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06/06/2024 | FRANCE | N°17/13835

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 06 juin 2024, 17/13835


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 06 JUIN 2024



(n° 2024/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13835 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4ORQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 14/07941





APPELANTE



SA LA POSTE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Cha

rles ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2130, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Eléonore BALLESTER, avocat au barreau de PARIS, toque L 258







INTIME



Monsieur [L] [K...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 06 JUIN 2024

(n° 2024/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13835 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4ORQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Mars 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 14/07941

APPELANTE

SA LA POSTE

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Charles ANDRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2130, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Eléonore BALLESTER, avocat au barreau de PARIS, toque L 258

INTIME

Monsieur [L] [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Benoît PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R260

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre et de la formation

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

MINISTERE PUBLIC

L'affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis.

Greffier, lors des débats : Mme Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Catherine BRUNET, Présidente de chambre et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, la société La Poste emploie deux catégories de personnel : des fonctionnaires et des salariés de droit privé.

Par instruction du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993, il a été arrêté que les primes et indemnités existantes constituant un complément de rémunération avaient vocation à être regroupées dans un complément indemnitaire applicable à tous les agents fonctionnaires et non fonctionnaires de droit public. Par délibération du 25 janvier 1995, le conseil d'administration de La Poste a approuvé le principe de la suppression des primes et indemnités regroupées dans le complément indemnitaire de chaque catégorie de personnel et a constaté que le complément indemnitaire dénommé complément Poste constituait désormais, de façon indissociable, l'un des sous-ensembles de la rémunération de base de chaque catégorie de personnel. Par cette délibération, le complément indemnitaire a été étendu aux agents contractuels relevant de la convention commune La Poste-France Télécom.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, la rémunération de référence a été définie comme comprenant :

- le traitement indiciaire pour les fonctionnaires ou le salaire de base pour les agents contractuels qui rémunère l'ancienneté et l'expérience ;

- le complément Poste qui rétribue le niveau de fonction et tient compte de la maîtrise du poste.

M. [L] [K] est salarié de droit privé de cette société.

Considérant notamment qu'un rappel de complément Poste lui était dû, il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail, le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens intervenant volontairement à cette procédure afin d'obtenir réparation du préjudice porté selon lui à l'intérêt collectif des agents de La Poste. Par jugement du 31 mars 2017 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, cette juridiction a :

- condamné LA POSTE à lui verser les sommes suivantes :

* 3 997,23 euros à titre de rappel de complément poste,

* 399,72 euros au titre des congés payés y afférents ;

* 30 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la partie demanderesse du surplus de ses demandes ;

- débouté le Syndicat SUD des Services Postaux Parisiens de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté LA POSTE de sa demande d'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné LA POSTE aux dépens.

La société La Poste a interjeté appel de ce jugement le 14 novembre 2017 à l'encontre du salarié.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 janvier 2020 et l'affaire a été appelée à l'audience du 23 janvier 2020.

A la demande des parties, l'affaire a été renvoyée au 19 mars 2020 puis renvoyée en raison de l'état d'urgence sanitaire.

Les parties ayant fait part à la cour de leur accord pour entrer en voie de médiation, une médiation a été ordonnée par ordonnance du 10 juillet 2020, l'affaire devant être rappelée à l'audience du 19 janvier 2021. A cette audience, elle a été renvoyée au 16 février 2021, la médiation étant en cours. Par ordonnance du 16 février 2021, le conseiller de la mise en état a notamment ordonné le renouvellement de la mission de médiation pour une durée de trois mois à compter du 18 février 2021 et dit que l'affaire serait rappelée à l'audience du 15 juin 2021.

L'affaire a été renvoyée successivement au 19 octobre et au 16 décembre 2021.

Les parties ayant indiqué ne pas être parvenues à un accord, l'affaire a été fixée et évoquée à l'audience du 14 avril 2022 puis mise en délibéré.

Au cours de son délibéré, la cour s'est aperçue du dépôt dans ce dossier de conclusions le 7 janvier 2020.

