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13/06/2024 | FRANCE | N°22/12686

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 13 juin 2024, 22/12686


RÉPUBLIQUE FRANCAISE

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 13 JUIN 2024

(n° , 17 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12686 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGDR5



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Février 2022 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 20/00088







APPELANT

EPFIF - ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D'ILE DE FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me M

ichaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T07, substitué à l'audience par Me Félix LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : T07







INTIMÉ...

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 13 JUIN 2024

(n° , 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12686 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGDR5

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Février 2022 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 20/00088

APPELANT

EPFIF - ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER D'ILE DE FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Michaël MOUSSAULT de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T07, substitué à l'audience par Me Félix LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : T07

INTIMÉS

Monsieur [Y] [E]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

non comparant, non représenté

DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE [Localité 14] - COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

Division Missions Domaniales

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Madame [I] [Z], en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Hervé LOCU, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Hervé LOCU, Président

Madame Valérie MORLET, Conseillère

Madame Valérie GEORGET, conseiller

Greffier : Madame Dorothée RABITA, lors des débats

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Hervé LOCU, Président et par Dorothée RABITA, greffier présent lors de la mise à disposition.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Par décret n°2015-99 du 28 janvier 2015, l'opération de requalification des copropriétés dégradées du quartier dit du [Localité 10], comprenant les copropriétés du [Adresse 11] et de [Adresse 13], a été déclarée d'intérêt national et sa mise en 'uvre a été confiée à l'Établissement Public Foncier d'Île-de-France (EPFIF).

La ZAC du [Localité 10] dans laquelle se situent les copropriétés du [Adresse 11] et de [Adresse 13] a été créée par arrêté préfectoral n°2018-1913 du 2 août 2018 et publié le 3 août 2018.

Aux termes de l'arrêté préfectoral n°2019-0278 du 29 janvier 2019, une enquête publique préalable à la déclaration publique et une enquête parcellaire ont été menées du 11 mars 2019 au 12 avril 2019.

Par arrêté préfectoral n°2019-2388 du 6 septembre 2019, la ZAC du [Localité 10] a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique.

Par arrêté préfectoral n°2021-0701 du 19 mars 2021, les lots situés dans le bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13] ont été déclarés cessibles au profit de l'EPFIF.

Par décret n°2021-1005 du 29 juillet 2021, l'EPFIF a été autorisé à prendre possession immédiate des immeubles concernés par l'opération.

L'ordonnance d'expropriation, emportant transfert de propriété au profit de l'EPFIF, a été rendue le 21 octobre 2021.

La copropriété de [Adresse 13] est édifiée sur les parcelles cadastrées section [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8].

Est notamment concerné par l'opération M. [Y] [E], en tant que propriétaire des lots 74, 219 et 1.352, ainsi que des 1.453/1.000.000èmes des parties communes générales. Le lot 74 est un appartement de type F3, d'une superficie de 56 m². Le lot 219 est une cave. Le lot 1.352 est un emplacement de stationnement.

Faute d'accord sur l'indemnisation, l'EPFIF a saisi le juge de l'expropriation de Bobigny par requête reçue par le greffe le 26 février 2020.

Par jugement contradictoire du 03 février 2022, après transport sur les lieux le 23 septembre 2021, le juge de l'expropriation de Bobigny a :

Annexé à la décision le procès-verbal de transport du 23 septembre 2021;

Annexé à la décision les termes de comparaison produits par les parties ;

Fixé la date de référence au 11 mars 2018 ;

Retenu la méthode d'évaluation globale par comparaison ;

Retenu une valeur unitaire de 1.050 euros/m² ;

Retenu une indemnité complémentaire de 2.100 euros au titre de la dépossession d'une place de stationnement partiellement intégrée ;

Retenu une majoration globale de 10% pour plus-value immobilière générée par la mise en service du tramway T4 ;

Dans l'hypothèse où la partie expropriée bénéficie d'un relogement effectif:

Fixé l'indemnité due par l'EPFIF à M. [Y] [E] au titre de la dépossession des lots 74 (appartement), 219 (cave) et 1.352 (emplacement de stationnement) du bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13] situé [Adresse 2] à la somme de 67.230 euros en valeur libre ;

Dit que cette indemnité de dépossession foncière se décompose de la façon suivante:

61.110 euros au titre de l'indemnité principale

(56 m² × 1.050 euros/m² + 2.100 euros × 110%),

7.111 euros au titre de l'indemnité de remploi,

Moins 1.000 euros au titre des frais de relogement ;

En toute hypothèse,

Condamné l'EPFIF à prendre à sa charge les frais de déménagement de la partie expropriée;

Dit qu'en cas de difficulté d'exécution, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'expropriation ;

Rejeté la demande d'indemnité spéciale pour préjudice causé par l'extrême urgence de la procédure ;

Constaté que Me Frank Levy renonce à percevoir, le cas échéant, la somme correspondant à la part contributive de l'État ;

Condamné l'EPFIF à payer à M. [Y] [E] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Condamné l'EPFIF au paiement des dépens.

