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13/06/2024 | FRANCE | N°21/09237

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 13 juin 2024, 21/09237


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 13 JUIN 2024



(n° 2024/ , 9 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09237 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CET2E



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/08495





APPELANT



Monsieur [P] [A]

[Adresse 2]


[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas BORDACAHAR, avocat au barreau de PARIS, toque : D1833





INTIMEE



Société MAIN SECURITE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Blandine DAV...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 13 JUIN 2024

(n° 2024/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09237 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CET2E

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/08495

APPELANT

Monsieur [P] [A]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas BORDACAHAR, avocat au barreau de PARIS, toque : D1833

INTIMEE

Société MAIN SECURITE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Blandine DAVID, avocat au barreau de PARIS, toque : R110, ayant pour avocat plaidant Me Rodolphe OLIVIER, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et de la formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, et par Madame Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (96 heures par mois) du 7 avril 2009, la société Main Sécurité (ci-après la société) a embauché M. [P] [A] en qualité d'agent des services de sécurité incendie, agent d'exploitation niveau 3, échelon 2, coefficient 140, moyennant une rémunération brute mensuelle de 896,52 euros.

Suivant avenant du 25 novembre 2010 à effet du 1er novembre précédent, M. [A] est passé à temps complet moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 437,80 euros.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité en date du 15 février 1985.

De 2014 à septembre 2018, M. [A] a exercé les mandats suivants : membre du comité d'entreprise, délégué du personnel, membre du comité central d'entreprise.

A partir du mois de septembre 2018, M. [A] a exercé le mandat de membre du comité social et économique.

Par lettre datée du 2 septembre 2019 notifiée le 3 septembre suivant, la société a notifié à M. [A] un avertissement.

Contestant son avertissement et ayant un désaccord avec son employeur sur la rémunération des heures de délégation et des temps de déplacement pour se rendre aux réunions, M. [A] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 25 septembre 2019.

Par jugement du 2 juin 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- condamné la société à verser à M. [A] les sommes suivantes :

* 851,40 euros à titre de rappel de salaire sur trajet ;

* 85,14 euros à titre de congés payés afférents ;

- ordonné à la société de remettre à M. [A] un bulletin de salaire conforme ;

- condamné la société à verser à M. [A] la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [A] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé qu'en application de l'article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations étaient exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaires, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire ; fixé cette moyenne à la somme de 1546,99 euros ;

- rappelé qu'en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts couraient à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, pour les créances de nature salariale et à compter du prononcé du jugement pour les créances à caractère indemnitaire ;

- condamne la société aux dépens.

Par déclaration du 9 novembre 2021, M. [A] a régulièrement interjeté appel du jugement notifié par lettre recommandée du 19 octobre 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 février 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [A] demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont il est fait appel en ce qu'il a condamné la société à lui verser :

* un rappel de salaire sur les heures de trajet pour la période du 1er juillet 2016 au 31 août 2019 mais uniquement en son principe et pas en son quantum ;

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement dont il est fait appel pour le surplus ;

et statuant à nouveau sur les chefs incriminés,

- prononcer le caractère injustifié de l'avertissement du 2 septembre 2019 et ordonner son retrait de son dossier administratif ;

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 4 762,68 euros à titre de rappel de salaire au titre des majorations des heures supplémentaires (de septembre 2016 à février 2020) ;

* 476,26 euros de congés payés afférents ;

* 5 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et délit d'entrave ;

* 1 958,22 euros à titre de rappel de salaire heures de trajet (01/07/2016 au 31/08/2019) ;

* 195,82 euros de congés payés afférents ;

* 500 euros de dommages et intérêts pour sanctions injustifiées ;

* 2 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

* 3 477,84 euros à titre de rappel de salaire contrepartie obligatoire sous forme de repos ;

* 347,78 euros de congés payés afférents,

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner à la société de lui remettre un bulletin de salaire récapitulatif conforme à l'arrêt à intervenir ;

- condamner la société à prendre en charge les éventuels dépens de l'instance en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 9 mai 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [A] de ses demandes tendant à sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

* 4 762,68 euros au titre des rappels de majoration des heures supplémentaires effectuées sur la période s'étalant de septembre 2016 à février 2020 et 476,26 euros au titre des congés payés afférents ; 

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et délit d'entrave ;

* des temps de trajet pour assister aux réunions des DP et du CE/CSE (représentant la somme réclamée de 4 762,68 euros ' 851,40 euros = 3 911,28 euros) et des congés payés afférents (représentant la somme de 391,12 euros) ;

* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

* 3 477,84 euros au titre du paiement de la contrepartie obligatoire sous la forme de repos et 347,78 euros au titre des congés payés afférents ;

* 500 euros de dommages et intérêts pour sanction injustifiée ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande tendant à l'annulation de l'avertissement du 2 septembre 2019 ;

- infirmer le jugement en ce qu'il :

* l'a condamnée à verser à M. [A] les sommes de 851,40 euros à titre de rappel de salaire sur trajet et de 85,14 euros à titre de congés payés afférents et la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* lui a ordonné de remettre à M. [A] un bulletin de salaire conforme ;

* l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* a fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 1 546,99 euros ;

* rappelé qu'en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les intérêts couraient à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, pour les créances de nature salariale et à compter du prononcé du jugement pour les créances à caractère indemnitaire ;

* l'a condamnée aux dépens ;

et, statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

- débouter M. [A] de l'intégralité de ses demandes, fins, écrits et conclusions ;

- condamner M. [A] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel ;

subsidiairement, si la cour faisait droit « au plan des principes » aux demandes de dommages et intérêts pour résistance abusive et délit d'entrave, pour manquement à l'obligation de sécurité et pour sanction injustifiée :

- limiter à de plus justes proportions le quantum des dommages et intérêts sollicités par M. [A], ce dernier ne démontrant ni le principe ni l'étendue des préjudices dont il demande réparation à ces titres.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 octobre 2023.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur l'avertissement et les dommages-intérêts pour sanction abusive

La lettre d'avertissement est ainsi rédigée :

(') Par courrier recommandé daté du 09 juillet 2019, nous vous avons convoqué à un entretien préalable qui a eu lieu vendredi 2 août 2019 à 9h00, auquel vous vous êtes présenté avec M. [N]. Cet entretien nous a permis de recueillir vos explications sur les faits qui vont sont reprochés :

Lors de votre vacation du 01 juillet au 02 juillet 2019 alors que vous étiez planifié de 19h00 à 07h00 sur le site du [6], vous avez quitté votre poste à 06H35 sans prévenir ni votre responsable d'exploitation, Monsieur [M] [J], ni l'astreinte de l'agence.

Nous tenons donc à vous rappeler les règles contractuelles, règlementaires et légales applicables.

L'article 4.2 de notre règlement intérieur, intitulé horaire de travail stipule : «la durée du temps de travail étant fixé conformément à la réglementation en vigueur, le personnel doit fournir le temps de travail effectif fixé par cet horaire ».

Cette obligation professionnelle est rappelée dans votre contrat de travail, à son article 7 : « ... ne quitter le poste sous aucun prétexte avant d'avoir été relevé ».

Votre comportement s'assimile à un abandon de poste conformément à l'article 14.3 du règlement intérieur qui s'impose également à vous.

Nous vous rappelons que vous devez impérativement respecter les plannings et les horaires de travail qui vous sont attribués. En ne vous y conformant pas, vous manquez à vos obligations contractuelles.

De plus, votre site exige que deux rondes nocturnes soient effectuées, hors il s'avère que vous n'en effectuez qu'une seule et de manière incomplète.

Vous ne respectez pas l'ensemble de vos missions, lors de vos vacations. Vous n'êtes pas en mesure d'assurer la sécurité du site et de ses occupants, mission corollaire de votre contrat de travail, qui prévoit en son article 4 : Votre mission principale est d'assurer la sécurité et la sauvegarde des biens meubles ou immeubles ainsi que des personnes qui leur sont rattachées et ce durant la totalité de vos horaires de travail. Vous devez être disponible durant la durée de vos vacations pour répondre à toutes demandes ou alertes sur le site.

De votre contrat de travail prévoit également que vous devez respecter strictement toutes les consignes de sécurité existant dans l'entreprise et sur votre site d'affectation.

De plus et conformément à l'article 9.1 du règlement intérieur, vous êtes tenu de respecter les instructions qui vous ont été données par vos supérieurs hiérarchiques dans l'exécution des tâches qui vous sont confiées.

En tant qu'agent de sécurité nous attendons de vous une attitude positive et active. Vous devez toujours être à même d'intervenir et rester en alerte de façon permanente.

Nous vous notifions par la présente un avertissement qui sera versé à votre dossier disciplinaire, toute récidive pourrait nous amener à prendre une mesure allant jusqu'au licenciement. (') »

Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.

