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07/06/2024 | FRANCE | N°23/08597

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 6, 07 juin 2024, 23/08597


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 6



ARRET DU 7 JUIN 2024



(n° /2024, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/08597 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHTIV



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 avril 2023 - Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS RG n° 21/10890





APPELANTE



Société HELVETIA COMPAGNIE SUISSE D'ASSURANCES société anonyme de dr

oit suisse, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité en son établissement en France

[Adresse 2]

[Localité 8]



Représentée par Me Benjamin MOISAN d...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 6

ARRET DU 7 JUIN 2024

(n° /2024, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/08597 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHTIV

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 avril 2023 - Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS RG n° 21/10890

APPELANTE

Société HELVETIA COMPAGNIE SUISSE D'ASSURANCES société anonyme de droit suisse, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité en son établissement en France

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Ayant pour avocat plaidant à l'audience Me Pauline ARROYO, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

S.A. LACLIDE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Ayant pour avocat plaidant Me Delphine ABERLEN, avocat au barreau de PARIS, substituée à l'audience par Me Marine GUIVARC'H, avocat au barreau de PARIS

SMABTP société d'assurance mutuelle, en sa qualité d'assureur de la société LACLIDE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 9]

[Localité 7]

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Ayant pour avocat plaidant Me Delphine ABERLEN, avocat au barreau de PARIS, substituée à l'audience par Me Marine GUIVARC'H, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [R] [J] entrepreneur individuel exerçant sous l'enseigne NGS NETTOYAGE, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

S.A. ABEILLE IARD & SANTE anciennement dénommée AVIVA ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 1]

[Localité 10]

Représentée par Me Caroline HATET-SAUVAL de la SELARL CAROLINE HATET AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

Ayant pour avocat plaidant à l'audience Me Myriam HOUFANI, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente

Mme Laura TARDY, conseillère

Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Laura TARDY dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Manon CARON

ARRET :

- contradictoire.

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Valérie GUILLAUDIER, conseillère faisant fonction de présidente et par Céline RICHARD, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société [Adresse 11], exploitant un domaine viticole à [Localité 12] (33), a entrepris en mai 2018 des travaux de construction d'un bâtiment destiné à accueillir un restaurant, une boutique et des bureaux ainsi que des travaux de restructuration d'un bâtiment à usage de chai et de cuvier.

Pour les besoins de l'opération de construction, la société Château Mondot a souscrit une assurance tous risques chantier auprès de la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances (la société Helvetia).

A la fin du chantier, la société Laclide, en charge du lot peinture-nettoyage, a confié à M. [R] [J], exerçant sous le nom commercial NGS, en qualité de sous-traitant, le nettoyage intégral du chantier.

Le 6 janvier 2020, la société [Adresse 11], faisant état d'une corrosion de quarante-deux cuves en acier inoxydable installées dans le bâtiment à usage de chai et de cuvier, a déclaré le sinistre auprès de son assureur.

La société Helvetia a désigné un expert d'assurance, le cabinet Saretec, aux fins d'examiner les désordres. Aux termes de son rapport d'expertise, l'expert a imputé des désordres aux travaux de nettoyage du site, compte tenu de l'utilisation de produits incompatibles avec l'acier inoxydable dans un endroit clos et non ventilé.

Par exploits d'huissier des 22, 23 et 28 juillet 2021, la société Helvetia, se prévalant d'un recours subrogatoire, a assigné la société Laclide, son assureur la SMABTP, M. [R] [J] et son assureur la société Aviva Assurances en remboursement des sommes réglées à la société [Adresse 11] à hauteur de la somme de 1 464 108,69 euros.

Par ordonnance en date du 14 avril 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :

- se déclarons compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir tirée de la clause de renonciation à recours stipulée à la police d'assurance TRC n°91804153 ;

- déclarons irrecevables les demandes formées par la société Helvetia à l'encontre des parties défenderesses ;

- condamnons la société Helvetia aux dépens de l'instance ;

- condamnons la société Helvetia à payer la somme de 1 500 euros à M. [R] [J], 1 500 euros à la société Laclide et à son assureur la SMABTP, 1 500 euros à la société Abeille IARD & Santé en qualité d'assureur de M. [J] au titre des frais irrépétibles engagés ;

- rappelle que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire.

