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05/06/2024 | FRANCE | N°21/06385

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 05 juin 2024, 21/06385


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 05 JUIN 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06385 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CECBU



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 18/02422



APPELANTE



Madame [Y]-[T] [L]

[Adresse 1]

[Locali

té 4]

Représentée par Me Christophe NEVOUET, avocat au barreau de PARIS, toque : G0106



INTIMEE



S.A.S. HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS Agissant poursuites et diligences en la pers...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 05 JUIN 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06385 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CECBU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 18/02422

APPELANTE

Madame [Y]-[T] [L]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Christophe NEVOUET, avocat au barreau de PARIS, toque : G0106

INTIMEE

S.A.S. HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS Agissant poursuites et diligences en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Florence GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Stéphane MEYER, président

Fabrice MORILLO, conseiller

Nelly CHRETIENNOT, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Madame [Y]-[T] [L] a été engagée par la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS pour une durée indéterminée à compter du 29 juillet 2013, en qualité de responsable qualité environnement du groupe, coefficient 145, groupe 6 annexe 4.

La relation de travail est régie par la convention collective nationale des transports routiers.

Par lettre du 9 mars 2018, Madame [L] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 22 mars 2018.

Par courrier du 30 mars 2018, son licenciement lui a été notifié pour insuffisance professionnelle, caractérisée par des défaillances dans l'exécution de sa mission.

Madame [L] a été dispensée de l'exécution de son préavis.

Le 30 juillet 2018, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 30 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Bobigny a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la convention de forfait privée d'effet et a condamné la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS à payer à Madame [L] les sommes suivantes :

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 28.811,32 €,

- frais de procédure : 1.500 €,

Le jugement a débouté la salariée de ses autres demandes, condamné l'employeur aux dépens et débouté celui-ci de sa demande au titre des frais de procédure.

A l'encontre de ce jugement notifié le 30 juin 2021, Madame [L] a interjeté appel en visant expressément les dispositions critiquées, par déclaration du 15 juillet 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 avril 2022, Madame [L] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du 30 juin 2021, sauf en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la convention de forfait en jour privée d'effet,

Statuant à nouveau,

- Condamner la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS au paiement des sommes suivantes à Madame [L], avec intérêt au taux légal et capitalisation des intérêts :

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 30.000 €,

- dommages et intérêts pour condition vexatoire de la rupture : 24.000 €,

- dommage et intérêts pour atteinte aux droits de la défense de la salariée : 24.000 €,

- rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 72.769,53 €,

- congés payés y afférents : 7 276,95 €,

- dommages et intérêts pour la privation des contreparties obligatoires en repos : 24.244,12 €,

- indemnité pour travail dissimulé : 36.000 €,

- frais de procédure : 3.500 €,

- les entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 juillet 2022, la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du 30 juin 2021, sauf en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, dit la convention de forfait en jour privée d'effet et condamné la société à verser à la salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des frais de procédure,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

- Débouter Madame [L] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Débouter Madame [L] de sa demande au titre des frais de procédure tant de première instance que d'appel,

- La condamner à régler à la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS la somme de 2.000 € au titre des frais de procédure ainsi qu'aux entiers dépens ;

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS

Sur le licenciement

Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l'emploi.

Si l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir de l'employeur, pour justifier le licenciement, les griefs doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l'entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 30 mars 2018, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, est libellée dans les termes suivants :

" (') Nous vous reprochons une insuffisance professionnelle qui se traduit par un certain nombre de manquements de votre part.

En effet, nous vous reprochons vos importantes défaillances dans l'exercice de vos missions en tant que Responsable QSE du groupe en charge de l'animation de la politique qualité/ sécurité du groupe.

Dans le cadre de la mise en place de l'excellence opérationnelle par rapport à l'année 2017 qui s'est révélée être très problématique en termes de qualité pour le groupe Heppner, nous vous avions demandé de dépasser le simple constat pour proposer des plans d'actions et de parvenir à l'accompagnement proactif des équipes QSE du groupe.