Par arrêt du 15 décembre 2022, elle a notamment :

- ordonné la réouverture des débats afin que les parties fassent valoir leurs observations sur les conclusions remises au greffe le 7 janvier 2020 par le salarié ;

- renvoyé l'affaire à l'audience de la cour du 11 mai 2023 à 13H30 ;

- sursis à statuer sur les demandes ;

- réservé les dépens.

L'affaire a été renvoyée à la demande des parties les 29 juin et 16 novembre 2023.

A cette dernière audience, l'ordonnance de clôture a été révoquée, la clôture de l'instruction et l'audience de plaidoiries étant fixées au 21 mars 2024.

Par conclusions transmises et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 18 mars 2024 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société La Poste demande à la cour de :

- déclarer l'appel de La Poste recevable et régulier ;

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en ce que La Poste a été condamnée à payer à Monsieur [L] [K] les sommes suivantes :

. 3 997,23 euros au titre du complément poste,

. 399,72 euros au titre des congés payés y afférents,

. 30 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

. et aux dépens ;

- débouter l'intimé de l'intégralité de ses demandes ;

- le condamner aux entiers dépens

Par conclusions transmises et notifiées par le RPVA le 18 mars 2024 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [L] [K] demande à la cour de :

- le dire et juger recevable et bien fondé en ses demandes,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la violation par LA POSTE du principe 'à travail égal, salaire égal' au titre du Complément Poste et condamné LA POSTE à verser à l'intimé un rappel de salaire et de congés payés afférents à ce titre ;

S'agissant des quantums,

A titre principal, sur la base d'une comparaison à niveaux de fonctions égaux :

- condamner LA POSTE à lui verser les sommes suivantes :

* 3 997,23 euros à titre de rappel de complément poste,

* 399,72 euros à titre de congés payés afférents ;

A titre subsidiaire, sur la base d'une comparaison à fonctions identiques ou similaires :

- condamner LA POSTE à lui verser les sommes suivantes :

* 3 997,23 euros à titre de rappel de complément poste,

* 399,72 euros à titre de congés payés afférents ;

En tout état de cause,

- ordonner à LA POSTE de lui remettre des bulletins de salaires conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de dommages-intérêts formulées par lui et, statuant à nouveau ;

- condamner LA POSTE à lui verser la somme de :

* 3 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice moral subi du fait de l'inégalité de traitement,

* 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la date de la demande de convocation portée devant le conseil de prud'hommes ;

- condamner LA POSTE aux entiers dépens.

L'affaire a été communiquée au ministère public qui, dans ses observations écrites du 17 décembre 2019 dont les parties ont reçu communication écrite pour pouvoir y répondre utilement, est d'avis qu'une comparaison in concreto par la cour de la situation de chaque salarié et du fonctionnaire auquel il se compare sera nécessaire sur la base des pièces produites aux débats par les parties ; que lorsque l'examen des pièces révèlera 'une fonction exercée' et 'une maîtrise du poste' identiques au sens des critères retenus par la Cour de cassation, la cour fera droit, quant au complément Poste, aux demandes des salariés concernés ; que lorsque cet examen fera apparaître une différence de 'fonction exercée' et/ou de 'maîtrise du poste', la cour fera droit quant au complément Poste aux demandes de La Poste.

L'instruction a été clôturée le 21 mars 2024 avant l'ouverture des débats.

MOTIVATION

Sur le rappel de complément Poste

Sur les accords salariaux

La société La Poste soutient qu'il n'y a pas de rupture collective d'égalité au sein de la catégorie des fonctionnaires et entre les collaborateurs de la Poste. Elle souligne qu'elle a respecté les accords salariaux de 2001 et de 2003 et fait valoir que les accords salariaux fixant les montants du complément Poste conclus avec les organisations syndicales représentatives, ont un effet impératif de sorte que les prétentions de M. [L] [K] ne peuvent pas être accueillies. Enfin, elle soutient qu'en concluant l'accord du 5 février 2015, les partenaires sociaux ont expressément reconnu que l'indemnité de carrière antérieure personnelle de même que le complément Poste reposaient sur des considérations objectives et pertinentes.