L'EPFIF a interjeté appel du jugement le 22 juillet 2022 en demandant de le réformer au motif que le juge de l'expropriation a surévalué le montant de l'indemnité de dépossession consécutive à la dépossession des lots 74, 219 et 1352 ainsi que des 1.453/1.000.000èmes des parties communes du bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13] édifiée sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8].

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures:

1/ adressées au greffe le 17 octobre 2022 par l'EPFIF, notifiées le 24 octobre 2022 (LRAR intimé retournée, PV d'huissier de justice de difficulté, M. [Y] [E] étant décédé, acte de transmission de la demande de signification ou de notification dans un autre Etat à Mme [S] [E] le 14 mars 2024, AR CG le 25 octobre 2022), aux termes desquelles, il est demandé à la cour de :

Infirmer partiellement le jugement du 03 février 2022 en ce qu'il a :

Fixé la date de référence au 11 mars 2018 soit un an avant l'ouverture de l'enquête publique,

Appliqué une majoration de 10% au motif de l'entrée en exploitation de la nouvelle ligne du tramway T4,

Limité à 1.000 euros l'abattement pour frais de relogement dans l'hypothèse où l'exproprié bénéficierait d'un relogement effectif ;

Par suite,

Réformer le jugement du 03 février 2022 en fixant le montant des indemnités à revenir à l'exproprié pour la dépossession des lots de copropriété 74, 219 et 1.352 ainsi que des 1.453/1.000.000èmes des parties communes générales dépendant du bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 11] à [Localité 12] comme suit :

PREMIÈRE HYPOTHÈSE : L'exproprié renonce expressément à être relogé par l'EPFIF.

A/ Indemnité principale :

Méthode d'évaluation : globale - caves et parties communes générales intégrées

État : moyen à bon

Valeur unitaire retenue : 1.050 euros/m² en valeur libre

Indemnité complémentaire pour perte de l'emplacement de stationnement : 2.310 euros

Superficie retenue: 56 m²

Soit une indemnité principale de

(1.050 euros/m² × 56 m²) + 2.310 euros = 61.110 euros ;

B/ Indemnités accessoires :

Indemnité pour frais de déménagement : donner acte de leur prise en charge par l'EPFIF,

Frais de remploi :

20% sur 5.000 euros = 1.000,00 euros

15% sur 10.000 euros = 1.500,00 euros

10% sur 46.110 euros = 4.611 euros

Total frais de remploi : 7.111 euros ;

Total de l'indemnité de dépossession : 68.221 euros arrondis à 68.230 euros en valeur libre ;

SECONDE HYPOTHESE : L'exproprié demande à être relogé et bénéficie d'un relogement effectif.

A/ Indemnité principale :

Méthode d'évaluation : globale - caves et parties communes générales intégrées

État : moyen à bon

Valeur unitaire retenue : 1.050 euros/m² en valeur libre

Abattement pour occupation : 15%

Indemnité complémentaire pour perte de l'emplacement de stationnement : 2.310 euros

Superficie retenue : 56 m²

Soit une indemnité principale de

(1.050 euros/m² × 56 m² × 0,85) + 2.310 euros = 52.290 euros ;

B/ Indemnités accessoires :

Indemnité pour frais de déménagement: donner acte à l'EPFIF de la prise en charge des frais de déménagement des expropriés,

Frais de remploi:

20% sur 5.000 euros = 1.000,00 euros

15% sur 10.000 euros = 1.500,00 euros

10% sur 37.290 euros = 3.729 euros

Total frais de remploi : 6.229 euros ;

Total de l'indemnité de dépossession: 58.519 euros en valeur occupée.

2/ adressées au greffe le 27 décembre 2022 par le commissaire du gouvernement, intimé, notifiées le 29 mars 2023 (AR appelant le 03 mars 2023, LRAR intimé retourné, PV d'huissier de justice de difficulté, M. [Y] [E] étant décédé, acte de transmission de la demande de signification ou de notification dans un autre Etat à Mme [S] [E] le 14 mars 2024), aux termes desquelles, il forme appel incident et demande à la cour de :

Dans l'hypothèse d'un renoncement au relogement :

Fixer à la somme de 68.221 euros, en valeur libre, l'indemnité d'expropriation due à M. [Y] [E] pour la dépossession des lots 74, 219 et 1.352 ainsi que des 1.453/1.000.000èmes des parties communes dépendant du bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13] situé [Adresse 2], décomposée comme suit :

Une indemnité principale de 58.800 euros,

Une indemnité complémentaire pour perte d'emplacement de stationnement de 2.310 euros,

Une indemnité pour frais de déménagement sur devis,

Une indemnité de remploi de 7.111 euros.

Dans l'hypothèse d'une demande de relogement et d'un relogement effectif :

Fixer à la somme de 58.519 euros, en valeur occupée, l'indemnité d'expropriation due à M. [Y] [E] pour la dépossession des lots 74, 219 et 1.352 ainsi que des 1.453/1.000.000èmes des parties communes dépendant du bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13] situé [Adresse 2], décomposée comme suit :

Une indemnité principale de 58.800 euros,

Une indemnité complémentaire pour perte d'emplacement de stationnement de 2.310 euros,

Un abattement pour occupation de 15%,

Une indemnité pour frais de déménagement: donner acte à l'EPFIF de la prise en charge des frais de déménagement,

Une indemnité de remploi de 6.229 euros.

