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31/05/2024 | FRANCE | N°22/08094

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 31 mai 2024, 22/08094


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 31 Mai 2024

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/08094 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGMRP



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Mai 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGY RG n° 14-00359



APPELANTES

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE SAINT DENIS

[Adresse 4]

[Localité 9]



représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 13]

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée pa...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 31 Mai 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/08094 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGMRP

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Mai 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGY RG n° 14-00359

APPELANTES

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE SAINT DENIS

[Adresse 4]

[Localité 9]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 13]

[Adresse 5]

[Localité 6]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL DE MARNE

[Adresse 8]

[Localité 11]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

INTIMEES

S.A.S. [12] - CLINIQUE DU [Localité 10]

[Adresse 2]

[Localité 10]

représentée par Me Clarence SAUTERON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1311

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE

[Adresse 3]

[Localité 7]

non comparante, non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2024, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport et Monsieur Gilles REVELLES, conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:

Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

M. Gilles REVELLES, Conseiller

M. Philippe BLONDEAU, conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRÊT :

- REPUTE CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur renvoi de la Cour de cassation à la suite d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 13 novembre 2013 ayant infirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 19 mai 2016 et ayant condamné la Clinique [12] - Clinique du [Localité 10] à rembourser aux caisses primaires d'assurance maladie de Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, de [Localité 13], des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne, les frais liés aux séjours de soins de suite et de rééducation (SSR) faisant suite à une arthroplastie du genou par prothèse totale en première intention, pour la période du 12 décembre 2011 au 12 juin 2012.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que par décision du 8 décembre 2011, l'Agence Régionale de Santé (ARS) a décidé de soumettre la Clinique [12] - Clinique du [Localité 10] (ci-après désignée 'la Clinique') à la procédure de l'accord préalable (désignée ci-après'MSAP') pour la prise en charge des séjours de soins de suite et de rééducation (ci-après 'SSR') faisant suite à une arthroplastie du genou par prothèse totale en première intention, pour la période du 12 décembre 2011 au 12 juin 2012.

A la suite d'un contrôle a posteriori des facturations émises par la Clinique, le service de contrôle de la Caisse a considéré que certaines facturations de séjours de rééducation n'avaient pas fait l'objet d'une demande d'accord préalable.

La Caisse a alors notifié à la Clinique, par lettre du 10 avril 2013, un indu d'un montant total de 216 487,32 euros représentant le montant des factures de séjours de rééducation qui n'avaient pas fait l'objet de demandes d'accord préalable auprès des caisses primaires d'assurance maladie de Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, de [Localité 13], des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne,.

Contestant ces indus, la Clinique du [Localité 10] a saisi la commission de recours amiable laquelle, lors de sa séance du 9 octobre 2013, a ramené sa créance globale à la somme de 193 804,78 euros représentant 29 dossiers.

C'est ainsi que la Clinique a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny qui, par jugement du 19 mai 2016, a accueilli sa demande et annulé la décision de la commission de recours amiable du 11 décembre 2013, retenant que les accords donnés oralement par les caisses devaient prévaloir, que les dossiers litigieux étaient similaires à des dossiers pris en charge et que la clinique produisait une attestation sur l'honneur de la responsable médico-administrative.

Par arrêt du 13 novembre 2020, rectifié par arrêt de 2 juillet 2021, la cour d'appel de Paris (RG 16-9152), autrement composée, a :

- déclaré les appels recevables,

- ordonné la jonction des procédures enregistrées sous les numéros de répertoire général 16/09560, 16/09781, 16/09152, 16/09711 et 16/09207 sous 16/09152,

- infirmé le jugement déféré et, statuant à nouveau,

- condamné la Clinique du [Localité 10] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis la somme de 137 435,32 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamné la Clinique du [Localité 10] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris la somme de 31 547,69 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamné la Clinique du [Localité 10] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne la somme de 8 103,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamné la Clinique du [Localité 10] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne la somme de 6 901 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamné la Clinique du [Localité 10] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme de 98 16,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamné la Clinique du [Localité 10] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, de Paris, de Seine-et-Marne, des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne la somme de 1 000 euros à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la Clinique du [Localité 10] de ses demandes,

- condamné la Clinique du [Localité 10] aux dépens d'appel.

