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13/06/2024 | FRANCE | N°21/09206

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 13 juin 2024, 21/09206


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 13 JUIN 2024



(n° 2024/ , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09206 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETXT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 20/00955





APPELANTE



S.A. ENGINERING CONTROLE WELDING (ECW)

[Adresse 2]

[L

ocalité 1]

Représentée par Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0164





INTIME



Monsieur [H] [M]

127 bis avenue du 18 avril 1944

[Adresse 3]

né le 07 Septembre 1974 à ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 13 JUIN 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09206 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CETXT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 20/00955

APPELANTE

S.A. ENGINERING CONTROLE WELDING (ECW)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0164

INTIME

Monsieur [H] [M]

127 bis avenue du 18 avril 1944

[Adresse 3]

né le 07 Septembre 1974 à [Localité 4]

Représenté par Me Farid BOUZIDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1097

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre et de la formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, et par Madame Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [H] [M] a été engagé par la société Enginering control welding, ci-après la société, par contrat de travail à durée déterminée du 25 février 2008 en qualité d'aide opérateur. La relation de travail s'est poursuivie en contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2008. Le 1er octobre 2011, le salaire mensuel brut de M. [M] a été porté à la somme de 2 350 euros pour une durée de travail de 151,67 heures.

Un différend est intervenu entre les parties relatif au paiement des indemnités de grands déplacements à partir du mois de juillet 2014.

Estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau le 9 septembre 2020 afin d'obtenir des rappels de salaires et des dommages-intérêts en réparation de ses divers préjudices.

Depuis le 12 mars 2019, M. [M] est délégué du personnel.

Par jugement du 5 octobre 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales, le conseil de prud'hommes de Longjumeau, section industrie, a :

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 2 450 euros,

- condamné la société ECW à verser à M. [M] les sommes de :

* 21 383 euros à titre de rappel de salaire de 2017 à juin 2021 outre 2 138,30 euros au titre des congés payés afférents,

* 2 000 euros de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral pour harcèlement moral,

* 10 000 euros du chef du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

* 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de sa saisine,

- ordonné la régularisation de l'augmentation de salaire de 350 euros net de M. [M],

- ordonné la régularisation du paiement des paniers repas au taux légal en vigueur,

- ordonné la régularisation du paiement d'indemnités kilométriques en conformité avec le barème,

- ordonné la remise d'un bulletin de salaire conforme à la présente décision avec les grands déplacements conformes au barème ACOSS,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- débouté M. [M] de toutes ses autres demandes et des astreintes demandées,

- débouté la société ECW de sa demande reconventionnelle présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge de la société ECW.

La société ECW a régulièrement relevé appel du jugement le 2 novembre 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelante notifiées par voie électronique le 28 janvier 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société ECW prie la cour de :

- lui donner acte qu'elle a appliqué la régularisation de 350 euros net sur le salaire de M. [M] depuis le 1er janvier 2019 et réglé le complément de salaire sur cette base,

Pour le surplus :

- infirmer le jugement,

- débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimé notifiées par voie électronique le 25 mars 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [M] prie la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser les sommes suivantes avec intérêt au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation :

' 2 268,80 euros et 226,88 euros au titre des congés payés y afférents,

' 792 euros et 79,20 euros au titre des congés payés y afférents,

' 1 737,20 euros et 173,72 euros au titre des congés payés y afférents,

' 3 775 euros et 377,50 euros au titre des congés payés y afférents,

' 10 000 euros du chef du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- le confirmer en ce qu'il a ordonné :

' la capitalisation des intérêts,

' la régularisation du paiement des paniers repas au taux légal en vigueur,

' la régularisation du paiement de l'indemnité kilométrique au taux légal en vigueur,

' la remise des bulletins de paie conformes à la présente décision avec les grands déplacements conformes au barème ACOSS,

- condamner la société Engineering control welding à lui verser la somme de 1 218 euros net au titre du solde restant dû au titre du rappel de salaires versés sous forme de grands déplacements,

- l'infirmer pour le surplus,

Y ajoutant et statuant à nouveau,

- condamner la société Engineering control welding à lui les sommes de :

* 5 000 euros à titre de préjudice moral du chef du harcèlement moral,

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mettre les entiers dépens à la charge de la société Engineering control Welding.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 octobre 2023.

