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12/06/2024 | FRANCE | N°23/07791

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 12 juin 2024, 23/07791


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS









COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 12 JUIN 2024



(n° 27, 14 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 23/07791 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHQ67



Décisions déférées : Ordonnances rendues le 07 avril 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRÉTEIL et Ordonnances d'extension en date du 12 avril

2023 du Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRÉTEIL



Nature de la décision : Contradictoire



Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d'ap...

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 12 JUIN 2024

(n° 27, 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 23/07791 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHQ67

Décisions déférées : Ordonnances rendues le 07 avril 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRÉTEIL et Ordonnances d'extension en date du 12 avril 2023 du Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRÉTEIL

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article 64 du code des douanes ;

Assisté de Mme Véronique COUVET, greffier lors des débats et de la mise à disposition ;

Après avoir appelé à l'audience publique du 07 février 2024 :

Société MANJET AVIATION LIMITED, société de droit britannique

Élisant domicile au cabinet STREAM

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Freddy DESPLANQUES, du cabinet STREAM, avocat au barreau du HAVRE

Assistée de Me Nicolas SALIN, du cabinet STREAM, avocat au barreau de PARIS, toque P 132

APPELANTE

et

LA DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUÊTES DOUANIÈRES D.N.R.E.D

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentée par Monsieur [S] [C], inspecteur, agent poursuivant dûment mandaté

INTIMÉE

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 07 février 2024, l'avocat de l'appelante et le représentant de l'Administration des douanes ;

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 22 mai 2024 puis prorogée au 12 juin 2024 pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Le 7 avril 2023, le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRÉTEIL a rendu, en application de l'article 64 du code des douanes, une ordonnance d'autorisation d'opérations de visite et saisie dans les locaux de la société LUXAVIATION FRANCE situés [Adresse 4], tant les pièces à usage professionnel qu'à usage d'habitation, les caves, dépendances et annexes. Le même jour, une commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny pour contrôler les visites et saisies à effectuer dans le ressort de cette juridiction en application de cette ordonnance était délivrée par décision séparée.

Cette ordonnance faisait l'objet de trois autres ordonnances d'extension en date du 12 avril 2023, étendant les opérations de visite domiciliaires comme suit :

- dans les locaux de la société UNIJET, située [Adresse 4] ;

- au Hangar de la société LUXAVIATION FRANCE, située [Adresse 4] ;

- au Hangar de la société LUXAVIATION FRANCE, située [Adresse 4] et qui délivrait commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny pour contrôler les visites et saisies à effectuer dans le ressort de cette juridiction en application de l'ordonnance du 7 avril 2023 précitée.

L'ordonnance du 7 avril 2023 se fondait sur une requête de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (ci-après DNRED) présentée le 7 avril 2023.

La requête de l'administration était accompagnée de 23 pièces ou annexes.

Dans ses motifs, cette ordonnance aux fins d'autoriser les visites domiciliaires relevait qu'il résulte de la requête que :

Dans ses motifs, cette ordonnance aux fins d'autoriser les visites domiciliaires relevait qu'il résulte de la requête que :

La société MASTERJET AVIACAO EXECUTIVA S.A. (ci-après MASTERJET, SIREN 487602922), créée le 13/12/2005, a pour activité la gestion des jets d'affaires ou de tiers, le conseil dans tous les secteurs d'activités liés à l'aviation d'affaires, l'achat et la vente de jets d'affaires, le transport aérien dans le secteur de l'aviation d'affaires, l'affrètement de jets d'affaires avec ou sans équipage (cf. pièce cotée 'A140' de la pièce-jointe n° 10), a changé sa raison sociale le 02/06/2021 pour devenir la société LUXAVIATION E.A. SA, en conservant son siège à Lisbonne au Portugal (cf. pièce cotée A141 de la pièce jointe n° 10).

La société LUXAVIATION E.A. SA (SIREN 487602922) (ci-après 'LUXAVIATION') détient une succursale française, LUXAVIATION FRANCE, laquelle a son établissement au [Adresse 4] et a pour activité le transport aérien de passagers. LUXAVIATION FRANCE (ci-après LUXAVIATION) est représentée par Madame [Y] [M], en sa qualité de membre du conseil d'administration de LUXAVIATION E.A. SA et directrice générale de sa succursale française LUXAVIATION (cf. pièce-jointe n° 10).

La société LUXAVIATION E.A. SA détient un certificat de transporteur aérien portugais (CTA), ou « Air Operator Certificate » (AOC) référence PT-02/05/43 en date du 09/08/2018 (cf. pièce cotée 'A7' de la pièce-jointe n°3 et pièce cotée 'A143' de la pièce-jointe n° 10) et un certificat de transporteur aérien européen (CTA), ou « Air Operator Certificate » (AOC) référence EASA.AOC.002 en date du 29/10/2021 (cf. pièce cotée 'A145' de la pièce-jointe n° 10).

La société ARTEMIS a importé en France au moyen de la déclaration en douane IM 2003390695 un aéronef civil originaire du Canada ' immatriculé [Immatriculation 12], modèle Bombardier Global 7500, numéro de série 70022 ' en régime 40.00 (mise en libre pratique et mise à la consommation concomitante) le 26/05/2020 pour une valeur en douane déclarée de 57 373 000 euros (cf. annexe 4 de la pièce-jointe n° 2). La société ARTEMIS est détenue directement à 99,99 % par la holding familiale FINANCIÈRE [B] (SIREN [Numéro identifiant 5]) dont les cogérants sont M. [L] [B], fondateur du groupe [B] et son fils, M. [F] [B] (cf. question-réponse n° 1 de la pièce-jointe n°2 et pièce-jointe n° 21).