Or, force est de constater que vous n'avez pas réalisé les missions qui vous étaient demandées puisque vous n'avez pas effectué d'accompagnement de plan d'action.

Vous n'avez pas été en mesure d'assurer un soutien homogène aux équipes QSR qui ne peuvent donc pas compter sur votre support, ce qui est le rôle principal d'une fonction siège.

De même, en tant que Responsable QSE du groupe, vous étiez en charge de faire évoluer notre système qualité en conformité avec les normes couvrant nos certifications. Or, nous avons découvert récemment que vous n'avez mené aucune action en ce sens au cours des deux dernières années permettant à l'entreprise de se mettre en conformité avec la norme ISO 9001 version 2015 alors que notre réseau devra passer un audit de renouvellement impérativement basé sur cette version en juillet 2018. Cet état de fait met inutilement notre entreprise en risque fort de perdre sa certification ISO 9001 avec tous les impacts d'image de marque et donc commerciaux que cela impliquerait.

De manière générale, nous vous reprochons vos carences quant aux diverses missions qui relèvent de vos responsabilités telles que par exemple le plan de mobilité au niveau du siège qui n'a pas été réalisé, le module de formation qui n'a pas été réactualisé ou l'obtention des plans d'audit et de son calendrier qui n'ont pas été faits.

Bien que vous ayez été relancée à plusieurs reprises par les équipes régionales et par votre supérieur hiérarchique, nous ne pouvons que constater de votre part une absence de réponses et de réactivité.

Enfin, nous vous reprochons de ne pas être suffisamment à l'écoute de vos équipes régionales et de ne pas parvenir à créer une cohésion et une animation de celles-ci.

Ces faits qui constituent des manquements à vos obligations contractuelles et professionnelles ne nous permettent pas de compte sur la fiabilité de votre collaboration et perturbent le fonctionnement normal de notre société, lui créent un préjudice empêchant votre maintien au sein de nos effectifs.

Les explications recueillies au cours de l'entretien n'ont pas permis de modifier notre appréciation quant aux manquements qui vous sont reprochés.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. ['] "

Sur l'absence de mise en place de plan d'action destiné à améliorer les problématiques de qualité au sein de l'entreprise

La société reproche à sa salariée de ne pas avoir tiré les conséquences des problématiques rencontrées en 2017 en matière de qualité, et notamment de ne pas avoir dépassé le constat pour proposer des plans d'action en réponse.

La société fait état d'indicateurs chiffrés pour 2017 qui établiraient une dégradation de la qualité, qui aurait pour cause l'inaction de Madame [L]. Toutefois, les tableaux produits font état d'une dégradation très relative, les données chiffrées en matière de taux d'arrivage passant par exemple de 98,41% à 98,24% de 2016 à 2017, et les performances globales étant inférieures de 0,14 % en 2017 par rapport à 2016, soit une variation faible.

En outre, il est établi que le service de Madame [L] n'a récupéré la charge de la qualité de la messagerie nationale, soit une part importante de l'activité, qu'à compter d'avril 2017, et qu'elle ne peut donc être tenue responsable de la totalité des chiffres de 2017. Par ailleurs, ainsi que le fait observer la salariée, les données ont évolué d'une façon positive à la fin de l'année 2017.

S'agissant des actions mises en place, la salariée justifie de sa participation active à différentes instances de pilotage tels que le Comité de Direction Excellence Opérationnelle (CODEO) et le Comité Sûreté-Sécurité (Comité 2S). Elle produit également la " Revue de Direction 2016/2017 " qui énumère les différentes actions mises en place ou à mettre en place et suivies par le service QSE auquel appartenait Madame [L]. Enfin, elle produit une attestation d'une collègue, Madame [F], qui énumère les différentes actions auxquelles elle a pu participer, et souligne son professionnalisme.

Au regard de ces éléments, ce grief n'est pas établi.