M. [L] [K] soutient que les accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives ont vocation à s'appliquer aux seuls salariés de sorte qu'ils n'ont pas d'incidence sur la différence de traitement dénoncée, celle-ci résultant du dispositif incluant ces accords pour les salariés et les décisions de la société pour les fonctionnaires. Il fait valoir que l'accord du 5 février 2015 n'a aucune incidence sur l'illégalité du dispositif du complément Poste jusqu'à cette date.

La cour étant saisie d'un contentieux individuel, une absence de rupture collective d'égalité est indifférente à l'issue du litige.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, il a été arrêté que l'évolution du niveau des ' Compléments Poste ' serait discutée chaque année dans le cadre de négociations salariales avec les organisations syndicales. L'évolution du montant du complément Poste des salariés résulte d'accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives alors que, comme l'indique la société La Poste, l'évolution de ce complément Poste pour les fonctionnaires est intervenue par voie d'actes réglementaires.

L'objet des accords salariaux conclus avec les organisations syndicales représentatives des salariés portait uniquement sur l'évolution du montant du complément Poste payé aux salariés et ne s'étendait pas à l'appréciation globale du système de rémunération mis en oeuvre de sorte qu'il ne peut pas être retenu que la signature de ces accords s'oppose aux prétentions de M. [L] [K].

Enfin, par accord du 5 février 2015, le complément Poste a été supprimé et a été remplacé par :

- un Complément de Rémunération d'un montant identique pour les salariés et les fonctionnaires ayant le même niveau de fonction ;

- une Indemnité de Carrière Antérieure Personnelle constituée de la différence entre le complément Poste actuellement versé à chaque agent quel que soit son statut et le Complément de Rémunération.

Comme précisé par la société La Poste, ces dispositions sont entrées en vigueur à compter du 1er juillet 2015. Le terme de la période de réclamation du salarié est fixé au mois de juin 2015 de sorte que les mesures de cet accord sont applicables pour la période postérieure à la période de réclamation.

D'autre part, il ne peut être déduit des termes de l'accord que les partenaires sociaux ont de manière rétroactive admis que le complément Poste reposait sur des considérations objectives et pertinentes comme soutenu par la société La Poste ce d'autant que la présomption de justification d'avantages institués par accord collectif ne s'étend pas à la différence de traitement objet du litige.

Sur le principe d'égalité de traitement

La société La Poste soutient qu'elle n'a pas contrevenu au principe 'à travail égal, salaire égal' au regard des trois causes justificatives de la différence de complément Poste qui doivent être selon elle retenues et examinées : la différence de fonctions successivement occupées, la maîtrise du poste et la différence de travail ou de fonctions. Elle précise qu'il appartient au salarié de démontrer qu'il occupe, à la date de l'introduction du litige, et qu'il a occupé précédemment les mêmes fonctions successives que le fonctionnaire auquel il se compare et non seulement qu'il occupe une fonction de même niveau. Elle ajoute que le juge doit opérer une appréciation in concreto des situations dans lesquelles se trouvent le salarié et le fonctionnaire auquel il se compare au regard de ces critères. En l'espèce, elle soutient d'une part, que le salarié ne justifie pas avoir occupé successivement des fonctions identiques à celles occupées par le fonctionnaire auquel il se compare et, d'autre part, qu'il ne justifie pas effectuer le même travail ou occuper les mêmes fonctions. Elle fait valoir qu'elle justifie d'une différence de parcours professionnel, de travail et de fonction entre le salarié et le fonctionnaire référent de sorte qu'ils ne se trouvent pas dans une situation identique. Elle précise qu'à fonction et niveau de classification comparables et date de recrutement identique, M. [L] [K] et les fonctionnaires référents perçoivent un complément Poste identique. Elle en déduit que faire droit à la demande de M. [L] [K] constituerait une rupture d'égalité à rebours car il percevrait alors un montant de complément Poste versé à un nombre limité de fonctionnaires. Elle sollicite en conséquence l'infirmation du jugement critiqué et le débouté de M. [L] [K].

