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05/06/2024 | FRANCE | N°21/07448

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 05 juin 2024, 21/07448


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 05 JUIN 2024



(n° 2024/ , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07448 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHSK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes de PARIS 10 - RG n° 19/009940



APPELANTE



S.A.S. [D]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barre

au de PARIS, toque : C2477





INTIMÉ



Monsieur [H] [W]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Kamel MAOUCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0116





COMPOSITION DE LA COUR...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 05 JUIN 2024

(n° 2024/ , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07448 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEHSK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes de PARIS 10 - RG n° 19/009940

APPELANTE

S.A.S. [D]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMÉ

Monsieur [H] [W]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Kamel MAOUCHE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0116

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation

Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, initialement prévu le 27 mars 2024 et prorogé au 24 avril 2024 , puis au 22 mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre et par Madame Philippine QUIL, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Selon contrat à durée déterminée, M. [W] a été engagé en qualité de formateur-enseignant en économie et comptabilité du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2007 par la société Formation gestion finance audit (la société FGFA). La relation contractuelle s'est poursuivie pour une durée indéterminée à compter du 1er octobre 2007.

La société FGFA exploitait l'Ecole [6] (l'[6]).

L'[6] a été rachetée le 1er janvier 2019 par la société [D], à laquelle a été transféré le contrat de travail de M. [W] à la même date.

Par lettre du 3 juillet 2019, la société [D] a proposé à M. [W] une « modification du contrat de travail pour motif économique » consistant en une réduction de sa durée annuelle forfaitaire de travail à 546 heures à compter du 1er septembre suivant.

Par lettre du 23 juillet 2019, M. [W] a informé la société [D] du refus de modification de son contrat de travail.

Par lettre du 3 août 2019, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique fixé au 3 septembre suivant.

Le contrat de travail de travail a été rompu le 24 septembre 2019, à l'issue du délai de réflexion dont M. [W] disposait après son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé.

M. [W] a saisi le 6 novembre 2019 le conseil de prud'hommes de Paris d'une contestation de son licenciement et en demandant la condamnation de la société [D] à lui payer différentes sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 29 juin 2021, auquel il est renvoyé pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris a rendu la décision suivante:

« Dit le licenciement économique dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS [D] à verser à Monsieur [H] [W] les sommes suivantes :

- 5082,56 à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 508,25 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ;

- 22871,52 euros à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- 2000,00 euros à titre d'indemnité pour l'absence de mise en place d'institutions représentatives du personnel ;

- 3000,00 euros à titre d'indemnité pour le préjudice résultant du manquement à l'obligation de sécurité ;

- 8000,00 euros à titre d'indemnité pour manquement aux obligations conventionnelles ;

Rappelle qu'en application des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil, les intérêts courent à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, pour les créances de nature salariale et à compter du prononcé du jugement pour les créances à caractère indemnitaire.

Rappelle qu'en application de l'article R. 1454-28 du Code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaires, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Fixe cette moyenne à la somme de 3999,42 euros ;

Déboute Monsieur [H] [W] du surplus de ses demandes ;

Déboute la SAS [D] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamne la SAS [D] aux dépens.»

La société [D] a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 19 août 2021.

La constitution d'intimée de M. [W] a été transmise par voie électronique le 16 septembre 2021.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 12 mai 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société [D] demande à la cour de:

« Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris en date du 29 juin 2021 en ce qu'il a :

- débouté M. [W] de sa demande d'indemnité au titre des manquements à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail ;

- débouté M. [W] de sa demande de rappels de salaires et congés payés ;

- débouté M. [W] de sa demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement pour motif économique ;

- débouté M. [W] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté M. [W] de sa demande d'exécution provisoire du jugement.

Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris en date du 29 juin 2021 en ce qu'il a :

- dit le licenciement économique dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la SAS [D] à verser à M. [W] les sommes suivantes :

*5.082,56 euros à titre d'indemnité de préavis ;

*508,25 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ;

*22.871,52 euros à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

*2.000,00 euros au titre d'indemnité pour absence de mise en place d'institutions représentatives du personnel ;

*3.000,00 euros au titre du préjudice résultant du manquement à l'obligation de sécurité;

*8.000,00 euros à titre d'indemnité pour manquement aux obligations conventionnelles;

- débouté la SAS [D] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- condamné la SAS [D] aux dépens ;

Et statuant à nouveau,

Juger que la société [D] n'a pas manqué à ses obligations légales en matière de représentation du personnel

Juger que la société [D] a respecté son obligation de santé et sécurité envers M. [W] ;

Juger que la société [D] a respecté ses obligations conventionnelles ;

Juger que le licenciement pour motif économique de M. [W] est fondé ;

Débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Condamner M. [W] à verser à la société [D] une somme nette de 5.590,81 euros en remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 29 juin 2021 ;

En tout état de cause :

Débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Condamner M. [W] à verser à la société [D] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Condamner M. [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel

Dire que ceux d'appel seront recouvrés par Maître Audrey Hinoux, SELARL LEXAVOUE [Localité 5] [Localité 7] conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. »

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 15 février 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, M. [W] demande à la cour de:

« CONFIRMER le jugement du 29 juin 2021 du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a:

- Dit le licenciement économique dépourvu de cause réelle et sérieuse

- Condamné la SAS [D] à lui verser :

*EUR 5.082,56 à titre d'indemnité de préavis

*EUR 508,25 à titre d'indemnité de congés payés sur préavis

*EUR 22.871,52 euros pour absence de cause réelle et sérieuse

*EUR 2.000,00 au titre d'indemnité pour l'absence de mise en place d'institutions représentatives du personnel

*EUR 3.000,00 au titre du préjudice résultant du manquement à l'obligation de sécurité

*EUR 8.000,00 à titre d'indemnité pour manquement aux obligations conventionnelles

*Débouté la SAS [D] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

*Condamné la SAS [D] aux dépens.

INFIRMER partiellement le jugement du 29 juin 2021 du conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il l'a :

- Débouté de sa demande de EUR 2.000 de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de bonne foi

- Débouté de sa demande de rappel de salaires de EUR 9.130,80 bruts sur la période du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2019 et EUR 910 de congés payés afférents

- L'a débouté de sa demande de EUR 2.541,28 d'indemnité pour licenciement irrégulier

- A limité à EUR 22.871,52 le quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Débouté de sa demande de EUR 3.000 au titre de l'article 700 du CPC

Et, statuant à nouveau et y ajoutant :

- Condamner [D] au versement de EUR 2.000 de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de bonne foi

- Condamner [D] au versement de EUR 9.130,80 bruts sur la période du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2019 et EUR 910 de congés payés afférents

- Condamner [D] au versement de EUR 2.541,28 d'indemnité pour licenciement irrégulier

- Condamner [D] au versement de EUR 29.224,72 au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Condamner [D] au versement EUR 3.000 au titre de l'article 700 CPC de première instance

En tout état de cause :

DEBOUTER [D] de toutes ses demandes

CONDAMNER [D] à lui verser la somme de EUR 3.000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel

CONDAMNER [D] aux entiers dépens d'appel »

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023.

MOTIFS

Sur les dommages-intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel

L'article L.2312-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017, disposait que:

« La mise en place des délégués du personnel n'est obligatoire que si l'effectif d'au moins onze salariés est atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes. »

L'article L.2311-2 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur depuis la même ordonnance, dispose que:

« Un comité social et économique est mis en place dans les entreprises d'au moins onze salariés.

Sa mise en place n'est obligatoire que si l'effectif d'au moins onze salariés est atteint pendant douze mois consécutifs.

Les modalités de calcul des effectifs sont celles prévues aux articles L. 1111-2 et L. 1251-54. »

L'article L.1111-2 du code du travail précise que:

« Pour la mise en oeuvre des dispositions du présent code, les effectifs de l'entreprise sont calculés conformément aux dispositions suivantes :

1° Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l'effectif de l'entreprise ;

2° Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d'un contrat de travail intermittent, les salariés mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents. Toutefois, les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée et les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure, y compris les salariés temporaires, sont exclus du décompte des effectifs lorsqu'ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d'un congé de maternité, d'un congé d'adoption ou d'un congé parental d'éducation ;

3° Les salariés à temps partiel, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail. »

Il est de jurisprudence constante que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts (Soc., 25 janvier 2023, pourvoi n° 21-21.311).