L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, l'employeur verse aux débats, outre le règlement intérieur de l'entreprise, :

- une lettre de M. [B] [R], chef du site Port de [Localité 5], à M. [J] [M], chef d'exploitation, en date du 26 juin 2019 se plaignant du comportement de M. [A] ;

- un courriel du 7 juin 2019 de M. [I] [Y] à M. [B] [R] et à M. [J] [M] dénonçant un comportement de M. [A] du 1er juin 2019 ;

- un courriel du 25 juin 2019 de M. [K] à M. [B] [R] et à M. [J] [M] se plaignant de ce que M. [A] ne respecte pas des consignes ;

- un courriel du 9 juillet 2019 de M. [S] [T] à M. [J] [M] portant sur des dysfonctionnements constatés lors des vacations de M. [A].

L'employeur fait encore valoir que les conditions d'exercice d'un droit de retrait n'étaient pas réunies.

Toutefois, d'une part, la lettre de M. [R] et les courriels de M. [I] [Y] et de M. [K] sont antérieurs aux faits qui font l'objet de la sanction disciplinaire litigieuse ; d'autre part, le courriel de M. [T] - dont la qualité n'est pas précisée dans ce courriel ' n'est pas confirmé par l'intéressé dans une attestation conforme aux exigences du code de procédure civile et son contenu ne porte pas sur la vacation du 1er au 2 juillet 2019.

De son côté, M. [A] verse aux débats son courrier de contestation de l'avertissement daté du 4 septembre 2019 dans lequel il déclare notamment que :

- la sanction a pour seul objectif d'entraver son action syndicale sur le site du [6] alors qu'il a usé de son droit d'alerte ;

- il n'a pas quitté son poste de travail à 6h35 au lieu de 7h00 le 2 juillet 2019 et qu'il obéit aux instructions qui lui sont données.

M. [A] produit également des courriels des 17 juin, 1er et 2 juillet 2019 dont la qualité des destinataires n'est pas précisée mais dans lesquels il estime qu'il existe un danger sur le site du [6] en lien avec l'amiante.

L'examen de ces éléments fait apparaître que l'abandon de poste dans le cadre de sa vacation du 1er au 2 juillet 2019 et le non-respect des instructions (nombre de rondes au cours de la nuit) reprochés à M. [A] ne sont pas établis.

L'avertissement notifié à M. [A] sera donc annulé et devra être retiré du dossier administratif du salarié.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

M. [A] soutient que le fait de lui avoir notifié une sanction disciplinaire injustifiée constitue un manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail et que ce manquement lui a causé un préjudice.

Ce à quoi la société réplique que M. [A] sera débouté de sa demande dans la mesure où la sanction disciplinaire est justifiée.

L'article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En l'espèce, le fait de notifier une sanction disciplinaire injustifiée est constitutif d'un manquement à la bonne foi dans l'exécution du contrat de travail.

Dès lors, le préjudice qui en est résulté pour le salarié sera réparé en lui allouant la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur le rappel de salaire au titre des majorations des heures supplémentaires et les congés payés afférents

M. [A] soutient qu'un salarié peut utiliser ses heures de délégation en dehors de son temps de travail et qu'elles doivent alors lui être rémunérées comme des heures supplémentaires. M. [A] fait valoir qu'il dispose de mandats depuis 2014 et qu'il a effectué, à ce titre, des heures de délégation qu'il liste d'octobre 2016 à février 2020 inclus et qui figurent sur ses bulletins de paie. M. [A] reproche à l'employeur non pas de ne pas lui avoir payé ses heures de délégation mais de ne pas lui avoir appliqué la majoration prévue pour les heures supplémentaires. Il fait valoir que l'activité de la société s'effectue sept jours sur sept, 24 heures sur 24 sur différents sites de sorte qu'il ne peut pas rencontrer ses collègues comme il le souhaiterait pendant son temps de travail.

La société réplique qu'il est surprenant que M. [A] ait pris, comme il l'affirme, toutes ses heures de délégation en dehors de son temps de travail ; qu'il ne précise pas les modalités de prise de ses heures de délégation (dates et heures ; mandat en vertu duquel il a effectué ces heures) ; qu'il ne démontre pas avoir utilisé toutes ses heures de délégation au titre de tous les mandats lui donnant droit à de telles heures alors que seules sont rémunérées les heures effectivement prises.

La société réplique également que, selon la jurisprudence, les heures de délégation prises en dehors de l'horaire de travail du salarié sont rémunérées comme des heures supplémentaires dès lors que les heures sont prises en fonction des nécessités du mandat ; que l'employeur n'est pas tenu de payer des majorations pour heures supplémentaires lorsque le salarié ne démontre pas qu'il se trouvait dans l'impossibilité d'utiliser ses heures de délégation pendant son horaire normal de travail et qu'en l'occurrence, M. [A] ne verse aucune pièce sur les heures de délégation qu'il a prises depuis le mois de septembre 2016 et ne démontre pas qu'il était contraint d'utiliser l'intégralité de son crédit mensuel global d'heures de délégation au-delà de son temps de travail en raison des nécessités de ses différents mandats ; qu'au surplus, M. [A] ne s'explique pas sur les circonstances exceptionnelles l'ayant parfois conduit à prendre des heures de délégation au-delà de son crédit légal par exemple en septembre 2018.