Par déclaration en date 9 mai 2023, la société Helvetia a interjeté appel de l'ordonnance, intimant devant la cour les sociétés Laclide, SMABTP, Abeille IARD & Santé venant aux droits de la société Aviva Assurances et M. [R] [J].

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 février 2024, la société Helvetia demande à la cour de :

A titre principal :

- infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 14 avril 2023 en ce que le tribunal :

- s'est déclaré compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir tirée de la clause de renonciation à recours stipulée à la police d'assurance TRC n°91804153;

- a déclaré irrecevables les demandes formées par la société Helvetia à l'encontre des parties défenderesses ;

- a condamné la société Helvetia aux dépens de l'instance ;

- a condamné la société Helvetia à payer la somme de 1500 euros à M. [R] [J], 1 500 euros à la société LACLIDE et à son assureur la SMABTP, 1 500 euros à la société Abeille en qualité d'assureur de M. [J] au titre des frais irrépétibles engagés ;

- a rappelé que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire ;

Statuant à nouveau :

- constater que les moyens développés devant le juge de la mise en état par les sociétés Laclide, SMABTP, NGS et Abeille correspondaient à des défenses au fond ;

- dire et juger que le juge de la mise en état n'était pas compétent pour connaître des moyens de défense soulevés par les sociétés Laclide, SMABTP, NGS et Abeille ;

- ordonner la réinscription au rôle du tribunal judiciaire de Paris de l'instance enregistrée sous le n° RG 21/10890 et renvoyer l'examen des demandes formées par Helvetia à l'encontre des sociétés Laclide, SMABTP, NGS et Abeille devant le tribunal judiciaire de Paris ;

A titre subsidiaire :

- infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 14 avril 2023 en ce que le tribunal :

- s'est déclaré compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir tirée de la clause de renonciation à recours stipulée à la police d'assurance TRC n°91804153 ;

- a déclaré irrecevables les demandes formées par la société Helvetia à l'encontre des parties défenderesses ;

- a condamné la société Helvetia aux dépens de l'instance ;

- a condamné la société Helvetia à payer la somme de 1 500 euros à M. [R] [J], 1 500 euros à la société Laclide et à son assureur la SMABTP, 1 500 euros à la société Abeille en qualité d'assureur de M. [J] au titre des frais irrépétibles engagés ;

- a rappelé que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire ;

Statuant à nouveau :

- ordonner la réinscription au rôle du tribunal judiciaire de Paris de l'instance enregistrée sous le n° RG 21/10890 et renvoyer l'examen de la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés Laclide, SMABTP, NGS et Abeille devant la formation de jugement du tribunal judiciaire de Paris ;

A titre plus subsidiaire

- infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 14 avril 2023 en ce que le tribunal :

- s'est déclaré compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir tirée de la clause de renonciation à recours stipulée à la police d'assurance TRC n°91804153 ;

- a déclaré irrecevables les demandes formées par la société Helvetia à l'encontre des parties défenderesses ;

- a condamné la société Helvetia aux dépens de l'instance ;

- a condamné la société Helvetia à payer la somme de 1 500 euros à M. [R] [J], 1 500 euros à la société Laclide et à son assureur la SMABTP, 1 500 euros à la société Abeille en qualité d'assureur de M. [J] au titre des frais irrépétibles engagés ;

- a rappelé que la présente décision est assortie de plein droit de l'exécution provisoire ;

Statuant à nouveau :

- rejeter la fin de non-recevoir soulevée par M. [J] tendant à ce que les moyens développés par la société Helvetia en appel et portant sur l'existence d'une faute lourde de M. [J] soient déclarés irrecevables comme constituant des demandes nouvelles en appel ;

- constater que les sociétés Laclide et NGS ont commis une faute lourde ;

