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07/06/2024 | FRANCE | N°22/08695

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 07 juin 2024, 22/08695


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 07 Juin 2024



(n° , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/08695 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGP5N



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Septembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MEAUX RG n° 20/00274



APPELANT

Monsieur [V] [P]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me

Michael GABAY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC95



INTIMEES

S.A.S. VERRE ET METAL

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 07 Juin 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/08695 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGP5N

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Septembre 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MEAUX RG n° 20/00274

APPELANT

Monsieur [V] [P]

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté par Me Michael GABAY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC95

INTIMEES

S.A.S. VERRE ET METAL

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Thomas HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE ET MA RNE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

M Gilles REVELLES, conseiller

M Philippe BLONDEAU, conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par M. [V] [P] d'un jugement rendu le 12 septembre 2022 (RG 20/274) par le du tribunal de grande instance de Meaux dans un litige l'opposant à la société Verre & Métal.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que, le 11 septembre 2014, M. [V] [P] était salarié de la société Verre & Métal (ci-après désignée 'la Société') depuis le 1er octobre 1986 en qualité de miroitier lorsque, le 11 septembre 2014, il a informé son employeur avoir été victime d'un accident survenu sur le lieu d'exécution de sa mission, à l'aéroport de [6], que celui-ci a déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne (ci-après désigné 'la Caisse') en ces termes : « la victime travaillait sur le tapis roulant livraison bagages et était en train de recaler des plaques de verres - chute du tapis roulant quand celui-ci s'est mis en marche alors que ce n'était pas prévu ; siège des lésions : hanche gauche ; nature des lésions : hématome, sensation de déchirure musculaire ; Monsieur [V] [P] a été transporté au Centre médical de l'aéroport ».

Le certificat médical initial établi le 12 septembre 2014 par le docteur [H] [A] faisait mention de « douleur inguinale irradiant face antérieure de la cuisse gauche [illisible] lésion osseuse [illisible] =$gt; contusion musculo tendineuse » et prescrivait un arrêt de travail jusqu'au 21 septembre 2014.

Par décision du 18 septembre 2014, la Caisse a reconnu le caractère professionnel de l'accident puis, après avis de son médecin conseil, a fixé au 09 mars 2018 la date de consolidation des lésions de M. [P].

Considérant qu'il subsistait des séquelles consistant en des « douleurs à la marche prolongée avec discrète boiterie », elle lui a reconnu un taux d'incapacité permanente partielle de 10 %, taux qui était porté à 12% par jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité de Paris du 30 octobre 2018.

C'est dans ce contexte que M. [P] a demandé à la Caisse de mettre en oeuvre la procédure amiable de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenue de son accident du travail. La Caisse l'ayant avisé le 25 février 2019, de l'échec de la conciliation amiable, M. [P] a alors porté sa contestation devant le pôle social du tribunal de grande instance de Meaux.

Par jugement du 12 septembre 2022, le tribunal, devenu tribunal judiciaire au 1er janvier 2020, a :

- débouté M. [V] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Verre & Métal de sa demande tendant à déclarer le jugement commun à la société ADP (Aéroports de Paris),

- condamné M. [V] [P] à verser la somme de 500 euros à la société Verre & Métal au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [V] [P] aux dépens.

Pour juger ainsi, le tribunal a retenu que le plan de prévention prévoyait qu'il appartenait à l'employeur de faire connaître à l'ensemble des salariés qu'il affectait à cette opération les dangers spécifiques auxquels ils étaient exposés et les mesures prises pour les prévenir, notamment en précisant les zones dangereuses ainsi que les moyens adoptés pour les matérialiser et qu'il devait donner à ses salariés les instructions appropriées aux risques, notamment ceux liés à la présence de plusieurs entreprises et usagers sur l'aéroport ; que par contre, les mesures de prévention relevait de la responsabilité de l'entreprise extérieure qui devait veiller au respect de plusieurs consignes et notamment celle interdisant de monter sur les tapis bagages ; que le compte rendu de la réunion du 25 septembre 2014 avait relevé que la mise hors exploitation par la supervision technique ne permettait pas de couper physiquement les énergies des équipements concernés ; que malgré les alarmes sonores préalables, la victime était sur un tapis lors du démarrage de ceux-ci puisqu'elle n'en connaissait pas les raisons ; que les travaux s'étaient déroulés au Pôle Bagages sans que celui-ci n'ait été invité à valider leur réalisation et alors que la liste des salariés n'était plus à jour. Le tribunal relevait que l'employeur avait préalablement à l'intervention, demandé la mise hors exploitation des tapis et qu'une confirmation par téléphone lui avait été faite ce dont il avait justement déduit que l'entreprise ADP avait autorisé ses salariés à travailler dans la zone. Il avait donc pris toutes les mesures nécessaires afin d'éviter la réalisation du risque et le fait que le tapis se soit mis en route résulte d'une imprudence commise par un salarié de la société ADP qu'il ne pouvait pas anticiper.

