesures d'instruction demandées. Le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté d'ordonner une mesure d'instruction demandée par une partie, sans qu'il ne soit contraint d'y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable, tels qu'issus de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, pas plus qu'une violation du principe d'égalité des armes.

En l'espèce, la société ne conteste pas la matérialité de l'accident survenu le

26 mai 2014 dans les locaux du palais de justice de Meaux durant les horaires de travail d'employée de service. Le certificat médical initial du 26 mai 2014 établit que la victime est atteinte d'une contusion du rachis dorsal sans hématome et d'une contusion avec dermabrasion de l'avant-bras droit et de la cheville droite. Il prescrit un arrêt de travail jusqu'au 31 mai 2014.

Dès lors, l'ensemble des soins et arrêts prescrits jusqu'à la date de consolidation sont présumés être la conséquence de l'accident du travail, y compris les nouvelles lésions prises en charge à ce titre. La présomption d'imputabilité des soins et arrêts à l'accident joue donc jusqu'à la date de la consolidation fixée au 10 décembre 2014.

Il appartient donc à l'employeur de rapporter des existences d'un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte ou d'une cause totalement étrangère.

En l'espèce, la société produit l'avis du Dr [U] [T] établi le 13 décembre 2019 qui indique que la prise en charge de cervicalgies à compter du 11 août 2014 démontre de manière évidente une autre origine à la prolongation de l'arrêt de travail initial. Il estime que la preuve de cette pathologie antérieure est liée au fait que le médecin-conseil de la caisse a fixé la date de consolidation sans séquelles indemnisables avec poursuite de l'arrêt de travail en maladie. Selon ce praticien, soit une affection intercurrente peut expliquer cette poursuite en arrêt maladie, soit un état antérieur évoluant pour son propre compte.

Toutefois, cette pièce ne démontre pas l'existence d'une cause extérieure ou d'un état antérieur évoluant pour son propre compte, dès lors qu'elle propose une alternative, sans évoquer de certitude médicale en l'absence de désignation d'une pathologie certaine expliquant les arrêts de travail. Elle ne permet pas plus, pour les mêmes raisons, de contester la date de consolidation au regard de la date de consultation du médecin-conseil avec l'assurée.

Cet élément médical ne constitue pas un liminaire de preuve suffisant pour justifier d'une mesure d'expertise, dès lors qu'en l'absence de tout autre élément communicable par la caisse, une expertise sur pièces ne pourrait procéder qu'à l'analyse des certificats médicaux produits qui n'ont pas permis au médecin commis par la société de désigner une cause étrangère ou un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte, l'expertise n'ayant pas pour objet de déterminer le lien direct entre les arrêts de travail et des soins et l'accident du travail mais de démontrer l'existence d'une cause étrangère. Il convient de rappeler qu'en vertu des dispositions du code de la santé publique, le secret médical appartenant au patient et que la caisse interdiction de communiquer toute autre pièce médicale ne se rapportant pas directement à l'accident et qui serait en sa possession.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé.

La SARL [3], qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

DÉCLARE recevable l'appel de la SARL [3] ;

CONFIRME le jugement rendu le 10 février 2020 par le tribunal judiciaire de Créteil ;

CONDAMNE la SARL [3] aux dépens.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/03426
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-14;20.03426 ?
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