M. [L] [K] soutient que le principe 'à travail égal, salaire égal' s'applique au complément Poste qui constitue un complément de rémunération. Il précise que ce principe a vocation à s'appliquer aux travailleurs se trouvant dans une situation identique au regard de l'avantage considéré de sorte que seuls le niveau de fonction et la maîtrise du poste peuvent être pris en compte pour apprécier l'identité de situation, l'ancienneté et l'expérience étant liées au traitement indiciaire pour les fonctionnaires et au salaire de base pour les salariés. S'agissant du niveau de fonction, il souligne que le montant du complément Poste n'a jamais dépendu de la fonction exercée comme le révèlent les textes édictés par la société et ses modalités d'évolution. Il soutient que la société ne peut pas invoquer une différence d'ancienneté pour justifier une différence de maîtrise du poste et donc une disparité de complément Poste. Il ajoute que la maîtrise du poste doit être évaluée à l'aune de critères objectifs et qu'en l'espèce, seul celui de l'évaluation établie par l'employeur est opérant. Il soutient que, compte tenu des niveaux d'évaluation, seule une évaluation au niveau D serait susceptible d'influer à la baisse sur le montant du complément Poste de sorte que la société ne pourrait justifier une différence de traitement entre lui et un fonctionnaire exerçant au même niveau de fonction que le sien que si son activité professionnelle avait été évaluée par la lettre D contrairement à celle du fonctionnaire ce qui n'est pas le cas. Il fait valoir que la notion d'expérience ne peut pas se substituer à celle d'ancienneté et que la notion d'historique de carrière n'est pas opérante ; qu'ainsi, il ne peut pas être retenu que l'exercice antérieur de fonctions variées entraîne une meilleure maîtrise d'un poste et il fait valoir qu'il démontre le contraire à partir d'exemples concrets. En conséquence, M. [L] [K] demande à la cour de condamner la société La Poste à lui payer un rappel de complément Poste à titre principal, sur la base d'une comparaison avec des fonctionnaires exerçant au même niveau de fonction que le sien et à titre subsidiaire, sur le fondement d'une comparaison avec des fonctionnaires exerçant selon lui une fonction égale ou de valeur égale au même niveau de fonction que le sien.

Le principe d'égalité de traitement dont le principe 'à travail égal, salaire égal' énoncé par les articles L. 2271-1 8° et L. 3221-2 du code du travail constitue une déclinaison, s'applique à tous les droits et avantages accordés aux salariés. Il implique que deux personnes placées dans une situation identique ou similaire, perçoivent la même rémunération ou le même avantage. Si, aux termes de l'article 1315, devenu l'article 1353 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence. En conséquence, il appartient à M. [L] [K] de justifier qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celle du fonctionnaire auquel il se compare et il incombe à la société La Poste de démontrer que la différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Aux termes de l'article L. 3221-4 du code du travail, sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, des capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. S'il n'est pas nécessaire que les fonctions exercées soient strictement identiques, il convient qu'elles impliquent un niveau de responsabilité, de capacité et de charge physique ou nerveuse comparable.

Afin de trancher le litige, il convient de définir la notion de situation identique ou similaire applicable au cas d'espèce avant éventuellement, dans le cas où le salarié justifie se trouver dans une situation identique ou similaire à celle du fonctionnaire auquel il se compare, de définir et d'examiner les éléments objectifs et matériellement vérifiables de nature à justifier une différence de traitement.

Sur la notion de situation identique ou similaire

La société La Poste soutient que M. [L] [K] doit se comparer à un fonctionnaire exerçant des fonctions identiques alors que celui-ci fait valoir à titre principal qu'il doit percevoir un complément Poste d'un montant égal à celui perçu par un fonctionnaire exerçant au même niveau de fonction que le sien. Il soutient à ce titre que le complément Poste a toujours été lié au niveau de fonction et non à la fonction exercée comme le démontrent selon lui, la décision de 1995 définissant des champs de normalité, la perception par les salariés exerçant au même niveau de fonction d'un montant identique de complément Poste et les dispositions de la circulaire du 27 septembre 1996.

