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05/06/2024 | FRANCE | N°22/09137

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 05 juin 2024, 22/09137


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 05 JUIN 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 22/09137 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZJ2



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Février 2022 - Tribunal de Commerce de Paris, 19ème chambre - RG n° 2016068727





APPELANTE



S.A.S.U. SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] agissant poursuites et diligences de ses représ

entant légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Montpellier sous le numéro 450 896 006

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Matthieu Boccon G...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 05 JUIN 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/09137 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZJ2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Février 2022 - Tribunal de Commerce de Paris, 19ème chambre - RG n° 2016068727

APPELANTE

S.A.S.U. SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] agissant poursuites et diligences de ses représentant légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Montpellier sous le numéro 450 896 006

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu Boccon Gibod de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477

INTIMEE

S.A. ENEDIS prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 444 608 442

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Belgin Pelit-Jumel de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de Paris, toque : D1119

Assistée de Me Michel Guénaire, avocat au barreau de Paris, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4

Mme Sophie Depelley, conseillère

M. Julien Richaud, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Agnès Bodard-Hermant dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Maxime Martinez

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Sophie Depelley, conseillère, la présidente empêchée, et par M. Maxime Martinez, greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

La société SFE Parc Eolien de St-Crépin (SFE) est un producteur d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables. Ses installations sont reliées au poste source d'[Localité 5], géré par ENEDIS et ces sociétés ont conclu pour leur exploitation, le 27 juillet 2005, un contrat d'accès au réseau de distribution en injection dit CARD-I.

Le 15 avril 2015, ENEDIS a informé SFE de travaux visant au remplacement du transformateur à l'intérieur de ce poste-source qui ont eu lieux du 29 mai au 14 juillet 2015 et qui ont conduit à la limitation de sa production.

Le 1er septembre 2015, SFE a demandé à ENEDIS l'indemnisation des pertes de production consécutives à l'opération, qui a répondu le 22 décembre 2015, que les travaux réalisés correspondaient à une "intervention de renouvellement de poste source" et qu'elle n'était pas tenue contractuellement par un engagement de résultat pour ce type d'opération.

Une mission de règlement des différends portant sur l'accès aux réseaux publics d'électricité et de gaz et leur utilisation entre gestionnaires et utilisateurs est exercée par le Comité de règlement des différends et des sanctions [CoRDIS], structure ad hoc de la Commission de Régulation de l'Energie (CRE), autorité administrative indépendante.

Par requête du 19 juillet 2016, SFE a saisi le CoRDIS, afin qu'il soit constaté la violation, par ENEDIS, de ses obligations contractuelles relatives à ses engagements quantitatifs (article 5.1.1.1 des conditions particulières du CARD 1) et à l'obligation de concertation préalable (article 5.1.1.1 des conditions générales du CARD 1).

Par décision du 16 février 2018, le CoRDIS a dit :

* Article 1er - La société Enedis n'a pas respecté la durée maximale d'indisponibilité de huit heures de coupure prévue par les stipulations de l'article 5.1.1.1 des conditions particulières du contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité de la société [Adresse 8].

* Article 2 - La société Enedis n'a pas respecté l'article 5.1.1.1 des conditions générales du contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité de la société [Adresse 8] qui prévoit une concertation entre le distributeur et le producteur.

La Cour d'appel de Paris a rejeté par un arrêt du 18 mars 2021 le recours en annulation formé contre cette décision du CoRDIS.

Entre-temps, par acte du 17 novembre 2016, SFE a assigné ENEDIS devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par des manquements contractuels d'ENEDIS.