MOTIVATION :

Sur le chef de condamnation relatif au rappel de salaire :

A ce titre, le conseil de prud'hommes a condamné la société à verser à Monsieur [M] la somme de 21'383 euros outre 2 138,30 euros au titre des congés payés afférents.

En réalité, cette somme englobe :

- 12'810 euros net à titre de rappel de salaire,

- 2 268,80 euros correspondant aux rappels d'indemnités versées au titre des grands déplacements effectués,

- 792 euros à titre de rappel d'indemnités kilométriques,

- 1 737,20 euros à titre de majoration pour les heures de nuit effectuées,

- 3 775 euros au titre des paniers repas non réglés.

Sur le rappel de salaire :

M. [M] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 1 218 euros net au titre du solde restant dû pour les salaires versés sous forme de grands déplacements.

M. [M] explique qu'à partir de 2013, pour ne pas avoir à supporter les cotisations sociales afférentes à l'augmentation de son salaire, la société a décidé de lui verser une somme nette mensuelle de 350 euros sous forme de cinq indemnités grands déplacements de 70 euros chacune. Il a soutenu devant le conseil de prud'hommes que cette somme, représentant un substitut de salaire ne lui avait pas été versée régulièrement par l'employeur.

Le conseil de prud'hommes a pris en compte la demande présentée par M. [M] à hauteur de la somme de 12 810 euros mais celui-ci explique que la société n'a pas réglé la totalité de la somme due mais seulement 15 096 euros brut soit 11 592 euros net de sorte qu'elle reste lui devoir la somme de 1 281 euros net à ce titre.

La société qui indique avoir accepté sa condamnation et le principe de l'augmentation du salaire de 350 euros par mois reste taisante sur cette demande.

La cour relève qu'aucune des parties ne critique le jugement sur ce point, lequel a fait droit à la revendication de M. [M] dans son principe et son quantum, que celui-ci ne réclame aujourd'hui que le solde non versé par l'employeur dans le cadre de l'exécution du jugement ainsi que cela ressort du bulletin de paie clarifié du mois de décembre 2021 communiqué ce qui relève d'un problème d'exécution du jugement et non du fond. La cour approuve donc les premiers juges en ce qu'ils ont englobé dans la condamnation prononcée à titre de rappel de salaire, la somme de 12 810 euros, ouvrant droit à congés payés.

M. [M] est donc débouté de sa demande laquelle est déjà comprise dans le montant de la condamnation et n'est pas critiquée.

Sur le rappel des indemnités de grand déplacement effectués :

M. [M] demande la régularisation du paiement des indemnités de grands déplacements effectués qui n'ont pas été payées selon le taux applicable selon lui, conformément à la grille ACOSS représentant un total de 2 268,80 euros pour les années 2017 à 2020 selon un décompte qi'il détaille dans ses écritures.

La société conclut au débouté en faisant valoir que la grille ACOSS dont le salarié se réclame n'était pas applicable puisqu'elle réglait les indemnités de grands déplacements sur la base d'un tarif fixé selon les notes de services qu'elle affichait au sein de l'entreprise de sorte qu'il a été rempli de ses droits par les versements effectués.

La cour relève que le contrat de travail à durée déterminée de M. [M] auquel ont renvoyé les avenants successifs, prévoyait dans son article 10 intitulé 'personnel sous le régime du grand déplacement' que 'le personnel en déplacement percevra une indemnité suivant note de service en vigueur et dans le cadre du barême de l'ACOSS.'

Dés lors la société qui a contractuellement convenu d'appliquer aux indemnités de grands déplacements de M. [M] le barême de l'ACOSS ne peut valablement prétendre appliquer un barême moins favorable au salarié sans l'accord express de celui-ci, lequel fait défaut.

La cour évalue donc le montant de la régularisation au vu du décompte effectué dans ses écritures par le salarié, non critiqué par l'employeur quant au nombre de déplacements allégué, à la somme de 2 268 euros.

Cependant la cour observe que M. [M] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser cette somme alors que ce montant n'a pas fait l'objet d'un chef de condamnation distinct mais a été englobé dans la condamnation globale de la société à payer à M. [M] la somme de 21 383 euros.

La cour approuve les premiers juges en ce qu'ils ont compris la somme de 2 268 euros dans leur condamnation globale à titre de rappel de salaire. Toutefois, cette somme qui n'a pas le caractère d'un salaire n'ouvre pas droit à congés payés. Le jugement est infirmé de ce chef, la demande à ce titre est rejetée.