Pour statuer ainsi, la cour avait relevé que les caisses primaires, après un contrôle de l'activité de la clinique, avaient constaté que 32 facturations n'auraient pas respecté la procédure de l'accord préalable de l'article L. 167-1-17 du code de la sécurité sociale, nombre ramené par la commission de recours amiable le 9 octobre 2013 à 29. Elle relevait que quel que soit le formalisme de la mise en oeuvre de la procédure de mise sous accord préalable des prestations d'hospitalisation pour les soins de suite ou de réadaptation de l'article L.167-1-17, il appartenait en application de l'article 1315 du code civil à la Clinique, qui réclame une prestation, de justifier qu'elle avait systématiquement sollicité l'accord préalable de la caisse. Elle a estimé que l'attestation sur l'honneur de Mme L., responsable médico-administrative, certifiant que tous les dossiers litigieux avait fait l'objet d'un accord oral téléphonique n'avait pas de force probante puisque provenant d'une salariée de la Clinique personnellement concernée par d'éventuelles irrégularités. La cour concluait que si les textes n'exigeaient pas d'écrits, rien ne faisait obstacle à ce que la Clinique les produise aux débats et établissent ainsi ses demandes d'accord préalable dans les 29 dossiers litigieux.

Saisie par la Clinique d'un pourvoi, la Cour de cassation a, par arrêt du 7 juillet 2022 (n°824), censuré partiellement l'arrêt. Elle a ainsi jugé que la cour :

- au visa des dispositions de l'article L. 162- 1-17 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n 2011-1906 du 21 décembre 2011, applicable au litige, avait exactement retenu qu'il appartenait à l'établissement de santé de justifier qu'il avait systématiquement sollicité l'accord préalable de l'assurance maladie avant de solliciter le remboursement des actes et soins engagés,

- qu'en appliquant à l'attestation produite par la Clinique le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même alors que ce principe n'est pas applicable à la preuve d'un fait juridique, la cour avait violé les dispositions de l'article 1353 du code civil.

Par conclusions enregistrées au greffe le 12 octobre 2023, les caisses primaires d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne, du Val-de-Marne, des Hauts-de-Seine et de Paris, représentées par leur conseil, ont faire ré-enrôler l'affaire devant la cour d'appel de Paris.

L'affaire a alors été fixée à l'audience collégiale du 28 mars 2024 lors de laquelle les parties étaient représentées et ont plaidé.

La Caisse, développant oralement le bénéfice de ses conclusions, demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 19 mai 2016 en toutes ses dispositions et, en conséquence,

- condamner la Clinique du [Localité 10] à verser à la Caisse de la Seine-Saint-Denis la somme de 137 435,32 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamner la Clinique du [Localité 10] à verser à la Caisse de [Localité 13] la somme de 31 547,69 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamner la Clinique du [Localité 10] à verser à la Caisse de la Seine-et-Marne la somme de 8 103,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamner la Clinique du [Localité 10] à verser à la Caisse du Val-de-Marne la somme de 6 901,98 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamner la Clinique du [Localité 10] à verser à la Caisse des Hauts-de-Seine la somme de 9 816,35 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013,

- condamner la Clinique du [Localité 10] à verser à chacune des Caisses la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Clinique du [Localité 10] en tous les dépens.

La société [12], reprenant oralement le bénéfice de ses conclusions n°2, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny du 6 juin 2016, en toutes ses dispositions, [lire 19 mai 2016]

- débouter les caisses primaires d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis, de [Localité 13], du Val-de-Marne, des Hauts-de-Seine et de Seine-et-Marne de toutes leurs demandes, fins et moyens,

- les condamner chacune à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 28 mars 2024 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 31 mai 2024.

MOTIVATION DE LA COUR

Moyens des parties

La Caisse fait valoir qu'à la suite à la décision de l'ARS, il appartenait à la Clinique du [Localité 10], pour pouvoir facturer les prestations qu'elle avait servies à ses patients bénéficiaires d'une arthroplastie du genou par prothèse totale de première intention, de solliciter l'accord préalable du service médical. Dans ce cadre, une procédure de communication rapide entre le service médical et la Clinique avait été mise en place, cette dernière devant remplir un questionnaire médico-social et en donner la teneur au service médical par téléphone afin de permettre à celui-ci de vérifier si les conditions de prise en charge étaient remplies. Une permanence téléphonique avait été mise en place au service médical avec des techniciens dédiés chargés de saisir informatiquement en direct les données des questionnaires remplis par les établissements soumis à la MSAP. Un logiciel informatique partagé entre le service médical et les services administratifs alimentait ensuite le dossier. Toutes les demandes d'accord préalable des établissements soumis à la MSAP ont donc été répertoriées dans ce logiciel. Pour les cas plus complexes, la demande était adressée aux médecins conseils, lesquels apportaient une réponse à la Clinique sous 24h, hors week-end.