Par jugement du 23 février 2022, le tribunal de commerce de Paris :

- DEBOUTE la SA ENEDIS de sa demande d'irrecevabilité au titre de l'article 9.2 des conditions générales,

- DEBOUTE la SA ENEDIS de sa demande d'irrecevabilité au titre de l'article 11.11 des conditions générales,

- DIT les demandes de la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] recevables,

- DIT que les conditions de l'engagement de la responsabilité contractuelle de la SA ENEDIS ne sont pas réunies,

- DIT que la catégorie des travaux de renouvellement de postes-sources n'était pas prévue dans le CARD-I,

- DEBOUTE la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] de sa demande de condamnation de la SA ENEDIS à lui verser la somme de 215 954 euros au titre de réparation de préjudice,

- CONDAMNE la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] à verser à la SA ENEDIS la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- DEBOUTE les parties de leurs demandes, plus amples et contraires,

- CONDAMNE la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA.

SFE a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 6 mai 2022 et lui demande, par ses dernières conclusions, transmises par RPVA le 25 janvier 2024, de :

Vu les articles 1146 et suivants du Code civil dans sa version applicable au litige,

Vu les dispositions du CARD-I,

Vu ensemble les décisions du CoRDIS et les arrêts de la Cour d'Appel de Paris en date des 5 juillet 2018 (affaire ELICIO BRETAGNE), 18 mars 2021 (volet CoRDIS du présent dossier),

CONFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a DIT les demandes de la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] recevables,

INFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a :

* DIT que les conditions de l'engagement de la responsabilité contractuelle de la SA ENEDIS ne sont pas réunies,

* DIT que la catégorie des travaux de renouvellement de postes-sources n'était pas prévue dans le CARD-I,

* DEBOUTE la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] de sa demande de condamnation de la SA ENEDIS à lui verser la somme de 215 954 euros au titre de réparation de préjudice,

* CONDAMNE la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] à verser à la SA ENEDIS la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* DEBOUTE les parties de leurs demandes, plus amples et contraires, mais uniquement lorsqu'il déboute la société SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] de ses demandes,

* CONDAMNE la SAS SFE PARC EOLIEN DE [Localité 6] aux dépens, dont ceux à recouvrer par Ie greffe, liquidés à la somme de 70,86 € dont 11,60 € de TVA

ET STATUANT A NOUVEAU,

- JUGER que les travaux de renouvellement de poste source à l'initiative d'ENEDIS ont provoqué entre le 27 mai 2015 et le 27 septembre 2015 1.262 heures de coupures qui excèdent ainsi largement les engagements quantitatifs d'ENEDIS tels que prévus au chapitre 5 des conditions générales des CARD I ;

- JUGER qu'ENEDIS a en outre violé son obligation de concertation préalable telle que prévue à l'article 5.1.1.1 alinéa 2 des conditions générales du CARD-I ;

- JUGER qu'ENEDIS a engagé sa responsabilité et en conséquence doit indemniser la Société Exploitante par application combinée des articles 5.1.1.1 et 9.1.1.1.1 des conditions générales des CARD-I, et de l'article 5.1.1.1 des conditions particulières du CARD-I ;

- CONDAMNER ENEDIS à payer à la Société Exploitante un montant total de 180.787 € correspondant à

* 160.787 € au titre des pertes d'exploitation subies ;

* 20.000 € au titre du manquement par ENEDIS à son obligation de concertation préalable ;

- JUGER que ces montants porteront intérêts au taux légal capitalisés en conformité avec les dispositions de l'article 1343-2 du Code civil, courant depuis le 1er septembre 2015, date de la première demande formée par la Société Exploitante ;

- DEBOUTER ENEDIS de l'ensemble de ses demandes ;

- CONDAMNER ENEDIS à verser à la Société Exploitante une somme de 42.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

ENEDIS demande à la Cour par ses dernières conclusions, transmises par RPVA le 19 février 2024, de :

Vu les articles 1146 et suivants du code civil,

Vu les articles 1240 à 1252 du code civil,

Vu les articles 3, 378, 522 et 700 du code de procédure civile,

Vu l'article L. 442-6 I. 2° du code de commerce,

Vu le code de l'énergie, et notamment ses articles L. 111-61 et L. 322-8,

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 23 février 2022 en ce qu'il a jugé recevables les demandes de la SFE Parc Eolien de [Localité 7] ;

Statuant à nouveau de ce chef :

- Juger irrecevables les demandes de la SFE Parc Eolien de [Localité 7] et en tout état de cause mal fondées.

