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12/06/2024 | FRANCE | N°22/09557

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 12 juin 2024, 22/09557


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 12 JUIN 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09557 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGV2B



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 septembre 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation de Paris - RG n° 17/08020, confirmé partiellement par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 28 janvier 2021 - RG 18/10758, cassé et annulé partiellement par

un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 26 octobre 2022.



DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION



Mo...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 12 JUIN 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09557 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGV2B

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 septembre 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation de Paris - RG n° 17/08020, confirmé partiellement par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 28 janvier 2021 - RG 18/10758, cassé et annulé partiellement par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 26 octobre 2022.

DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Monsieur [S] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 04 Juin 1950 à [Localité 5]

Représenté par Me Emmanuel JARRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209

DÉFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Societe nationale de radiodiffusion RADIO FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 326 09 4 4 71

Représentée par Me Frédéric SICARD de l'AARPI JASPER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Stéphane MEYER,

M. Fabrice MORILLO, Conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [S] [T] a travaillé en qualité de chroniqueur et journaliste pigiste pour la société nationale de radiodiffusion RADIO FRANCE, à partir du 16 décembre 1996.

Entre 1996 et 2006, il a travaillé en qualité de salarié aux termes de contrats à durée déterminée.

A compter de 2006, son statut a changé, car il est alors intervenu auprès de la radio d'une part, très ponctuellement en qualité de salarié sous contrat à durée déterminée, d'autre part, aux termes de plusieurs contrats d'auteur.

Par courrier du 20 mai 2011, la société RADIO France a fait savoir à Monsieur [T] qu'elle ne souhaitait pas poursuivre leur collaboration.

Le 7 mai 2015, Monsieur [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé des demandes afférentes à une requalification de ses contrats à durée déterminée et ses contrats d'auteur successifs en contrat de travail à durée indéterminée, ainsi qu'à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 5 septembre 2018, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Monsieur [T] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné au paiement des entiers dépens.

La cour d'appel de Paris saisie du recours de Monsieur [T] a, par arrêt en date du 28 janvier 2021 :

- infirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande pour travail dissimulé ;

- ordonné la requalification de la relation en contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée avec le statut de journaliste professionnel, à compter du 16 décembre 1996 ;

- dit que la rupture de la relation de travail le 20 mai 2011 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société RADIO FRANCE à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- indemnité de requalification 1.000 € ;

- indemnité de préavis : 1.170 € ;

- congés payés afférents : 170 € ;

- indemnité de licenciement 6.370 € ;

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 7.000 € ;

- frai de procédure : 2.000 € ;

- dit que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de sa décision ;

- ordonné le remboursement par la société aux organismes intéressés des éventuelles indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture du contrat au jour de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnité de chômage ;

- rejeté la demande de requalification des contrats d'auteur et les demandes de dommages et intérêts pour discrimination et pour préjudice moral et d'image ;

- dit que la société RADIO FRANCE devra régulariser la situation de Monsieur [T] auprès des organismes sociaux auxquels sont rattachés les journalistes, à compter du 16 décembre 1996 ;

- condamné la société RADIO FRANCE à remettre les documents de fin de contrat (certificat de travail attestation Pôle emploi et reçu pour solde de tout compte) et un bulletin de paie récapitulatif, conformes à la décision dans un délai deux mois à compter de la notification de la décision.

Monsieur [T] a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par un arrêt du 26 octobre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de requalification des contrats d'auteur et la demande au titre du travail dissimulé, et en ce qu'il a limité la condamnation de la société RADIO FRANCE à payer à Monsieur [T] les sommes de 1.170 € brut à titre d'indemnité de préavis, 117 € au titre des congés payés afférents, 6.370 € à titre d'indemnité de licenciement et 7.000 € à tire de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a retenu au visa de l'article L. 7112-1 du code du travail, sur le premier moyen relatif à la requalification des contrats d'auteur :

" (') Pour débouter M. [T] de sa demande en requalification des contrats d'auteur en contrat de travail à durée indéterminée, l'arrêt retient que ces contrats, qui mentionnaient l'objet de la commande " documentaire radiophonique " sur un artiste ou un thème et le format (nombre d'épisodes, leur durée) précisaient seulement la date limite de remise du texte et ne peuvent être assimilés à un contrat de travail, " l'auteur " restant libre dans la réalisation de la commande et non soumis à un lien de subordination vis à vis de la société.