Dans tous les cas, outre l'enregistrement de la demande dans le logiciel dédié à la MSAP, l'avis du service médical, favorable ou défavorable, était intégré également dans le logiciel 'Hippocrate' dédié à l'activité de ce service et regroupant les avis rendus dans tous les domaines d'intervention du service médical. La décision de la Caisse d'accord ou de refus de prise en charge, après avis du service médical, était ensuite adressée par courrier à la Clinique et à l'assuré. Malgré ce système, la Caisse estime que pour 29 dossiers, la Clinique n'aurait pas respecté cette procédure et n'aurait pas sollicité du service médical un accord préalable de prise en charge. Elle relève que si la Clinique le conteste, elle n'apporte nullement la preuve, qui lui incombe, qu'elle a sollicité et obtenu l'accord de la Caisse, se limitant à produire aux débats l'attestation d'une responsable médico-administrative, indiquant qu'elle respecté la procédure de MSAP et que toutes les prises en charge de patients ont fait l'objet d'un appel préalable auprès de Mme [C] technicien du service médical assurant la permanence. Or, cette seule attestation est insuffisante pour établir la transmission de la demande d'accord préalable à la Caisse dans les 29 dossiers litigieux. Non seulement Mme [M] est une salariée de la Clinique qui se mettrait en difficulté si elle témoignait du contraire mais surtout, l'attestation a été établie le 13 avril 2016, c'est-à-dire quatre ans après les faits, ce dont il peut se déduire qu'elle a été établie pour les besoins de la procédure. En tout état de cause, sa généralité ne permet pas de retenir qu'elle démontre l'existence d'une demande d'entente préalable dans 29 dossiers.

Par ailleurs, la Caisse estime que les questionnaires médico-administratifs communiqués par la Clinique lors de la première procédure d'appel ne permettaient pas d'établir une transmission effective au service médical d'autant que nombre d'entre eux ne précisent pas la date de la demande ni celle de l'admission en SSR prévue et un a été établi postérieurement à la date d'admission. Enfin, la Caisse relève que les courriers d'accord de prise en charge transmis ne sont pas pertinents pour la résolution du litige puisqu'ils ne concernent pas les dossiers objets de l'indu.

Pour sa part, la Caisse indique que son technicien, Mme [C] a confirmé qu'il n'avait été retrouvé aucune trace de demande préalable pour les 29 dossiers, ni de questionnaire médico-administratif ni d'avis du service médical. Elle indique que compte tenu de toutes les différentes étapes de saisies opérées dans chaque dossier, il est improbable qu'une demande d'accord préalable ait été réalisée sans qu'il n'en soit retrouvé aucune trace dans ses différents logiciels.

La Clinique conteste le bien fondé de l'indu en affirmant que pour la totalité des dossiers soumis à la procédure de 'MSAP', elle a demandé et obtenu un accord oral téléphonique de prise en charge des patients atteints d'arthroplastie du genou par prothèse totale en première intention. Elle rappelle que cette prise en charge était acceptée par la Caisse dès l'instant où son accord oral téléphonique était donné, précisant qu'aucune disposition n'imposait que la demande et l'acceptation soient formalisées dans un écrit. S'il lui appartient de démontrer qu'elle a bien satisfait à la demande d'entente préalable, la Clinique estime rapporter cette preuve par l'attestation de sa responsable médico-administrative selon laquelle « tous les dossiers présentés par la Clinique ont fait l'objet d'un accord oral téléphonique du service médical de la CPAM, pour la totalité des patients concernés par la procédure de 'MSAP'». Elle estime que cette attestation n'est nullement une preuve constituée à soi même puisque, comme l'a relevé la Cour de cassation, le mode de preuve est libre s'agissant de la réalité d'un fait juridique. Elle conteste les critiques formées par la Caisse s'agissant de cette attestation expliquant notamment que si elle a été établie en 2016 c'est parce qu'il n'existait aucun contentieux avant cette date et que si le témoin s'était senti en 'porte-à-faux', il lui était loisible de ne pas témoigner. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, la responsable précise bien les dates des demandes de prise en charge, cite nommément l'interlocutrice de la Caisse ainsi que la procédure mise en place à l'occasion de la réunion du 15 novembre 2011 avec Mme L. De même, à l'exception de deux dossiers, tous les questionnaires sont complets et permettent de connaître la date de la demande d'entente. Si effectivement les questionnaires n'ont pas tous été remplis de la main de Mme L., cela ne contredit pas l'existence des demandes de prise en charge téléphoniques puisqu'en sa qualité de responsable médico-administrative, il lui était loisible de déléguer cette tâche aux membres de son équipe. Enfin, le fait que chacune des Caisses indique ne pas trouver trace des questionnaires et qu'aucune saisie n'ait été effectuée dans les logiciels ne sont pas de nature à contredire l'existence de demandes d'entente d'autant que cela ne résulte pas d'attestations mais de courriels.