En tout état de cause :

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 23 février 2022 en ce qu'il a jugé que les conditions de l'engagement de la responsabilité contractuelle d'Enedis ne sont pas réunies et rejeté les demandes de la SFE Parc Éolien de [Localité 7] comme injustes et mal.

- Débouter la SFE Parc Éolien de [Localité 7] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner la SFE Parc Éolien de [Localité 7] à payer à Enedis une indemnité de procédure de 5.000 euros et aux dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 février 2024.

MOTIVATION

1. Sur la recevabilité des demandes de la SFE

1.1 Moyens des parties

ENEDIS soutient que les demandes de SFE sont irrecevables faute de respect de l'article 9.2 des conditions générales du CARD-I qui institue un préalable à la saisine d'un tribunal et l'article 11.11 des conditions générales du CARD-I dès lors lors que :

- SFE n'a informé ENEDIS du dommage qu'elle estime avoir subi que le 1er septembre 2015, soit 6 semaines après la fin des travaux, là où la clause exige une notification dans les 7 jours

- SFE s'est contentée de demander une indemnisation sans rechercher une solution au différend des parties.

SFE soutient d'une part que les stipulations de l'article 9.2 des conditions générales du CARD-I n'imposent pas une condition préalable à la saisine du tribunal et, d'autre part, que face au refus d'ENEDIS de l'indemniser elle a demandé l'organisation d'une réunion, qui s'est tenue le 3 février 2016 à l'issue de laquelle ENEDIS a maintenu sa position, ce qui l'a conduit a solliciter une ultime fois une indemnisation, par courrier du 28 avril 2016.

1.2 Réponse de la cour

L'article 9.2 des conditions générales du CARD-I (pièces 6 et 2) prévoit :

« la Partie victime d'un dommage dans le cadre de l'exécution du présent contrat, qu'elle attribue a l'autre Partie ou à un sous-contractant de celle-ci, est tenue d'informer l'autre Partie de la survenance du dommage, par lettre recommandée avec accusé de réception dans un délai de sept jours ouvrés à compter de la survenance du dommage ou de la date à laquelle il en a eu connaissance, afin de permettre d'accélérer le traitement de sa demande et de faciliter notamment la recherche des éléments et des circonstances de l'incident, et de collecter les justificatifs relatifs au préjudice subi »

L'article 11.11 de ces conditions générales prévoit :

"Dans le cas de contestation relative à l'interprétation ou à l'exécution du contrat et de ses suites, (...), les parties s'engagent à se rencontrer et à mettre en 'uvre tous les moyens pour résoudre cette contestation."

D'une part, la lecture des stipulations du premier de ces articles enseigne, ainsi que le retient exactement le premier juge, qu'elles n'ont pas vocation à poser une condition préalable à la saisine du tribunal mais à permettre un traitement de la demande et une indemnisation plus rapide.

D'autre part, le jugement entrepris retient à bon droit que SFE a, à plusieurs reprises, recherché une solution amiable au différend qui l'oppose à ENEDIS, notamment lors de Ia réunion du 3 février 2016.

Il suffira d'ajouter qu'il importe peu qu'elle ait réclamé indemnisation à ces occasions, dès lors qu'elle fait état des données et méthode d'évaluation retenues, offre de fournir toute information complémentaire et étaye juridiquement cette demande d'indemnisation en réponse aux objections adverses, démontrant ainsi avoir mis en oeuvre tous les moyens en sa possession pour résoudre la contestation(pièces SFE 9-13) ;