En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser en quoi, M. [T], à qui elle avait reconnu la qualité de journaliste professionnel, en sorte qu'il incombait à la société à laquelle il apportait sa collaboration de renverser la présomption de salariat qui s'y attachait, jouissait d'une totale liberté et indépendance dans la réalisation des documentaires radiophoniques dont elle avait relevé qu'il n'avait pas pris l'initiative et n'avait choisi ni le thème ni le format ni la date de remise, n'a pas donné de base légale à sa décision. "

Elle a ensuite jugé que la cassation prononcée sur le premier moyen entraînait, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif s'y rattachant par un lien nécessaire.

La cour d'appel de Paris, cour de renvoi, a été saisie par Monsieur [T] le 17 novembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 mars 2024, Monsieur [T] demande à la cour de :

- Le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;

- Infirmer le jugement entrepris ;

Vu l'arrêt de cassation partielle du 26 octobre 2022,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté Monsieur [T] de sa demande de requalification des contrats d'auteur sur la période de septembre 2006 à mai 2011 en contrat de travail salarié à durée indéterminée ;

- rejeté la demande de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Ordonner la requalification des contrats d'auteur sur la période de septembre 2006 à mai 2011 en contrat de travail salarié à durée indéterminée,

En conséquence,

- Condamner la société RADIO FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

A titre principal :

- indemnité de préavis : 26.436,84 €,

- congés payés afférents : 2.643,68 €,

- indemnité de licenciement : 127.778,06 €,

- indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 52.873,68 €,

A titre subsidiaire :

- indemnité de préavis : 5.744,61 €,

- congés payés afférents : 574,46 €,

- indemnité de licenciement : 27.765,61 €,

- indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 11.489,22 €,

En tout état de cause :

- Condamner la société RADIO FRANCE à lui verser les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle : 300.000 €,

frais de procédure : 2.000 €,

- Débouter la société RADIO FRANCE de l'ensemble de ses demandes,

- Rappeler que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 mars 2024, la société RADIO FRANCE demande à la cour de :

- Juger irrecevables les demandes de Monsieur [T] :

- au titre de l'indemnité pour travail dissimulé ;

- aux fins de voir fixer une ancienneté professionnelle de 34 années et une ancienneté d'entreprise de 14 ans et 6 mois ;

- aux fins de voir rappeler que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation avec les créances indemnitaires sont productifs d'intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

- au titre des dépens exposés en première instance et devant la Cour de cassation ;

Pour le surplus :

- Réformer le jugement entrepris,

- Débouter Monsieur [T] de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner Monsieur [T] aux entiers dépens de la présente instance ;

Subsidiairement :

- Fixer ses créances à 3.007,50 € au titre du préavis, 300,75 € au titre des congés payés afférents au préavis, 27.765,61 € au titre de l'indemnité conventionnelle, 7.000 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse et en aucun cas plus de 6.015 € au titre de l'indemnité pour travail dissimulé, Monsieur [T] étant débouté du surplus,

Très subsidiairement :

- Fixer ses créances à 4.645,29 € au titre du préavis, 464,52 € au titre des congés payés afférents au préavis, 27.765,61 € au titre de l'indemnité conventionnelle, 9.290,58 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse et en aucun cas plus de 9.290,58 € au titre de l'indemnité pour travail dissimulé, Monsieur [T] étant débouté du surplus.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 avril 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur le cadre de la saisine de la cour de renvoi

La société RADIO FRANCE fait valoir que la cour de renvoi n'est pas saisie des demandes de Monsieur [T] relatives à l'indemnité pour travail dissimulé, l'ancienneté, les intérêts au taux légal et les dépens exposés en première instance, devant la première cour d'appel et devant la Cour de cassation. Elle sollicite de voir juger en conséquence ces demandes irrecevables.

- Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé :

La société RADIO FRANCE expose que Monsieur [T] n'a conclu à titre liminaire et principal qu'à l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande de requalification des contrats d'auteur, et que ce n'est que dans ses conclusions du 1er mars 2024, plus d'un an après ses premières conclusions, qu'il a ajouté une demande tendant à infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande au titre du travail dissimulé. Il considère donc que la cour n'a pas été saisie de la demande à ce titre.

La cour relève toutefois que dans l'acte de saisine de la cour de renvoi du 17 novembre 2022, Monsieur [T] vise expressément les chefs de jugement du conseil de prud'hommes dont il demande l'infirmation, à savoir " déboute Monsieur [S] [T] de l'ensemble de ses demandes et le condamne aux entiers dépens ". Or parmi ces demandes dont il a été débouté figure la demande au titre du travail dissimulé. La cour de renvoi est donc valablement saisie de cette demande, visée dans l'acte saisine et objet de la cassation.

- Sur la demande de reconnaissance d'ancienneté professionnelle :

La société RADIO FRANCE fait valoir que la demande de Monsieur [T] relative à son ancienneté ne se trouve pas dans le champ de la cassation, et qu'il a été définitivement jugé que l'ancienneté remonte à 14 ans et 6 mois, ce qui résulte du dispositif de l'arrêt du 28 janvier 2021 en sa partie du dispositif qui n'a pas été affectée par la cassation.

Monsieur [T] n'ayant pas formé de demande relative à l'ancienneté devant la cour d'appel de renvoi, la demande d'irrecevabilité est en conséquence sans objet. Il n'évoque en effet son ancienneté qu'à titre de moyen dans le cadre de ses développements relatifs à ses demandes indemnitaires, et la fixe à 14 ans et demi.

- Sur la demande de rappel du cours des intérêts

La société RADIO FRANCE fait valoir que cette demande a déjà été satisfaite et fait partie du dispositif de l'arrêt du 28 janvier 2021 en sa partie qui n'a pas été affectée par la cassation.

Cette demande peut être formée en tout état de cause lorsqu'elle est relative à la condamnation au paiement d'une somme d'argent, laquelle est susceptible d'être prononcée devant la présente cour. La cour en est en conséquence valablement saisie.

- Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

La société RADIO FRANCE indique que la demande de condamnation au paiement de la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel a déjà été traitée pour ce qui concerne la procédure de première instance, la première procédure d'appel et la procédure devant la Cour de cassation.

La cour relève toutefois que Monsieur [T] forme dans le dispositif de ses écritures une demande au titre des frais de procédure, sans indiquer qu'il s'agirait des frais de première instance, première procédure d'appel et cassation. Sa demande doit donc être réputée formée uniquement relativement aux frais de procédure engagés devant la présente cour de renvoi. La cour en est en conséquence valablement saisie.

Sur la demande de requalification des contrats d'auteur sur la période de septembre 2006 à mai 2011 en contrat de travail salarié à durée indéterminée

En vertu de l'article L7112-1 du code de travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.

Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.

La cour d'appel de Paris dans son arrêt du 28 janvier 2021 a jugé que Monsieur [T] avait la qualité de journaliste à compter du 16 décembre 1996, au titre des contrats à durée déterminée successifs qui se sont poursuivis jusqu'au 20 mai 2011. Elle a requalifié ces contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée.

