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12/06/2024 | FRANCE | N°21/09034

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 12 juin 2024, 21/09034


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 12 JUIN 2024



(n°2024/ , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09034 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESSU



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Septembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 20/00401



APPELANTE



S.N.C. ETABLISSEMENTS REYNAUD

prise en

la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM'S AVOCATS, avocat a...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 12 JUIN 2024

(n°2024/ , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09034 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESSU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Septembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 20/00401

APPELANTE

S.N.C. ETABLISSEMENTS REYNAUD

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM'S AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R110

INTIME

Monsieur [P] [T]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Sabine SULTAN DANINO, avocat au barreau de PARIS, toque : B0488

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Stéphane THERME, conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation,

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Figen HOKE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Philippine QUIL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

La société Reynaud a engagé M. [P] [T] par contrat de travail à durée déterminée à compter du 5 janvier 2004 aux fonctions d'opérateur de saisie. Un contrat de travail à durée indéterminée a été conclu le 31 mai 2006 avec la société PRF en qualité d'attaché commercial.

M. [T] est devenu chef de zone export, statut cadre.

Un contrat de travail à durée indéterminée a été signé par M. [T] avec la société Etablissements Reynaud le 1er septembre 2014, en conséquence de la cessation de la location gérance du fonds de commerce consenti à la société PRF.

La société Etablissements Reynaud exerce une activité de commerce de gros de poissons et produits de la mer.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective de la Poissonnerie.

La société Etablissements Reynaud occupait à titre habituel plus de onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par lettre notifiée le 24 juin 2019, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé au 1er juillet 2019.

M. [T] a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre notifiée le 17 juillet 2019.

Le 15 mai 2020, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil pour contester le licenciement et former des demandes de rappels de salaires et de dommages-intérêts. En dernier lieu il a formé les demandes suivantes :

'Condamner en conséquence la société Etablissements Reynaud, au versement des sommes suivantes :

-Primes au titre des trois dernières années : 2019, 2018, 2017 soit 12.817,59€ sous astreinte de 15 euros par jour de retard, dans les 48 heures suivant la décision

-Salaire de mai 2019 4.272,53€

-Congés payés afférant au salaire de mai 2019 427,25€

-Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (art L122-14-1 CT) barème 13 mois de salaire 55.542,89 €

-Dommages et intérêts en raison du caractère brutal et vexatoire du licenciement 12.817,00€

-Dommages et intérêts pour privation de la formation qui aurait permis son reclassement 12 817€

-Dommages et intérêts pour l'exécution déloyale de ses obligations par l'employeur, sur le fondement des articles 1134 du Code Civil et L1222-1 du Code du Travail 12.817,00€

- Article 700 code de procédure civile 3.000,00€.'

Par jugement du 30 septembre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :

«Fixe le salaire mensuel de Monsieur [P] [T] à la somme de 4.272,53 euros.

Dit le licenciement de Monsieur [P] [T] sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la S .N. C. ETABLISSEMENTS REYNAUD à payer à Monsieur [P] [T] les sommes suivantes :

- 34.180,24 € (8 mois de salaire à 4.272,53 euros) au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- 12.817,59 € au titre des primes des trois dernières années ( 2019,2018, 2017), ce sous astreinte de 15 euros par jour de retard, dans le mois suivant la décision ;

- 1.300,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Ordonne à la S.N.C. ETABLISSEMENTS REYNAUD de remettre à Monsieur [P] [T] les documents de fin de contrat conformes à la décision rendue.

Condamne la S.N.C. ETABLISSEMENTS REYNAUD à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Ordonne l'application des intérêts au taux légal en application de l'article 1231-7 du Code Civil pour la condamnation à intervenir.

Ordonne la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code Civil.

Déboute Monsieur [P] [T] de ses autres demandes.

Déboute la S.N.C. ETABLISSEMENTS REYNAUD de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.»

La société Etablissements Reynaud a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 2 Novembre 2021.

La constitution d'intimée de M. [T] a été transmise par voie électronique le 15 novembre 2021.