Sur le rappel des frais kilométriques :

La société conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il lui a ordonné de régulariser le paiement de l'indemnité kilométrique en conformité avec le barême. Elle soutient que M. [M] ne justifie pas que le barême qu'il communique lequel ne ressort d'aucune règlementation doive être appliqué alors qu'elle applique le barême résultant de sa note de service correspondant aux barêmes fiscaux diffusés.

M. [M] conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société à lui payer la somme de 792 euros et 79,20 euros au titre des congés payés y afférents. Il soutient que la société ECW, devait respecter l'accord ACOSS, ce qu'elle n'a pas fait de sorte que le kilomètre effectué a été payé au taux de 0,40 euros au lieu de 0,59 euros prévu par le barème ACOSS pour une 7cv et réclame une somme de 871,20 euros, congés payés compris à titre de rappel de salaire pour les années 2017 et 2018.

La cour relève que le contrat de travail à durée déterminée de M. [M] auquel ont renvoyé les avenants successifs lequel prévoyait dans son article 10 intitulé 'personnel sous le régime du grand déplacement' que 'le personnel en déplacement percevra une indemnité suivant note de service en vigueur et dans le cadre du barême de l'ACCOS.'comme il a été rappelé ci dessus, ne fait pas mention des indemnités kilométriques, contrairement à ce que soutient M. [M]. Dés lors, c'est à bon droit que l'employeur a appliqué les barêmes résultant de sa note de service.

La cour déboute en conséquence M. [M] de sa demande au titre des indemnités kilométriques. Le jugement est donc infirmé en ce qu'il a compris le montant réclamé dans sa condamnation globale, ainsi que des congés payés afférents.

Sur la demande présentée au titre des heures de nuit :

M. [M] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société à lui verser une somme de 1 910 euros de ce chef. Il fait valoir que la société ECW ne paye les heures de nuit que depuis 2019, que les heures travaillées de nuit avant cette date, notamment sur le site d'Air Liquide de 19 heures à 2 heures lui ont été payées au tarif normal malgré ses réclamations répétées pour obtenir le paiement des majorations légales. Il fait valoir également que la société ECW refuse, par ailleurs, de lui remettre les feuilles de pointage lui permettant de lister le nombre d'heures dû au taux majoré et forme une demande de régularisation de 430 heures en 2017 soit 1 737,20 euros et 173,72 euros au titre des congés payés y afférents.

La société conclut à l'infirmation du jugement et au débouté en faisant valoir que les heures réclamées ne sont pas fondées et que la demande est prescrite.

La cour observe en premier lieu que la fin de non recevoir tirée de la prescription n'est pas soulevée dans le dispositif des conclusions de la société de sorte que la cour n'en est pas saisie.

Par ailleurs, la cour rappelle qu'il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail dans leur version applicable à l'espèce qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

M. [M] ne présente aucun décompte des heures qu'il revendique comme étant des heures de nuit et ne fournit d'ailleurs aucun élément sur ses horaires de travail. La cour considère que dés lors il ne fournit pas des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Il est par conséquent débouté de la demande qu'il présente au titre des heures de nuit et le jugement est infirmé en ce qu'il a englobé cette réclamation dans sa condamnation globale.

Sur la demande présentée au titre de la suppression des paniers repas :

M. [M] fait valoir que la société ECW a unilatéralement supprimé les paniers repas qu'il aurait normalement dû percevoir sous prétexte qu'elle lui versait 5 indemnités de grands déplacements et qu'il en a vainement réclamé le paiement à plusieurs reprises de sorte que lui reste due une somme totale de 3 775 euros, plus les congés payés y afférents à hauteur de la somme de 377,50 euros.

La société conclut au débouté pour les périodes antérieures au 1er septembre 2017 en raison de la prescription et parce qu'elles sont infondées sans s'expliquer davantage.

L'employeur débiteur de l'obligation de verser ses frais de repas au salarié obligé de prendre ses repas sur le lieu d'exécution du travail ne justifie pas que les règlements qu'il a effectués ont rempli celui-ci de ses droits, alors qu'il lui a versé des indemnités de grands déplacements comprenant des primes de repas, en lieu et place de salaires, comme il a été vu sans l'indemniser au titre des repas.