En outre, il est jugé qu'il appartient à l'employeur de faire la preuve des effectifs de l'entreprise qu'il allègue pour opposer un seuil d'effectif inférieur à celui permettant la désignation d'un représentant syndical.

S'agissant de la période antérieure au 1er janvier 2019, date à laquelle l'[6], qui appartenait à la société FGFA, a été rachetée par la société [D], le contrat de travail de M. [W] étant alors transféré à celle-ci, il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante, le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification, sauf notamment en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire (Soc., 20 décembre 2023, pourvoi n° 21-18.146, B). Contrairement à ce qui est soutenu par la société [D], celle-ci est donc tenue aux obligations qui incombaient le cas échéant à la société FGFA.

M. [W] produit différents courriels (pièce n°14 du salarié) dont celui du 20 octobre 2015 de Mme [L], directrice de l'[6], qui écrit au gérant de la société FGFA pour lui faire « part de la demande de certains des salariés de l'[6] à mettre en place l'élection des délégués du personnel », lui précise que « après étude du dossier » cette demande lui semblait « légitime, à savoir plus de 11 salariés temps plein sur les 3 dernières années » et lui demande de lui « indiquer les démarches à suivre » et « qui doit s'en occuper ». Dans ses réponses à Mme [L], le gérant ne s'oppose pas à cette demande et lui donne des éléments pratiques en indiquant que « L'organisation et le déroulement sont dans tous les cas, assurés par l'employeur ». Dans un courriel du 5 février 2016, le directeur du développement donne également son « accord pour la mise en place de DP ».

Contrairement à ce que soutient la société [D], il ne s'agit pas de courriels émanant de simples salariés mais de dirigeants de l'[6] et de la société FGFA. De plus, M. [W] communique un récapitulatif établi par le fonds d'assurance AGEFOS PME Ile-de-France des versements par la société FGFA de la taxe d'apprentissage pour l'année 2018 et dont il ressort que celle-ci appartient à la « classe d'entreprise 11 à 49 » salariés. Face à tous ces éléments concordants, la société [D], à laquelle incombe la charge de la preuve des effectifs, ne produit pas de pièces apportant la preuve des effectifs précis de l'[6] et contestant utilement le dépassement du seuil de 11 salariés avant 2019 qui résulte des éléments communiqués par le salarié.

Il résulte de tout ce qui précède qu'avant le 1er janvier 2019 l'[6] avait atteint l'effectif de 11 salariés pendant au moins l'année 2018 entière, de sorte qu'elle devait mettre en place des délégués du personnel. L'employeur de M. [W], qui travaillait à l'[6], n'ayant cependant pas accompli, bien qu'il y était donc légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, a ainsi commis une faute qui a causé un préjudice aux salariés, dont l'intimé, privés d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.

Ce préjudice est évalué à la somme de 2 000 euros, de sorte que, sans qu'il soit besoin d'examiner les effectifs de l'[6] pour la période postérieure au 1er janvier 2019 et la persistance d'un manquement de l'employeur quant à l'obligation de mettre en place des institutions représentatives du personnel, il convient de faire droit à la demande de M. [W] de confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société [D] à payer à M. [W] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour l'absence de mise en place d'institutions représentatives du personnel.

Sur l'obligation de sécurité

Il résulte des article L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Toutefois, l'employeur ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un manquement à son obligation de sécurité, a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.

En l'espèce, M. [W] expose n'avoir bénéficié ni d'une visite médicale d'embauche ni d'aucune visite médicale périodique. Il ajoute que la période préparatoire au rachat de l'[6] par la société [D] a été particulièrement stressante et anxiogène pour l'ensemble des salariés dont lui-même, sans représentant du personnel pour les soutenir.

Toutefois, ni l'absence de visite médicale d'embauche en 2007, alors que M. [W] n'établit pas quel préjudice en aurait résulté pour lui en l'absence de problème de santé allégué, ni la période de stress, inhérente à tout transfert d'entreprise et sans démonstration d'une conséquence particulière pour M. [W] en termes de santé, ne caractérisent de manquement de la société [D] à son obligation de sécurité.