- dire et juger que la clause de renonciation à recours figurant dans la police souscrite par la société [Adresse 11] auprès de la société Helvetia est inapplicable ;

- déclarer recevables l'ensemble des demandes formées par la société Helvetia à l'encontre des sociétés Laclide, SMABTP, NGS et Abeille ;

- ordonner la réinscription au rôle du tribunal judiciaire de Paris de l'instance enregistrée sous le n° RG 21/10890 et renvoyer l'examen des demandes formées par la société Helvetia à l'encontre des sociétés Laclide, SMABTP, NGS et Abeille devant le tribunal judiciaire de Paris ;

En tout état de cause,

- débouter la société Laclide, M. [R] [J] et les sociétés SMABTP et Abeille de l'ensemble de leurs demandes de condamnation formées à l'encontre de la société Helvetia ;

- condamner in solidum la société Laclide, M. [R] [J] et les sociétés Abeille et SMABTP au paiement à la société Helvetia de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Laclide, M. [R] [J] et les sociétés SMABTP et Abeille aux entiers dépens.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2024, M. [R] [J] demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien-fondé M. [R] [J] en toutes ses demandes, fins, moyens et prétentions ;

Y faire droit ;

En conséquence,

A titre principal et subsidiaire,

- débouter la société Helvetia de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et prétentions formées tant à titre principal qu'à titre subsidiaire, ou plus subsidiairement encore ;

Et, en conséquence :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 14 avril 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris ;

A titre plus subsidiaire,

- déclarer irrecevable et à tout le moins mal-fondée la société Helvetia de l'ensemble de ses demandes formées « à titre plus subsidiaire » et l'en débouter ;

Et, en conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 14 avril 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris ;

En toute hypothèse,

- condamner la société Helvetia à payer à M. [J] la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Helvetia aux entiers dépens de l'instance par application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 27 février 2023, la société Abeille IARD & Santé demande à la cour de :

- confirmer l'intégralité de l'ordonnance entreprise du 14 mars 2023 du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris :

- en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir pour défaut d'intérêt à agir tirée de la clause de renonciation à recours stipulé dans la police d'assurance TRC n° 91804153,

- en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par la société Helvetia à l'encontre des parties défenderesses,

- en ce qu'il a condamné la société Helvetia aux entiers dépens de l'instance,

- en ce qu'il a condamné la société Helvetia à payer à la société Abeille la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En conséquence,

- débouter la société Helvetia de l'intégralité de ses demandes devant la cour tendant à voir :

- juger que le juge de la mise en état n'était pas compétent pour connaître des moyens soulevés par la société Abeille et de voir ordonner la réinscription du dossier au rôle du tribunal,

- réordonner la réinscription du dossier au tribunal aux fins d'examen de la fin de non-recevoir devant la formation de jugement,

- juger que la société NGS a commis une faute lourde,

- juger que la clause de renonciation à recours figurant dans la police d'assurance était inapplicable,

- déclarer recevable son action à l'encontre de la société NGS et de la société Abeille,

- en conséquence réordonner la réinscription du dossier au rôle du tribunal,

- débouter la société Helvetia en ce qu'elle demande à ce que la société Abeille soit déboutée de sa réclamation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

Ajoutant à l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du 14 avril 2023 :

- condamner la société Helvetia à payer à la société Abeille la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure devant la cour,

- condamner la société Helvetia aux entiers dépens, en ce compris ceux devant la cour et ce au profit de Maître Caroline Hatet, avocat aux offres de droit et ce en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 28 juillet 2023, la société Laclide et la SMABTP demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 14 avril 2023 en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant,

- condamner la société Helvetia à payer à la société Laclide et à la SMABTP la somme de 2 500 euros, chacune, au titre de l'article 700 code de procédure civile en appel ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par la SELARL 2H Avocats, en la personne de Maître Patricia Hardouin, en application de l'article 699 code de procédure civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 14 mars 2024.