La cour fait donc droit à la demande à la hauteur de la somme de 1 920 euros. Le paiement des primes de repas qui ne constituent pas un complément de salaire mais une indemnité n'ouvre pas droit à congés payés, la demande en ce sens est rejetée.

En définitive, la cour condamne la société à payer à M. [M] une somme de 16 998 euros au titre du rappel de salaire et le jugement est infirmé de ce chef.

La cour condamne également la société à verser à M. [M] une somme de 1 281 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la demande présentée au titre du harcèlement moral :

M. [M] explique avoir été victime d'agissements de harcèlement moral dans la société de la part de M. [J], responsable de l'agence IDF et sollicite l'infirmation du jugement sur le quantum des dommages-intérêts alloués.

La société conclut au débouté et à l'infirmation du jugement.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout

M. [M] présente les éléments de faits suivants :

- il s'est vu infliger des avertissements injustifiés qu'il a contestés,

- M. [J] a exercé à son encontre des pressions, des menaces physiques et lui a manqué de respect,

- alors qu'il se trouvait en arrêt de travail, M. [J] l'a appelé pour lui demander s'il avait été prolongé, sans attendre l'expiration du délai légal de prévenance,

- l'employeur se livre à une discrimination entre les salariés, qui le perturbe gravement,

- il a été destinataire d'une mise en demeure en date du 22 février 2019, adressée par l'employeur sans attendre de recevoir la prolongation de l'arrêt de travail envoyée par lettre recommandée avec avis de réception le 20 février 2019, soit dans le délai légal de 48 heures,

- il s'est vu imposer de nouveaux horaires, quand jusqu'alors, le principe qui prévalait pour tous les salariés était le « fini/parti », l'employeur lui demandant d'être présent de 8h30 à 12h, puis de 13h45 à 17h30,

- le vendredi 17 mai 2019, au matin, M. [J] l'a menacé de tout mettre en 'uvre pour qu'il soit licencié.

Sur les avertissements, M. [M] verse aux débats le courrier de notification du 29 janvier 2020 lequel fait mention d'un avertissement précédent en date du 17 décembre écoulé, qu'aucune des deux parties n'a communiqué, la cour retient en conséquence que l'existence de ces avertissements est matériellement établie.

Sur les pressions, les menaces physiques et le manque de respect de la part de M. [J], M. [M] communique le courrier de réclamation de son conseil en date du 25 mai 2019 lequel fait état de ce que M. [J] 'hurle sur' le salarié, ainsi que son propre écrit du 7 novembre 2019 intittulé 'réclamation contestation' par lequel il affirme que M. [J] s'est mis à crier comme d'habitude. Cependant ces documents, non corroborés par des éléments objectifs, ne suffisent pas à établir la matérialité de faits précis de sorte que la cour considère que ces faits ne sont pas matériellement établis.

Sur les appels pendant les arrêts maladie, aucun élément n'est versé aux débats par M. [M] pour établir la matérialité des faits et corroborer le seul écrit, insuffisant, de son conseil en ce sens. La cour considère que les faits ne sont donc pas matériellement établis;

Sur la discrimination entre salariés , il ressort du courrier du conseil du salarié que celui-ci se plaint de ce que les indemnités de déplacement sont payées à hauteur de la somme de 70 euros alors que pour d'autres salariés le montant est de 80 euros. Toutefois la cour observe que le motif de la discrimination n'est pas allégué et qu'en réalité plutôt qu'une discrimination , il s'agit d'une inégalité de traitement. Cependant M. [M] ne se compare à aucun autre salarié qui serait dans une situation comparable ou similaire à la sienne de sorte que les faits laissant supposer l'inégalité de traitement ne sont pas établis.

Sur la mise en demeure du 22 février 2019, elle est versée aux débats, il y est mentionné que l'arrêt de travail de M. [M] se terminait le 19 février 2019. Les faits sont donc matériellement établis par la communication de cet écrit.

Sur l'imposition de nouveaux horaires, aucun élément n'est communiqué pour justifier de la matérialité des faits dénoncés dans le courrier du conseil de M. [M] et la cour relève que la note de servic dont il est fait état dans ce courrier qui aurait été opposée au salariée n'est pas davantage communiquée ou identifiée. Les faits ne sont donc pas matériellement établis.