EXPOSÉ DES MOYENS DES PARTIES :

L'EPFIF fait valoir que :

Concernant la description des lots expropriés, le lot 74 est un logement d'une surface de 56 m², le lot 219 est une cave et le lot 1.352 est un emplacement de stationnement. Les parties communes du bâtiment 10 sont vétustes et les équipements ont fait l'objet d'un arrêté municipal (Pièce 6A). Le lot 74 est en état d'entretien moyen à bon.

Concernant la situation locative, les lots expropriés sont occupés par leur propriétaire. L'indemnité d'expropriation doit être fixée sous forme alternative selon que l'exproprié sollicite le bénéfice de son droit au relogement.

Concernant la date de référence, lorsqu'un bien soumis au droit de préemption fait l'objet d'une expropriation, la date de référence à retenir est celle à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien. En l'espèce, un droit de préemption a été instauré à [Localité 12] (Pièce 1A). Ce droit de préemption a été délégué à l'EPFIF sur le périmètre de l'opération de requalification des copropriétés dégradées du quartier dit du [Localité 10] suivant délibération du 27 janvier 2015. Les lots expropriés sont situés dans le périmètre de ladite opération. En application des dispositions des articles L.213-4 et L.213-6 du code de l'urbanisme, la date de référence à retenir est celle de la dernière modification du délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont il s'agit, à savoir la modification du 08 avril 2016.

Concernant le principe de la majoration de 10% appliquée en raison de l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4, le premier juge a méconnu les dispositions de l'article L.322-2 du code de l'expropriation qui dispose qu' « il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués ['] par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble ». La date de référence étant celle du 8 avril 2016, l'enquête préalable s'étant tenue du 11 mars 2019 au 12 avril 2019, et la mise en service de la ligne de tramway T4 étant intervenue fin 2019 après plus de trois ans de travaux par nature publics, cette ligne de tramway ne peut pas être prise en compte comme un facteur de plus-value. En tout état de cause, il ne ressort pas des termes de comparaison une quelconque évolution du marché ou de la pression foncière. Enfin, la cour d'appel de Paris a refusé le principe d'une telle majoration (CA Paris 21/09860).

Concernant la limitation du quantum de l'abattement pour frais de relogement, il ressort des dispositions des articles L.314-1 et L.314-2 du code de l'urbanisme que les propriétaires occupants bénéficient d'un droit au relogement opposable à l'expropriant, lequel peut en retour exiger l'application d'un abattement sur la valeur libre du logement. La jurisprudence dominante le fixe à 20% de la valeur vénale, la charge pesant l'expropriant ne se limitant pas, comme l'indique à tort le premier juge, à des frais de constitution d'un dossier, la passation d'un bail et la mise à disposition du logement. La cour d'appel de Paris a retenu un abattement pour occupation de 20% dans d'autres procédures d'expropriation de biens sur la copropriété de [Adresse 13] (CA Paris 20/02374, 20/02376, 20/02378, 20/02368, 21/08150). Il convient donc d'appliquer un abattement de 15% pour occupation dans l'hypothèse d'un relogement de l'exproprié.

Dans l'hypothèse d'une renonciation expresse au droit au relogement, l'indemnité totale d'expropriation s'établit donc à 68.221 euros arrondie à 68.230 en valeur libre, soit 61.110 euros au titre de l'indemnité principale et 7.111 euros au titre de l'indemnité de remploi.

Dans l'hypothèse d'un relogement effectif, l'indemnité totale d'expropriation s'établit donc à 58.519 euros en valeur occupée, soit 52.290 euros au titre de l'indemnité principale, et 6.229 euros au titre de l'indemnité de remploi.

Le commissaire du gouvernement conclut que :

Concernant la description physique des lots expropriés, leur consistance, leur description intérieure et extérieure, leurs éléments de plus-value ou de moins-value, le bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13] correspond à un rez-de-chaussée et dix étages à usage d'habitation, ainsi qu'un sous-sol à usage de caves. Le bâtiment comprend, au total en ses quatre entrées, 167 appartements dont 122 appartements de type F3 et 45 appartements de type F4 ainsi que divers locaux communs (un logement de gardien, un local à bicyclettes et un local à voitures d'enfants, un local commun et un local de transformateur). Le lot 74 est un appartement de type F3 de 56 m² situé au 8ème étage. Le lot 219 correspond à une cave. Le lot 1.352 correspond à une place de stationnement.

Concernant l'origine de propriété, les lots expropriés ont été acquis le 31 janvier 1992 au prix de 365.000 francs.

Concernant la situation locative, les lots sont considérés occupés.

Concernant la date de référence, il résulte des articles L.322-2 du code de l'expropriation et L.213-4 du code de l'urbanisme que celle-ci doit en l'espèce être fixée au 08 avril 2016, date à laquelle est devenue opposable aux tiers la dernière modification du plan local d'urbanisme délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier.

Concernant la situation d'urbanisme, l'ensemble immobilier est situé en zone UR1. La zone UR1 correspond au renouvellement urbain du centre-ville.