S'agissant des contrats d'auteur signés entre Monsieur [T] et la société RADIO FRANCE entre 2006 et 2011, celui-ci bénéficiait d'une présomption de salariat en application de l'article L7112-1 du code de travail dans la mesure où ces contrats lui procuraient une rémunération, étaient établis avec une entreprise de presse, et où l'arrêt du 28 janvier 2021 lui a reconnu par ailleurs la qualité de journaliste sur cette période en vertu des contrats à durée déterminée conclus parallèlement.

Pour renverser cette présomption de salariat, la société RADIO FRANCE fait valoir qu'à compter de 2006, il résulte des contrats d'auteur qu'il n'a pas effectué un travail de journaliste salarié mais qu'il a répondu à la commande d''uvres qu'il avait toute liberté de créer. Il concevait et écrivait des documentaires radiophoniques, sans directives, instructions ou ordre, et sans aucune surveillance, demande de rendre des comptes ou possibilité de sanction.

La cour relève que les contrats d'auteur mentionnaient l'objet de la commande "documentaire radiophonique" sur un thème, le format (nombre d'épisodes, leur durée) et précisaient la date limite de remise du texte.

Si Monsieur [T] avait dans le cadre de l'exercice de ces contrats une liberté créative quant au contenu des épisodes, lequel n'était pas défini, force est de constater que :

- le thème était défini,

- le format des épisodes était défini, d'une durée de deux minutes, ce qui s'apparentait à une chronique telle que pratiquée auparavant par Monsieur [T] en qualité de salarié sous contrat à durée déterminée,

- la date limite de remise était définie,

- le contenu des documentaires pouvait être refusé par la société RADIO France, ce qui suppose un contrôle de sa part, dans la mesure où il était précisé au contrat qu'au cas où son texte ne serait pas accepté, les sommes versées resteraient acquises.

Par ailleurs, parallèlement aux contrats d'auteur étaient conclus des contrats à durée déterminée de salarié pour l'enregistrement des épisodes écrits en qualité d'auteur. Ainsi, pour la série " ces années là ", Monsieur [T] écrivait le texte en qualité d'auteur et l'enregistrait en vue de sa diffusion en qualité de salarié.

Il résulte de ces différents éléments qu'à compter de 2006, Monsieur [T] a en réalité continué d'exercer la même activité que celle exercée auparavant en qualité de journaliste chroniqueur salarié, sous le contrôle de son employeur qui en supervisait l'enregistrement et pouvait en contrôler le contenu.

La société RADIO France échoue donc à renverser la présomption de salariat de Monsieur [T], et l'ensemble des contrats d'auteur conclus par celui-ci entre 2006 et 2011 seront donc requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera en conséquence infirmé sur ce point, et la requalification des contrats d'auteur sera prononcée.

Sur les conséquences indemnitaires de la requalification des contrats d'auteur

La fin de la relation contractuelle dans le cadre des contrats d'auteur requalifiés s'assimile à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Sur la détermination du salaire de référence

Monsieur [T] soutient à titre principal que doivent être inclus dans la rémunération à prendre en compte pour le calcul indemnitaire les douze derniers mois de sa rémunération précédant son licenciement, laquelle comprend les sommes perçues au titre des primes d'inédit et au titre des droits d'auteur.

Toutefois, seules peuvent être retenues pour calculer les conséquences indemnitaires du licenciement les sommes versées à titre de rémunération pour le travail réalisé en qualité de salarié. Ainsi s'agissant des contrats d'auteur de Monsieur [T], seules les sommes versées au titre des " primes d'inédit ", qui viennent rémunérer son travail d'élaboration de la chronique, doivent être assimilées à un salaire. Les sommes versées par la SCAM (société civile des auteurs multimédias) au titre des droits d'auteur à raison des diffusions et rediffusions radiophoniques ne peuvent pas être assimilées à des salaires et ne doivent pas être prises en considération pour le calcul indemnitaire consécutif au licenciement.