La société ZIEGLER FRANCE (ci-après ZIEGLER, SIREN 354500225) agissant pour le compte de la société ARTEMIS sous le mode de la représentation directe est le déclarant repris sur la déclaration en douane n° 2003390695 (cf. annexe 4 de la pièce-jointe n° 2 et annexe 1 de la pièce-jointe n° 3). Cette importation a bénéficié d'une exonération de TVA au titre de l'article 262 du CGI en sollicitant le CANA exonératoire ' 1026" sur la case 44 de la déclaration en douane d'importation n° 2003390695 (cf. annexe 4 de la pièce-jointe n° 2 et annexe 1 de la pièce-jointe n° 3).

La dirigeante de la société LUXAVIATION France, Madame [Y] [M], a indiqué au service enquêteur, dans son audition, que la quasi-totalité des clients confient leur avion à la société LUXAVIATION E.A SA en transport public et que, par conséquent, l'exonération de TVAI est demandée pour presque toutes les importations d'avion par LUXAVIATION (cf. question-réponse n° 22 de la pièce jointe n° 4).

La société ARTEMIS, unique propriétaire de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 12] (cf. pièces cotées 'A2' et 'A3' de la pièce-jointe n° 3 ; la pièce jointe n°2 ; pièce cotée 'A67' de la pièce jointe n° 5) a acquis cet aéronef afin de permettre la circulation de ses deux cogérants M. [L] [B] et M. [F] [B], à titre professionnel et privé (cf. questions-réponses n° 6, n° 7, n° 8, n° 9, n° 10 et n° 20 de la pièce-jointe n° 2). Le transport de passagers aériens ne figure pas parmi les activités de la société ARTEMIS ou celles de ses filiales ; ARTEMIS n'est pas titulaire d'un certificat de transporteur aérien (CTA) (cf. questions réponses n° 12 et n° 13 de la pièce-jointe n° 2).

Un contrat de gestion et de location de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 12] a été conclu entre les sociétés ARTEMIS et MASTERJET le 10/03/2020, cette dernière mettant à la disposition d'ARTEMIS les moyens et compétences permettant de faire voler l'aéronef, grâce notamment à la fourniture du personnel naviguant technique (pilotes et copilotes) (cf. questions-réponses n° 15, n° 16, n° 17, n° 18 et n° 19 de la pièce jointe n° 2 ; pièce cotée '69' de la pièce-jointe n° 5 ; annexe 6 de la pièce-jointe n° 7).

La société LUXAVIATION (ex-MASTERJET) a joué le rôle d'intermédiaire entre les sociétés ARTEMIS et ZIEGLER ainsi qu'entre la société ARTEMIS et la DGAC en raison de son expertise dans le traitement des formalités administratives inhérentes à une livraison d'aéronef (cf. pièce jointe n° 2, annexe 5 de la pièce jointe n° 3, pièce jointe n° 4 et pièce cotée 'A66' de la pièce-jointe n° 5). Le contrat entre MASTERJET et ARTEMIS prévoit les conditions dans lesquelles la location de l'aéronef à des tiers (autre qu'ARTEMIS) doit être réalisée (cf. pièce cotée '69' pièce-jointe n° 5 ; annexe 6 de la pièce-jointe n° 7).

La société MASTERJET n'a jamais fourni au service enquêteur de factures ou quittances de loyer justifiant de la location effective de l'aéronef [Immatriculation 12] à des tiers ; seule ARTEMIS apparaît sur des factures émises par MASTERJET (cf. pièces cotées dans une série continue 'A70' à 'A 107' de la pièce-jointe n° 5). Mme [Y] [M], directrice générale de la société LUXAVIATION France, a déclaré que l'aéronef [Immatriculation 12] n'a jamais été loué à des tiers (cf. questions-réponses n° 13 et n° 14 de la pièce-jointe n° 4). Cette absence de location effective de l'aéronef [Immatriculation 12] à des tiers est confirmée par Mme [I] [G], directrice des affaires fiscales de la société ARTEMIS (cf. pièce cotée 'A374' de la pièce-jointe n° 12). En août et novembre 2022 la société MASTERJET ne proposait pas à la location l'aéronef [Immatriculation 12] sur son site internet accessible au public ; pourtant des aéronefs identiques au modèle Bombardier Global 7500, gérés par MASTERJET, immatriculés [Immatriculation 14] et [Immatriculation 15], y sont visibles et disponibles à la location (cf. annexes 1 et 2 de la pièce-jointe n° 8). L'examen du registre de réservation de vols dit « flight briefing », sur la période du juin 2020 à juin 2022, de l'aéronef [Immatriculation 12] démontre un usage exclusif de l'aéronef par les deux cogérants de la société holding familiale FINANCIÈRE [B], à savoir MM. [L] [D] [B] et [L] [B], ainsi que des membres de la famille [B] ou des proches (cf. pièces cotées A154 à A371 de la pièce-jointe n° 10 et pièce-jointe n° 21). Les liens familiaux existants entre les deux cogérants de la FINANCIERE [B] cités supra et des membres passagers repris au registre de réservation de vols sur la période de juin 2020 à juin 2022, de l'aéronef [Immatriculation 12], sont établis d'après une recherche sur des sites internet publics (cf. pièces cotées A154 et A371 de la pièce jointe n° 10 ; pièce-jointe n° 21). Contrairement a ce qui a été affirmé par le représentant de la société ARTEMIS en mai 2022, l'étude du registre de réservation de vols montre que des membres de la famille [B] utilisent l'aéronef [Immatriculation 12] hors la présence de MM. [L]-[D] et [L] [B] (cf. question-réponse n° 21 de la pièce-jointe n° 2).