Concernant l'application d'une majoration de 10% pour tenir compte de l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4, l'article L.322-2 du code de l'expropriation dispose que « les biens doivent être évalués la date de la décision de première instance » et qu'il « ne peut être tenu compte ['] des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués ['] par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble ». Or, la mise en service du tramway T4 est intervenue fin 2019, soit quelques mois après le déroulement des enquêtes préalable et parcellaire. La réalisation de ces travaux ne peut être prise en compte pour la détermination de la valeur unitaire du bien objet de l'expropriation (CA Paris 21/09860).

Concernant l'abattement pour frais de relogement, M. [Y] [E] est occupant du logement dont il est propriétaire, de sorte qu'en application des articles L.314-1 et L.314-2 du code de l'urbanisme qui imposent la prise en charge du relogement de l'exproprié, un abattement de 15% sur la valeur libre du bien devra être retenu en lieu et place de l'abattement forfaitaire de 1.000 euros retenu par le premier juge. La cour d'appel de Paris a déjà statué en ce sens dans plusieurs arrêts (CA Paris 20/02374, 20/02376, 20/02378, 20/02368, 21/08150).

Dans l'hypothèse d'une renonciation expresse au droit au relogement, l'indemnité totale d'expropriation s'établit donc à 68.221 euros en valeur libre, soit 61.110 euros au titre de l'indemnité principale, le montant pris en charge par l'EPFIF au titre de l'indemnité pour frais de déménagement, et 7.111 euros au titre de l'indemnité de remploi.

Dans l'hypothèse d'un relogement effectif, l'indemnité totale d'expropriation s'établit donc à 58.519 euros en valeur occupée, soit 52.290 euros au titre de l'indemnité principale, le montant pris en charge par l'EPFIF au titre de l'indemnité pour frais de déménagement, et 6.229 euros au titre de l'indemnité de remploi.

3/ Mme [S] [E] venant aux droits de M. [Y] [E] décédé n'a pas constitué avocat.

SUR CE, LA COUR

- sur la recevabilité des conclusions

Aux termes de l'article R311-26 du code de l'expropriation modifié par décret N°2017-891 du 6 mai 2017 - article 41 en vigueur au 1er septembre 2017, l'appel étant du 22 juillet 2022, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel.

À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, l'intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction.

L'intimé à un appel incident ou un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui en est faite pour conclure.

Le commissaire du gouvernement dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et l'ensemble des pièces sur lesquelles, il fonde son évaluation dans le même délai et sous la même sanction que celle prévue au deuxième alinéa.

Les conclusions et documents sont produits en autant d'exemplaires qu'il y a de parties, plus un.

Le greffe notifie à chaque intéressé et au commissaire du gouvernement, dès leur réception, une copie des pièces qui lui sont transmises.

En l'espèce, les conclusions de l'EPFIF du 17 octobre 2022 et du commissaire du gouvernement du 27 décembre 2022 déposées ou adressées dans les délais légaux sont recevables.

AU FOND

Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée ayant force de loi en France, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

Aux termes de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la propriété est un droit inviolable et sacré, dont nul ne peut être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la réserve d'une juste et préalable indemnité.

L'article 545 du code civil dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Aux termes de l'article L321-1 du code de l'expropriation, les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.

Conformément aux dispositions de l'article L322-2, du code de l'expropriation, les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, seul étant pris en considération - sous réserve de l'application des articles L322-3 à L322-6 dudit code - leur usage effectif à la date définie par ce texte.

Les appels de l'EPFIF et du commissaire du gouvernement portent sur :

- la date de référence,

- le principe de la plus-value de 10% retenue à raison de l'entrée en exploitation de la ligne de Tramway T4,

- la limitation à 1000 euros de l'abattement pour frais de relogement dans l'hypothèse ou les expropriés bénéficient d'un relogement effectif.

L'EPFIF indique qu'il n'entend pas remettre en cause en appel les éléments suivants :

-la méthode d'évaluation par comparaison ;

-la superficie du bien de 56 m² ;

-la situation locative à savoir occupée ;

-la fixation en alternative de l'indemnité de dépossession selon que les expropriés bénéficient ou non d'un relogement effectif par l'EPFIF ;

-les valeurs unitaires retenues ;

-l'état d'entretien tel qu'il a été constaté par la juridiction de première instance ;

-l'indemnité complémentaire au titre de la perte de l'emplacement de stationnement ;

-le rejet de l'indemnité pour préjudice causé par la procédure d'extrême urgence ;

-le montant des frais de remploi.

1° sur la date de référence

S'agissant de la date de référence, le premier juge a retenu en application de l'article L 322-2 du code de l'expropriation, la création de la ZAC dite du [Localité 10] étant antérieure d'au moins d'un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la DUP, la date du 11 mars 2018, soit un an avant l'ouverture de l'enquête.

L'EPFIF et le commissaire du gouvernement demandent l'infirmation du jugement sur ce point, le bien étant soumis au droit de préemption, et demandent de retenir en application des articles L213-4 et L 213-6 du code de l'urbanisme, la date de la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont s'agit, à savoir la modification N°1 du 8 avril 2016.