Par déclaration reçue au greffe le 17 octobre 2022, M. [P] a régulièrement interjeté appel de la décision notifiée le 24 septembre 2022.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 3 avril 2024 lors de laquelle les parties ont plaidé.

M. [P], assisté de son Conseil, développe oralement ses conclusions n°2 et demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire pole social de Meaux du 12 septembre 2022,

- juger que la société Verre & Métal a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail dont il a été victime le 11 septembre 2014 et, en conséquence,

- ordonner la majoration de la rente à son maximum,

- lui allouer la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice,

- dire que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne fera l'avance des fonds,

- ordonner tel expert médical qu'il plaira à la Cour avec mission habituelle qui devra porter ad minima :

¿ les frais d'adaptation logement/véhicule,

¿ le déficit fonctionnel temporaire avant consolidation,

¿ la tierce personne avant consolidation,

¿ le déficit fonctionnel permanent,

¿ le pretium doloris,

¿ le préjudice esthétique temporaire et définitif,

¿ la perte de chance de promotion professionnelle,

¿ le préjudice d'agrément,

¿ le préjudice sexuel,

- condamner la société Verre & Métal à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Verre & Métal, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

- juger que Monsieur [V] [P] ne démontre pas l'existence de la faute inexcusable qu'il invoque,

- juger qu'en sa qualité d'entreprise prestataire, elle n'a commis aucune faute inexcusable et, en conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Meaux le 12 septembre 2022,

- débouter Monsieur [V] [P] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Monsieur [V] [P] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, la Société demande à la cour de :

-ordonner une expertise médicale afin d'évaluer les souffrances morales de Monsieur [V] [P] sur une échelle de 0 à 7,

-ramener la somme sollicitée à titre de provision à 2 000 euros compte tenu du taux d'incapacité partiel permanente limité attribué à Monsieur [V] [P],

- dire et juger qu'il appartiendra à la caisse primaire d'assurance maladie de faire l'avance des sommes allouées à Monsieur [V] [P] en réparation de l'intégralité de ses préjudices,

- dire et juger que la Caisse ne pourra exercer son action récursoire au titre de la majoration de rente uniquement dans la limite du taux d'incapacité opposable à l'employeur, à savoir le taux initial de 10 %.

La Caisse, reprend oralement le bénéfice de ses conclusions et demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur les mérites de l'appel interjeté par Monsieur [P] quant au principe de la faute inexcusable et l'éventuelle majoration de la rente qui en résultera,

- limiter la mission de l'expert aux postes de préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable,

- dire que la mission de l'Expert ne pourra inclure une évaluation de la perte de chance de promotion professionnelle et d'un préjudice atypique,

- ramener à de plus justes proportions les sommes allouées à M. [P] à titre de provision,

- rappeler qu'elle avancera les sommes éventuellement allouées à M. [P] dont elle récupérera le montant sur l'employeur, en ce compris les frais d'expertise.

En tout état de cause, la Caisse demande à la cour de condamner tout succombant aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 3 avril 2024 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 7 juin 2024.