La société réplique encore que M. [A] fait fi des règles applicables en matière de durée du travail et soutient que les heures de délégation effectuées en dehors de l'horaire de travail ne doivent être majorées que si elles revêtent la qualification d'heures supplémentaires et qu'en l'occurrence, dans l'entreprise, un accord collectif du 16 mai 2011 a mis en place un dispositif d'aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine (période de référence annuelle).

Il résulte des articles L. 2143-17 et L. 2315-3 du code du travail que les heures de délégation dont bénéficie le salarié titulaire d'un mandat de représentation du personnel ou de représentation syndicale sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l'échéance normale et l'employeur qui entend contester l'utilisation faite des heures de délégation saisit le juge judiciaire.

Lorsque les heures de délégation sont prises en dehors de l'horaire de travail en raison des nécessités du mandat, ces heures doivent être payées comme heures supplémentaires.

Il appartient alors au salarié représentant syndical et/ou représentant du personnel de rapporter la preuve des nécessités du mandant l'ayant conduit à prendre ses heures de délégation en dehors de son horaire de travail.

La cour observe que :

- d'une part, bien qu'elle ne sollicite pas le remboursement des sommes qu'elle a versées à M. [A] au titre des heures de délégation rémunérées et mentionnées dans les fiches annexes (avec les dates et horaires des heures de délégation prises et les mandats au nom desquels les heures ont été prises), la société invoque, dans le cadre du litige sur le paiement de majorations au titre des heures supplémentaires, que M. [A] ne démontre pas que l'exercice de ses mandats lui imposait de prendre ses heures de délégation chaque mois en dehors de son temps de travail;

- d'autre part, que les parties s'accordent sur le fait que toutes les heures de délégation ont été utilisées en dehors des horaires de travail de M. [A].

Pour justifier des nécessités du mandat l'ayant conduit à prendre l'ensemble de ses heures de délégation en dehors de son horaire de travail, M. [A] affirme qu'il travaille uniquement de nuit et que la société a une activité continue sept jours sur sept et 24 heures sur 24 sur différents sites de sorte qu'il ne pouvait pas rencontrer ses collègues comme il le souhaitait pendant son temps de travail. Toutefois, M. [A] ne verse aux débats aucun élément de nature à étayer son allégation et à permettre à la cour d'apprécier concrètement l'existence des nécessités du mandat alléguées. A cet égard, le seul fait d'être planifié de nuit ne suffit pas à démontrer que les nécessités du mandat ont contraint M. [A] à prendre toutes ses heures de délégation en dehors de son horaire de travail alors même que le temps passé dans les réunions organisées par l'employeur ne s'impute pas sur les heures de délégation.

Défaillant à rapporter la preuve qui lui incombe, M. [A] sera donc débouté de sa demande de rappel de majoration et des congés payés afférents et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur le rappel de salaire au titre des heures de trajet et les congés payés afférents

M. [A] soutient qu'il est établi en jurisprudence que le temps de trajet effectué par un représentant du personnel pour se rendre ou revenir d'une réunion doit être rémunéré par l'employeur comme étant un temps de travail effectif. Il fait valoir qu'il a effectué de nombreux déplacements pour se rendre aux réunions liées à ses mandats et qu'il a réclamé en vain à l'employeur le paiement de ce temps de trajet. Il soutient également qu'il est fondé à réclamer une majoration pour ces heures de trajet.

Ce à quoi la société réplique que, selon la jurisprudence, le temps de trajet effectué en exécution des fonctions représentatives du salarié doit être rémunéré comme du temps de travail effectif lorsqu'il est pris en dehors de l'horaire normal de travail et dépasse le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail et qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve de ses temps de trajet lorsqu'il réclame une contrepartie.

Les heures de délégation des représentants du personnel sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l'échéance normale. Il en résulte que ceux-ci ne devant subir aucune perte de rémunération en raison de l'exercice de leur mandat, le temps de trajet, pris en dehors de l'horaire normal de travail et effectué en exécution des fonctions représentatives, doit être rémunéré comme du temps de travail effectif pour la part excédant le temps normal de déplacement entre le domicile et le lieu de travail et doit être pris en compte pour déterminer l'existence, le cas échéant, d'heures supplémentaires donnant lieu à majorations.