Il résulte de l'instruction BRH du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993 que le complément Poste payé initialement aux seuls fonctionnaires, a regroupé des primes et indemnités existantes liées à l'exercice de fonctions déterminées, énumérées en annexe. Contrairement à ce que soutient M. [L] [K], la définition du champ de normalité énoncée par la décision BRH du 4 mai 1995 n'est pas contraire à l'existence d'un lien entre le montant du complément Poste et la fonction. En effet, le champ de normalité est défini par l'article 5.1.1 comme 'étant la plage à l'intérieur de laquelle et pour un même niveau de fonction, les 'compléments Poste' ou les rémunérations de référence doivent se situer et évoluer dans le temps. Il y a donc pour chaque champ de normalité, un niveau de 'Complément Poste' maximum constituant la borne supérieure du champ, et un niveau de 'Complément Poste' minimum constituant la borne inférieure de ce même champ.'. Il est précisé à l'article 5.2.1 : 'Les 'Compléments Poste' ont été composés sur la base de primes et d'indemnités ayant un caractère permanent que percevait chaque agent en septembre 1993 pour la première vague, mars 1994 pour la seconde vague et janvier 1995 pour les agents contractuels.(...) La reclassification des personnels (...) met en évidence le caractère hétérogène des compléments au sein d'un même niveau de fonction. (...) il a donc été décidé de diviser chaque plage de normalité en trois secteurs égaux, à savoir le secteur bas, le secteur médian et le secteur haut (...).'. Il en résulte que la création des champs de normalité a eu pour seul objet, compte tenu de la diversité des montants de complément Poste au sein d'un même niveau pour les fonctionnaires, d'établir des bornes hautes et basses puis à l'intérieur de ces bornes des secteurs bas, médian et haut.

L'instruction BRH du 3 août 1993 reprenant une décision du conseil d'administration de la société La Poste du 27 avril 1993 a arrêté le principe d'une corrélation entre la mise en oeuvre progressive de ce complément Poste et un processus de reclassification qui a conduit à terme à la définition de huit niveaux de fonction communs aux fonctionnaires et aux salariés et à la classification des fonctions dans ces niveaux. La circulaire du 27 septembre 1996 citée par M. [L] [K] explicite les opérations de reclassification en indiquant qu'elles consistent en un 'pesage' des postes c'est-à-dire en une étude du poste permettant son rattachement à un niveau de fonction. Les niveaux de fonction définis regroupent des fonctions différentes. Ainsi à titre d'exemple, sont classées au niveau II-1 les fonctions de gestionnaire contrat clientèle, pilote de production, facteur d'équipe comme le démontrent les bulletins de salaire produits aux débats.

Il ressort des accords salariaux conclus communiqués aux débats que, chaque année, les partenaires sociaux ont défini un montant de complément Poste par niveau de fonction pour les salariés de sorte que les salariés d'un même niveau de fonction perçoivent le même montant de complément Poste. Par contre, il est établi par les décisions de la société précitées que les fonctionnaires d'un même niveau de fonction peuvent percevoir des montants de complément Poste différents, répartis en trois secteurs, bas, médian et haut.

Il résulte de ces éléments que, dès lors que M. [L] [K] invoque une inégalité de traitement par rapport à un fonctionnaire et non à un autre salarié et qu'il est établi qu'au sein d'un même niveau de fonction, les fonctionnaires exerçant des fonctions différentes peuvent percevoir des montants de complément Poste distincts, la situation identique ou similaire requise s'entend comme l'exercice de fonctions identiques ou similaires au même niveau de fonction. En conséquence, le salarié doit en premier lieu retenir comme cadre de référence un niveau de fonction identique au sien puis au sein de ce niveau, comparer sa situation à celle d'un fonctionnaire exerçant les mêmes fonctions que lui ou des fonctions similaires, ce pour chaque période de réclamation.

La société La Poste ne peut pas valablement invoquer le risque d'une inégalité de traitement à rebours à l'encontre de fonctionnaires exerçant des fonctions identiques et de même niveau qu'un salarié recruté au même moment puisque la date de recrutement renvoie à l'ancienneté et qu'étant rémunérée par le traitement indiciaire du fonctionnaire et le salaire de base du salarié, elle ne peut pas être prise en compte à nouveau pour la détermination du complément Poste.