En conséquence, le salaire de référence à prendre en considération est ainsi calculé :

18.748,50 € au titre des primes d'inédit perçus dans la cadre des contrats d'auteurs requalifiés + 4.230 € perçus dans le cadre des contrats à durée déterminée requalifiés = 22.978,50 / 12 = 1.914,87 €.

- Sur l'indemnité de préavis

Monsieur [T] est fondé à invoquer le bénéfice d'un préavis de trois mois en vertu de l'article 42 de la convention collective des journalistes, soit la somme de 5.744,61 € (1.914,87 x 3) et 574,46 € au titre des congés payés afférents.

-Sur l'indemnité de licenciement

Conformément à l'article 40 de la convention collective des journalistes alors applicable, en dessous de 15 ans d'ancienneté, la référence conventionnelle est d'un mois par année.

En conséquence, il y a lieu d'allouer à Monsieur [T] la somme de 27.765,61 € (1.914,87 x 14,5 mois) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.

- Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

La société RADIO FRANCE comptant plus de dix salariés, Monsieur [T], qui avait plus de deux ans d'ancienneté, a droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable au litige, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

Au moment de la rupture, Monsieur [T], âgé de 60 ans, comptait 14,5 ans d'ancienneté. Il ne justifie pas de sa situation postérieurement à la rupture des relations contractuelles. Il a de nouveau travaillé pour la société RADIO France en 2014 en qualité de producteur de programme.

Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d'évaluer son préjudice à 20.000 €.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera en conséquence infirmé sur ces différents points, et l'employeur condamné à verser les sommes ci-dessus à Monsieur [T].

Sur la demande au titre du travail dissimulé

Il résulte des dispositions de l'articles L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Aux termes de l'article L8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent que la société RADIO France a artificiellement modifié en 2006 le cadre contractuel dans lequel Monsieur [T] exerçait son activité de journaliste salarié depuis 1996, en lui faisant signer d'une part des contrats d'auteur portant sur le contenu de ses chroniques, et d'autre part des contrats de salarié pour l'enregistrement de celles-ci, alors que ses fonctions s'exerçaient en réalité en continuité sur l'ensemble de sa période d'emploi. Ce faisant, elle s'est soustraite à ses obligations d'employeur concernant la rémunération accordée au titre des contrats d'auteur, qui sont requalifiés par le présent arrêt en contrat de travail.

La modification artificielle de cadre contractuel en 2006 a nécessairement été opérée de façon intentionnelle au regard de son contexte, ce qui caractérise le travail dissimulé.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté Monsieur [T] des demandes formulées à ce titre, et statuant de nouveau, de condamner la société RADIO France à lui verser la somme de 11.489,22 € (1.914,87 x 6) à ce titre.

Sur les intérêts

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du même code.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de condamner la société RADIO FRANCE aux dépens de la procédure devant la cour d'appel de renvoi, ainsi qu'à verser à Monsieur [T] la somme de 3.000 € au titre des frais de procédure engagés dans le cadre de la procédure devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant sur renvoi après cassation, par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

SE DÉCLARE valablement saisie de l'ensemble des demandes de Monsieur [T],

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [T] :

- de sa demande de requalification de ses contrats d'auteur en contrat de travail,

- de ses demandes d'indemnité de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité pour travail dissimulé, et de frais de procédure,

Statuant de nouveau,

ORDONNE la requalification des contrats d'auteur sur la période de septembre 2006 à mai 2011 en contrat de travail salarié à durée indéterminée,

CONDAMNE la société RADIO France à verser à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- indemnité de préavis : 5.744,61 €,

- congés payés afférents : 574,46 €,

- indemnité de licenciement : 27.765,61 €,

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20.000 €,

- indemnité pour travail dissimulé : 11.489,22 €,

- frais de procédure : 3.000 €,

CONDAMNE la société RADIO FRANCE aux dépens de la procédure devant la cour d'appel de renvoi,

DIT que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 22/09557
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;22.09557 ?
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