Selon le représentant de la société ARTEMIS, le contrat entre MASTERJET et ARTEMIS ne semble pas prévoir un usage exclusif de l'aéronef [Immatriculation 12] par le groupe [B], mais que, dans les faits, il s'agit d'un usage « quasi-exclusif » (cf. question-réponse n° 19 de la pièce-jointe n° 2). Selon le représentant de la société ARTEMIS, M. [L] [B] ne souhaite pas louer et ne loue pas son aéronef (cf. question-réponse n° 20 de la pièce-jointe n° 2). La société ARTEMIS assimile l'usage de l'aéronef [Immatriculation 12] à un véhicule de fonction (cf. question-réponse n° 29 de la pièce-jointe n° 2).

Le juge des libertés et de la détention relève des constatations qui précédent que le contrat entre MASTERJET et ARTEMIS doit s'analyser comme une mise à disposition auprès d'une compagnie aérienne d'un aéronef, par son propriétaire, se limitant à couvrir les besoins propres de celui-ci en tant que client exclusif et ne permettent pas de retenir les critères relatifs à une exploitation commerciale de l'aéronef comme défini par le Règlement (UE) n° 965/2012 « AIROPS » (cf. pièce cotée '69' pièce-jointe n° 5 ; annexe 6 de pièce-jointe n° 7).

Le juge des libertés et de la détention ajoute qu'au regard du 1° de l'article L1000-3 du code des transports et de l'avis de la DGAC, les transports pour compte propre s'assimilent à des opérations effectuées à titre privé au sens du code des transports, par opposition à la notion de transport public, qui correspond au transport aérien commercial (cf. question-réponse n° 27 de la pièce-jointe n° 1 ; pièce-jointe n° 9). Les expressions  « mise en transport public » d'un aéronef ou « mise de l'aéronef en liste de flotte » sont employées par les professionnels du secteur aérien pour désigner sa mise en transport commercial (cf. annexe 6 de la pièce-jointe n° 9).

Le processus de décision ayant aboutit au classement de l'aéronef [Immatriculation 12] en transport public a fait l'objet d'échanges de courriels entre LUXAVIATION (par l'intermédiaire de [Y] [M]) et la FINANCIÈRE [B] dans lesquels LUXAVIATION confirme que la mise en transport public d'un aéronef suffit à justifier l'exonération de TVA à l'importation (cf. pièces cotées 'A131' à 'A134' de la pièce-jointe n° 5). Il peut être suspecté que les sociétés LUXAVIATION et ARTEMIS n'ont pas transmis aux enquêteurs l'intégralité des échanges de courriels relatifs à l'importation de l'aéronef [Immatriculation 12], dès lors qu'il peut être constaté, pour des droits de communications effectués au titre de l'article 65 du Code des douanes portant sur les mêmes demandes de documents et réalisés à l'encontre de chacune desdites sociétés, des réponses ne comportant pas les mêmes documents, et notamment l'absence de certains documents (« échanges de courriers et de courriels entre la société LUXAVIXATION et la société ARTEMIS en 2019 et début 2020 ») dans la réponse faite par la société LUXAVIATION (cf. Pièce jointe n° 2, pièce jointe n° 4, pièce jointe n° 5, pièce jointe n° 10, pièce jointe n° 12 et pièces cotées 'Al 31' à 'Al 34' de la pièce-jointe n° 5).

Le juge des libertés et de la détention en déduit que la mise en transport public de l'aéronef [Immatriculation 12] n'aurait été décidée que pour obtenir l'avantage relatif à l'exonération de TVA à l'importation (cf. pièces cotées 'Al 31' à 'Al 34' de la pièce-jointe n° 5).

En outre, le juge des libertés et de la détention relève que la société MASTERJET AVIACAO EXECUTIVA a importé en France au moyen de la déclaration en douane IM 2111436500 un aéronef civil originaire du Canada ' immatriculé [Immatriculation 10], modèle Bombardier Global 7500, numéro de série 70089 ' en régime 40.00 (mise en libre pratique et mise à la consommation concomitante) le 08/12/21 pour une valeur en douane déclarée de 54 683 917 euros (cf. Annexe 2 de la pièce jointe n° 14). La société ZIEGLER FRANCE est le déclarant repris sur la déclaration en douane n° 2111436500 sous le mode de la représentation directe (cf. Annexe 2 de la pièce jointe n° 14). Cette importation a bénéficié d'une exonération de TVA au titre de l'article 262 du CGI. en sollicitant le CANA exonératoire '1026" sur la case 44 de la déclaration en douane d'importation n° 2111436500 (cf. Annexe 2 de la pièce jointe n° 14). MASTERJET, bien que repris en case 8 de la déclaration en douane, n'est pas le propriétaire de cet aéronef (cf. Réponse n° 25 de la pièce jointe n° 6).

Le contrat d'achat de l'aéronef mentionne la société MANJET AVIATION LIMITED comme propriétaire de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (cf. Pièce cotée C4 de la pièce jointe n° 14). La société MANJET AVIATION LIMITED (ci-après MANJET, inscrite sur le registre des sociétés de l'Île de Man sous le n° 011489) a été créée le 04/09/2014 et est située [Adresse 13], Royaume-Uni (cf. Pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16).

Un contrat de gestion et d'affrètement a été conclu entre les sociétés LUXAVIATION E.A. SA (ex. MASTERJET) et MANJET en le 19/11/2021 afin d'assurer l'exploitation de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (cf. Pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16). Un seul type de prestation ' 8 150,00 EUR (huit mille cent cinquante euros) par heure de vol pour les vols d' 'Altice' ' est prévu par ce contrat sur la première page, dans la rubrique « CONDITIONS PARTICULIÈRES » (cf. Pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16).