En l'espèce, à titre principal, M. [L] [K] compare sa situation au cours de la période de réclamation, à celle de fonctionnaires exerçant au même niveau de fonction que le sien. Compte tenu de ce qui précède, dans la mesure où le salarié ne justifie pas s'être trouvé dans une situation identique ou similaire à celle des fonctionnaires auxquels il se compare, il sera débouté de ses demandes formulées à titre principal.

A titre subsidiaire, M. [L] [K] compare à l'aide d'un tableau les montants de complément Poste qu'il a perçus au cours de périodes successives composant la période de réclamation à ceux perçus par deux fonctionnaires, Mme [U] [F] et M. [B] [H], ayant exercé au même niveau de fonction que le sien selon lui pendant une même période de temps des fonctions identiques ou similaires aux siennes.

M. [L] [K] compare sa situation :

- à celle de Mme [U] [F] au cours de la période du mois de juin 2009 au mois de mars 2013 ;

- à celle de M. [B] [H] au cours de la période du mois de juin 2013 au mois de juin 2015.

Comme cela ressort des bulletins de salaire de ces deux fonctionnaires, au cours de la première période, M. [L] [K] exerçait les fonctions d'agent de production identiques à celles exercées par Mme [U] [F]. Au cours de la seconde période, il a exercé des fonctions d'agent de production identiques à celles de M. [B] [H] mais seulement jusqu'au mois de janvier 2015 inclus, les bulletins de salaire de ce fonctionnaire n'étant pas produits pour la période postérieure.

Il convient donc de retenir que du mois de juin 2009 au mois de mars 2013 puis du mois de juin 2013 au mois de janvier 2015 inclus, M. [L] [K] justifie avoir exercé au même niveau de fonction, des fonctions identiques ou similaires à celles exercées par les fonctionnaires auxquels il se compare et qu'il justifie dès lors s'être trouvé dans une situation identique ou similaire à celle de ces fonctionnaires.

Il résulte des bulletins de paie produits et du tableau comparatif établi par le salarié que ces fonctionnaires ont perçu un montant de complément Poste supérieur au cours des périodes considérées. Ces éléments de fait sont susceptibles de caractériser une inégalité de traitement.

Il incombe dès lors à la société La Poste de démontrer par des élément objectifs et matériellement vérifiables que la différence de complément Poste est justifiée par une plus grande maîtrise de leur poste par ces fonctionnaires.

Sur la maîtrise du poste

La société La Poste soutient que la maîtrise du poste et la différence de parcours professionnel sont des éléments justificatifs pertinents d'une différence de complément Poste.

Une différence ne peut constituer un élément objectif de nature à justifier une inégalité de traitement que si elle a une incidence sur l'élément à apprécier. En l'espèce, l'élément à apprécier comme cause justificative de la différence de complément Poste est la meilleure maîtrise du poste par le fonctionnaire. Il appartient donc à la société La Poste de démontrer en quoi le parcours professionnel des fonctionnaires auxquels le salarié se compare notamment par la diversité et la nature des fonctions exercées, leur confère une meilleure maîtrise de leur poste.

En outre, l'activité professionnelle des agents de la société La Poste est évaluée de manière codifiée par des lettres A, B, D, E :

A : remplit partiellement les exigences du poste,

B : correspond bien aux exigences du poste,

D : ne satisfait pas aux exigences du poste,

E : dépasse les exigences du poste.

Par décision n° 717 du 4 mai 1995, il a été arrêté que ' le 'Complément Poste' rémunérant le niveau de fonction et la maîtrise du poste, l'appréciation annuelle de chaque agent peut avoir également un impact sur le niveau du complément indemnitaire'. Il a été également arrêté que l'agent dont l'activité professionnelle était évaluée D verrait son complément Poste diminuer dans des proportions précisées en annexe. Il résulte de ces éléments que l'évaluation annuelle de l'agent est un élément d'appréciation important de la maîtrise de son poste même si son activité professionnelle n'est pas évaluée comme ne satisfaisant pas aux exigences du poste (lettre D), ce d'autant qu'elle constitue un élément objectif et contradictoire comme le démontre notamment l'instruction n° 355-03 du 21 décembre 2006 produite aux débats.