En revanche, eu égard à la très longue durée d'exécution du contrat de travail, à savoir 13 années, pendant laquelle M. [W] n'a fait l'objet d'aucune visite médicale périodique, l'absence persistante de telles visites caractérise un manquement de l'employeur en matière de prévention. Ce manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ouvre doit à une indemnisation pour le salarié qui, prenant en considération les pièces produites, est évaluée à la somme de 100 euros. Par infirmation du jugement sur le seul montant alloué, la société [D] est donc condamnée à payer cette somme à M. [W] à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité.

Sur le manquement aux obligations conventionnelles

M. [W] expose que la société [D] a gravement manqué à ses obligations conventionnelles en ne l'ayant pas fait bénéficier d'un entretien professionnel annuel et de l'avoir ainsi privé d'une possibilité d'évolution de carrière et de rémunération dès lors qu'il n'est jamais passé à l'échelon 2 et a stagné à l'échelon 1 pendant 13 ans. Il indique que son préjudice subi « en raison du non-respect des obligations conventionnelles peut s'évaluer à EUR 1.000 par an, durant la période 2011 (date la plus tardive de passage à l'échelon 2) jusqu'en 2019 ».

Il convient tout d'abord de constater que M. [W], qui avait la qualification contractuelle de « formateur technicien hautement qualifié, niveau E1, coefficient 240 » selon son contrat de travail, ne sollicite pas une reclassification avec un rappel de salaire à ce titre, mais l'allocation de dommages-intérêts en raison d'un manquement de l'employeur à ses obligations conventionnelles.

Ensuite, l'article 20 de la convention collective nationale des organismes de formation du 10 juin 1988 prévoit notamment que:

« Tout salarié est susceptible de passer, pour les catégories A, B, C, D et E, les échelons 1 et 2 dans la même catégorie, en fonction :

- de la qualité de son travail ;

- de la qualité de la formation dispensée ;

- de l'extension de sa qualification dans sa fonction et des responsabilités assumées.

Il n'y a pas de niveau de formateurs inférieur à la catégorie D.

En tout état de cause, l'accès à l'échelon 2 de sa catégorie sera automatique au bout de 5 ans si le salarié, au cours d'un entretien avec son employeur, peut justifier d'une actualisation de ses compétences. »

Contrairement à ce que soutient la société [D], cette disposition existait à l'article 20 de la convention collective dès l'entrée en vigueur de cette convention collective le 1er juillet 1989, ainsi que cela résulte de la lecture des différentes versions de ce texte sur le site internet public Légifrance.

Il résulte de cette même disposition de l'article 20 un accès automatique des salariés de l'échelon 1 à l'échelon 2 au bout de 5 ans si le salarié, au cours d'un entretien avec son employeur, peut justifier d'une actualisation de ses compétences. Il s'agit donc d'une double condition: à savoir la tenue d'un entretien avec l'employeur d'une part, et la justification par le salarié d'une actualisation de ses compétences d'autre part.

L'absence de mise en place d'un entretien par l'employeur n'est pas contestée par la société [D] qui, en tout état de cause, ne produit aucun élément établissant qu'elle avait organisé un tel entretien avec M. [W]. La 1ère condition, dont la responsabilité incombe à l'employeur, prévue à l'article 20 n'est pas remplie.

Mais M. [W] ne verse aux débats aucun élément justifiant qu'il actualisait ses compétences, de sorte que la seconde condition, qui incombe au salarié, n'est pas remplie.

Par conséquent, les deux conditions cumulatives n'étant pas réunies, M. [W] ne peut prétendre à l'accès automatique à l'échelon 2 au bout de 5 ans tel que prévue à l'article 20 de la convention collective.

Dès lors que le passage automatique à l'échelon 2 était subordonné à la réalisation de deux conditions et que l'une d'elles, la justification de l'actualisation des compétences, incombait au seul salarié, l'absence de ce passage à l'échelon 2 ne peut donner lieu à indemnisation au profit de M. [W], seul le manquement de l'employeur au titre de l'absence de mise en place d'un entretien constituant une faute de la société [D].