Le juge des libertés et de la détention souligne qu'il peut être déduit, du fait de la présence de cette unique prestation sur le contrat, que tous les vols de l'aéronef [Immatriculation 10] sont des « vols Altice » (cf. Pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16). Il est indiqué que le terme « Altice » fait vraisemblablement référence au groupe de télécommunications ALTICE, basé au Luxembourg et fondé par M. [A] [K] (cf. Pièce jointe n°15). Le contrat conclu entre MASTERJET et MANJET a été rompu le 18/02/22 (cf. Pièce cotée C91 de la pièce jointe n° l 5).

Entre décembre 2021 et février 2022, la société LUXAVIATION a émis un total de 11 ' confirmations de vols ' contenant la liste des passagers présents sur les vols de l'aéronef [Immatriculation 10] entre décembre 2021 et février 2022, pour un total de 43 vols (cf. Pièces cotées C16, C17, C18, C19, C20, C22 et de C86 à C90 de la pièce jointe n° 15). M. [A] [K], propriétaire du groupe ALTICE, est présent sur 21 des 25 vols ayant transporté des passagers (sur un total de 43, 18 ne faisant apparaître aucun passager) (cf. Pièces cotées C16, C17, C18, C19, C20, C22 et de C86 à C90 de la pièce jointe n° 15). Entre décembre 2021 et février 2022, l'épouse de M. [A] [K], Mme [P] [R] [K], est présente sur 2 vols (pièces cotées Cl 7, C22, C86, C90 de la pièce jointe n° 15 et pièce jointe n° 22) et sur les 4 vols sur lesquels M. [A] [K] n'apparaît pas, les passagers recensés sont ses enfants (cf. Pièces cotées C20 et C89 de la pièce jointe n°15 et pièce jointe n° 22). Il est souligné que le fait que M. [A] [K] mette son avion à disposition de son fils et de sa fille et voyage avec son épouse tend à démontrer qu'il peut prêter son avion à des membres de sa famille et donc qu'il est le propriétaire effectif et l'unique bénéficiaire de cet aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (cf. Pièces cotées Cl 7, C20, C22, C86, C89 et C90 de la pièce jointe n° 15 et pièce jointe n° 22). Les confirmations de vols ne font apparaître aucune location de l'aéronef [Immatriculation 10] à des tiers extérieurs au cercle familial de M. [A] [K] (cf. Pièces cotées C16, Cl 7, C18, C19, C20, C22 et de C86 à C90 de la pièce jointe n° 15).

Il est indiqué que 7 des 11 « confirmations de vols » émis par LUXAVIATION sont envoyées à la société MANJET (cf. Pièce-jointe n° 18), les 4 autres « confirmations de vols » ont été adressées à la société ALTICE LUXEMBOURG S.A. dont l'adresse, reprise en en-tête du document, est « [Adresse 6] » (cf. pièce-jointe n° 18).

L'ensemble des « confirmations de vols » sont envoyées numériquement à un seul destinataire physique, Mme [W] [E], dont les coordonnées '[Courriel 9] ' et " [XXXXXXXX01] " sont identiques pour toutes les confirmations de vols (cf. Pièce-jointe n° 18). M. [U] [J] est le directeur financier de la société VMS (cf. Pièce-jointe n° 20) et est repris comme " correspondant du propriétaire " de l'aéronef [Immatriculation 10] dans les échanges préparatoires à l'importation de l'aéronef [Immatriculation 10] (cf. Annexe 4, page 1/5, de la pièce jointe n° 15). Il est relevé que la présence de Mme [W] [E] comme destinataire de l'ensemble des confirmations de vol, démontre que les sociétés MANJET, ALTICE LUXEMBOURG SA et VMS possèdent des intérêts communs en lien avec l'aéronef [Immatriculation 10] (cf. Pièce-jointe n° 18).

Il est encore relevé que l'étude du contrat de gestion et des confirmations de vol permet de présumer que la société MANJET, basée sur l'Île de Man, est utilisée afin de masquer aux autorités douanières et fiscales le propriétaire et bénéficiaire effectif de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (cf. Pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16). Le bénéficiaire et utilisateur effectif de cet aéronef n'est pas la société MANJET, mais M. [A] [K] (ainsi que sa famille), dirigeant du groupe ALTICE, pour qui des vols sont affrétés et au bénéfice final duquel le contrat de gestion et de location a été conclu (Pièce cotée CII de la pièce jointe n° 1 5 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16).

L'aéronef [Immatriculation 10] n'a, contrairement à ce qui est prévu dans le contrat d'affrètement, jamais fait l'objet d'une location à des tiers pendant sa période de gestion par LUXAVlATlON (Pièce cotée CII de la pièce jointe n°15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16). La société LUXAVIATION n'a jamais fourni au service enquêteur des factures ou quittances de loyer justifiant de la location effective de l'aéronef [Immatriculation 10] à des tiers, seule MANJET apparaît sur des factures émises par LUXAVIATION (cf. Pièce cotée C25 de la pièce jointe n°15 et pièce jointe n° 18). La société LUXAVIATION n'a jamais fourni au service enquêteur sa correspondance avec le propriétaire au motif que, cet avion venant en remplacement d'un précédent, il n'avait pas été nécessaire d'échanger par écrit avec le propriétaire au sujet de son importation ou de sa gestion future (cf. Annexe 11, page 1/6, de la pièce jointe n° 15). Il est avancé dans l'ordonnance que ces différents montages permettent de présumer que LUXAVIATION a tenté de dissimuler au service enquêteur ses échanges écrits avec le propriétaire dans le but de masquer son identité ou des échanges au sujet de l'exonération de TVA (cf. Annexe 11, page 1/6, de la pièce jointe n° 15).

Les immatriculations des aéronefs [Immatriculation 12] et [Immatriculation 10] sont composées d'une première partie indiquant le pays d'immatriculation de l'avion (F pour France et CS pour Portugal). Il s'ensuit après le tiret une première lettre puis deux ou trois autres lettres laissées qui sont elles à la disposition des propriétaires (FHP et DP) et dont il peut être constaté qu'elles correspondent aux initiales respectives de [F] [B] et [K] [A] (pièce-jointe n° 21 et 22).