MOTIVATION DE LA COUR

Sur la faute inexcusable

Moyens des parties

Au soutien de son recours, M. [P] fait valoir que l'accident dont il a été victime est survenu du fait que son employeur ne s'est pas assuré du respect des mesures prises lors de son intervention. Il excipe du compte-rendu de la réunion du 8 octobre 2014 tenue après son accident qui indiquerait que celui-ci était la conséquence d'un défaut de coordination entre ADP, où il intervenait, et son employeur qui ne s'était même pas assuré que le service pôle bagages avait validé son intervention. Or, la liste des ouvriers intervenants était obsolète de sorte que les agents ADP en charge des tapis bagages pouvaient ignorer les interventions humaines de maintenance sur les tapis. Il indique avoir ignoré l'existence d'une interdiction de monter sur le tapis bagage alors même que cette consigne résultait du plan de coordination et avoir ignoré la procédure à suivre pour utiliser le signal d'alarme. Il reproche à son employeur de ne pas s'être assuré qu'ADP disposait d'un système permettant la mise hors service des équipements sur lequel les salariés pouvaient intervenir et qui, en réalité, pouvaient être remis en fonctionnement à tout moment. Il estime que son accident est dû à un défaut de coordination entre ADP et son employeur du fait de la remise en route des tapis alors qu'il travaillait dans le système de collecte des bagages et si la responsabilité de l'ADP est engagée elle n'est pas exclusive de celle de la société Verre et Métal.

Il qualifie enfin 'd'inepte' le fait de lui reprocher une imprudence alors qu'il a juste voulu tenter d'échapper, par un geste réflexe, à l'entraînement du tapis bagage qui risquait de l'entraîner dangereusement dans une pente.

La Société rétorque en premier lieu que l'appréciation d'une éventuelle faute inexcusable de l'employeur ne peut pas se réduire à une présomption résultant de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident. Elle nécessite que soit impérativement caractérisée une faute, laquelle ne peut être déduite d'une imprudence commise par un salarié dont elle n'a pas la direction, ni par une faute intentionnelle de ses propres préposés.

La Société indique ensuite que la conscience du danger que doit avoir le chef d'entreprise n'implique pas qu'il ait connaissance de tous les événements susceptibles de provoquer un accident, d'autant qu'en l'espèce, il n'intervenait pas sans ses locaux mais dans ceux d'une entreprise tierce. Elle précise que les circonstances qui ont mené à l'accident de M. [P] résultent d'une manoeuvre inopinée d'un salarié de la société ADP sur lequel elle n'avait aucun pouvoir. Pour sa part, elle indique avoir averti l'entreprise ADP de l'intervention de ses salariés pour effectuer les travaux de verrerie de sorte qu'il appartenait à cette dernière de prendre toutes les mesures de sécurité qui s'imposaient. Elle fait valoir que dans la mesure où son salarié intervenait dans une autre entreprise, il ne lui appartenait pas de s'assurer de la coordination générales des mesures de prévention et qu'en tout état de cause elle n'avait jamais eu connaissance d'accidents qui se seraient produits antérieurement à celui de M. [P]. Elle indique en outre que si le risque s'est réalisé, c'est du fait non seulement d'une imprudence manifeste d'un salarié de la société ADP mais également du comportement de M. [P] qui est monté debout sur un tapis à bagage puis a sauté de ce tapis, au mépris des règles de sécurité, alors qu'il était expérimenté et qualifié. Ce n'est donc pas la mise en route du tapis qui l'a fait chuter mais une action volontaire de sa part.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale

Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Par ailleurs, l'article L. 4121-1 du code du travail dispose

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

l'article L. 4121-2 du même code précisant

L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Il se déduit de la combinaison de ces textes que l'employeur est tenu envers le salarié d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé.

Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En ce qui concerne les accidents du travail, l'employeur a, en particulier, l'obligation d'éviter les risques, d'évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, notamment en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Il se doit également de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Le manquement à l'obligation légale à laquelle est tenue l'employeur envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le travailleur (cette conscience étant appréciée par rapport à un employeur normalement diligent) et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou qui aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.

La conscience du danger, dont la preuve incombe à la victime, ne vise pas une connaissance effective du danger que devait en avoir son auteur. Elle s'apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d'activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.

Par ailleurs, seule la faute intentionnelle du salarié, à l'exclusion de son imprudence, peut, en application de l'article L. 453-1 du code de le sécurité sociale, exonérer l'employeur de sa propre faute ; la faute inexcusable du salarié ne peut que limiter le montant de la rente versée par l'organisme de sécurité sociale.

Enfin, il résulte des articles R. 4515-1, R. 4511-5 et R. 4512-2 du code du travail et de l'article L. 454-1, alinéa 4, du code de la sécurité sociale que lorsque le travail s'exécute dans les locaux d'une autre entreprise, l'employeur a le devoir de se renseigner sur les dangers courus par le salarié (2e Civ., 1 juillet 2010, pourvoi n° 09-67.028).