En l'espèce, la société La Poste produit un document de comparaison des parcours professionnels du salarié, de Mme [U] [F] et de M. [B] [H]. Le salarié fait valoir que ce document est entaché d'erreurs ce qui est exact puisqu'il résulte des bulletins de salaire de ces fonctionnaires produits aux débats, établis par l'employeur, que la première a exercé jusqu'au mois de juillet 2015 au niveau I.2 et non au niveau I.3 comme indiqué par la société et que le second a exercé à compter du mois de janvier 2009 au niveau I.3 et non comme indiqué sur le document produit par la société au niveau I.2 à compter de l'année 2010. En outre, la société La Poste n'explicite pas de manière circonstanciée en quoi l'exercice antérieur de fonctions distinctes par ces deux fonctionnaires leur a conféré une meilleure maîtrise de leur poste d'agent de production.

La société La Poste ne produit pas les évaluations de l'activité professionnelle de ces fonctionnaires et elle ne produit pas celles de M. [L] [K]. Elle ne verse pas aux débats la fiche individuelle de gestion de Mme [U] [F] et ne communique pas les lettres d'évaluation de cette fonctionnaire. Si elle produit la fiche individuelle de gestion concernant M. [B] [H] mentionnant les lettres d'évaluation de son activité professionnelle, elle ne produit pas celle de M. [L] [K] non plus que ses lettres d'évaluation ce qui ne permet pas d'établir une comparaison entre l'évaluation de son activité professionnelle et celles de ces fonctionnaires. La société La Poste ne verse aux débats aucun autre élément objectif de nature à démontrer que ces fonctionnaires disposent concrètement d'une meilleure maîtrise de leur poste que le salarié.

En conséquence, la société La Poste ne démontre pas que la différence de complément Poste perçu par M. [L] [K] et par les fonctionnaires exerçant des fonctions identiques ou similaires aux siennes au même niveau de fonction que le sien auxquels il se compare, est justifiée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Dès lors, il sera retenu que la société La Poste n'a pas respecté le principe d'égalité de traitement.

M. [L] [K] établit sa demande de rappel de salaire à partir du tableau comparatif évoqué précédemment. Compte tenu de ce qui précède quant aux périodes au cours desquelles M. [L] [K] a exercé au même niveau de fonction, des fonctions identiques ou similaires à celles des fonctionnaires auxquels il se compare, la société La Poste sera condamnée à lui payer les sommes suivantes :

- 3 743,43 euros à titre de rappel de complément Poste,

- 374,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ces chefs de demande.

Sur les dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi du fait de l'inégalité de traitement

M. [L] [K] soutient que l'inégalité de traitement dont il a été victime, lui a causé un préjudice moral dont il doit être indemnisé.

La société La Poste soutient qu'il n'est pas recevable et fondé en cette demande alors que les textes légaux et réglementaires ont été appliqués.

M. [L] [K] ne justifie pas suffisamment de l'existence d'un préjudice moral.

En conséquence, il sera débouté de sa demande à ce titre.

La décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société La Poste de remettre à M. [L] [K] des bulletins de salaire conformes à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante en son appel à titre principal, la société La Poste sera condamnée au paiement des dépens. Le jugement sera confirmé à cet égard.

La société La Poste sera condamnée en outre à payer à M. [L] [K] la somme de 120 euros au titre des frais irrépétibles, la décision des premiers juges étant confirmée à ce titre.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation soit le 15 juillet 2014 et, pour les salaires échus postérieurement à la saisine, à compter de leur date d'exigibilité ; la créance indemnitaire produit intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement mais seulement en ce qui concerne le montant du rappel de complément Poste et des congés payés afférents,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Condamne la société La Poste à payer à M. [L] [K] les sommes suivantes :

- 3 743,43 euros à titre de rappel de complément Poste,

- 374,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société La Poste de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 15 juillet 2014 et, pour les salaires échus postérieurement à la saisine, à compter de leur date d'exigibilité ;

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Ordonne à la société La Poste de remettre à M. [L] [K] des bulletins de salaire conformes à la présente décision,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Condamne la société La Poste à payer à M. [L] [K] la somme de 120 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société La Poste aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 17/13835
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;17.13835 ?
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