2. Sur la responsabilité contractuelle alléguée d'ENEDIS

2.1. Moyens des parties

SFE soutient à titre principal que la décision de la chambre 5-7 de cette cour du 18 mars 2021 a autorité de chose jugée quant aux manquements contractuels d'ENEDIS et, subsidiairement, - d'une part, qu'ENEDIS engage sa responsabilité lorsqu'elle a causé plus de 2 coupures par an ou que les coupures survenues représentent une durée cumulée supérieure à 8 heures dès lors que le contrat ne fait pas la distinction entre des travaux de renouvellement portant sur un poste-source et des travaux de renouvellement portant sur un autre ouvrage, ainsi qu'en jugent d'ailleurs la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation,

- d'autre part, qu'ENEDIS s'est contentée de l'informer, par courrier du 15 avril 2015, d'une coupure à venir en raison du renouvellement du poste-source, sans initier de concertation préalable à l'initiative du distributeur, comme l'exige le CARD-I.

Elle estime à 1 262 le nombre d'heures d'arrêt pour l'ensemble des coupures survenues entre le 27 mai et le 27 septembre 2015 et fait valoir qu'ENEDIS reconnaît elle-même une durée globale d'indisponibilité de 1 155 heures pour la seule période courant du 27 mai au 14 juillet 2015.

Surabondamment, elle conteste l'imprévisibilité prétendue des travaux de renouvellement des postes-source faisant valoir que le tribunal de commerce de Paris, dans une affaire similaire [Y] [F], a jugé explicitement que les travaux de renouvellement de poste-source n'étaient pas imprévisibles.

ENEDIS ne s'explique pas sur l'autorité de chose jugée alléguée par SFE et fait siens les motifs du jugement entrepris, soutenant ce qui suit :

-les travaux de renouvellement des postes-source ne sont pas mentionnés dans le CARD-I, s'agissant de travaux exceptionnellement complexes, s'inscrivant dans l'objectif de transition énergétique et impliquant des coupures plus longues que celles prévues au CARD-I, comme l'ont retenu le jugement entrepris et la cour d'appel de Paris, notamment dans l'affaire [M], raison pour laquelle les versions plus récentes des CARD-I prévoient des durées maximales spécifiques de coupure pour les renouvellements de poste-source, de 1008 heures sur 15 ans,

- ces travaux n'étaient pas prévisibles à la date de signature du CARD-I, les objectifs de la politique de transition énergétique ayant été constamment revus à la hausse depuis la conclusion du CARD-I et la nécessité de renouveler les postes-source n'étant apparue qu'à partir des années 2010 de sorte que l'obliger à garantir la continuité d'accès au réseau en dépit de ces travaux provoquerait, comme l'a jugé le tribunal de commerce de Paris dans deux jugements du 9 décembre 2022, une "rupture significative dans les droits et obligations des parties",

- alors qu'aucune obligation de concertation ne pesait sur elle, dès lors que les travaux en cause n'entraient pas dans le champ contractuel du CARD-I, elle a associé SFE à une concertation le 15 avril 2015, soit un mois et demi avant le début des travaux et ensuite par écrit et au demeurant SFE n'ignorait pas l'imminence de ces travaux dès lors qu'une consultation de plus de deux ans avait été mise en place avec les acteurs concernés par le renouvellement des réseaux de transport et de distribution d'électricité de la région Poitou-Charentes, impliquant l'association de professionnels France Energie Eolienne, dont est membre Renvico, société mère de SFE.

2.2 Réponse de la cour

Vu les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile,

Vu les articles L 134-19 et suivants du code de l'énergie,

Vu les articles R. 134-7 à R.134-17 et R. 134-21 à R. 134-28 du code de l'énergie,

Vu l'arrêt précité de la chambre 5-7 de cette cour du 18 mars 2021 (ci-après l'arrêt de la 5-7),

Comme énoncé ci-dessus, par décision du 16 février 2018, le CoRDIS, structure ad hoc de règlement des différends de la CRE saisi par SFE a dit :

* Article 1er - La société Enedis n'a pas respecté la durée maximale d'indisponibilité de huit heures de coupure prévue par les stipulations de l'article 5.1.1.1 des conditions particulières du contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité de la société [Adresse 8].