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 18 juin 2022, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, la société Etablissements Reynaud demande à la cour de :

'- INFIRMER le jugement rendu entre les parties le 30 septembre 2021 par le Conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il a :

- fixé le salaire mensuel de Monsieur [T] à la somme de 4.272,53 €,

- dit le licenciement de Monsieur [T] sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- 34.180,24 € (8 mois de salaire à 4.272,53 €) au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 12.817,59 € au titre des primes des trois dernières années (2019, 2018, 2017), ce sous astreinte de 15 € par jour de retard dans le mois suivant la décision,

- 4.272,53 € au titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

- 1.300,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné à la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD de remettre à Monsieur [T] les documents de fin de contrat conformes à la décision rendue,

- condamné la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage,

- ordonné l'application des intérêts au taux légal en application de l'article 1231-7 du Code civil pour la condamnation à intervenir,

- ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code civil,

- débouté la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

Statuant à nouveau dans cette limite,

- DIRE et JUGER Monsieur [T] non fondé en l'intégralité de ses demandes ;

- En conséquence, l'en DEBOUTER ;

- FAIRE DROIT à la demande reconventionnelle de la société REYNAUD SNC ;

- En conséquence, CONDAMNER Monsieur [T] à lui verser la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- Le CONDAMNER aux entiers dépens,

Y ajoutant,

- DIRE et JUGER que l'appel incident tel régularisé par Monsieur [T] n'a pas été valablement formé et qu'en conséquence la Cour n'en est pas saisie faute d'effet dévolutif dudit appel incident ;

-CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [P] [T] de ses autres demandes.'

Par ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 06 avril 2022, auxquelles la cour se réfère expressément pour l'exposé des moyens, M. [T] demande à la cour de :

«Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Créteil en ce qu'il a :

- Dit le licenciement sans causes réelles ni sérieuses,

- Dit le licenciement brutal et vexatoire,

- Condamné la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD au règlement de la somme de 12.817,59 € au titre des primes des trois dernières années (2019, 2018, 2017), ce sous astreinte de 15 € par jour de retard dans le mois suivant la décision,

- Ordonné à la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD de remettre à Monsieur [T] les documents de fin de contrat conformes à la décision rendue,

- Condamné la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnités de chômage,

- Ordonné l'application des intérêts au taux légal en application de l'article 1231-7 du Code civil pour la condamnation à intervenir,

- Ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du Code civil,

- Débouté la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

' Voir dire que Mr [T] aurait dû percevoir ses primes sur objectifs de 8160,00€ bruts par an à 100% de performance, dont les principaux critères de mesure de performance étaient censés lui être communiqués chaque année

' Voir dire que Mr [T] ces critères de mesure ne lui ont pas été communiqués

' Voir dire que Mr [T] a travaillé au mois de mai 2019 durant ses congés

' Voir dire que le licenciement intervenu est sans cause réelle ni sérieuse

' Voir dire que le licenciement est intervenu dans des conditions brutales et vexatoires

' Voir Dire qu'il serait particulièrement inéquitable de laisser à Mr [T] la charge des frais irrépétibles qu'il a dû engager pour la défense légitime de ses intérêts.

Débouter la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD de toutes ses demandes

Condamner la SNC ETABLISSEMENTS REYNAUD à payer à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 55.542,89 €

- Dommages-intérêts pour caractère brutal et vexatoire du licenciement 12.817,00€

- Dommages-intérêts pour privation de formation 12.817,00 €

- Dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail 12.817,00 €

- Article 700 du Code de Procédure Civile 3.000,00 €

- Ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir en application de l'article 515 du Code de Procédure Civile

- Assortir la condamnation à intervenir des intérêts au taux légal en application de l'article 1153-1 du Code Civil

- Prononcer la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code Civil

- Condamner l'appelante aux entiers dépens »

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 27 février 2024.

L'affaire a été appelée à l'audience du 29 avril 2024.

MOTIFS,

Sur l'appel incident

L'appelant fait valoir que l'appel incident de l'intimé n'est pas conforme, pour ne pas comporter de demande d'infirmation ou de réformation du jugement dans le dispositif de ses conclusions.

Aux termes de l'article 542 du code de procédure civile "l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel".

Aux termes de l'article 954 du code de procédure civile 'Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées.

La partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

La partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs'.

M. [T] ne demandant pas la réformation ou l'infirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes aux termes du dispositif de ses dernières conclusions, demande qui doit être expresse et qui ne peut être implicite, il ne peut pas formuler à hauteur d'appel des demandes dont il avait été débouté, ni demander un montant plus important que celui qui lui avait été alloué en première instance. La cour n'est pas saisie de ces demandes.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fige l'objet du litige, reproche en substance à M. [T] :

- une chute du chiffre d'affaires du service Grand Export pendant quatre années, malgré les moyens octroyés,

- l'absence de mise en oeuvre de propositions du plan d'actions,

- de ne pas avoir proposé de plan acceptable pour améliorer la situation.