Sur l'absence d'accompagnement des équipes, notamment en région

La société reproche à Madame [L] une absence d'accompagnement des équipes, en se fondant sur un unique échange avec Madame [K], auquel elle n'aurait pas donné suite.

Il ressort de cet échange de quelques mails que Madame [L] n'a pas répondu à cette salariée qui l'interrogeait sur la mise en place d'une formation en région en mars 2018.

Cependant, il résulte de l'ensemble des pièces produites que Madame [L] assurait un accompagnement actif des équipes, avec de nombreux déplacements en région, des formations, et qu'une réunion était prévue en mars 2018 pour procéder à une mise à jour de différents points. Plusieurs collègues attestent également de la qualité de l'accompagnement fourni par Madame [L] et de son investissement professionnel en la matière, à savoir Monsieur [R] et Madame [G].

Au regard de ces éléments l'absence de réponse à une collègue ne peut suffire à retenir la réalité du grief opposé à la salariée.

Sur l'absence de mise en 'uvre des actions nécessaires à la mise en conformité avec la norme ISO 9001

La société considère que Madame [L] n'aurait pas mis en place les actions nécessaires à la mise en conformité de la norme ISO 9001, ce qui aurait pu avoir des conséquences importantes en cas de non-obtention.

Toutefois, le contrôle de mise à jour devait avoir lieu en juillet 2018, et la salariée a été licenciée en mars 2018. Elle justifie avoir entamé des actions en vue de la mise en conformité, plusieurs mois avant, et indique que les dernières actions en la matière devaient avoir lieu en mai et juin 2018. La société ne produit aucune pièce venant contredire ce calendrier, étant précisé que l'ensemble des normes et certification avaient jusqu'ici été obtenues et mises à jour sans difficulté par la salariée, qui en était en charge.

Ce grief d'insuffisance professionnelle n'est donc pas établi.

Sur la carence relative au plan de mobilité

La société reproche à sa salariée de ne pas avoir mis en place le plan de mobilité au niveau du siège, qui devait être réalisé en janvier 2018 au regard de nouvelles obligations légales.

Toutefois, la salariée justifie avoir contacté les différents interlocuteurs à ce sujet en janvier 2017, octobre 2017 et décembre 2017, sans obtenir de réponse de leur part. Or, elle ne pouvait mettre en place le plan sans leurs réponses. Elle indique avoir organisé une réunion en janvier 2018 avec les différents interlocuteurs, ce que la société ne conteste pas.

Au regard de ces éléments, si le plan de mobilité n'a effectivement pas été mis en place en janvier 2018, cela ne peut être imputé à la salariée. Le grief n'est donc pas établi.

Sur l'absence de réactualisation du module de formation

La salariée justifie qu'une réunion d'actualisation devait avoir lieu en mars 2018, qui n'a pu se tenir du fait de son licenciement.

Sur l'absence de réactualisation des plans d'audit

La salariée justifie avoir mis à disposition sur l'espace commun un état des lieux complet des services audités et à auditer, sur les années 2012 à 2018. La société n'explicite pas pour quelle raison ces tableaux ne sont pas satisfactoires, et ne démontre pas qu'il était d'usage et nécessaire dans la société de détailler pour chaque audit le planning de façon plus détaillée. Elle n'a d'ailleurs adressé à la salariée aucune remarque à ce sujet pendant ses presque cinq ans de service au sein de l'entreprise.

Le grief n'est donc pas établi.

Au regard de ces éléments, aucun des griefs pour insuffisance professionnelle n'est établi.

Au surplus, la cour relève que la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS n'a adressé à la salariée, pendant toute la durée de son contrat et plus particulièrement pendant les derniers mois de celui-ci, aucune mise en garde ou alerte relativement à la qualité de son travail. Ce n'est qu'au cours de l'entretien préalable que l'ensemble de ces reproches lui ont été formulés, ce qui ne laissait pas à la salariée la possibilité d'agir sur les points désignés comme problématiques.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement de Madame [L] était sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Madame [L] justifie de 4 ans et 10 mois d'ancienneté et l'entreprise emploie habituellement plus de 10 salariés.

