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13/06/2024 | FRANCE | N°21/09920

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 13 juin 2024, 21/09920


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 13 JUIN 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09920 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEYDB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/01964





APPELANTE



S.A.S. MONDIAL PROTECTION venant aux dr

oits de la société MONDIAL PROTECTION ILE DE FRANCE venant aux droits de la société APRI suite à opération de fusion

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Marjorie SCHNE...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 13 JUIN 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09920 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEYDB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/01964

APPELANTE

S.A.S. MONDIAL PROTECTION venant aux droits de la société MONDIAL PROTECTION ILE DE FRANCE venant aux droits de la société APRI suite à opération de fusion

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Marjorie SCHNELL, avocat au barreau de BORDEAUX, toque : 712

INTIME

Monsieur [W] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Marlone ZARD de la SELAS HOWARD, avocat au barreau de PARIS, toque : B 666 (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 75101/2/2022/2125 du 11/02/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et de la formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, et par Madame Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en date du 30 septembre 2016, la société Agence de Prévention des Risques Industriels (APRI) a embauché M. [W] [Y] en qualité d'agent sécurité incendie et sûreté (SSIAP 1), qualification agent d'exploitation, coefficient 140, niveau 3, échelon 2, à compter du 3 octobre 2016 moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 524,13 euros pour une durée de travail de 151,67 heures de travail par mois.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

La période d'essai de M. [Y] a été prolongée d'un commun accord d'un mois.

La société a notifié à M. [Y] un avertissement le 16 janvier 2017 pour ne pas s'être présenté à une formation obligatoire de recyclage PSE1 prévue le 15 décembre 2016 au centre de formation [5] à [Localité 3].

Par lettre du 31 janvier 2017, la société a convoqué M. [Y] à un entretien préalable à une mesure disciplinaire fixé au 8 février suivant auquel M. [Y] ne s'est pas présenté.

Le 4 février 2017, M. [Y] a eu une altercation avec un agent de sécurité travaillant au [7] dont il a informé son employeur par courriel le jour même.

Le 23 février 2017, la société a notifié à M. [Y] son planning du mois de mars 2017 avec une nouvelle affectation dans les « [6] ».

Le 28 février 2017, la société a notifié à M. [Y] un nouvel avertissement pour divers motifs : non-respect des consignes, absence au poste de travail, comportement agressif et non-professionnel envers le public et son responsable et utilisation du téléphone portable personnel durant les heures de travail.

Par lettre recommandée datée du 11 avril 2017, la société a convoqué M. [Y] à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement fixé au 20 avril suivant.

Par lettre recommandée datée du 16 mai 2017, la société a notifié à M. [Y] son licenciement pour faute grave.

Contestant son licenciement pour faute grave et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 25 juin 2019.

Le 26 janvier 2021, la société APRI a fait l'objet d'une opération de fusion-absorption par la société Mondial Protection Ile de France qui a elle-même fait l'objet d'une opération de fusion le 31 décembre 2022 avec d'autres sociétés du groupe pour devenir la société Mondial Protection.

Par jugement du 9 novembre 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :

- condamné la société Mondial Protection IDF et la société APRI ayant fait l'objet d'une fusion par la société Mondial Protection IDF à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

* 5 127,03 euros « à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse » ;

* 1 709 euros à titre de préavis ;

* 171 euros au titre des congés payés afférents ;

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 25 euros par jour l'ensemble des documents à compter du 30ème jour dans la limite de 60 jours ;

- débouté du surplus ;

- condamné la société Mondial Protection IDF et la société APRI ayant fait l'objet d'une fusion par la société Mondial Protection IDF aux dépens.