Le juge des libertés et de la détention considère qu'il résulte des investigations menées par le service enquêteur que la société LUXAVIATION a utilisé son statut de compagnie aérienne titulaire de certificats de transporteur aérien portugais et européens (CTA), pour déclarer l'importation en exonération de TVAI des aéronefs [Immatriculation 12] et [Immatriculation 10] (cf. comme mentionné en case 44 de l'annexe 1 de la pièce-jointe n°3 et en case 44 de l'annexe 2 de la pièce-jointe n° 14). Les aéronefs [Immatriculation 12] et [Immatriculation 10], quoique confiés pour exploitation par leurs propriétaires respectifs à la société LUXAVIATION, n'ont été exploités qu'au bénéfice desdits propriétaires ou de leurs proches, et en tout cas sous leur contrôle, que leur location n'a à aucun moment été proposée au public, qu'en cela l'exploitation commerciale est inexistante.

Le juge des libertés et de la détention relève encore que la sollicitation de l'exonération de TVAI pour l'importation des aéronefs [Immatriculation 12] et [Immatriculation 10] ne peut être demandée qu'au regard de l'usage réel projeté de ces aéronefs et qu'elle ne peut être sollicitée abstraitement et uniquement sur la base de la détention par la société LUXAVIATION de son statut de compagnie aérienne titulaire de certificats de transporteur aérien portugais et européens (CTA). Les déclarations d'importation en exonération de TVAI des aéronefs [Immatriculation 12] et [Immatriculation 10] réalisées par la société LUXAVIATION ont été décidées en accord avec les propriétaires des avions, les sociétés ARTEMIS, MANJET AVIATION LIMITED et ALTICE GROUP LUX, et à leur bénéfice (cf. pièces cotées 'Al 31' à 'Al 34' de la pièce-jointe n° 5 et pièce cotée 'C85' de la pièce-jointe n° 15).

La société LUXAVIATION ou des sociétés affiliées à celle-ci apparaissent sur plusieurs déclarations d'importation similaires en 2022, sur lesquelles l'exonération de TVA à l'importation a été sollicitée (cf. Pièce jointe n° 17). La société LUXAVIATION est susceptible d'avoir dissimulé au service enquêteur des documents, notamment sur supports informatiques ou électroniques, non accessibles aux enquêteurs en application de l'article 65 du code des douanes, retranscrivant une partie de sa correspondance avec ces propriétaires au sujet de mise en oeuvre de manoeuvres frauduleuses tendant à permettre la sollicitation indue de l'exonération de TVA pour l'importation des aéronefs [Immatriculation 12] et [Immatriculation 10].

La réalisation de ces fausses déclarations en douane vise à éluder le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l'importation d'aéronefs.

Il est donc conclu à l'ordonnance d'autorisation que :

- la société LUXAVIATION et sa dirigeante, Madame [Y] [M], sont susceptibles d'être auteurs, complices ou intéressés à la fraude de l'infraction douanière de fausses déclarations en douane, prévue et réprimée par l'article 414-2 du Code des douanes ;

- que la société ARTEMIS et son dirigeant Monsieur [L]-[D] [B] sont susceptibles d'être auteurs, complices ou intéressés à la fraude de l'infraction douanière de fausse déclaration en douane, prévue et réprimée par l'article 414-2 du Code des douanes ;

- que la société MANJET AVIATION LIMITED et ses dirigeants sont susceptibles d'être auteurs, complices ou intéressés à la fraude de l'infraction douanière de fausse déclaration en douane, prévue et réprimée par l'article 414-2 du Code des douanes.

- que la société ALTICE GROUP LUX et son dirigeant M. [A] [K] sont susceptibles d'être auteurs, complices ou intéressés à la fraude de l'infraction douanière de fausse déclaration en douane, prévue et réprimée par l'article 414-2 du Code des douanes ;

- que l'infraction de fausse déclaration ayant pour but ou pour résultat, en tout ou partie, d'obtenir une exonération attachée à l'importation est prévue et réprimée par l'article 414-2 du Code des douanes.

- que les délits réprimés à l'article 414-2 du Code des douanes sont punis de dix ans d'emprisonnement et d'une amende pouvant aller jusqu'à dix fois la valeur de l'objet de la fraude lorsqu'ils sont commis en bande organisée et que la requête de l'administration, appuyée sur des pièces dont l'origine est apparemment licite, est donc justifiée et que la preuve des délits visés ci-dessus peut être apportée par une visite domiciliaire dans les lieux désignés ci-après afin de rechercher et de saisir les éléments permettant de matérialiser les infractions, de rechercher et d'appréhender les auteurs.

L'ordonnance du 7 avril 2023 a été notifiée à la société MANJET AVIATION LIMITED le 27 avril 2023. Cette société en a interjeté appel le 09 mai 2023 par déclaration au greffe de la cour d'appel.

Par conclusions en date du 29 décembre 2023, la société MANJET AVIATION LIMITED demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- Annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rendue le 7 avril 2023 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Créteil (RG 23/2428);

En conséquence,

- Annuler le procès-verbal de visite et de saisie du 12 avril 2023 établi par la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ;

- Ordonner la restitution de l'intégralité des marchandises et documents saisis à l'occasion de cette opération de visite domiciliaire du 12 avril 2023.