Toutefois, ce manquement de l'employeur à ses obligations correspond à un manquement de la société [D] à l'exécution de bonne foi du contrat de travail et est d'ailleurs invoqué également à ce titre par M. [W] parmi les éléments soutenant sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Par conséquent, M. [W] sollicitant des dommages-intérêts dont le fondement juridique pertinent est celui de l'exécution de bonne foi du contrat de travail, et la cour relevant que le préjudice indemnisable est identique dans les deux demandes, la demande formée par M. [W] au titre d'un manquement de l'employeur à ses obligations conventionnelles est rejetée, le jugement étant confirmé sur le débouté de cette demande.

Sur les dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de bonne foi

L'article L.1222-1 du code du travail dispose que « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». Il en résulte une obligation de loyauté pesant tant sur le salarié que sur l'employeur pendant la durée de la relation contractuelle.

En outre, cette obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail concerne autant les stipulations strictement contractuelles figurant dans le contrat de travail et ses avenants que les dispositions conventionnelles s'imposant aux parties.

En l'espèce, il a déjà été établi l'existence d'un manquement de la société [D] quant à l'absence de mise en place de l'entretien prévu à l'article 20 de la convention collective.

M. [W] invoque également des retards de paiement de ses salaires durant la relation contractuelle. Toutefois, il se borne à faire état de deux retards, de respectivement un mois et 20 jours, sans produire d'élément établissant l'existence de ces retards.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il convient, par infirmation du jugement, de condamner la société [D] à payer à M. [W] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail en raison de l'absence de mise en place de l'entretien prévu à l'article 20 de la convention collective.

Sur la demande en rappel de salaires de 2016 à 2019

M. [W] sollicite un rappel de salaire correspondant à la différence entre le salaire qu'il a perçu, au titre de ces années non couvertes par la prescription, et le salaire minimum prévu par la convention collective pour l'échelon 2.

Toutefois, il a déjà été établi que M. [W] ne pouvait bénéficier de l'accès automatique à l'échelon 2 dès lors qu'il ne justifiait pas, dans le cadre de la présente instance, qu'il avait rempli la seconde condition conventionnelle relative à l'actualisation des compétences.

Par confirmation du jugement, M. [W] est donc débouté de sa demande en rappel de salaires au titre de l'échelon 2.

Sur le licenciement économique

L'article L.1233-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, dispose que:

« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché. »

En l'espèce, les parties s'opposent d'abord sur le périmètre dans le cadre duquel la cause économique du licenciement de M. [W] doit être appréciée. L'appelante fait valoir que la cause économique doit être appréciée au niveau de la seule société [D] tandis que M. [W] soutient que cette appréciation doit être faite au sein du groupe, contrôlé par la société SPMI, auquel appartient la société [D].

Aux termes des statuts de la société [D] modifiés le 25 février 2019, c'est-à-dire postérieurement au rachat de l'[6], la SAS [D] a comme président la SAS SPMI, représentée par M. [Z] [X], et comme directeur général M. [I] [X].

Selon son extrait K-bis (pièce n°17/1 du salarié), la SAS SPMI a pour président M. [Z] [X] et pour directeurs généraux Mme [T] [X] et M. [I] [X]. Son activité est « La prise de participation dans toutes sociétés, notamment dans les secteurs de l'enseignement et de la formation, l'animation du groupe et toutes prestations de services au profit des sociétés du groupe ». L'objet de la SAS SPMI est donc envisagé au regard de l'existence d'un groupe, qu'elle a charge de constituer par des prises de participation, d'animer ensuite et de lui délivrer toutes sortes de prestations de services.

Les statuts de la société [D] déjà évoqués démontrent que la SAS SPMI exerce la présidence de la société [D] et que le directeur général de celle-ci, M. [I] [X], est un des deux directeurs généraux de la SAS SPMI, de sorte que cette dernière exerce une influence dominante sur la société [D] qu'elle contrôle, étant précisé que les statuts de la société [D] indiquent que M. [I] [X] et la SAS SPMI détiennent respectivement 50% et 40% du capital social de la société [D].