Par déclaration du 6 décembre 2021, la société Mondial Protection Ile de France a interjeté appel du jugement notifié le 10 novembre 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 octobre 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Mondial Protection venant aux droits de la société Mondial Protection Ile de France venant aux droits de la société APRI (ci-après la société) demande à la cour de :

- juger la société Mondial Protection IDF recevable et bien fondée en son appel ;

- juger que les demandes, fins et conclusions de M. [Y] sont irrecevables ;

- juger que M. [Y] est prescrit en son action ;

- condamner M. [Y] à lui rembourser la somme de 1 453,98 euros perçue dans le cadre de l'exécution provisoire de droit ;

- condamner M. [Y] aux dépens d'instance et de première instance ainsi qu'au paiement au profit de la société Mondial Protection IDF de la somme de

2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Si la cour ne retient pas l'irrecevabilité des demandes de M. [Y], elle ne pourra que :

infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- condamné la société Mondial protection IDF venant aux droits de la Société APRI à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

* 5 127,03 euros « à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse » ;

* 1 709 euros à titre de préavis ;

* 171 euros au titre des congés payés afférents ;

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 25 euros par jour l'ensemble des documents à compter du 30ème jour dans la limite de 60 jours ;

- débouté du surplus ;

- condamné la société Mondial Protection Ile de France et la société APRI ayant fait l'objet d'une fusion par la société Mondial Protection Ile de France aux dépens.

statuant à nouveau,

- dire et juger que le licenciement pour faute grave de M. [Y] est fondé ;

- débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner M. [Y] à lui rembourser la somme de 1 453,98 euros perçue dans le cadre de l'exécution provisoire de droit ;

- condamner M. [Y] aux dépens d'instance et de première instance ainsi qu'au paiement au profit de la société Mondial Protection IDF de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Si la cour ne retient pas l'existence d'une faute grave, elle ne pourra que :

infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- condamné la société Mondial protection IDF venant aux droits de la société APRI à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

* 5 127,03 euros à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Mondial Protection IDF et APRI ayant fait l'objet d'une fusion par la société Mondial Protection IDF aux dépens ;

statuant à nouveau,

- dire et juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse de licenciement ;

- débouter M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner M. [Y] aux dépens d'instance et de première instance ainsi qu'au paiement au profit de la société Mondial Protection de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Si la cour retient que le licenciement de M. [Y] est injustifié, elle ne pourra que :

infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- condamné la société Mondial Protection IDF venant aux droits de la société APRI à payer à M. [Y] les sommes suivantes :

* 5 127,03 euros à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Mondial Protection IDF et la société APRI ayant fait l'objet d'une fusion par la société Mondial Protection IDF aux dépens ;

statuant à nouveau,

- réduire à de plus justes proportions la demande dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

en tout état de cause,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et de sécurité ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 mai 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [Y] demande à la cour de :

dire et juger son action recevable car non-prescrite ;

confirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société Mondial Protection IDF à lui payer les sommes suivantes :

* 5 127,03 euros à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 1 709 euros à titre de préavis ;

* 171 euros au titre de congés payés afférents ;

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné la remise des documents de fin de contrat sous astreinte de 25 euros par jour pour l'ensemble des documents à compter du 30ème jour dans la limite de 60 jours ;

- condamné la société Mondial Protection IDF et la société APRI ayant fait l'objet d'une fusion par la société Mondial Protection IDF aux dépens ;

- débouter la société Mondial Protection IDF de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la société Mondial Protection IDF à payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Mondial Protection IDF aux dépens ;

réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté des demandes suivantes :

- condamner la société Mondial Protection IDF à payer une somme de 5 000 euros au titre des dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et de sécurité,

- condamner la société Mondial Protection IDF à payer une somme de 10 000 euros au titre des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

en conséquence et statuant de nouveau,

- condamner la société Mondial Protection IDF à payer une somme de 5 000 euros au titre des dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de santé et de sécurité ;

- condamner la société Mondial Protection IDF à payer une somme de 10 000 euros au titre des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 octobre 2023.