Par conclusions en date du 30 octobre 2023, la Directrice générale des douanes et des droits indirects demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- Rejeter l'ensemble des prétentions exposées par la société Manjet Aviation Limited dans le cadre de cet appel ;

- Confirmer la validité de l'ordonnance de visite domiciliaire du 7 avril 2023 (RG 23/2428 - minute 23/15) et la validité des commissions rogatoires qui y sont attachées ;

- Confirmer la validité des ordonnances d'extension de visite domiciliaire du 12 avril 2023 et la validité des commissions rogatoires qui y sont attachées ;

- Confirmer la validité de tous les actes subséquents à l'Ordonnance de visite domiciliaire du 7 avril 2023 (RG 23/2428 - minute 23/15), et notamment le procès-verbal du 12 avril 2023 relatant les opérations de visites dans les locaux des sociétés Luxaviation et Unijet (PJ n° 2).

SUR CE :

SUR L'APPEL (RG n° 23/07791) :

Sur la prétendue présentation erronée des faits par l'administration :

La société MANJET AVIATION LIMITED (ci-après : ' MANJET ' ) expose en premier lieu qu'elle a conclu un contrat de crédit-bail avec l'établissement bancaire CREDIT SUISSE. Aux termes de ce contrat, elle est le crédit-preneur de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (pièce n° 2 : Contrat de crédit-bail Pièce 71 03 : Certificat d'immatriculation). Elle a confié la gestion de l'aéronef à la société LUXAVIATION E.A. SA qui disposait d'une succursale française située [Adresse 4], LUXAVIATION FRANCE et un contrat de gestion a été convenu entre les parties à cette fin. Afin de permettre l'exploitation de l'aéronef dans l'Union Européenne, celui-ci a fait l'objet d'une importation par la société LUXAVIATION (déclaration d'importation n° 2111436500). La société ZIEGLER France, en tant que déclarant en douane, a préparé et validé cette déclaration d'importation pour le compte de l'importateur. Parmi les clients, figurait la société ALTICE USA qui louait l'aéronef auprès de la société LUXAVIATION. Le contrat entre LUXAVIATION et MANJET fut résilié en date du 14 janvier 2022. Son effectivité fut donc d'environ deux mois.

La société appelante soutient que l'ordonnance de visite domiciliaire du 7 avril 2023 doit être annulée, d'une part parce que l'administration des douanes a présenté au juge des libertés et de la détention les faits de manière erronée en soutenant que la société MANJET aurait été le propriétaire de l'aéronef, alors qu'il n'en est rien. Afin de soutenir qu'elle n'est pas le propriétaire de l'aéronef, MANJET argue qu'elle a acquis un aéronef auprès de BOMBARDIER et qu'à ce stade elle est effectivement propriétaire d'un avion en construction, mais que peu après, elle fait financer au moyen d'un crédit-bail cet avion toujours en construction. Dans ce cadre, le contrat conclu avec BOMBARDIER est cédé au CREDIT SUISSE qui devient propriétaire de l'avion en construction (pièces n° 8 et 9). Dès cet instant MANJET n'est plus propriétaire de l'avion, toujours en construction. Une fois l'avion livré, MANJET le loue dans le cadre d'un contrat de leasing auprès de la banque CREDIT SUISSE qui est le seul propriétaire de l'aéronef le 1er décembre 2021. MANJET soutient donc qu'elle est crédit-preneur et utilisateur de l'aéronef et en a délégué l'exploitation à LUXAVIATION pour qu'il puisse être exploité commercialement.

L'administration des douanes rappelle en premier lieu que l'organisation de l'achat de l'aéronef par la société Manjet Aviation Limited est prévu par un contrat rédigé en langue anglaise et communiqué à l'appui de l'ordonnance en PJ n°15, comme mentionné ci-dessus. Par suite, il est affirmé qu'en annexant cette pièce à l'ordonnance attaquée, le juge a ainsi attesté de sa prise de connaissance de cet élément de procédure.

L'administration des douanes expose en second lieu que le contrat de vente de l'aéronef a été signé le 19 et le 20 septembre 2019 par les parties. Il est soutenu que pour alléguer d'une absence de propriété par Manjet Aviation Limited de l'aéronef, l'appelante présente +²un contrat de crédit-bail liant cette dernière à la banque Crédit Suisse (pièce n° 8 des appelants), qui est non-datée et non signée ; ce qui met en doute sa validité.

Il est encore soutenu que la visite domiciliaire est fondée sur les éléments en possession de l'administration à la date des faits et qu'il est donc vain pour l'appelante de produire des éléments a posteriori, dont l'administration n'était pas en possession, pour venir arguer d'une présentation déloyale de la situation de la société Manjet Aviation Limited vis-à-vis de l'aéronef. L'administration estime qu'il s'agit d'un nouvel artifice juridique déployé par cette société fin d'opacifier plus encore la gestion de l'aéronef [Immatriculation 10].

Il est donc argué que le juge des libertés et de la détention n'a pas manqué à son devoir de vigilance quant aux pièces qui lui ont été licitement soumises par les enquêteurs et sur lesquelles il a pu légitimement fonder son appréciation des faits en considérant que la société Manjet Aviation Limited était la propriétaire de l'aéronef [Immatriculation 10]. Enfin, l'administration fait valoir que, que la société Manjet Aviation Limited soit la propriétaire ou le crédit-preneur de l'aéronef importe peu, dès lors que, dans l'un ou l'autre de ces cadres juridiques la société Manjet Aviation Limited dispose de pouvoirs suffisamment étendus sur l'aéronef pour commettre l'infraction, ce qui est le cas en l'espèce.

Sur ce, le magistrat délégué :

Il ressort de la requête et de l'ordonnance que le contrat d'achat de l'aéronef mentionne la société MANJET AVIATION LIMITED comme propriétaire de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (pièce cotée C4 de la pièce jointe n° 14). En outre, un contrat de gestion et d'affrètement a été conclu entre les sociétés LUXAVIATION E.A. SA (ex. MASTERJET) et MANJET en le 19/11/2021 afin d'assurer l'exploitation de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (cf. pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16). Un seul type de prestation ' 8 150,00 EUR (huit mille cent cinquante euros) par heure de vol pour les vols d''Altice' ' est prévu par ce contrat sur la première page, dans la rubrique « Conditions particulières » (cf. pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16).