Dès lors, la Société a le devoir de vérifier à la signature du contrat les conditions d'exercice de celui-ci en évaluant les risques et d'actualiser cette connaissance du risque dès lors que les conditions de travail sont susceptibles d'avoir été modifiées.

Au cas présent, il n'est pas contesté que M. [P] était salarié de la société Verre & Métal et qu'au moment des faits, il occupait les fonctions de miroitier, avec la qualification de chef d'équipe impliquant, selon les termes de convention régionale des ouvriers du bâtiment de la région parisienne du 28 juin 1993, l'accomplissement des travaux complexes, l'organisation du travail et la conduite d'une équipe.

La société Verre & Métal a conclu avec la société Aéroports de Paris (ADP) un marché d'entretien et petits travaux neufs de vitrerie et miroiterie. Dans le cadre de ce marché, la Société s'est vu confier le remplacement d'un écran de cantonnement vitré séparant les banques d'enregistrement des tapis bagages en arrière de celles-ci, situé dans le hall 1, niveau départs, du terminal 1 de l'aéroport [6]. M. [P] était un des salariés désignés pour effectuer cette tâche, dont il n'est pas contesté qu'elle entrait dans ses attributions et qu'elle ne présentait aucun risque particulier ou inhabituel.

La déclaration d'accident du travail enseigne que lors de son intervention M. [P] « a fait une chute du tapis roulant lorsque celui-ci s'est mis en marche de manière inopinée ».

Néanmoins, l'enquête interne menée par la société ADP à la suite de l'accident ainsi que l'attestation de M. [D] [Y], chef d'équipe en binôme avec M. [P], enseignent plus précisément qu'il travaillait sur un échafaudage, à proximité des tapis roulants, afin de changer une vitre séparant le comptoir d'enregistrement de la zone d'enregistrement des bagages. C'était alors « qu'en cours d'intervention, [M. [I]] avait demandé à M. [P] de récupérer un outil dans le camion. Il est descendu de son poste de travail et au moment où il arrivait sur le tapis, celui-ci s'est mis en route sans prévenir. Alors qu'il se tenait debout sur le tapis en train de rouler, M. [P] a récupéré son seau à outils posé sur le tapis, puis il a sauté du tapis au sol et s'est fait mal en arrivant au sol ».

Les circonstances de la survenue de l'accident sont ainsi parfaitement connues : M. [P] se trouvait sur un tapis roulant qui s'est remis en fonctionnement et c'est en voulant en descendre qu'il a sauté au sol et s'est mal réceptionné.

S'agissant de la conscience du danger, il sera rappelé qu'il appartient à l'employeur de s'assurer, lorsque ses salariés sont amenés à effectuer des interventions au sein d'entreprises tierces, comme c'est le cas en l'espèce, que les conditions dans lesquelles ils vont travailler sont sécures. En l'occurrence, s'agissant d'intervenir à proximité de tapis roulants avec des matériaux coupants (miroir), il appartenait à l'évidence à la Société Verre et Métal de s'assurer que les tapis seraient arrêtés.

Cette conscience n'est pas contestée de la Société laquelle avait participé à la mise en oeuvre du plan de prévention établi en amont du chantier afin de déceler l'ensemble des risques auxquels étaient susceptibles d'être exposés les salariés lors de leur intervention. Cette conscience résulte également de l'établissement d'un suivi des travaux de proximité le 08 septembre 2014 (STRAP n°CDG120140677) élaboré par [J] [Y], contrôleur de travaux de l'activité maintenance Bâtiment de CDGI lequel consistait à vérifier l'effectivité des mesures de sécurité.

Il convient alors pour M. [P] de démontrer que la Société, consciente de ce danger, n'a pris aucune mesure pour éviter sa réalisation ou, à tout le moins, en limiter les conséquences.

M. [P] verse à cet égard le plan de prévention applicable entre ADP et Verre et Métal ainsi que le rapport d'enquête interne effectuée par la société ADP pour en déduire l'absence de coordination entre ADP et son employeur, l'absence de vérification par son employeur des conditions de sécurité de l'environnement dans lequel il devait intervenir et l'absence de toute mesure de protection pour éviter la réalisation du risque.