En tout état de cause, la Clinique indique que les refus de prise en charge ne sont pas en rapport avec un motif médical mais à une question de procédure. Or, la Caisse ayant déjà validé la prise en charge pour un centaine d'autres dossiers, il n'y avait pas de raison qu'elle refuse les 29.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L.162-1-17 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige,

Après mise en 'uvre d'une procédure contradictoire, le directeur de l'ARS, sur proposition du directeur de l'organisme local d'assurance maladie, peut décider de subordonner à l'accord préalable du contrôle médical de l'organisme local d'assurance maladie, pour une durée ne pouvant excéder 6 mois, la prise en charge par l'assurance maladie des prestations d'hospitalisation mentionnées dans les articles L.162-22-6 et L.162-22.

(...) dans le cas où l'établissement de santé, informé par l'agence régionale de santé de la soumission à la procédure d'accord préalable du prescripteur, délivre des prestations d'hospitalisation malgré une décision de refus de prise en charge, il ne peut pas les facturer au patient (...).

L' article D. 162-1-17 du même code prévoyant que

Le directeur général de l'agence régionale de santé notifie à l'établissement, par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception, la liste des prestations d'hospitalisation pour lesquelles il envisage la mise en 'uvre de la procédure de mise sous accord préalable.

Le représentant légal de l'établissement peut présenter ses observations écrites ou demander à être entendu par le directeur général de l'agence régionale de santé ou son représentant, dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la notification. Le représentant légal de l'établissement peut se faire assister par la personne de son choix.

A l'expiration de ce délai ou après l'audition du représentant légal de l'établissement, si celle-ci intervient postérieurement à l'expiration de ce délai, le directeur de l'agence régionale de santé notifie à l'établissement et par tout moyen permettant de rapporter la preuve de la date de réception, sa décision. La décision est motivée. Elle précise, le cas échéant, la date effective d'entrée en vigueur de la mise sous accord préalable, son terme, les prestations concernées, ainsi que les voies et délais de recours.

Le directeur général de l'agence régionale de santé fait connaître, simultanément, sa décision au directeur de l'organisme local d'assurance maladie mentionné aux articles L. 174-2, L. 17418 ou L. 752-1 et au service du contrôle médical de cet organisme ou placé auprès de ce dernier.

Il s'induit de la combinaison de ces textes que pour les prestations définies par l'ARS, une procédure d'entente préalable à la prise en charge des SSR peut être mise en place, le non respect de la procédure privant le professionnel de santé de toute possibilité de solliciter le remboursement des frais engagés.

Au cas présent, il n'est pas contesté des parties que la procédure MSAP mise en place concernait les séjours SSR consécutifs aux arthroplasties du genou par prothèse totale en première intention.

Les parties s'accordent pour décrire la procédure MSAP mise en place ainsi qu'il suit :

- la Clinique préparait un questionnaire médico-social relatif au patient concerné,

- elle contactait téléphoniquement Mme [C], technicien du service médical de la Caisse, à un numéro unique dédié à savoir le [XXXXXXXX01],

- le technicien vérifiait la réunion des critères préalables de prise en charge des patients sur la base de l'analyse et de l'examen du questionnaire transmis par la Clinique,

- la Caisse donnait alors son accord oralement ou décidait d'adressait le dossier à son médecin-conseil pour procéder à un examen approfondi de la demande.

Pour justifier du respect de la procédure d'entente préalable, la Clinique produit l'attestation de Mme L., responsable médico-administrative, qui affirme «avoir respecté le processus d'autorisation, que toutes les prises en charge des patients ont bien fait l'objet d'un appel préalable auprès de Mme. [C] avec un questionnaire à l'appui ».