Au demeurant, la société MANJET admet qu'elle a bien acquis l'aéronef [Immatriculation 10] et que, par la suite, par l'effet du contrat de crédit-bail conclu avec le Crédit Suisse, elle est devenue crédit-preneur de ce même aéronef qu'elle a loué.

L'article 64 du code des douanes n'exige que de simples présomptions de la commission de fraude. La société MANJET ne saurait, par l'effet escompté du montage juridique dont elle se prévaut ayant abouti à l'importation de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 11] en franchise de TVA, opération à laquelle est a donc participé en tant qu'acquéreur puis de crédit-preneur, s'exonérer des présomptions qui pèsent sur elle à ces titres ; peu important qu'elle ne soit plus propriétaire de l'aéronef.

Le moyen sera rejeté.

Sur la prétendue absence de présomptions de fraude à l'encontre de la société MANJET :

La société MANJET AVIATION LIMITED soutient que l'administration n'apporte aucun élément concret, ni début de preuve permettant de laisser présumer que MANJET aurait commis une infraction de fausse déclaration en douane. Le juge des libertés et de la détention, en autorisant une telle visite, aurait donc commis une erreur manifeste d'interprétation sur les faits portés à sa connaissance par voie de requête. L'appelante soutient ainsi essentiellement qu'aucun élément rapporté dans l'ordonnance et concernant la société MANJET ne permet de justifier d'une quelconque présomption de fraude de sa part.

Sur les éléments constitutifs de l'infraction, l'appelante argue que :

- MANJET n'est pas l'auteur de l'infraction de fausse déclaration en douane, puisqu'elle n' a pas établi la déclaration en douane ;

- MANJET n'est pas complice de l'infraction, puisqu' elle n' est pas le donneur d' ordre du déclarant en douane, et il n'est pas établi par l'administration qu'elle aurait fourni des informations nécessaires pour l' établissement de la déclaration ;

- MANJET n'est même pas intéressée à la fraude, puisqu'elle n'est pas l'exploitante de l'aéronef. Elle ne tire aucun bénéfice de la fraude alléguée.

Il est soutenu que le régime d'exemption de TVA dont l' administration argue qu'il aurait fait l'objet d'une application frauduleuse est un régime d'exemption français du paiement de la TVA française. Ce régime d'exemption bénéficie donc en premier lieu à l' exploitant français. Or MANJET est une société établie au Royaume-Uni, qui n'a pas de lien avec le territoire français, et qui n'exploite pas l' aéronef.

Il est donc affirmé qu'il est impossible de savoir ce qui est reproché à la société MANJET; aucun fait précis n'étant cité par l'administration, qui permettrait ne serait-ce que de soupçonner MANJET d'avoir commis l'infraction susvisée.

L'administration des douanes rappelle qu'en application de l'article 64 du code des douanes, les infractions mentionnées dans l'ordonnance ne sont pas établies, mais simplement soupçonnées ; la visite domiciliaire étant un acte d'investigation destiné à rechercher les preuves d'infractions et les responsables desdites infractions. Il est ajouté qu'il n'existe aucun doute quant à l'infraction soupçonnée qui est celle prévue à l'alinéa 2 de l'article 414-2 du Code des douanes, reproduit en totalité dans l'ordonnance, en sa page 4.

Il est soutenu qu'il existe à l'endroit de la société Manjet Aviation Limited, des soupçons de commission de cette infraction. Pour l'administration des douanes ils reposeraient, outre le fait que le contrat d'achat de l'aéronef mentionne la société Manjet Aviation Limited comme propriétaire de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] (pièce cotée C4 de la pièce jointe n°14 de l'ordonnance), sur le fait que cette société apparaît également comme ayant souscrit un contrat de gestion et d'affrètement avec la société Luxaviation E.A. SA afin d'assurer l'exploitation de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10]. Ce contrat fixe les relations commerciales entre les deux sociétés au sujet de l'exploitation de l'aéronef [Immatriculation 10], et a permis à la société Luxaviation E.A. SA de réaliser les opérations d'importation de l'aéronef selon les instructions de la société Manjet Aviation Limited.

L'administration des douanes soutient que la société Manjet Aviation Limited, en tant que société-écran domiciliée dans un paradis fiscal, est une coquille vide. Pourtant, en tant qu'entité juridique, elle apparaît à de nombreuses reprises dans la procédure. Son rôle, ainsi que l'opacité qui règne autour de la gestion de l'aéronef [Immatriculation 10], transparaît dans les déclarations de la dirigeante de la société Luxaviation E.A. SA qui sont reproduites dans les écritures de la douanes.

L'administration estime qu'il y a lieu de soupçonner que les personnes qui dirigent la société Manjet Aviation Limited l'ont utilisée afin de communiquer des instructions à la société Luxaviation pour l'importation et la gestion de l'avion et que la société Manjet Aviation Limited n'a pas souhaité apparaître sur la déclaration d'importation, afin de préserver l'opacité du montage juridique et qu'elle a demandé à la société Luxaviation de se substituer à elle sur la déclaration d'importation.

Sur ce, le magistrat délégué :

Selon l'article 64 du code des douanes, le juge motive sa décision d'autorisation par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer, en l'espèce, l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. Il se prononce par une mention expresse sur la saisie de biens et avoirs pouvant provenir directement ou indirectement des délits dont la preuve est recherchée. Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite.