La preuve de l'existence d'un dépassement du temps normal de déplacement professionnel incombe à celui qui l'invoque.

En l'espèce, outre qu'il est constant que M. [A] a pris toutes ses heures de délégation en dehors de son horaire de travail et outre que la cour l'a débouté de la demande en paiement d'une majoration au titre des heures supplémentaires faute de rapporter la preuve que les nécessités de son mandat lui imposaient de prendre toutes ses heures de délégation en dehors de son horaire de travail, M. [A] ne rapporte pas la preuve, à l'appui de sa demande de rappel de salaire au titre de ses temps de trajet, de la part excédant le temps normal de déplacement entre son domicile et son lieu de travail. En effet, M. [A] se borne à évaluer globalement, pour les différents types de réunions un temps de trajet mensuel en heures sans autre précision et sans faire ressortir la part excédant son temps normal de déplacement entre son domicile et son lieu de travail.

S'agissant plus spécifiquement des réunions qui se sont tenues à [Localité 1], les pièces produites par M. [A] révèlent qu'il a dû se rendre dans cette ville à deux reprises (en décembre 2016 et en décembre 2017) dans le cadre de ses mandats sans toutefois qu'il n'établisse, pour chacun de ses déplacements, la part de temps excédant le temps normal de déplacement entre son domicile et son lieu de travail. A cet égard, le salarié indique 11 heures de trajet sans autre précision.

Etant défaillant à rapporter la preuve de la part excédant le temps normal de déplacement entre son domicile et son lieu de travail, M. [A] sera débouté de sa demande en paiement de rappel de salaire au titre des heures de trajet et des congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur les dommages-intérêts pour résistance abusive et délit d'entrave

M. [A] soutient que la société s'est opposée abusivement au paiement des majorations d'heures supplémentaires et que le refus de payer ces majorations empêche l'exécution normale de ses missions dans la mesure où il est dissuadé de les remplir si elles ne sont pas rémunérées comme il se doit.

Toutefois, ayant été débouté des demandes sur lesquelles il s'appuie pour invoquer une résistance abusive et un délit d'entrave, M. [A] sera débouté de sa demande en dommages-intérêts et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur les dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

M. [A] rappelle que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés. Il soutient qu'il effectuait une moyenne de 262 heures supplémentaires par an (22 heures par mois) alors que le contingent annuel d'heures supplémentaires est fixé à 220 heures.

Toutefois, la cour n'ayant pas retenu l'existence de nécessités du mandat ayant conduit le salarié à prendre ses heures de délégation en dehors de son temps de travail - a fortiori excédant le contingent annuel - l'employeur n'a pas commis de manquement à l'obligation de sécurité à raison du nombre d'heures supplémentaires effectuées par le salarié. La demande de dommages-intérêts est rejetée.

* sur le rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire sous forme de repos et les congés payés afférents

M. [A] soutient qu'il a effectué en 2017, 2018 et 2019 des heures supplémentaires excédant le contingent annuel de 220 heures dans le cadre de ses mandats. Il fait valoir que la société étant une entreprise de plus de vingt salariés, la contrepartie obligatoire sous forme de repos est fixée à 100% des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel.

Toutefois, la cour n'ayant pas retenu l'existence de nécessités du mandat ayant conduit le salarié à prendre ses heures de délégation en dehors de son temps de travail, M. [A] sera débouté de sa demande de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire sous forme de repos et des congés payés afférents.

* sur la remise d'un bulletin de salaire conforme

Eu égard à ce qui précède, M. [A] sera débouté de sa demande de remise d'un tel bulletin et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les autres demandes

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens en appel, la décision des premiers juges étant confirmée sur les dépens.

La société sera condamnée à payer à M. [A] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant confirmée sur les frais irrépétibles.

Enfin, la société sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [A] de ses demandes relatives à la sanction injustifiée, en ce qu'il a condamné la société Main Sécurité à payer un rappel de salaire pour les heures de trajet et les congés payés afférents et en ce qu'il a ordonné à la société Main Sécurité la remise d'un bulletin de salaire conforme ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Déboute M. [P] [A] de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour les heures de trajet et des congés payés afférents ;

Annule l'avertissement notifié à M. [P] [A] le 3 septembre 2019 et ordonne à la société Main Sécurité de retirer cet avertissement du dossier administratif de M. [P] [A] ;

Condamne la société Main Sécurité à payer à M. [P] [A] les sommes suivantes :

* 500 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée ;

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Main Sécurité aux dépens en appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09237
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;21.09237 ?
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