Si cette attestation, bien qu'établie le 13 avril 2016, est parfaitement recevable ainsi que l'a jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 7 juillet 2022, elle ne peut néanmoins être considérée comme suffisante pour établir la transmission de la demande d'accord préalable à la Caisse dans les 29 dossiers litigieux précisément.

Tout d'abord, ses termes sont très peu circonstanciés et ne visent pas précisément les dossiers litigieux mais évoque la procédure en termes généraux.

Ensuite, et surtout, il n'existe aucun autre élément qui permettrait de confirmer ses allégations. Au contraire, ses déclarations sont en contradiction avec le fait que les questionnaires qu'elle indique avoir remplis ne sont pas tous de son écriture, ce qui n'est pas contesté par la Clinique, de sorte que, n'étant pas la seule à gérer les demandes de prises en charge, elle ne peut certifier que la procédure de MSAP a systématiquement été respectée.

De même, aucune mention pertinente et objective n'apparaît sur les 29 questionnaires médico-administratifs que la Clinique indique avoir établis et communiqués à la Caisse. D'aucune mention il peut être déduit une transmission effectie à l'organisme ni la preuve d'un accord de prise en charge. La cour constatera que si trois de ces questionnaires portent un numéro de fax suivis de la mention 'accord', non seulement l'attributaire du numéro n'est pas identifiable mais surtout, il s'agit de trois numéros différents qui ne correspondent pas au numéro dédié de la Caisse. Aucun accusé réception n'apparaît par ailleurs sur ces documents.

De même, l'un des questionnaires ne comporte pas la date à laquelle la demande d'entente aurait été sollicitée (Mme B.)

Ce faisant, la cour constate que, contrairement à ce qui est soutenu, la Clinique ne peut pas soutenir qu'il n'existait aucun formalisme précis pour les demandes d'entente préalable et leur acceptation ou non, puisque si le premier contact avec la Caisse était téléphonique, l'accord verbal devait être suivi d'une confirmation écrite. C'est ainsi par exemple que par courriel du 23 mai 2013, Mme [C], interlocutrice unique de la Caisse, expliquait que « les questionnaires étaient complétés selon les indications données par le secrétariat [de la Clinique]. Si les critères étaient remplis, un AF. verbal était donné de suite (...) Aucune confirmation de notre part n'était envoyée par messagerie. C'est le SA qui confirmait par notification par écrit à l'établissement » (...) « l'accord téléphonique était important pour ne pas ralentir le transfert du patient ».

La Clinique confirmait d'ailleurs l'existence d'un écrit puisque, dans le document intitulé « fiche de validation pour contrôle a postériore MSAP SSR 1ère vague » (pièce 16 de la Caisse), elle indiquait « un accord téléphonique était dans un premier temps donné pour ne pas ralentir le transfert du patient » et que par courriel du 19 avril 2013, elle indiquait à la Caisse, qui lui demandait des renseignements sur les dossiers manquants, « nous n'avons pas eu de retour écrit systématique comme le prévoit la procédure ».

La Caisse produit d'ailleurs (sa pièce 4) la copie d'un courrier qu'elle a adressé concomitamment au patient et au directeur de la Clinique du [Localité 10] comportant pour objet « votre demande d'accord préalable d'admission ». A destination du premier, elle l'informait que « l'établissement de soins de suite et de réadaptation vers lequel vous deviez vous faire admettre pour votre rééducation a été mis sous accord préalable par l'agence régionale de santé d'Ile-de-France (...). Ainsi, l'établissement la clinique du [Localité 10] a fait une demande d'accord préalable auprès du service médical (....). (...) au regard de votre situation médicale, comme de votre situation personnelle, la demande d'accord préalable vous concernant a été acceptée ». A destination du directeur de la clinique, elle lui indiquait, « J'ai bien reçu en date du 19 mars 2012, la demande d'entente préalable concernant votre patient pour une rééducation soumise à l'accord préalable par décision de l'agence régionale de santé d'Ile-de-France (...). Cette demande a été étudiée par le médecin-conseil de l'assurance maladie au regard de la situation médicale du patient comme de sa situation personnelle et a été acceptée ».