Il sera tout d'abord relevé que, contrairement à ce que plaide M. [P], son employeur a bien été associé à l'élaboration du plan de prévention et s'est conformé aux préconisations. Ainsi, il y a bien eu une inspection commune du site le 8 janvier 2014 ayant amené une étude de l'environnement de travail, à l'énumération des risques de chaque poste de travail et à la répartition des mesures à prendre entre la société ADP et chacune des trois sociétés intervenantes. Cette inspection a donné lieu à un suivi des travaux de proximité.

Il résulte par ailleurs du rapport d'analyse de l'accident établi le 25 septembre 2014 que la Société, conformément au plan de prévention qui prévoyait l'obligation de contacter le PC STBI (PC Bagages) avant et après les travaux, a bien avisé les secteurs de l'entreprise ADP dans lesquels devaient avoir lieu les travaux, de l'intervention de ses salariés. Ainsi, le jeudi 11 septembre 2014, la société Verre et Métal a préalablement à l'intervention de ses salariés, contacté le chef de quart, M. [J] [M], pour accéder dans la zone de chantier, lequel prenait lui-même attache téléphoniquement à 22 heures 30, avec le conducteur technique, M. [U] [R] pour lui demander la mise hors exploitation des tapis collecteurs du descendeur SDI en raison de l'intervention de l'entreprise. Et il n'est pas contesté que les tapis ont été effectivement mis hors tension avant l'intervention de l'équipe de M.[P].

Par ailleurs, conformément au STRAP, le document d'intervention de l'intervention de l'entreprise, a bien été diffusé au Pôle Bagages, notamment au CEB et à M.  [H] [I] (annexe 2) contrairement à ce qu'indique M. [P]. Si effectivement le pôle bagage n'a pas 'validé' l'intervention, ce qui, au demeurant n'était pas une condition du plan de prévention, les services sécurité d'ADP l'ont fait et l'intervention de la société Verre et Métal a bien été diffusée au pôle bagages, qui avait donc connaissance de la présence de salariés extérieurs. Ce faisant, le déroulé des faits tels que rappelé dans le rapport d'enquête démontre que les salariés du pôle bagages étaient informés de la présence des salariés de Verre et Métal puisque la personne qui a remis l'alimentation électrique indique les avoir vus à la caméra avant de procéder à sa manoeuvre.

Il apparaît donc que la Société, associée à l'élaboration du plan de prévention, s'était assurée des conditions d'intervention de ses salariés et avait obtenu l'autorisation d'intervenir le jour de l'accident après la mise hors service des installations électriques dont elle s'était assurée de l'effectivité. Il est constant, au regard du rapport d'enquête, que le conducteur technique ADP a effectivement mis hors exploitation la zone de hall 1 à partir de la supervision technique tri bagages et que c'est après confirmation téléphonique, que la société Verre et Métal a été autorisée à travailler dans la zone bagages.

Ensuite, aux termes du plan de prévention produit par M. [P], il appartenait à la société Verre et Métal :

- de connaître l'organisation des premiers secours,

- dans le cadre du travail de nuit, de s'assurer que les salariés étaient formés aux travaux qu'ils devaient effectuer, qu'ils ne travaillaient pas seuls, qu'il leur soit fourni du matériel adapté et des équipements de protection, de les informer sur les dangers spécifiques et de les former sur l'emploi des dispositifs collectifs,

- pour les opérations effectuées sur ou à proximité d'installations mécaniques ou électromécaniques, s'assurer de la présence d'appareil de levage et interdire aux salariés de monter sur les tapis bagages.

Il n'est pas contesté que les deux premiers points ont été respectés par la Société.

S'agissant du troisième point, et notamment de l'interdiction faite aux salariés de monter sur les tapis bagages, il sera rappelé que, contrairement à ce plaide M. [P] lorsqu'il indique «ses salariés étaient sur le tapis bagage pour effectuer ses prestations et que c'était le mode opératoire qui était choisi », il n'avait pas à travailler sur le tapis roulant et son intervention ne nécessitait pas qu'il emprunte cette voie.

En effet, au regard des pièces produites par la Société, M. [P] et son équipe disposaient d'un échafaudage sur lequel ils devaient se positionner pour procéder au remplacement du miroir. Cela résulte non seulement du devis de travaux que la Société a adressé à ADP, de la mention portée sur ce document ' vu et constaté à la caméra' mais également de l'attestation du co-équipier de M. [P] selon lequel « (...) à un moment, Monsieur [V] [P] est descendu du poste de travail ». La Société respectait donc bien le plan de prévention puisqu'il interdisait de monter sur les tapis bagages et il n'est ni invoqué par M. [P] ni a fortiori démontré que malgré l'échafaudage ou pour y accéder, les salariés étaient contraints de monter sur les tapis roulants.