L'article L 322-2 du code de l'expropriation dispose que :

Les biens sont estimés à la date de la décision première instance.

Toutefois, et sous réserve de l'application des dispositions des articles L322-3 à L322-6,

est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L1 ou, dans le cas prévu à l'article L 122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l'article L 121-8 du code de l'environnement ou par l'article 3 de la loi numéro 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat (mots ajoutés, loi N°2018-1021, 23 novembre 2018) ou, lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté mentionné à l'article L311-1 du code de l'urbanisme, à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.

Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au 2e alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.

Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé le bien.

En outre, les articles L 213-4 et suivants du code de l'urbanisme prévoient des règles particulières, notamment dans le cas où le bien est grevé d'un droit de préemption urbain.

L'article L 213-6 du code de l'urbanisme dispose que lorsqu'un bien soumis au droit de préemption fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique, la date de référence prévue à l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique est celle prévue au a de l'article L213-4.

L'article L 213-4 a) du code de l'urbanisme prévoit que pour les biens non compris dans une zone d'aménagement différé, la date de référence devant être pris en compte est la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

Par arrêt du 1er mars 2023 N°22-11467, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu'en application des articles L 213-4a) et L213-6 du code de l'urbanisme, lorsque le bien exproprié est soumis au droit de préemption, la date de référence pour déterminer l'usage effectif du bien, est celle à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le POS ou le PLU et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien, règle qui s'applique également pour la qualification de terrain à bâtir.

En l'espèce, par délibération n° 2015. 01. 27. 07 du conseil municipal de la commune de [Localité 12] du 27 janvier 2015, un droit de préemption urbain renforcé a été instauré sur le territoire de la commune (pièce numéro 1).

Ce droit de préemption a ensuite été délégué à l'EPFIF sur le périmètre de l'Opération de Requalification des Copropriétés Dégradées d'Intérêt National (ORCOD-IN) par la commune suivant délibération du 26 mai 2015, délégation ensuite confirmée par délibération du conseil de territoire de l'établissement public territorial Grand Paris Grand Est du 28 février 2017.

Il est établi que les biens expropriés sont situés dans le périmètre de l'ORCOD-IN et qu'ils

sont donc soumis au droit de préemption urbain.

L'ordonnance d'expropriation est intervenue le 21 octobre 2021, soit postérieurement à la loi N°2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (dite loi ELAN).

En conséquence, en application des dispositions susvisées des articles L 213-4 et L213-6 du code de l'urbanisme, la date de référence est celle de la dernière modification du PLU délimitant la zone dans laquelle est situé l'ensemble immobilier dont s'agit, à savoir la modification n°1 du 8 avril 2016.

En conséquence le jugement sera infirmé en ce sens.

2° sur la nature du bien, de son usage effectif et de sa consistance :

A sur les copropriétés du [Adresse 11] et de [Adresse 13]

La commune de [Localité 12] est constituée de plusieurs quartiers de grands ensembles présentant de nombreux handicaps dus à l'urbanisme développé dans les années 1960, le plan de composition reposant en effet sur la réalisation de l'autoroute A 87 qui n'a jamais vu le jour. Le quartier souffre donc de l'absence de voies expresses et de transports structurants, les seuls transports en commun étant des bus et la gare RER la plus proche « [Localité 9] » étant située à 5,5 km.

La copropriété de [Adresse 13] a été édifiée en 1966 sur un terrain de 34 214 m², plat, situé près de la mairie de [Localité 12].

L'EPFIF et le commissaire de gouvernement exposent les conclusions d'une étude concernant les copropriétés contiguës du [Adresse 11] et de [Adresse 13] réalisée par la commune de [Localité 12] en 2014 mettant en évidence que :

'près de 60 % des ménages ont un niveau inférieur au seuil de pauvreté

'85 % des ménages présentent des revenus inférieurs au plafond PLAI

'un taux de chômage de 29 %, encore plus marqué chez les jeunes

'un quart des familles sont monoparentales

'près de 20 % des logements sont occupés par plus d'un ménage

'l'occupation moyenne est de plus de 4 personnes par logement

'une rotation importante des propriétaires comme chez les locataires.

Le commissaire du gouvernement précise qu'il résulte de cette situation une progression continue des impayés des charges copropriété de et en conséquence un déficit d'entretien du bâti, produisant une dégradation importante du bâtiment et le développement des situations d'insalubrité et de péril ; ces difficultés ont entraîné la mise sous administration judiciaire de la copropriété ; les pouvoirs publics sont également intervenus dans le cadre d'un plan de sauvegarde signé entre l'État, le département et la commune de [Localité 12] le 19 janvier 2010 qui a fixé différents objectifs afin de parvenir à la requalification de la copropriété :

'résorption des impayés,

'réalisation des travaux urgents et mise aux normes,

'lutte contre les marchands de sommeil,

'individualisation des réseaux de fluides des bâtiments afin de réaliser leur scission,

'réalisation des travaux de rénovation énergétique.

La conclusion du plan de sauvegarde achevé fin 2014 a relaté les limites ou impasses concernant les objectifs, notamment le redressement de la gestion, l'assainissement des finances, ou encore la réhabilitation du bâti.