* Article 2 - La société Enedis n'a pas respecté l'article 5.1.1.1 des conditions générales du contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité de la société [Adresse 8] qui prévoit une concertation entre le distributeur et le producteur.

Et l'arrêt de la 5-7 a rejeté le recours en annulation formé contre cette décision, retenant le manquement contractuel en débat.

Quoiqu'il en soit, à supposer même que cet arrêt n'ait pas autorité de chose jugée, ce dont les parties ne s'expliquent pas, la cour retient que ENEDIS n'a pas respecté ses obligations contractuelles litigieuses de durée maximale d'indisponibilité du réseau (article 5.1.1.1 des conditions particulières du CARD-I la liant à SFE) et de concertation avec le producteur (article 5.1.1.1 des conditions générales du CARD-I la liant à SFE), pour les motifs suivants.

Sur la violation des engagements quantitatifs en matière de continuité d'accès au réseau

L'article 5.1.1.1 des conditions générales du CARD-I s'intitule : "Engagements du Distributeur sur la disponibilité du Réseau d'évacuation dans le cadre des travaux de développement, renouvellement, maintenance des ouvrages" et renvoie in fine aux conditions particulières pour les engagements quantitatifs du distributeur.

L'article 5.1.1.1. de ces conditions particulières prévoit, à cet égard, que les coupures pour ces travaux ne pourront dépasser le nombre de 2 par année et une durée cumulée de 8 heures par année.

Or, le premier de ces articles ne distingue pas selon les travaux de renouvellement tels que "l'intervention de renouvellement au poste source d'[Localité 5] (mutation du transformateur HTB/HTA)" précitée, ce qui rend inopérant les développements sur l'exclusion prétendue de cette intervention.

Par ailleurs, ENEDIS n'étaye pas utilement son argumentaire sur le caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat, de ces travaux de renouvellement des postes source, rendus nécessaires par la politique de transition écologique prétendument menée à compter de 2010, soit postérieurement et ayant conduit à l'accroissement sans précédent des demandes de raccordement au réseau public de distribution de l'électricité qu'il gère.

En effet, le législateur, européen et français a accompagné et incité au développement de ces énergies, dès 2001, en termes précis et quantitatifs, (pièces adverses 28-31 dont directive 2001/77/CE du 27 septembre 2001, not. Article 7.2 et publication ADEME p. 43,47 et 55, de juillet 2008 sur la situation 2006-2007 et les perspectives 2012). ENEDIS, gestionnaire historique du réseau, ne soutient pas utilement l'avoir ignoré dès lors que la nécessité d'adapter le réseau aux raccordements de nombreux producteurs à compter de 2010 dont attestent les documents récents qu'elle verse aux débats (pièces 23-26) sont sans incidence sur le fait que cette nécessité, y compris dans son ampleur, était connue avant la signature en 2005 du CARD I litigieux. Elle pouvait donc anticiper l'apparition des premiers schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables au moment de sa signature.

Sur la violation de l'obligation de concertation

ENEDIS s'est contentée d'informer SFE, par courrier du 15 avril 2015, d'une coupure à venir en raison du renouvellement du poste-source, sans initier la concertation préalable à l'initiative du distributeur avec SFE, son cocontractant directement concerné par ces travaux, telle que l'exige l'article 5.1.1.1 des conditions générales, paragraphes 1 et 2, du CARD-I qui se lit ainsi :

"Le Distributeur a la faculté, lorsque des contraintes techniques l'imposent, d'interrompre le service pour le développement, le renouvellement, la maintenance de son Réseau et les réparations urgentes que requiert son matériel.

Pour les interventions ne présentant pas un caractère d'urgence, une concertation préalable est organisée par le Distributeur et le Producteur est prévenu dès la planification des travaux, avec confirmation, au moins dix jours ouvrés à l'avance, de la date, de l'heure, et de la durée des arrêts pour l'entretien.

(...)

