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31/05/2024 | FRANCE | N°20/03948

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 31 mai 2024, 20/03948


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 31 Mai 2024



(n° , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/03948 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB7CE



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Mai 2020 par le Pole social du TJ de [Localité 4] RG n° 19/03121





APPELANTE

S.A.S. [5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée pa

r Me Frédérique BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0881 substituée par Me Bruno LASSERI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946





INTIMEE

CPAM 93 - SEINE SAINT DENIS ([Localité 4])

[Adresse...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 31 Mai 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/03948 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB7CE

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Mai 2020 par le Pole social du TJ de [Localité 4] RG n° 19/03121

APPELANTE

S.A.S. [5]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Frédérique BELLET, avocat au barreau de PARIS, toque : C0881 substituée par Me Bruno LASSERI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946

INTIMEE

CPAM 93 - SEINE SAINT DENIS ([Localité 4])

[Adresse 1]

SERVICE CONTENTIEUX

[Localité 4]

représenté par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Monsieur Philippe BLONDEAU, conseiller

Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le

20 mai 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny (RG 19-3121) dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Mme [V] [D] était salariée de la société [5] (désignée ci-après 'la Société') depuis le 7 février 2000 en qualité d'opérateur de valeurs lorsque, le 25 avril 2018, elle a informé son employeur avoir été victime d'un accident survenu sur son lieu de travail que celui-ci a déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis (ci-après désignée 'la Caisse') en ces termes « selon les dires de la salariée, en sortant de son lieu de travail, elle aurait ressenti une vive douleur au niveau des poumons ». Aucune mention n'était portée dans la partie dédiée aux éventuelles réserves de l'employeur.

Le certificat médical initial établi le 6 mai 2018, après la période d'hospitalisation de l'intéressée débutée le 25 avril 2018 par le médecin du service de chirurgie thoracique et vasculaire, faisait mention d'un « pneumothorax droit nécessitant une décortication pleurales sur parenchyme pathologique » et prescrivait un arrêt de travail jusqu'au 3 juin suivant.

La Caisse a alors initié une instruction et, par courrier du 13 juin 2018, elle a informé la Société qu'un délai complémentaire d'instruction était nécessaire afin qu'elle puisse se prononcer sur le caractère professionnel de l'accident.

Par courrier du 20 juillet 2018, la Caisse a informé l'employeur de la fin de son instruction et de la possibilité de consulter les pièces du dossier de Mme [D] avant qu'une décision soit prise sur le caractère professionnel de l'accident.

Puis, par décision du 10 août 2018, la Caisse a pris en charge, au titre du risque professionnel, l'accident déclaré par Mme [D] le 25 avril 2018.

La Société a contesté cette décision devant la commission de recours amiable le 10 octobre 2018 puis, à défaut de décision explicite, elle a formé un recours contentieux devant le pôle social du tribunal de grande instance de Bobigny.

En application de la réforme des contentieux sociaux issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, l'affaire a été transférée le 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance de Bobigny, devenu tribunal judiciaire au1er janvier 2020.

Par jugement du 20 mai 2020, le tribunal a :

- déclaré recevable le recours de la société [5] mais mal fondé ;

- débouté la société [5] de sa demande d'inopposabilité de la décision du 10 août 2018 de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail dont Mme [V] [D] a été victime le 25 avril 2018 ;

- débouté la Société de sa demande d'inopposabilité de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis de prendre en charge l'ensemble des arrêts de travail et des soins prescrits à Mme [D] au titre de son accident du travail du

25 avril 2018 ;

- débouté la société [5] de sa demande d'expertise ;

- déclaré opposable la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la

Seine-Saint-Denis de prendre en charge accident du travail du 25 avril 2018 ainsi que l'ensemble des arrêts de travail et des soins prescrits à Mme [V] [D] au titre de son accident du travail du 25 avril 2018 ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

- condamné la société [5] aux dépens.

Le jugement a été notifié aux parties le 3 juin 2020 et la Société en a régulièrement interjeté appel devant la présente cour par déclaration enregistrée au greffe le 26 juin suivant.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 15 novembre 2023 puis, faute pour les parties d'avoir été en état, renvoyée à celle du 20 mars 2024, lors de laquelle les parties étaient représentées.

La Société, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

- juger que dans ses rapports avec elle, la caisse primaire d'assurance maladie ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un fait accidentel précis et soudain qui serait survenu le 25 avril 2018 au temps et au lieu du travail et, en conséquence,

- dire et juger inopposable à son égard la décision de la Caisse de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident du 25 avril 2018 invoqué par Mme [D]

A titre subsidiaire, la Société demande à la cour de :

- juger que la Caisse ne rapporte pas la preuve du caractère professionnel de la pathologie Mme [D],

- juger que selon les éléments du dossier le travail de Mme [D] n'a en effet joué aucun rôle dans la survenance de sa pathologie et, en conséquence,

- dire et juger inopposable à son égard la décision de la Caisse de reconnaître le caractère professionnel de l'accident de travail du 25 avril 2018 déclaré par Mme [D].