En conséquence, l'ampleur des dégradations a justifié la définition d'un périmètre pour une Opération de Requalification des Copropriétés dégradées d'Intérêt National (ORCODIN).

Par décret numéro 2015-99 du 28 janvier 2015 a été déclarée d'intérêt national l'opération de requalification des copropriétés dégradées du quartier dit du « [Localité 10] » et la mise en 'uvre a été confiée à l'EPFIF.

B sur le bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13]

Par arrêté préfectoral N°2021-0701 du 19 mars 2021, les lots situés dans le bâtiment 10 de la copropriété ont été déclarés cessibles au profit de l'EPFIF.

L'ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété a été rendue le 21 octobre 2021.

Un décret n° 2021-1005 du 29 juillet 2021 a autorisé l'EPFIF à prendre possession immédiate d'immeubles dégradés situés dans le périmètre défini par le décret n° 2015-99 du 28 janvier 2015 déclarant d'intérêt national l'opération de requalification de copropriétés dégradées du quartier [Localité 10] à [Localité 12].

Il s'agit d'un immeuble à usage d'habitation, composé de onze niveaux, soit un rez-de-chaussée et dix étages, comprenant 167 logements, dont 122 F3 et 45 F4, accessibles par quatre entrées et cages d'escaliers nommées A, B, C et D. Le bâtiment est également composé de locaux communs, d'un toit terrasse à usage de séchoir commun et d'un sous-sol comprenant des caves, étant précisé que ces éléments ne sont plus utilisables en ce qui concerne les deux premiers, l'est difficilement en ce qui concerne le troisième.

C sur le bien exproprié

Il s'agit :

' du lot n°74 : un appartement de type F3, situé au 8ème étage, d'une superficie de 56m².

Il est composé d'une entrée et d'un couloir qui desservent une cuisine, WC et une salle de bains ainsi qu'une pièce de vie et de deux chambres, l'une d'entre elle étant accessible à partir de la pièce de vie.

Le premier juge a retenu un état d'entretien de moyen à bon.

' du lot n°219 : une cave, qui n'a pas été visitée par le premier juge en raison d'un accès peu aisé et la présence de nombreux nuisibles ;

' du lot n°1352 : un emplacement de stationnement extérieur, associé au bâtiment 10, à l'état d'usage et sans aménagement.

3° sur la date d'estimation

S'agissant de la date à laquelle le bien exproprié doit être estimé, il s'agit de celle du jugement de première instance, soit le 3 février 2022.

4° sur la fixation de l'indemnité principale

A sur les surfaces

La surface pour l'appartement de 56 m² n'est pas contestée.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

B sur la situation locative

Aux termes de l'article L322-1 du code de l'expropriation le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété; en conséquence en l'espèce, la consistance des biens doit être fixée à la date de l'expropriation du 21 octobre 2021.

La fixation alternative de l'indemnité de dépossession selon que les expropriés bénéficient ou non d'un relogement effectif par l'EPFIF n'est pas contestée.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

C sur la méthode d'évaluation

La méthode par comparaison retenue par le premier juge n'est pas contestée par les parties.

En outre, les parties ne contestent pas le fait que le premier juge a dit n'y avoir pas lieu d'évaluer la cave en sus de l'appartement, la valeur de celle-ci étant intégrée à celle de l'appartement.

Le jugement sera donc confirmé en ce sens.

D sur la fixation de l'indemnité principale

1° sur la valeur de l'appartement et de la cave

La valeur unitaire retenue de 1 050 euros/m² n'est pas contestée par les appelants.

2° sur la valeur de l'emplacement de stationnement

L'indemnité complémentaire de 2 310 euros pour l'emplacement de stationnement n'est pas contestée par les appelants.

3° sur les appels de l'EPFIF et du commissaire du gouvernement sur le principe de la majoration de 10 % appliquée en raison de l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4

L'article L322-2 du code de l'expropriation alinéa 4 dispose que quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble.

En outre, le Conseil constitutionnel a été saisi de deux QPC relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, pour la première, des deuxième et quatrième alinéas de l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et, pour la seconde, de ce même article.

Par décision n° 2021-915/916 du 11 juin 2021, le Conseil constitutionnel a notamment indiqué :

' sur le fond :

Aux termes de l'article 17 de la Déclaration de 1789 : 'la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ;

Afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique a été légalement constatée. La prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité. Pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation. En cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnité, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée.

En application des articles L311-5 et L311-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, lorsqu'ils ne parviennent pas à un accord amiable sur le montant de l'indemnité, l'expropriant et l'exproprié peuvent saisir le juge de l'expropriation. Il lui appartient alors de fixer le montant de cette indemnité selon les modalités prévues aux articles L322-1 à L 322-13. Le premier alinéa de l'article L322-2 prévoit à cet égard qu'il apprécie la valeur des biens expropriés à la date de la décision de première instance. Le deuxième alinéa de ce même article impose néanmoins au juge de prendre en considération, sous réserve de certains cas, l'usage effectif du bien à une date de référence antérieure à cette date. Son dernier alinéa exclut par ailleurs la prise en compte par le juge de l'expropriation des changements de valeur subis par le bien depuis la date de référence, lorsqu'ils résultent de certaines circonstances.