Par message RPVA du 22 mai 2024, la cour a sollicité les observations des parties sur l'éventuelle application de l'article L. 3245-1 du code du travail instituant une prescription de trois ans en matière de créance salariale à la demande de M. [Y] au titre du préavis et des congés payés afférents - les observations étant attendues pour le 29 mai 2024 au plus tard.

Par message RPVA du 23 mai 2024, M. [Y] a indiqué qu'il convenait d'appliquer la prescription triennale prévue par cet article à compter de la rupture du contrat de travail en ce qui concerne les sommes de nature salariale situées trois ans avant cette date. M. [Y] rappelle que la société a toujours échoué à rapporter la preuve de l'envoi ou de la réception de la lettre de licenciement de sorte que la prescription triennale n'a jamais commencé à courir et que, même en se fondant sur la date indiquée sur la lettre de licenciement, la prescription triennale n'est pas acquise en raison du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle; qu'un délai a commencé à courir à compter du 14 juin 2019 et que le salarié a saisi le conseil de prud'hommes le 25 juin 2019.

La société n'a pas présenté d'observations dans le délai indiqué.

MOTIVATION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de M. [Y]

La société soulève l'irrecevabilité des demandes de M. [Y] au motif qu'elles sont prescrites. Elle fait valoir que l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable entre le 17 juin 2013 et le 24 septembre 2017 prévoit que toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Elle ajoute que, depuis le 1er avril 2018, si toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit toujours par deux ans à compter du même point de départ, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit désormais par douze mois à compter de la notification de la rupture ; que ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Selon la société, le licenciement de M. [Y] étant intervenu le 16 mai 2017, celui-ci pouvait initier une action jusqu'au 16 mai 2019. M. [Y] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 25 juin 2019, la société conclut qu'il est prescrit en ses demandes portant sur l'exécution et la rupture du contrat de travail.

Ce à quoi M. [Y] réplique, d'une part, que s'agissant de la contestation du licenciement, l'employeur ne justifie ni de la date d'envoi ni de la date de réception de la lettre de notification du licenciement de sorte qu'il n'est pas possible de connaître le point de départ de la prescription ; d'autre part, qu'il a sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle le 7 mai 2019 soit neuf jours avant l'acquisition de la prescription et qu'en application de l'article 38 du décret du 9 décembre 1991, le délai de prescription a été interrompu, qu'un nouveau délai d'un an a commencé à courir à compter du 14 juin 2019, date de notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle, de sorte que, lorsqu'il a saisi le conseil de prud'hommes le 25 juin 2019, aucune prescription n'était acquise.

Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version en vigueur du 17 juin 2013 au 24 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. (').

Dans ses versions en vigueur depuis le 24 septembre 2017, l'article L. 1471-1 du code du travail dispose :

Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture. (').

Suivant l'article 40-II de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, les dispositions de l'article 6 de cette ordonnance qui ont modifié l'article L. 1471-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de ladite ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Lorsqu'une instance a été introduite avant la publication de ladite ordonnance, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne y compris en appel et en cassation.

Aux termes de l'article 38 du décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 dans sa rédaction applicable du 1er septembre 2017 au 11 décembre 2019, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

a) De la notification de la décision d'admission provisoire ;

b) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;

c) De la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 et de l'article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ;

d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

(...).

Conformément au V de l'article 53 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ces dispositions s'appliquent aux demandes d'aide juridictionnelle faisant l'objet d'une décision intervenue à compter du 1er septembre 2017.

M. [Y] a déposé une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Bobigny le 7 mai 2019 et la décision lui accordant l'aide juridictionnelle totale et désignant Maître [X] [I] pour l'assister a été notifiée le 14 juin 2019.

* sur la prescription des demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Relèvent de l'exécution du contrat de travail les demandes en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité et pour manquement à la bonne foi dans l'exécution du contrat de travail.