En dernier lieu, elle percevait un salaire mensuel moyen brut de 5.952,83 €.

En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, elle est fondée à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à une somme comprise entre 3 et 5 mois de salaire, soit entre 17.858,49 € et 29.764 €.

Au moment de la rupture, Madame [L] était âgée de 46 ans. Elle ne produit pas d'élément relatif à sa situation à la suite de la rupture du contrat de travail.

Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, il y a lieu de considérer que le conseil de prud'hommes a justement apprécié le préjudice de la salariée en fixant à 28.811,32 € le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré sur ce point.

Sur la convention de forfait en jours

Il ressort des dispositions de l'article L. 3121-63 du code du travail que les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours prive d'effet la convention de forfait.

Plus spécifiquement, le défaut de tenue des entretiens spécifiques portant sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié, entraîne l'inopposabilité de la convention de forfait au salarié.

En l'espèce, la convention de forfait jour de Madame [L] a été conclue aux termes de son contrat de travail du 29 juillet 2013, se référant à l'accord d'entreprise du 26 septembre 2000 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail.

Il ressort des pièces produites que la salariée n'a bénéficié d'aucun décompte des journées ou demi-journées travaillées ni d'aucun entretien concernant sa charge de travail et la compatibilité de celle-ci avec sa vie personnelle et familiale, en contradiction avec ce qui était prévu par l'accord d'entreprise.

En conséquence, il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a jugé la convention de forfait inopposable à la salariée.

Sur la demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3243-3 du code du travail, l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il appartient donc au salarié de présenter, au préalable, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement, en produisant ses propres éléments.

Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

En l'espèce, en raison de l'inopposabilité de la convention de forfait, le temps de travail de la salariée est réputé être de 35 heures par semaine.

Madame [L] sollicite un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires qu'elle estime avoir réalisées à hauteur de 72.769,53 €, outre 7 276,95 € de congés payés y afférents, pour les trois années précédant la saisine du conseil de prud'hommes. Elle produit pour étayer sa demande un tableau détaillé des horaires effectués, avec à l'appui des horaires de mails envoyés en début et fin de journée, ainsi que les horaires de train de ses déplacements en région.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de les contester utilement.

L'employeur expose que la salariée mentionne dans le tableau un temps de travail de 20 minutes avant et après chaque mail envoyé, qui n'est pas justifié au regard du contenu des mails, et que de nombreux mails de début ou fin de journée sont de simples transferts de mails. Ces éléments sont à prendre en considération pour réduire le temps de travail revendiqué par la salariée.

L'employeur fait également valoir que la salariée a retenu comme temps de travail la durée de trajet entre son domicile et la gare lors de ses déplacements en région, alors qu'en vertu de l'article L. 3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Cet élément est à prendre en considération pour réduire le temps de travail revendiqué par la salariée.

Au regard de ce qui précède, il y a lieu de retenir que l'employeur doit à la salariée la somme de 15.000 € au titre des rappels de salaire pour heures supplémentaires, outre 1.500 € de congés payés afférents.

En conséquence, le jugement sera infirmé sur ce point et statuant de nouveau, l'employeur sera condamné à verser ces sommes à la salariée.

Sur la demande de dommages et intérêts pour la privation des contreparties obligatoires en repos

L'accord du 17 septembre 2008 relatif au contingent d'heures supplémentaires, attaché à la convention collective applicable, prévoit en son article 3 que pour les heures supplémentaires effectuées entre 188 et 220 heures, le salarié a un droit au repos compensateur de 25 % par heure, et qu'il peut renoncer à ce repos compensateur pour en obtenir, en remplacement, le paiement.

En l'espèce, la salariée ne démontre pas avoir dépassé le contingent d'heures supplémentaires ouvrant droit à repos compensateur.

La décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a débouté Madame [L] de sa demande à ce titre.

Sur la demande de dommages et intérêts en raison des conditions vexatoires de la rupture

Le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice dont il est fondé à demander réparation.

En l'espèce, la salariée a été dispensée d'activée avec maintien de rémunération dès la remise de sa convocation à entretien préalable, sans justification, puis dispensée de l'exécution de son préavis. Cette façon d'écarter la salariée de l'entreprise de manière soudaine et brutale, alors que son comportement ou ses insuffisances ne justifiaient pas un départ immédiat, est constitutive de circonstances vexatoires de licenciement. Elle n'a en effet pas pu saluer les collègues avec lesquels elle travaillait depuis plusieurs années, ni récupérer ses données personnelles sur son ordinateur, auquel elle a dû demander accès sans succès après son licenciement.

Par ailleurs, un de ses anciens collègues atteste qu'elle a dû signer son solde de tout compte sur le capot de sa voiture au milieu du parking de la société à l'heure d'embauche des collaborateurs, ce que rien ne justifiait et qui est particulièrement vexatoire.

En conséquence, il convient d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de réparation au titre des circonstances vexatoires du licenciement, et de condamner l'employeur à verser à celle-ci la somme de 3.000 € en réparation du préjudice subi.

Sur la demande de dommages et intérêts pour atteinte aux droits de la défense de la salariée

L'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme dispose que tout procès se déroule dans des conditions équitables et dans le respect des droits de la défense.

La salariée fait valoir qu'en la dispensant d'activité dès remise de la convocation à l'entretien préalable, l'employeur ne lui a plus permis d'accéder à son ordinateur et à ses données professionnelles afin de pouvoir assurer sa défense et contester utilement l'insuffisance professionnelle qui lui était reprochée.

La cour relève toutefois que la salariée produit dans le cadre de la présente instance de nombreuses pièces et mails relatifs à son activité et qu'il a été retenu, au vu des éléments versés au débat, que l'insuffisance professionnelle n'était pas caractérisée.

A défaut de démontrer le préjudice subi, elle ne peut solliciter une indemnisation.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande à ce titre.

Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé

Il résulte des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, que le fait, pour l'employeur, de mentionner intentionnellement sur le bulletin de paie du salarié un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli est réputé travail dissimulé et ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaires.

En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent que les bulletins de paie de Madame [L] mentionnent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois le caractère intentionnel de la dissimulation n'est pas établi, dès lors que l'employeur pensait de bonne foi la convention de forfait en jours applicable.

En conséquence, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la salariée de sa demande d'indemnisation à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de confirmer la décision du conseil de prud'hommes sur ces points, et y ajoutant, de condamner la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS aux dépens de l'appel ainsi qu'à verser à Madame [L] la somme de 2.500 € au titre des frais de procédure engagés en cause d'appel.

La société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS sera déboutée de sa demande au titre des frais de procédure.

Sur les intérêts

Il convient de dire, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2018, date de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du même code et de faire application de celles de l'article 1343-2 au titre de la capitalisation des intérêts.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a :

- débouté la salariée de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents,

- débouté la salariée de sa demande au titre des circonstances vexatoires du licenciement,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS à verser à Madame [L] :

- la somme de 15.000 € au titre des rappels de salaire pour heures supplémentaires, outre 1.500 € de congés payés afférents,

- la somme de 3.000 € de dommages et intérêts au titre des circonstances vexatoires du licenciement,

CONDAMNE la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS aux dépens de la procédure d'appel,

CONDAMNE la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS à verser à Madame [L] la somme de 2.500 € au titre des frais de procédure exposé en appel,

DÉBOUTE la société HEPPNER SOCIETE DE TRANSPORTS de sa demande au titre des frais de procédure,

DIT que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2018,

DIT qu'il y a lieu de faire application de celles de l'article 1343-2 du code civil au titre de la capitalisation des intérêts.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 21/06385
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;21.06385 ?
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