Parmi ces circonstances, les dispositions contestées interdisent au juge de tenir compte de changements de valeur du bien exproprié lorsqu'ils sont provoqués par l'annonce des travaux ou des opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée par l'expropriant.

Il en résulte que la hausse de la valeur vénale du bien exproprié résultant le cas échéant, d'une telle circonstance n'a pas vocation à être prise en compte dans le calcul de l'indemnité due à l'exproprié, alors même que l'expropriant entend céder le bien à un prix déjà déterminé et incluant cette hausse.

En premier lieu, d'une part, l'expropriation ne peut être prononcée qu'à la condition qu'elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée sous le contrôle du juge administratif.

D'autre part, en interdisant au juge de l'expropriation, lorsqu'il fixe le montant de l'indemnité due à l'exproprié, de tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de référence lorsqu'ils sont provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée par l'expropriant, les dispositions contestées visent à protéger ce dernier contre la hausse de la valeur vénale du bien résultant des perspectives ouvertes par ces travaux ou opérations.

Le législateur a ainsi entendu éviter que la réalisation d'un projet d'utilité publique soit compromise par une telle hausse de la valeur vénale du bien exproprié, au détriment du bon usage des deniers publics. Ce faisant, il a poursuivi un but d'intérêt général.

En second lieu, pour assurer la réparation intégrale du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation, le juge peut tenir compte des changements de valeur subis par le bien exproprié depuis la date de références à la suite de circonstances autres que celles prévues au dernier alinéa de l'article L322-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. A ce titre, il peut notamment prendre en compte l'évolution du marché de l'immobilier pour estimer la valeur du bien exproprié à la date de sa décision.

Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées ne portant pas atteinte à l'exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 17 de la Déclaration de 1789 doit être écarté'.

Le premier juge a retenu la date de référence du 11 mars 2018, qui a été infirmée par la cour.

À l'appui de son appel, l'EPFIF indique s'il ne conteste pas qu'il a revu les valeurs unitaires retenues à la hausse, il a expressément précisé dans ses écritures de première instance que cette hausse ne saurait être justifiée par l'entrée en exploitation de la ligne de tramway T4 et que le tribunal a méconnu les dispositions de l'article L 322-2 du code de l'expropriation.

La date de référence retenue par la cour est celle du 8 avril 2016.

L'enquête préalable à la DUP la Zac du [Localité 10] s'est tenue du 11 mars 2019 au 12 avril 2019 inclus et la mise en service de la ligne de tramway T4 est intervenue fin 2019 après trois ans de travaux (pièce numéro 5).

En conséquence, ces travaux étant de par leur nature des travaux publics, leur réalisation dans les trois années ayant précédé l'enquête publique préalable à la DUP de la Zac du [Localité 10] et leur impact éventuel ne peuvent être pris en compte comme facteur de plus-value ; en tout état de cause, les termes de l'autorité expropriante de septembre 2016 à juillet 2021 ne démontrent pas une évolution du marché, ce qui démontre que la mise en service de la ligne du tramway T4 est sans incidence sur la valeur vénale du bien exproprié.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

3° sur les appels de l'EPFIF et du commissaire du gouvernement sur la limitation, du quantum de l'abattement pour frais de relogement

Le premier juge, dans l'hypothèse ou les expropriés bénéficient d'un relogement effectif a limité le montant des frais à la somme forfaitaire de 1 000 euros.

Il indique que le coût de relogement pourra affecter le montant de l'indemnité totale de dépossession, selon un mécanisme de compensation ; que les frais exposés par l'entité expropriante correspondent essentiellement à des frais de constitution d'un dossier auprès d'un bailleur, pouvant comprendre une ou plusieurs relances des futurs locataires quant à la production des pièces utiles à produire, la passation du bail et la mise à disposition du logement, comprenant l'établissement d'un état des lieux et la remise des clés ; qu'en l'espèce, en l'absence de production par l'EPFIF d'éléments relatifs aux frais générés par la mise en oeuvre du relogement, il convient de fixer ce coût à 1 000 euros.

L'EPFIF et le commissaire du gouvernement demandent l'infirmation et l'application d'un abattement limité à 15%.

L'article L314-1 du code de l'urbanisme dispose que la personne publique qui a pris l'initiative de la réalisation de l'une des opérations d'aménagement définies dans le présent livre ou qui bénéficie d'une expropriation est tenue, envers les occupants des immeubles intéressés, aux obligations prévues ci- après.

Les occupants, au sens du présent chapitre, comprennent les occupants au sens de l'article L521-1 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que les preneurs de baux professionnels, commerciaux et ruraux.