S'agissant du manquement à l'obligation de santé et de sécurité allégué par M. [Y], il s'est poursuivi au moins jusqu'à la date mentionnée sur la lettre de licenciement (16 mai 2017) puisque l'employeur a notifié à M. [Y] un planning prévoyant un horaire de nuit non seulement pour le mois de mars mais également pour les mois d'avril et mai 2017. Or, la demande d'aide juridictionnelle a été déposée le 7 mai 2019 et la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle étant intervenue le 14 juin 2019, M. [Y], qui a saisi le conseil de prud'hommes le 25 juin 2019, est réputé avoir agi dans le délai. Par conséquent, la fin de non-recevoir tirée de la prescription est rejetée concernant la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité.

S'agissant du manquement à l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, M. [Y] se prévaut :

- du non-respect de sa vie privée et familiale du fait de la stipulation à l'article 5 du contrat de travail que le salarié acceptait de travailler de jour comme de nuit ainsi que les samedi, dimanche et jours fériés ;

- du non-paiement de sa rémunération pour les mois de mars à mai 2017 ;

- de l'absence de signature d'un avenant en cas de modification du contrat de travail.

Le non-paiement de la rémunération s'est poursuivi au moins jusqu'à la date mentionnée sur la lettre de licenciement (16 mai 2017)puisqu'il ressort des éléments dont dispose la cour que le paiement de la rémunération était effectué le 9 du mois suivant. Or, la demande d'aide juridictionnelle a été déposée le 7 mai 2019 et la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle étant intervenue le 14 juin 2019, M. [Y], qui a saisi le conseil de prud'hommes le 25 juin 2019, est réputé avoir agi dans le délai. Par conséquent, la fin de non-recevoir tirée de la prescription est rejetée concernant la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

* sur la prescription des demandes relatives à la rupture du contrat de travail

M. [Y] indique dans ses écritures que la lettre de notification de son licenciement a été envoyé en « lettre recommandée avec accusé de réception le même jour » soit le 16 mai 2017, qu'il a reçu ses documents de fin de contrat le 22 mai suivant et qu'il a contesté son licenciement le 30 mai 2017. Il résulte de ces éléments que M. [Y] a eu connaissance de son licenciement au plus tard le 22 mai 2017. Or, en application de l'article L. 1471-1 précité et des dispositions transitoires, un nouveau délai d'un an a commencé à courir à compter du 24 septembre 2017 mais sans que la durée totale de la prescription ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Ce délai était expiré avant le 7 mai 2019, date de dépôt de la demande d'aide juridictionnelle, de sorte que la contestation par M. [Y] de la rupture de son contrat de travail est irrecevable comme prescrite.

La demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est en conséquence irrecevable comme prescrite, de même que la demande de remise de documents de fin de contrat.

En revanche, conformément à l'article L. 3245-1 du code du travail qui s'applique à la demande d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité compensatrice de congés payés afférents s'agissant de créances salariales, la prescription triennale prévue par ce texte n'était pas acquise concernant ces demandes le 25 juin 2019, date de saisine du conseil de prud'hommes dès lors que le point de départ du délai de trois ans a couru à compter du 22 mai 2017, date à laquelle M. [Y] a su qu'il était licencié pour faute grave et était privé de son préavis. Il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription sur ces points.

Sur le bien-fondé des demandes non prescrites

* sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [Y] soutient que l'employeur a manqué à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail en voulant lui imposer des horaires de nuit en dépit de son refus d'accepter ce changement. M. [Y] fait valoir que le préjudice qui en est résulté pour lui est distinct de celui réparé par l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ce à quoi la société réplique que la bonne foi est présumée et que le salarié échoue à démontrer qu'elle a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail. Elle réplique encore qu'il n'y a plus de préjudice nécessaire et que M. [Y] ne justifie d'aucun préjudice.

L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

L'article 5 du contrat de travail intitulé « conditions générales » stipule que M. [Y] « assurera les fonctions qui lui seront indiquées par son Chef d'unité ou par toute personne désignée par la Direction dans le strict respect des obligations suivantes : (').