MOTIVATION

Sur la nature de la clause de renonciation à recours et la compétence du juge de la mise en état

Moyens des parties :

La société Helvetia soutient que la clause de renonciation à recours stipulée dans le contrat d'assurance tous risques chantier ne constitue pas une fin de non-recevoir puisque le régime juridique de cette clause impose un examen au fond du dossier en présence d'une faute lourde, laquelle est discutée par les défenderesses, et constitue ainsi un moyen de défense au fond. Elle précise qu'il s'agit pour le juge d'apprécier d'une part, si une clause de renonciation à recours peut être écartée en présence d'une faute lourde du débiteur, et d'autre part si, en l'espèce, une telle faute lourde a été commise, ce qui est un débat de fond. Elle conclut à l'incompétence du juge de la mise en état pour connaître de cette question.

Subsidiairement, si la clause était considérée comme une fin de non-recevoir, elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance car le juge n'a pas statué sur la validité de la clause conformément à l'article 789 du code de procédure civile. À ce titre, elle précise que le volet responsabilité civile de la police d'assurance ne couvre que l'assurée, la société [Adresse 11], à l'exclusion des intervenants à la construction, dont elle ne couvre donc pas la faute lourde. Elle ajoute que la faute lourde est de nature à écarter l'application de la clause de non-recours, et qu'en tout état de cause elle ne la prive pas de son recours contre les assureurs de responsabilité civile. Elle indique que la cour devra renvoyer à la formation de jugement du tribunal pour l'examen de la question de la faute lourde.

Très subsidiairement, si la cour retient l'existence d'une fin de non-recevoir et examine la question de la faute lourde, elle fait valoir que les sociétés Laclide et NGS ont commis une faute lourde, et précise que ce moyen n'est pas une demande nouvelle. A ce titre, elle soutient que le rapport Cetim ne peut être écarté par le juge, et que M. [J] a utilisé des produits chlorés pour le nettoyage, à l'origine des piqûres de corrosion relevées sur les cuves, ce qui constitue une faute lourde, faute pour laquelle la société Laclide engage sa responsabilité au titre de la faute de son sous-traitant.

Les sociétés Laclide et SMABTP concluent à la confirmation de l'ordonnance et soutiennent que la clause de renonciation à recours est une fin de non-recevoir relevant de la compétence du juge de la mise en état en vertu de l'article 789 du code de procédure civile. Elles précisent que l'assurance de la société Helvetia est une assurance de dommages et non de responsabilité, et que l'existence d'une faute lourde est sans incidence sur l'application de la clause de non-recours dès lors que la faute lourde n'est pas une exclusion contractuelle d'application de cette clause. En tout état de cause, elles rappellent que le juge de la mise en état est compétent pour statuer sur la question de fond préalable à l'examen de la fin de non-recevoir. Elles se prévalent du contrat d'assurance qui qualifie comme 'assurés' tous les intervenants au chantier, incluant les entreprises et les sous-traitants et stipule une renonciation à recours contre les 'assurés' et leurs assureurs. Elles contestent la qualification de clause limitative de responsabilité soutenue par la société Helvetia, et font valoir que la renonciation au recours s'étend aux assureurs des intervenants, ce qui exclut tout recours subrogatoire contre eux en cas de versement de l'indemnité. Elles soutiennent que l'éventuelle faute lourde de M. [J] est sans incidence sur l'application de cette clause qui n'est pas une clause limitative de responsabilité, et précisent qu'en tout état de cause la preuve d'une faute lourde de celui-ci n'est pas rapportée, ajoutant que la société [Adresse 11] a contribué à son préjudice en fermant les locaux juste après leur nettoyage, réduisant la ventilation du site et permettant la corrosion.