Sur les menaces proférées le 17 mai 2019 par M. [J] de tout mettre en oeuvre pour licencier M. [M] et leur confirmation lors d'une réunion le même jour, le courrier en ce sens du conseil de M. [M] n'est corroboré par aucun élément précis sur les propos qui auraient été tenus par M. [J] le 17 mai 2019. L'attestation de M. [J] selon laquelle, la direction lui aurait demandé de surveiller M. [M] pour pouvoir le licencier pour faute grave, trop imprécise et nullement circonstanciée ne suffisant pas à établir la réalité des faits pas plus que leur confirmation lors d'une réunion qui se serait tenue le même jour. La cour considère en conséquence que les faits ne sont pas matériellement établis.

En définitive, la cour considère comme matériellement établis les avertissements notifiés au salarié et la mise en demeure adressée le 22 février 2019. Ces faits, pris dans leur ensemble, laissent supposer des agissement de harcèlement moral de sorte qu'il appartient à l'employeur de démontrer qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

L'employeur en se contentant d'affirmer que l'avertissement du janvier 2020 a été annulé sans s'expliquer sur le premier ne démontre pas que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers au harcèlement.

Par ailleurs, l'arrêt de travail de M. [M] se terminant le 19 février selon les propres déclarations de celui-ci, l'envoi d'une mise en demeure le 22, 48 heures après est justifié par un exercice strict mais non abusif du pouvoir de contrôle de l'employeur.

La cour relève que l'envoi des deux avertissemments n'est pas justifié par des éléments objectifs étrangers au harcèlement allégué de sorte que la répétition de ces avertissements caractérise le harcèlement moral allégué.

La cour confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société à payer à M. [M] une somme de 2 000 euros de dommages-intérêts, cette somme suffisant à réparer son entier préjudice.

Sur la violation de l'obligation de sécurité :

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs . Ces mesures comprennent :

1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

2° Des actions d'information et de prévention,

3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptée.

L'employeur veille à l'adapatation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des mesures existentes.'

Aux termes de l'article L. 4121-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.'

M. [M] reproche à l'employeur d'avoir contribué volontairement à la dégradation de son état de santé n'ayant jamais, malgré les nombreuses dénonciations faites, agi pour que le harcèlement cesse.

La société conclut au débouté en faisant valoir que le salarié a toujours fait l'objet de visites auprès de la médecine du travail, qu'il n'a jamais informé l'employeur d'une difficulté quelconque dans le cadre de ses conditions de travail, que si un avertissement a été infligé au salarié, c'est sur la base des indications erronées de M. [J] lequel ne fait d'ailleurs plus partie de la société.

La cour rappelle que que l'employeur tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité. Ne méconnait pas son obligation, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les article L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, il est justifié que M. [M] s'est plaint à plusieurs reprises des agissements de M. [J] à son égard et de ses conditions de travail, notamment les 7 mai 2015 puis le 10 juin 2015, par l'intermédiaire de son conseil mais aussi dans un courrier du 26 novembre 2018 où il se plaint d'être discriminé et encore le 7 novembre 2019 pour se plaindre des agissements de M. [J].

L'employeur ne justifie pas des mesures prises au sens des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail de sorte que le manquement à l'obligation de sécurité allégué est caractérisé. La cour confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société à verser à M. [M] la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice.

Sur les autres demandes :

Les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter de la décision qui la prononce.

La capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

La société, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et doit indemniser M. [M] en sus de la somme déjà allouée par les premiers juges dont le jugement est confirmé de ce chef, à hauteur d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Infirme le jugement sauf du chef des condamnations de la société Engineering control welding pour manquement à l'obligation de sécurité et harcèlement moral, régularisation de l'augmentation de salaire à hauteur de 350 euros net par mois, régularisation des paniers repas au taux légal en vigueur,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Engineering control welding à verser à M. [H] [M] les sommes de :

- 16 998 euros à titre de rappel pour la période de 2017 à juin 2021 comprenant un rappel de salaire, la régularisation des indemnités de grand déplacement et les primes paniers,

- 1 281 euros à titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaire,

Dit que les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter de la décision qui la prononce,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil,

Déboute M. [H] [M] du surplus de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Engineering control welding,

Condamne la société Engineering control welding aux dépens et à verser à M. [H] [M] une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09206
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;21.09206 ?
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