Le salarié accepte expressément :

de travailler de jour comme de nuit, ainsi que les samedis, dimanches et jours fériés (Art.7.01 de la C.C),

(')

d'être muté dans n'importe quel site de la région, selon les dispositions du Code du travail et de la Convention Collective.

En fonction des nécessités d'organisation du travail, Monsieur [Y] [W] pourra être affecté aux divers postes correspondant à la nature de son emploi,

Ceci constitue une modalité normale de l'exercice de sa fonction. »

Si un réaménagement des horaires ne constitue qu'un changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction de l'employeur, en revanche, le changement des horaires de travail peut constituer une modification du contrat de travail dès lors que ce changement bouleverse l'économie du contrat, notamment les conditions de travail.

En l'espèce, il ressort des éléments de la cause que M. [Y] travaillait avec des horaires de jour jusqu'à la décision de la société de l'affecter, à partir du mois de mars 2017, sur un nouveau site avec des horaires de nuit; que M. [Y] a refusé de travailler avec des horaires de nuit et que l'employeur a maintenu ces horaires de nuit en dépit du refus exprimé par M. [Y].

Le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit constitue une modification du contrat de travail qui requiert l'accord du salarié même si le contrat de travail contient une clause prévoyant que le salarié s'engage à travailler de nuit ou de jour.

Or, en l'espèce, non seulement en ne recueillant pas l'accord de M. [Y] mais, passant outre son refus de travailler avec des horaires de nuit, en maintenant ces horaires de nuit et en le privant de sa rémunération en raison d'une absence fondée sur son refus, la société a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Le préjudice résultant de ce manquement caractérisé à la loyauté dans l'exécution du contrat sera réparé à hauteur de 7 100 euros à titre de dommages-intérêts. La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.

* sur les dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité

M. [Y] soutient que la modification unilatérale de ses horaires en le positionnant sur des horaires de nuit à partir du mois de mars 2017 a eu des répercussions 'évidentes' sur sa santé.

Ce à quoi la société réplique le salarié doit rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux; que M. [Y] ne démontre pas qu'elle a manqué à son obligation de santé et de sécurité et qu'il se contente de solliciter des dommages-intérêts sans justifier d'un préjudice (aucune pièce médicale).

Si la modification unilatérale des horaires de M. [Y] le faisant passer d'horaires de jour à des horaires de nuit constitue une faute, il a toujours refusé de travailler avec des horaires de nuit de sorte que l'incidence sur sa santé, seule invoquée à l'appui de la demande de dommages-intérêts, n'est pas démontrée. M. [Y] sera donc débouté de sa demande en dommages-intérêts et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

M. [Y] est certes recevable en sa demande, comme la cour l'a indiqué précédemment, mais n'étant plus recevable à contester son licenciement pour faute grave privative du préavis, le salarié n'est pas fondé à obtenir une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents. M. [Y] sera donc débouté de sa demande et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les autres demandes

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens en appel, la décision des premiers juges étant confirmée sur les dépens.

Elle sera également condamnée à payer à M. [Y] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Enfin, la société sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant confirmée sur les frais irrépétibles.

* sur le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement

Le présent arrêt, partiellement infirmatif, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement. Les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement en ce qu'il a alloué à M. [W] [Y] des sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse , de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et en ce qu'il a débouté M. [W] [Y] de sa demande en dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Confirme le jugement en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant :

Déclare irrecevables comme prescrites les demandes de M. [Y] d'indemnité à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de remise de documents de fin de contrat;

Rejette pour le suplus la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;

Condamne la société Mondial Protection à payer à M. [W] [Y] les sommes suivantes :

* 7 100 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Déboute M. [W] [Y] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de sa demande d'indemnité compensatrice des congés payés afférents ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour;

Déboute la société Mondial Protection de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes;

Condamne la société Mondial Protection aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09920
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;21.09920 ?
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