Le Distributeur s'efforce de réduire les interruptions au minimum et de les situer, dans une mesure compatible avec les nécessités de son exploitation, aux époques et heures susceptibles de provoquer le moins de gêne possible au Producteur. Le Producteur est tenu informé de tout dépassement de la durée maximale."

A cet égard, d'une part, le délai de 10 jours concerne la confirmation ci-dessus visée du calendrier précis des arrêts, non l'organisation de la concertation et, d'autre part, la consultation mise en place plus de deux ans auparavant avec les acteurs concernés par le renouvellement des réseaux de transport et de distribution d'électricité de la région Poitou-Charentes, impliquant l'association de professionnels France Energie Eolienne, dont est membre Renvico, société mère de SFE, ne peut suffire.

3. Sur le préjudice

3.1 Sur le préjudice résultant du non-respect des engagements quantitatifs issus du CARD-I

3.1.1 Moyens des parties

SFE soutient que ce préjudice s'élève à 160.787 euros au titre des pertes de productions subies suite aux coupures intervenues entre le 27 mai 2015 et le 27 septembre 2015, directement imputables aux travaux litigieux, déduction faite de la seule franchise de 8 heures contractuellement applicable et que les méthodes - SCADA ou de l'ENI (électricité non injectée) - retenues par le rapport d'expertise [P] du 11 janvier 2023 sur laquelle elle se fonde sont transparentes et fiables dès lors qu'elles aboutissent à des résultats comparables.

ENEDIS qui se fonde sur un rapport d'expertise non judiciaire FTI du 22 décembre 2023 soutient que :

- le préjudice n'est ni direct ni certain, contestant la robustesse des résultats obtenus par l'expertise [P] :

* qui ne respecte pas la méthode de l'ENI telle que recommandée par sa note ENEDIS-NOI-CF-49E, basée sur la comparaison avec 10 sites comparables

*et dont la méthode SCADA est approximative ajoutant que la corrélation entre ce seul site et le site litigieux n'est pas suffisante.

- le préjudice n'était pas prévisible à la date de signature du CARD-I en examen et n'est donc pas indemnisable, reprenant son argumentaire déjà développé pour s'opposer à la reconnaissance d'un manquement à ses engagements quantitatifs

- le préjudice est surévalué du fait de la prise en compte de périodes postérieure au 14 juillet 2015, date de fin des travaux et d'une franchise limitée à 8 heures au lieu de 1008 ou 816 heures correspondant aux versions postérieures du CARD-I.

- SFE ne tient pas compte des économies d'impôts réalisées.

3.1.2 Réponse de la cour

Vu les articles 1231-3 et 1231-4 du code civil,

Les parties s'accordent en définitive sur la nécessité de retenir comme tels les périodes de coupure partielle limitant la puissance d'injection à 0,7 MW au lieu de 9,5, précisément identifiées (P SFE 23, tableau 6, p. 8) tout en laissant à SFE la possibilité d'exploiter son parc dans cette limite, peu important son choix de l'arrêter totalement. La Cour ne retiendra donc que des pertes calculées au-dessus de ces limitations.

Par ailleurs il est constant que le montant de la franchise contractuelle de 8 heures est de 102 euros et que la durée de coupure pendant les travaux soit du 27 mai au 14 juillet 2015 est de 1164 heures et 30 minutes.

Enfin, la Cour relève que ENEDIS qui ne reprend pas dans ses dernières conclusions son argumentaire sur l'incidence du chiffre d'affaires et d'éventuels travaux de maintenance sur l'évaluation des pertes alléguées est réputé y avoir renoncé, en vertu de l'article 954 du code de procédure civile.

Les parties s'opposent en revanche sur les points qui suivent.