Il ressort des pièces communiquées par les deux parties que la SAS SPMI, si elle a un objet qui n'est pas juridiquement limité à la prise de participations dans des sociétés du secteur de l'enseignement et de la formation, a concrètement surtout fait l'acquisition de sociétés intervenant dans ce secteur d'activité, étant rappelé qu'il s'agit de l'activité de la société [D]. Les extraits K-bis qui sont produits (pièces 17/2 à 17/10) démontrent que la SAS SPMI assure la présidence de neuf autres sociétés que la société [D] qui assurent toute une activité dans les domaines de l'enseignement et de la formation, et dont certaines sont regroupées avec la société [D] dans un groupement d'intérêt économique ayant pour administrateur la SAS SPMI dans le but selon l'extrait K-bis de ce GIE de « La mise en commun de ressources dans les domaines de la communication, l'informatique, et de gestion administrative et financière afin de développer l'activité de ses adhérents qui sont exclusivement des écoles » (pièce n°18 du salarié).

Il résulte de tout ce qui précède l'appartenance de la société [D] à un groupe dont l'entreprise dominante est la SAS SPMI et dont le secteur d'activité auquel appartient la société [D] comporte au moins neuf autres sociétés. La permutabilité du personnel de ces différents établissements de formation ressort des pièces communiquées.

Il est de jurisprudence constante que c'est à l'employeur de justifier de l'existence de la cause économique au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel intervient la société ayant procédé au licenciement économique du salarié.

En l'espèce, ni dans sa lettre ayant informé M. [W] des motifs économiques ayant conduit à la rupture du contrat de travail puis dans la lettre de licenciement du 18 septembre 2019, ni dans ses conclusions d'appel, la société [D] n'a donné d'élément permettant de justifier l'existence de la cause économique du licenciement de M. [W] au niveau du secteur d'activité du groupe auquel la société [D] appartient, étant précisé que l'employeur invoquait tant des difficultés économiques que la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

Par conséquent, et par confirmation du jugement, le licenciement est déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

a) Il n'est pas contesté par les parties que le préavis auquel M. [W] peut prétendre avait une durée de deux mois.

En considération des éléments produits par les parties, le salaire mensuel moyen de M. [W] est fixé à la somme de 2 541,28 euros.

En conséquence, la société [D] est condamnée, par confirmation du jugement, à payer à M. [W] la somme de 5 082,56 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 508,25 euros au titre des congés payés afférents.

b) Il résulte de l'article L.1253-3 du contrat de travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, que M. [W], qui disposait d'une ancienneté de 13 années complètes, peut prétendre à une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre un minimum de 3 mois et un maximum de 11,5 mois de salaire brut.

Contrairement à ce qui est soutenu par M. [W], il n'est pas établi par les éléments versés aux débats l'existence d'une légèreté blâmable de la société [D].

En considération des circonstances de la rupture ainsi que de la situation particulière du salarié tenant notamment à son âge et à sa capacité à retrouver un emploi, il convient, par confirmation du jugement, de condamner la société [D] à payer à M. [W] la somme de 22 871,52 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

c) Il résulte de l'article L.1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017, applicable à l'espèce, que l'indemnité accordée au salarié lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure de licenciement, ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent, la demande de M. [W] de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement est rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

d) Enfin, en application de l'article L.1235-4 du contrat de travail, il convient d'ordonner le remboursement par la société [D] à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [W] entre le jour de la rupture du contrat de travail et le jour du jugement, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage et sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail dès lors que le contrat de sécurisation professionnelle est devenu sans cause.

Sur les autres demandes

La société [D] succombant, elle est condamnée aux dépens de la procédure d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Il paraît équitable de condamner la société [D] à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société [D] à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité et a débouté M. [W] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société [D] à payer à M. [W] les sommes de :

- 100 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité;

- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail;

Ordonne le remboursement par la société [D] à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [W] entre le jour de la rupture du contrat de travail et le jour du jugement, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage et sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail.

Condamne la société [D] à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne la société [D] aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 21/07448
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;21.07448 ?
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