La société Etablissements Reynaud produit un document 'Etat des lieux Export', non daté, qui comprend différents indicateurs économiques, dont l'évolution du chiffre d'affaires de 2013 à 2016, ainsi que des perspectives d'évolution.

Une plaquette 'Odyssée 2023", datée du 18 mai 2018, présente les bases d'une réorganisation de l'entreprise. Une note du 28 juin 2018 'Projet Odyssée 2023 relance du grand export' détaille des modalités de restructuration de l'activité pour dynamiser ce secteur.

Un premier document de présentation des orientations du service grand export a été établi le 24 janvier 2019, prévoyant une évolution à 2023, puis un second document le 19 février 2019 prévoyant une évolution en cours d'année.

L'auteur de ces documents n'est pas déterminé.

Un graphique indique une dégradation du chiffre d'affaires, entre 2014 et 2019, de 3 962 000 euros à 1 459 000 euros. Cette évolution n'est pas contestée par l'intimé. L'origine principale de cette évolution, indiquée dans ces documents, est l'embargo décidé par la Russie alors que cette région était auparavant une zone importante, et le contexte mondial.

M. [T] fait justement valoir que les résultats économiques des salariés en charge d'autres secteurs de la société ne sont pas justifiés par l'employeur, ce qui ne permet pas de comparaison avec eux.

La société Etablissements Reynaud produit les évaluations des années 2014 et 2015 de M. [T]. La dernière indique des performances correspondant seulement à une partie des attentes ; le salarié y a souligné les difficultés liées au contexte mondial. L'employeur ne produit pas d'entretien pour les années suivantes.

La fiche de poste de M. [T] n'est pas versée aux débats et le contrat de travail ne précise pas ses attributions. Aucun organigramme n'est produit, ce qui aurait permis d'apprécier le positionnement du salarié dans l'entreprise et ses responsabilités.

L'imputabilité à M. [T] de la dégradation du chiffre d'affaires ne résulte pas des éléments produits.

M. [T] produit de nombreux mails, entre 2015 et fin 2018, dans lesquels il alerte ses responsables sur la nécessité de réorganiser l'activité, de mettre en lien les secteurs d'activité de l'entreprise afin de permettre une meilleure qualité de service. Il y signale la perte de clients non satisfaits, en raison des défaillances dans l'expédition, et suggère des évolutions dans les modalités de l'activité à l'étranger.

Il ne résulte pas des éléments versés aux débats que l'employeur a favorablement donné suite à ces demandes. La société Etablissements Reynaud produit un accord ponctuel sur la modification de la situation d'un collaborateur, et justifie avoir exposé des frais de déplacement de M. [T] à l'étranger, sans que cela ne corresponde aux demandes faites par la salarié.

Comme le soutient M. [T], son supérieur hiérarchique a régulièrement changé entre 2014 et 2019, ce qui résulte des nombreux interlocuteurs successifs auxquels il a rendu compte. Un échange de mails confirme qu'en 2017 l'identité de son supérieur était incertaine, ainsi que le périmètre d'intervention de la personne supposée avoir repris le domaine d'activité de l'export.

Plusieurs salariés de l'entreprise attestent que pendant plusieurs années la direction se désintéressait de l'export et n'y allouait pas de moyen alors que des investissements et modifications étaient nécessaires pour son développement. Ils précisent qu'aucune suite n'a été donnée aux propositions qui avaient été faites par M. [T] et que son rôle n'était pas facilité par les changements successifs de supérieur, qui ne maîtrisaient pas son domaine d'activité.

Ces éléments contredisent le grief de l'absence de mise en oeuvre par M. [T] d'un plan d'action qui lui aurait été demandé.

Il résulte des éléments produits qu'une ré-organisation de l'activité de l'entreprise était envisagée, à mettre en oeuvre sur plusieurs années, projet auquel M. [T] a participé.

Dans un mail adressé par M. [T] à sa responsable le 11 décembre 2018, M. [T] lui a indiqué qu'à la suite d'une entrevue qui venait d'avoir lieu il était intéressé par le projet du grand export et se positionnait pour le diriger. Il n'a pas obtenu de réponse à cette demande.