Sur la période à retenir

SFE n'étaye pas utilement, en se référant à ses pièces 11 et 7, sa prétention tendant à la prise en compte contestée des coupures intervenues dans les deux mois suivant le 14 juillet 2015, sans dire en quoi ces pièces en justifient alors que la notification d'interdiction de produire le 28 juillet 2015 en raison de "travaux urgents sur le transformateur du poste source d'Arhingeay" ne suffit pas à cet égard et que rien de tel ne ressort manifestement du compte rendu de la réunion du 3 février 2016 dont elle ne s'explique pas.

Sur la franchise à retenir

ENEDIS soutient vainement que la franchise contractuelle de l'article 5.1.1.1. précité des conditions particulières du CARD-I doit être remplacée par l'une ou l'autre des franchises désormais prévues en pareil cas par deux versions du CARD-I qui lui sont postérieures dès lors qu'elles sont en conséquence inopposables à SFE, en vertu de l'effet relatif des contrats énoncé à l'article 1165 devenu 1199 du code civil.

Sur la prévisibilité du préjudice

Il est renvoyé au point 2.2 qui précède en réponse aux arguments de ENEDIS déjà développés de ce chef.

Sur la prise en compte revendiquées par ENEDIS des économies d'impôts réalisées par SFE

Il résulte d'une jurisprudence constante que les dispositions fiscales frappant les revenus sont sans incidence sur les obligations des personnes responsables du dommage et le calcul de l'indemnisation de la victime (Cass. soc., 6 avr. 2022, n° 20-22.918 ; Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-26.646 ; Cass. 2ème civ. 17 septembre 2009 n° 08-19363). Et le jugement du tribunal de commerce de Paris du 26 septembre 2023 que ENEDIS invoque pour le contester sans toutefois le correler à aucune pièce communiquée, ne suffit pas à l'invalider.

Sur les mérites des expertises et méthodes respectives des parties

Il appartient à la Cour de trancher entre les deux analyses divergentes du montant du préjudice, proposées par les parties au vu de leur rapport d'expertise respectif (Com, 1er mars 2023, n° 20-18356).

Les données de production du parc voisin de celui de SFE, qui sert de référence à l'expertise [P], cabinet externe dont l'indépendance n'est pas remise en cause, ont été relevées au compteur ENEDIS et communiquées directement par cette dernière à SFE (pièce SFE 23, p. 10). La transparence de ces données n'est donc pas contestable.

La fiabilité des analyses et résultats du rapport de cette expertise datée du 11 janvier 2023 est contestée par ENEDIS qui lui reproche, au vu du rapport d'expertise FTI Compass Lexecon du 22 décembre 2023 (pièce ENEDIS 19) :

- une corrélation insuffisante entre le site voisin de référence et le site de SFE en termes de conditions météorologiques et techniques

- une méthode (SCADA) plus approximative que celle de l'ENI qu'il recommande conformément à sa note précitée ENEDIS-NOI-CF-49E éditée le 29 mai 2017, qui prend en compte, sans objections des producteurs en général non pas un seul mais dix sites comparables (Pièces 8 et 13),

- des estimations de production SCADA incohérentes par rapport à ses données de comptage (ses pièces 27 p. 6 et 19, points 5.2 et 5.3).

Toutefois, ainsi que le fait pertinemment valoir la note technique de l'expert du 19 janvier 2024 (pièce SFE 32, p. 3-4)) en réponse à ces objections :

- seule ENEDIS est en mesure d'appliquer la méthode de l'ENI selon ses propres critères en tenant compte de dix installations voisines pertinentes car elle a seul accès aux informations de ces dix installations, qu'elle ne produit pourtant pas alors qu'elles auraient permis d'appliquer strictement la méthode ENI revendiquée. Tandis que SFE ne dispose que de celle, voisine, retenue pour l'expertise, qui lui appartient,

- en l'état de l'absence de données à laquelle il était loisible à ENEDIS de remédier, la comparaison des résultats des deux méthodes ENI et SCADA, appliquées telles qu'explicitées aux points 4.1 et 5.1 du rapport [P], valide à suffisance la robustesse de l'estimation des pertes financières, en ce que leurs résultats sont raisonnablement comparables (écarts faibles de l'ordre de 4%; pièces SFE 23 p. 23-25 et 32 p. 3),

- la corrélation de l'installation voisine de référence est justifiée au regard tant des conditions climatiques et opérationnelles que de l'indicateur de corrélation dit MAPE de 4 à 5%, qui est donc bien inférieur au seuil requis par la méthode ENI (pièce 32 p. 4), ce que reconnait d'ailleurs l'expert FTI dans sa note en réponse du 8 février 2024 (pièce ENEDIS 27, point 5 et 6).