Il convient toutefois de rappeler que l'article 64 du code des douanes n'exige que de simples présomptions de la commission de fraude. Il convient en outre de rappeler, qu'à ce stade de l'enquête douanière, en application de ces mêmes dispositions, il n'y a pas lieu pour le juge des libertés et de la détention de déterminer si tous les éléments constitutifs des agissements recherchés étaient réunis mais, en l'espèce ce juge dans le cadre de ses attributions, ne devait rechercher que s'il existait des présomptions simples des agissements prohibés et recherchés.

C'est pas une appréciation pertinente de l'ensemble des pièces qui lui ont été soumises dans la requête et des motifs propres et appropriés que cette juridiction fait siens, que le juge des libertés et de la détention a considéré que des présomptions de commission des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée pesaient sur la société MANJET, soit qu'elle est susceptible d'être auteur, complice ou intéressée à la fraude de l'infraction douanière de fausse déclaration en douane, prévue et réprimée par l'article 414-2 du Code des douanes dans cette affaire.

En effet, outre tous les éléments de droit et de fait repris ci-dessus à l'ordonnance laissant présumer de l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée, s'agissant de la société MANJET, il convient de retenir en particulier ce qui suit qui corrobore l'existence des présomptions retenues à son encontre :

- Le contrat d'achat de l'aéronef immatriculé [Immatriculation 10] mentionne la société MANJET AVIATION LIMITED comme propriétaire de l'aéronef initialement (pièce cotée C4 de la pièce jointe n° 14) ;

- Cette société a conclu par la suite un contrat de gestion et d'affrètement avec la société LUXAVIATION E.A. SA (ex. MASTERJET) le 19/11/2021 afin d'assurer l'exploitation de cet aéronef (pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16) ; un seul type de prestation ' 8 150,00 EUR (huit mille cent cinquante euros) par heure de vol pour les vols d' 'Altice' étant prévu audit contrat à la rubrique "conditions particulières " (pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16).

À la suite des opérations d'achat de l'aéronef par MANJET, ce contrat, qui fixe les relations commerciales entre l'acquéreur initial de l'aéronef et l'importateur de celui-ci dans l'Union européenne, au sujet de l'exploitation de l'aéronef [Immatriculation 10], est au centre du montage juridique qui fait l'objet des investigations de la douane, encore une fois au stade préliminaire de recherche de preuves. Ce contrat a ainsi permis à la société Luxaviation E.A. SA de réaliser les opérations d'importation de l'aéronef selon les instructions de la société Manjet Aviation Limited.

En outre, le juge des libertés et de la détention a pu valablement déduire du fait de la présence de cette unique prestation sur le contrat, que tous les vols de l'aéronef [Immatriculation 10] sont des " vols Altice " (pièce cotée CII de la pièce jointe n° 15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16) ; même si le contrat conclu entre MASTERJET et MANJET a été rompu le 18/02/22 (pièce cotée C91 de la pièce jointe n° l 5) ;

Il est en outre indiqué que 7 des 11 " confirmations de vols " émis par LUXAVIATION sont envoyées à la société MANJET (pièce-jointe n° 18).

Enfin, contrairement à ce qui est prévu dans le contrat d'affrètement, l'aéronef [Immatriculation 10] n'a pas, pendant sa période de gestion par LUXAVlATlON seule pertinente pour l'enquête afin d'apprécier si les présomptions retenues par le juge à l'encontre de ces sociétés étaient fondées, fait l'objet d'une location à des tiers (pièce cotée CII de la pièce jointe n°15 et annexe 4 de la pièce jointe n° 16). Il n'est pas contesté que la société LUXAVIATION n'a jamais fourni au service enquêteur des factures ou quittances de loyer justifiant de la location effective de l'aéronef [Immatriculation 10] à des tiers, alors que seule MANJET apparaît sur des factures émises par LUXAVIATION (cf. pièce cotée C25 de la pièce jointe n°15 et pièce jointe n° 18).

Le moyen sera rejeté.

Il suit de ce qui précède que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de CRÉTEIL du 7 avril 2023 sera confirmée à l'égard de la société, ainsi que la validité des commissions rogatoires qui y sont attachées et des ordonnances d'extension de visite domiciliaires du 12 avril 2023 et des commissions rogatoires qui y sont attachées.

SUR LES DEPENS :

Selon l'article 367 du code des douanes, en matière douanière, en première instance et sur appel, l'instruction est verbale et sur simple mémoire et sans frais de justice à répéter de part ni d'autre.

Dès lors, il n'y aura pas lieu à dépens.

PAR CES MOTIFS :

Confirmons l'ordonnance rendue le 7 avril 2023 par le juge des libertés et de la détention près du tribunal judiciaire de CRÉTEIL, l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention près du tribunal judiciaire de CRÉTEIL délivrant une commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny pour contrôler les visites et saisies à effectuer dans le ressort de cette juridiction en application de la première ordonnance,

Confirmons les ordonnances rendues en date du 12 avril 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de CRÉTEIL étendant les opérations de visite domiciliaires comme suit :

- dans les locaux de la société UNIJET, située [Adresse 4] ;

- au Hangar de la société LUXAVIATION FRANCE, située [Adresse 4] ;

- au Hangar de la société LUXAVIATION FRANCE, située [Adresse 4] et qui délivrait commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny pour contrôler les visites et saisies à effectuer dans le ressort de cette juridiction en application de l'ordonnance du 7 avril 2023 précitée.

Déclarons régulières les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées le 12 avril 2023 dans les locaux de la société LUXAVIATION FRANCE situés [Adresse 4], tant les pièces à usage professionnel qu'à usage d'habitation, les caves, dépendances et annexes,

Disons n'y avoir lieu à dépens.

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

Olivier TELL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 23/07791
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;23.07791 ?
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