Il ressort enfin et surtout du rapport d'accident que la remise en route de ce tapis a été la conséquence d'une mauvaise manipulation d'un des salariés d'ADP.

Le rapport expose ainsi : «Vers 23H, le conducteur technique s'aperçoit que le compteur bagages lui indique qu'un bagage est restant dans le système au niveau de la zone de travaux. Avant tout, il fait un contrôle visuel de la zone à l'aide d'Omnicast en choisissant la caméra orientée vers le descenseur SDI. Hormis les 2 salariés de la société Verre et Métal, il ne voit de bagages. Il en déduit que le bagage est peut-être coincé dans le descenseur SDI. A l'aide de la supervision technique, il pense ne remettre en route que le descenseur. Si au début, il constate visuellement le fonctionnement unique du collecteur, il s'aperçoit rapidement que 3 tapis bagages se sont remis en route. Il arrête immédiatement toute l'installation est monte aux Départs pour se rendre sur la zone de chantier ».

Le rapport résume ainsi l'accident : « le pôle de l'entreprise ADP, à savoir le pôle bagage dans lequel a eu lieu l'accident, a été prévenu de l'intervention des salariés de la société VERRE ET MÉTAL (transmission du STRAP) ; le 11 septembre 2014, avant même d'accéder au chantier, la société VERRE ET MÉTAL a demandé l'autorisation préalable au secteur de l'entreprise ADP concerné par les travaux objet de l'intervention, d'accéder au lieu pour débuter le chantier ; suite à cet appel de la part de l'entreprise VERRE ET MÉTAL, la zone d'intervention des salariés de la société VERRE ET MÉTAL a été mise hors service pour le début du chantier, avec confirmation expresse par téléphone à la société VERRE ET MÉTAL ; le pôle concerné a effectivement validé l'intervention ».

Il n'est pas contestable que l'action effectuée par un salarié d'une entreprise tierce sur lequel la société Verre et Métal n'a aucun pouvoir de direction, ne pouvait être anticipée, alors même que pour sa part, la Société avait fait en sorte que l'alimentation du tapis roulant soit coupée pour permettre l'intervention en toute sécurité de ses salariés.

Finalement, le rapport d'accident établi par ADP ne révèle que des fautes ou imprudences commises par ses salariés, ce dont la société Verre et Métal ne peut être tenue pour responsable. Il en ressort également l'absence de système de sécurité des interrupteurs pour éviter une manipulation involontaire et l'existence d'une alimentation électrique commune à plusieurs secteurs de l'aéroport ce qui relève d'anomalies structurelles qui incombent à la seule responsabilité d'ADP et dont la société Verre et Métal ne pouvait pas avoir connaissance dès lors qu'aucun accident similaire n'avait été identifié par l'entreprise tierce.

Dès lors, il est établi que la société Verre et Métal s'était assurée préalablement à la mission de M. [P], qu'il interviendrait dans des conditions de sécurité maximale.

De fait, le risque de démarrage des tapis n'existait plus au moment de son intervention dans la mesure où la zone concernée par son intervention avait été mise hors exploitation.

Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que la société Verre et Métal, consciente du danger que représentait le fonctionnement d'un tapis bagage à proximité du lieu de la mission confiée à son salarié, avait pris toutes les dispositions auprès de la société ADP, pour que l'alimentation électrique soit arrêtée. Elle ne pouvait cependant pas anticiper une erreur de manipulation et une remise en route intempestive du tapis bagage par un salarié de la société ADP.

La cour considère ainsi que l'accident du travail survenu au préjudice de M. [P] ne résulte pas de la faute inexcusable de son employeur, la société Verre et Métal.

Le jugement sera confirmé en ce sens.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l'appel formé par M. [P] recevable,

CONFIRME le jugement rendu le rendu le 12 septembre 2022 (RG 20/274) par le tribunal de grande instance de Meaux en toutes ses dispositions ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE M. [P] à verser à la société Verre & Métal la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LE DÉBOUTE de la demande qu'il a formée du même chef ;

CONDAMNE M. [P] aux dépens.

PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 22/08695
Date de la décision : 07/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-07;22.08695 ?
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