Par suite, et en l'absence de preuve des heures effectives de début et fin de travaux la cour évalue le préjudice, correspondant aux heures de coupure partielle ou totale intervenue pendant les travaux litigieux du 27 mai 2015 au 14 juillet 2015 et provoquant une perte d'exploitation, à la somme de 154.736,37 euros après franchise, telle que retenue au tableau 10 de l'expertise [P] intitulé "pertes de productions et financières - méthode SCADA - SCP - coupure partielle" (pièce SFE 23, p. 19), étant observé que c'est la moins élevée des évaluations résultant des trois méthodes successivement proposées par SFE pour répondre aux critiques de ENEDIS (évaluation en fonction des données de vent propres au site et à celui, voisin, de référence, plutôt que de production; évaluation selon la méthode de l'ENI; évaluation par le cabinet d'expertise indépendant [P] ; pièces 8, 8-1, 8-2, 8-4, 23 et 32).

Le jugement entrepris doit donc être infirmé de ce chef et ENEDIS condamnée à payer cette somme à SFE.

3.2 Sur le préjudice résultant du non-respect de l'obligation de concertation

3.2.1 Moyens des parties

La SFE, qui dénonce l'attitude déloyale témoignant de l'abus de sa situation monopolistique par ENEDIS qui ne l'a prévenu des travaux litigieux qu'un mois et demi avant leur réalisation, sollicite le paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice résultant du manquement à l'obligation de concertation préalable, qu'ENEDIS reconnaît elle-même.

ENEDIS soutient qu'elle a respecté l'obligation de prévenance sous 10 jours, telle que prévu à l'article 5.1.1.1 des conditions générales du CARD I et, qu'en toute hypothèse, le montant de ce prétendu préjudice n'est justifié par aucun élément de fait ou de droit.

3.2.2 Réponse de la cour

Certes, SFE procède par affirmation quant au montant du préjudice résultant pour elle de la violation déjà retenue de l'obligation de concertation avec le producteur, prévue par l'article 5.1.1.1 des conditions générales du CARD-I la liant à SFE, qu'elle évalue à 20.000 euros sans étayer cette demande.

Néanmoins, compte tenu des éléments en débat relatifs à la brièveté du délai de prévenance observé par ENEDIS et à la durée des travaux en cause, la Cour évalue à 1.000 euros ce préjudice matériel lié au trouble provoqué par l'organisation rendue précipitée de son exploitation pendant ces travaux. ENEDIS sera donc condamnée à payer cette somme à SFE, après infirmation du jugement entrepris de ce chef.

4. Sur les demandes accessoires

Le sens de l'arrêt conduit à l'infirmation du jugement entrepris des chefs des dépens et de l'indemnité de procédure.

Enedis, partie perdante, doit supporter les dépens de première instance et d'appel et l'équité commande de la condamner à payer l'indemnité de procédure qui suit.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société ENEDIS de ses demandes d'irrecevabilité et déclaré recevables les demandes de la société SFE Parc Eolien de St-Crepin ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société ENEDIS à payer à la société SFE Parc Eolien de St-Crépin les sommes de :

- 154.736,37 euros après franchise à titre de dommages-intérêts pour violation de ses engagements quantitatifs ;

- 1.000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de son obligation de concertation ;

Condamne la société ENEDIS aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société SFE Parc Eolien de [Localité 7] une indemnité de procédure de 20.000 euros ;

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER P/LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 22/09137
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;22.09137 ?
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