M. [J] soutient que la clause opposée à la société Helvetia est une clause de non-recours visant notamment les sous-traitants et qu'il peut s'en prévaloir en qualité de sous-traitant de la société Laclide. Il rappelle que la compétence du juge de la mise en état pour examiner un moyen tiré du défaut de droit d'agir n'est pas exclue lorsqu'une question de fond doit être tranchée préalablement, cette hypothèse étant prévue par l'article 789 du code de procédure civile qui en attribue la compétence au juge de la mise en état. Il précise que tel est le cas en l'espèce, le juge de la mise en état devant trancher la question de fond préalable de l'existence d'une faute lourde excluant l'application de la clause de renonciation à recours, moyen qu'oppose la société Helvetia. Il conclut à la confirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état qui a jugé qu'il n'y avait pas en l'espèce lieu à statuer sur l'existence d'une faute lourde, sans incidence dans cette instance. Subsidiairement, il fait valoir que la société Helvetia n'a pas réservé le cas de la faute lourde dans la clause de renonciation à recours et que la clause s'étend aux sous-traitants et à leurs assureurs au titre de l'assurance dommages TRCME qui s'applique, à l'exclusion de l'assurance de responsabilité RC MO qui n'est pas en jeu. Plus subsidiairement, il soulève l'irrecevabilité de la demande nouvelle de la société Helvetia tendant à faire constater par la cour que, comme la société Laclide, il a commis une faute lourde. À titre surabondant, il conteste avoir commis une faute lourde, sollicite que les deux rapports d'expertise amiable soient écartés des débats pour partialité et en raison de l'absence d'éléments de preuve visant à en corroborer les conclusions, et se prévaut de l'absence de lien de causalité entre les produits qu'il a utilisés et les désordres constatés, outre qu'il n'est pas responsable de la fermeture du site pendant quinze jours après son intervention, cette fermeture affectant la ventilation du bâtiment, ce qui est la cause des désordres.

La société Abeille IARD & Santé, qui vient aux droits de la société Aviva Assurances, assureur de M. [J], conclut également que la clause de renonciation à recours stipulée dans le contrat liant les sociétés Helvetia et [Adresse 11] constitue une fin de non-recevoir opposable à l'assureur et rendant son action irrecevable. Elle se prévaut de la clause qui s'étend aux assureurs des intervenants, qui incluent les sous-traitants dont fait partie M. [J]. Pour le surplus, elle développe les mêmes moyens que son assuré.

Réponse de la cour :

L'article 789 du code de procédure civile, dans sa version applicable, à partir du 1er janvier 2020, dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (...) 6° statuer sur les fins de non-recevoir.

Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir.

L'article 122 du même code dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats par la société Helvetia (sa pièce 5) qu'en raison d'un sinistre de 'corrosion accidentelle,' elle a versé à son assurée, la société [Adresse 11], une provision de 500 000 euros pour laquelle elle a obtenu quittance subrogative le 24 juillet 2020, puis deux indemnisations pour des montants de 939 212,63 euros le 17 septembre 2020 et 32 396,06 euros le 29 juin 2021, selon quittances subrogatives. Le détail des quittances indique que les sommes ont été versées en raison d'un sinistre de corrosion d'ouvrages métalliques en inox déjà installés, sinistre résultant selon ces quittances de l'action de produits chimiques utilisés lors du nettoyage des sols en fin de chantier. Ces indemnités ont été versées au titre de la 'police TRCME n° 91804153.'

La société Helvetia verse le contrat (sa pièce 6) dont il appert qu'il contient notamment deux sections, la première intitulée 'assurance dommages TRCME' et la seconde 'assurance RC MO.'

Les quittances subrogatives démontrent que la société Helvetia a indemnisé la société [Adresse 11] au titre de la section I du contrat d'assurance, qui est l'assurance dommages et non la section II qui est l'assurance responsabilité.

L'article 4 de la section I du contrat stipule, en son paragraphe 4.2, abandon de recours, que 'l'assureur déclare renoncer à tous recours contre les assurés et leurs assureurs, y compris en cas d'effondrement.'

Par cette clause, la société Helvetia s'interdit d'exercer un recours contre les parties visées dans le contrat au titre des sinistres entrant dans le champ de la section I du contrat, ce qui est le cas en l'espèce.