Il résulte d'un mail du 27 février 2019 qu'il a été demandé à M. [T] de solder ses congés au plus tard le 31 mai 2019, au total 51 jours, ce qui a entraîné des congés jusqu'au 03 juin 2019. Une modification majeure de l'activité de son service est intervenue, avec une bascule des clients sur d'autres unités de l'entreprise. Le 24 juin M. [T] a été convoqué à l'entretien préalable au licenciement.

Il résulte des éléments produits par l'une et l'autre des parties que les motifs du licenciement n'étaient pas réels, ni sérieux.

Le conseil de prud'hommes qui a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse sera confirmé de ce chef.

Sur le rappel de primes

M. [T] demande un rappel de primes pour les années 2017, 2018 et 2019.

Le contrat de travail prévoit une 'prime sur objectifs de 8 160 euros bruts par an à 100% de performance, dont les principaux critères de mesure de performance lui seront communiqués chaque année. La période de référence est fixée du 1er mai de chaque année au 30 avril de l'année suivante. Le paiement de cette prime brute annuelle sur objectifs s'effectuera, chaque année, dans les 90 jours suivant l'expiration de cette période.'

Il incombe à l'employeur de justifier que les objectifs ont été communiqués au salarié en début de période et de produire les éléments permettant d'apprécier leur atteinte, ou non, par le salarié.

La société Etablissements Reynaud indique que M. [T] n'a pas contesté avoir reçu les objectifs, sans apporter la preuve de la communication de ceux-ci au salarié pour les années en cause. Au contraire, dans un mail 10 janvier 2018 M. [T] indique ' à ce jour nos objectifs/primes sont au point mort', ce qui indique une absence de diligence de l'employeur.

Les comptes rendus d'évaluation 2014 et 2015 comportaient la fixation des objectifs pour l'année à venir, des éléments d'appréciation de l'année écoulée et le calcul des sommes devant être versées. Ces documents ne sont pas produits pour les années postérieures.

Les bulletins de salaire produits ne mentionnent pas le versement de primes d'objectifs.

L'employeur doit ainsi être condamné au paiement des primes pour les années 2017 à 2019, la somme n'étant pas contestée. Le jugement sera confirmé de ce chef de condamnation, sauf à l'infirmer sur l'astreinte l'assortissant, qui n'est pas nécessaire.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'ancienneté de M. [T] ayant été reprise au 1er octobre 2004, ce qui est indiqué sur les bulletins de paie, son ancienneté était de plus de quatorze années au moment du licenciement. L'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être comprise entre trois et douze mois. Le salaire mensuel de M. [T], hors prime, était de 4 120 euros.

Compte tenu de ces éléments, du parcours de M. [T] et des conditions de la rupture, le premier juge a exactement évalué le montant de l'indemnité allouée à la société Etablissements Reynaud et sera confirmé de ce chef.

Le remboursement par la société Etablissements Reynaud des sommes versées à M. [T] par Pôle emploi, ordonné par le conseil de prud'hommes en application de l'article L.1235-4, sera également confirmé.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement dans des conditions brutales et vexatoires

Le seul fait d'avoir été dispensé d'activité par l'employeur ne constitue pas des conditions brutales et vexatoires imputables à l'employeur.

En l'absence d'autre élément M. [T] doit être débouté de sa demande.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la remise de documents de fin de contrat

Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a ordonné à la société Etablissements Reynaud de remettre à M. [T] des documents de fin de contrat conformes à la décision.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les dommages et intérêts à compter du jugement du conseil de prud'hommes pour le montant qui avait été alloué.

La capitalisation des intérêts, ordonnée par le conseil de prud'hommes, sera confirmée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Etablissements Reynaud qui succombe au principal supportera les dépens et la charge de ses frais irrépétibles et sera condamnée à verser à M. [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Constate qu'elle n'est pas saisie d'un appel incident de M. [T] concernant le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le rappel de salaire du mois de mai 2019, les demandes de dommages-intérêts pour privation de formation et pour exécution déloyale du contrat de travail,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes, sauf en ce qu'il a prononcé une astreinte assortissant la condamnation au rappel de primes sur objectifs et a condamné la société Etablissements Reynaud à payer à M. [T] la somme de 12 817 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dans des conditions brutales et vexatoires,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

Déboute M. [T] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement dans des conditions brutales et vexatoires,

Dit que les créances salariales sont assorties d'intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les dommages-intérêts alloués à compter du jugement du conseil de prud'hommes, avec capitalisation des intérêts selon les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne la société Etablissements Reynaud aux dépens,

Condamne la société Etablissements Reynaud à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/09034
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;21.09034 ?
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