Force est de constater que la Clinique ne produit aucun de ces accords écrits pour les dossiers litigieux, pas plus qu'elle ne produit de courrier de relance à la Caisse pour ceux qu'elle n'aurait pas obtenus malgré l'accord donné oralement et qui, au demeurant, pourraient alors correspondre à ceux qui auraient échappés à la transmission.

Enfin, chacune des Caisses concernées par les indus ont indiqué n'avoir retrouvé trace d'aucune demande d'accord pour les dossiers litigieux dans les comptes-rendus d'appel téléphonique de la ligne dédiée, dans le logiciel dans lequel le questionnaire de la Clinique devait être enregistré, dans le logiciel informatique partagé entre le service médical et les services administratifs, ni enfin dans le logiciel dédié à la MSAP et dans le logiciel 'Hippocrate' enregistrant les avis rendus et les accords de prise en charge.

S'il n'est pas contestable, comme le souligne la Clinique, que la Caisse a finalement admis devant la Commission de recours amiable avoir donné son accord pour trois des 32 dossiers initialement considérés comme litigieux, elle ne peut en tirer la conséquence le manque de fiabilité de son contrôle et de ses données ni a fortiori en déduire que la même erreur se serait produite pour les 29 restants d'autant qu'il ressort des pièces produites que ces dossiers finalement validés avaient soit été enregistrés par la Clinique sous un mauvais numéro (celui du conjoint pour l'un) soit ne relevaient pas de la procédure.

Ce faisant, au regard des dispositions ci-dessus rappelées et ainsi que l'a souligné la Cour de cassation dans son arrêt du 7 juillet 2022, il appartient à l'établissement de santé, et à lui seul, de justifier qu'il a systématiquement sollicité l'accord préalable de l'assurance maladie avant la réalisation de chacune des prestations litigieuses.

Force est de constater que la Clinique échoue à apporter cette démonstration.

Il convient en conséquence de juger que les Caisses justifient du bien-fondé de leur indu et de réformer le jugement en ce sens.

Sur la demande reconventionnelle de la Caisse

Moyens des parties

La Caisse sollicite le remboursement pour chacune des Caisses des sommes versées à la Clinique pour les soins de suite et de réadaptation engagés à la suite des arthroplasties du genou par prothèse totale en première intention et pour lesquelles il n'y a pas eu d'accord préalable. Elle indique produire pour chacun un décompte des prestations versées.

La Clinique ne formule aucune observation sur le montant sollicité et sur le calcul effectué par la Caisse pour y parvenir.

Réponse de la cour

La copie des décomptes des frais remboursés aux Caisses concernées par les irrégularités, et qui ne sont pas contestés par la Clinique, permettent de fixer les indus sur la période du 12 décembre 2011 au 12 juin 2012 de la manière suivante :

- 137 435,32 euros au profit de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis correspondant à la prise en charge de 19 séjours,

- 31 547,69 euros au profit de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris correspondant à la prise en charge de cinq séjours,

- 9 816,35 euros au profit de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine correspondant à deux séjours,

- 8 103,44 euros au profit de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne au titre d'un séjour,

- 6 901,98 euros au profit de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne au titre de deux séjours.

La Clinique sera en conséquence condamnée à verser à chacune des Caisses la somme ainsi mentionnée, somme qui portera intérêt au taux légal à compter du 10 avril 2013, date de la notification de l'indu.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

La Clinique, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et sera condamnée à payer à chacune des caisses primaires d'assurance maladie une indemnité de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, elle sera déboutée de la demande qu'elle a formée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

VU l'arrêt rendu le 7 juillet 2022 par la Cour de cassation,

INFIRME le jugement rendu le 19 mais 2016 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny (RG14-359) en toutes ses dispositions ;

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

JUGE que les caisses primaires d'assurance maladie de [Localité 13], de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de la Seine-et-Marne et des Hauts-de-Seine justifient du bien fondé de leur créance ;

CONDAMNE la Clinique [12] - Clinique du [Localité 10] à verser les sommes de:

- 137 435,32 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis,

- 31 547,69 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris,

- 8 103,44 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne,

- 6 901,98 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne,

- 9 816,35 euros à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine ;

DIT que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013 ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la Clinique [12] - Clinique du [Localité 10] à verser à chacune des caisses primaires d'assurance maladie la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la Clinique [12] - Clinique du [Localité 10] aux dépens d'instance et d'appel.

PRONONCÉ par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 22/08094
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;22.08094 ?
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