Dès lors, les personnes bénéficiaires de la clause, à savoir les assurés et leurs assureurs au sens du contrat, peuvent opposer à la société Helvetia les termes clairs et non équivoques de cette clause, qui a pour effet de priver l'assureur de tout recours à leur encontre au titre du sinistre garanti et pour lequel elle est subrogée dans les droits de son assurée. Ce faisant, il soulèvent un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, c'est-à-dire une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 précité.

La clause de renonciation à recours, constituant ainsi une fin de non-recevoir d'origine conventionnelle, relève de la compétence du juge de la mise en état conformément à l'article 789 du code de procédure civile.

Il est constant que la commission d'une faute lourde par le bénéficiaire de la clause de renonciation à recours entraîne la nullité de cette clause. Cependant, lorsque la renonciation est le fait de l'assureur seul, elle vaut même en cas de faute lourde, puisque l'assurance d'une telle faute est permise par l'article L. 113-1 du code des assurances (Cass., Civ. 1re, 24 janvier 1990, no 88-15.058), sauf pour l'assureur à avoir expressément exclu l'application de la clause de renonciation à recours en cas de faute lourde.

La question de l'existence et de l'incidence d'une faute lourde de l'assuré étant susceptible de faire échec à l'application de la clause de renonciation à recours, et donc de déterminer le bien fondé de l'opposition à la société Helvetia de la fin de non-recevoir tirée de la clause, il s'ensuit qu'il s'agit d'une question de fond qu'il convient de trancher préalablement, ce qui relève de la compétence du juge de la mise en état aux termes de l'article 789 du code de procédure civile.

C'est donc à bon droit que le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris s'est déclaré compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M. [J] et les sociétés Laclide, SMABTP et Abeille IARD & Santé aux demandes de la société Helvetia.

En l'espèce, l'article 3 de la section I du contrat, qui énonce les exclusions contractuelles de garantie, ne vise pas la faute lourde comme exclusion de l'application de la clause de renonciation à recours, dès lors que seuls sont visés au titre des exclusions le dol et la faute intentionnelle (paragraphe 3.3), notions distinctes de la faute lourde.

Le paragraphe 1 de la section I du contrat stipule, en son paragraphe 1.2, que sont assurés au titre de cette garantie 'les entrepreneurs, leurs filiales et leurs sous-traitants de tout rang intervenant sur le chantier.' La clause de renonciation à recours s'applique, quant à elle, 'à tous recours contre les assurés et leurs assureurs.'

Ces stipulations s'appliquent donc à la société Laclide chargée du lot 13 peinture-nettoyage, à M. [J] son sous-traitant chargé du nettoyage et à leurs assureurs respectifs, les sociétés SMABTP et Abeille IARD & Santé.

Par conséquent, faute de l'avoir stipulée à titre d'exclusion d'application de la clause, la société Helvetia ne peut se prévaloir d'une éventuelle faute lourde de l'un des assurés du contrat pour faire échec à la fin de non-recevoir tirée de la clause de non recours, et n'est pas recevable à agir contre les assureurs des intervenants assurés par l'assurance dommages TRCME.

Dès lors, il convient de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état qui a déclaré la société Helvetia irrecevable à agir contre M. [J] et les sociétés Laclide, SMABTP et Abeille IARD & Santé.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer l'ordonnance sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la société Helvetia, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer la somme de 1 500 euros à M. [J], la somme de 1 500 euros à la société Laclide et son assureur la SMABTP et la somme de 1 500 euros à la société Abeille IARD & Santé au titre des frais irrépétibles. Sa demande du même chef sera rejetée.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME l'ordonnance rendue le 14 avril 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Helvetia aux dépens d'appel,

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Helvetia à verser la somme de mille cinq cent euros (1 500 euros) à M. [R] [J], la somme de mille cinq cent euros (1 500 euros) à la société Laclide et son assureur la SMABTP et la somme de mille cinq cent euros (1 500 euros) à la société Abeille IARD & Santé au titre des frais irrépétibles,

REJETTE la demande de la société Helvetia du même chef.

La greffière La conseillère faisant fonction de présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 23/08597
Date de la décision : 07/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-07;23.08597 ?
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