L'article L314-2 alinéa 1er du même code dispose que si les travaux nécessitent l'éviction définitive des occupants, ceux-ci bénéficient des dispositions applicables en matière d'expropriation. Toutefois, tous les occupants de locaux à usage d'habitation, professionnel ou mixte ont droit au relogement dans les conditions suivantes: il doit être fait à chacun d'eux au moins deux propositions portant sur des locaux satisfaisant à la fois aux normes d'habitabilité définies par application du troisième alinéa de l'article L322-1 du code de la construction et de l'habitation et aux conditions prévues à l'article 13 bis de la loi N°48-1360 du 1er septembre 1948 ; ils bénéficient en outre, des droits de priorité et de préférence

prévus aux articles L423-1 à L 423-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, même dans le cas ou ils ne sont pas propriétaires. Ils bénéficient également, d'un droit de priorité pour l'attribution ou l'acquisition d'un local dans les immeubles compris dans l'opération ou de parts ou actions d'une société immobilière donnant vocation à l'attribution, en propriété ou en jouissance, d'un tel local.

En l'espèce, le bâtiment étant voué à la démolition, un maintien dans les lieux étant impossible, bénéficient d'un droit à relogement :

- les propriétaires occupants ;

- les preneurs à bail d'un local d'habitation ;

- les sous-locataires ou occupants de bonne foi des locaux à usage d'habitation et de locaux d'hébergement constituant leur habitation principale.

Cette charge pour l'expropriant ne se limite pas à des frais de constitution d'un dossier, la passation d'un bail et l'établissement d'un état de lieux et concerne de façon identique un occupant de bonne foi non-propriétaire et le relogement d'un propriétaire occupant ; en effet, comme l'indique l'EPFIF, de manière générale le relogement s'opère dans le patrimoine de bailleurs sociaux lesquels réservent dans le cadre d'une convention, un contingentement au bénéfice de l'expropriant de logements moyennant une contribution financière.

M. [E] était occupant de son logement et pouvait donc demander son relogement, ce qui induit l'application d'un abattement pour relogement sur le montant de l'indemnité de dépossession leur revenant ; il convient en conséquence d'appliquer, l'abattement habituel étant de 20%, l'abattement de 15% proposé par l'EPFIF.

Le jugement sera donc infirmé en ce sens.

En conséquence, le montant des indemnités à revenir à Mme [S] [E] venant aux droits de M. [Y] [E] décédé pour la dépossession des lots 74 (appartement), 219 (cave) et 1352 (emplacement de stationnement) est le suivant :

Première hypothèse : l'ayant droit de l'exproprié renonce expressément à être relogé par l'EPFIF

A indemnité principale

( 1 050 euros/m² X 56 m²) + 2 310 euros= 61 110 euros

B indemnité de remploi

20% sur 5 000 euros : 1 000 euros

15% sur 10 000 euros= 1 500 euros

10% sur 46 110 euros= 4 611 euros

total : 7 111 euros

soit 68 221 euros en valeur libre arrondie à 68 230 euros

Seconde hypothèse : l'ayant droit de l'exproprié demande à être relogé et bénéficie d'un relogement effectif :

A indemnité principale

( 1 050 euros/m² X 56 m² X 0,85 (abattement) + 2 310 euros (perte de l'emplacement de stationnement)= 52 290 euros ;

B indemnité de remploi

20% sur 5 000 euros : 1 000 euros

15% sur 10 000 euros : 1 500 euros

10% sur 37 290 euros=3 729 euros

total : 6 229 euros

total : 58 519 euros en valeur occupée.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

- sur les dépens

Il convient de confirmer le jugement pour les dépens de première instance, qui sont à la charge de l'expropriant conformément à l'article L312-1 du code de l'expropriation.

Au regard de la solution du litige, chaque partie supportera la charge de ses dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevables les conclusions des parties ;

Statuant dans les limites des appels,

Infirme partiellement le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Fixe la date de référence au 8 avril 2016;

Fixe l'indemnité totale de dépossession due par l'Etablissement Public Foncier d'Ile de France à Mme [S] [E] venant aux droits de M. [Y] [E] décédé, au titre de la dépossession des lots n°74 (appartement), 219 (cave) et 1352 (emplacement de stationnement) du bâtiment 10 de la copropriété de [Adresse 13] située [Adresse 2] comme suit :

Première hypothèse : l'ayant droit de l'exproprié renonce expressément à être relogé par l'EPFIF

A indemnité principale

( 1 050 euros/m² X 56 m²) + 2 310 euros= 61 110 euros

B indemnité de remploi

20% sur 5 000 euros :1 000 euros

15% sur 10 000 euros= 1 500 euros

10% sur 46 110 euros= 4 611 euros

total : 7 111 euros

soit 68 221 euros en valeur libre arrondie à 68 230 euros.

Seconde hypothèse : l'ayant droit de l'exproprié demande à être relogée et bénéficie d'un relogement effectif :

A indemnité principale

( 1 050 euros/m² X 56 m² X 0,85 (abattement) + 2 310 euros (perte de l'emplacement de stationnement)= 52 290 euros

B indemnité de remploi

20% sur 5 000 euros : 1 000 euros

15% sur 10 000 euros : 1 500 euros

10% sur 37 290 euros=3 729 euros

total : 6 229 euros

total : 58 519 euros en valeur occupée.

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions ;

Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens ;

Confirme le jugement entrepris en ses autres dispositions ;

Dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 22/12686
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;22.12686 ?
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