A titre infiniment subsidiaire, s'il n'était pas fait droit à la demande d'inopposabilité, la Société lui demande de :

- ordonner avant dire droit, une expertise médicale judiciaire, confiée à tel expert qu'il plaira au tribunal de nommer, le litige intéressant les seuls rapports Caisse/employeur, afin de vérifier la justification des lésions, prestations, soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre de l' accident du travail de

Mme [D] du 25 avril 2018,

- dire que l'expert désigné aura pour mission de :

1° ordonner au service médical de la Caisse de communiquer l'entier dossier médical de Mme [D] en sa possession en application de l'article L. 141-2-2 du code de la sécurité sociale,

2° prendre connaissance de l'entier dossier médical de Mme [D] établi par la Caisse,

3° convoquer et entendre les parties, éventuellement représentées par un médecin de leur choix,

4° fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec l'accident du travail dont a été victime Mme [D] le 25 avril 2018,

5° dire notamment, si pour certains arrêts de travail et soins, il s'agit d'une lésion indépendante de celle déclarée le 25 avril 2018 ou d'un état antérieur évoluant pour son propre compte,

6° fixer la date de consolidation de l'état de santé de Mme [D] résultant de son accident du travail du 25 avril 2018 à l'exclusion de tout état pathologique indépendant évoluant pour son propre compte,

7° déterminer la date à partir de laquelle les lésions, soins et arrêt de travail sont en rapport avec un état antérieur évoluant pour son propre compte ou relève d'une cause étrangère,

8° ordonner à l'Expert de soumettre un pré-rapport aux parties avant le dépôt du rapport définitif.

- renvoyer l'affaire à une audience ultérieure afin qu'il soit débattu du caractère professionnel des lésions, prestations, soins et arrêts en cause, après dépôt du rapport de l'expert judiciaire.

- en tout état de cause mettre à la charge de la Caisse, les frais et honoraires d'expertise,

- lui donner acte qu'elle n'est pas opposée à avancer les frais d'expertise sous réserve qui lui soit donné acte qu'elle se réserve la possibilité de demander à être remboursée par la Caisse de l'avance qu'elle aura faite.

La Caisse, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 20 mai 2020 en toutes ses dispositions et en conséquence,

- débouter la société [5] de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner aux entiers dépens.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 31 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le caractère professionnel de l'accident

Moyens des parties

Au soutien de son recours, la Société rappelle que si l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale institue une présomption d'imputabilité au travail d'un accident survenu au temps et au lieu du travail, il incombe au préalable au salarié ou à la Caisse de rapporter la preuve de la réalité d'un accident. Or, au cas présent, elle indique qu'il n'existe aucun élément objectif ni faisceau d'indices permettant d'attester de l'existence d'un fait accidentel qui serait survenu le 25 avril 2018 et de prouver que la lésion médicalement constatée le 6 mai 2018 est imputable aux faits déclarés. Elle relève qu'il n'y a eu aucun fait traumatique dans l'action de Mme [D] qui effectuait son travail dans des conditions normales, que la simple douleur ne suffit pas à démontrer la présence d'une véritable lésion traumatique d'origine accidentelle et que rien ne permet d'établir que les faits décrits se soient produits au temps et lieu de travail. D'ailleurs, elle relève qu'il n'y a eu aucun témoin et que l'accident n'a été déclaré que le lendemain de sa survenue. Elle souligne les incohérences des déclarations de la salariée notamment s'agissant de l'heure de l'accident qui semble s'être déroulé à un moment où elle quittait son bureau et n'était donc plus sous la subordination de son employeur. Au contraire, au regard de la nature de la lésion, elle estime qu'elle pourrait résulter d'un état pathologique antérieur d'autant que la salariée est connue pour son importante consommation journalière de cigarettes.

La Caisse rétorque qu'un accident du travail est caractérisé par la réunion de trois éléments: un fait accidentel, une lésion corporelle, un lien avec le travail. En l'espèce, Mme [D] travaillait en qualité d'opératrice valeur pour le compte de la société [5] lorsqu'elle a indiqué avoir ressenti une vive douleur au niveau des poumons. A ce moment, contrairement à ce qui est plaidé, elle se trouvait dans ses horaires de travail et portait une charge lourde. Elle était donc bien placée sous la subordination de son employeur lequel a en outre été immédiatement informé de la survenance de l'accident. Les lésions ont été constatées le jour même de l'accident à savoir un pneumothorax qui a justifié une intervention chirurgicale et Mme [D] sera hospitalisée jusqu'au 6 mai 2018. La Caisse indique également que l'employeur ne peut ni invoquer l'absence de témoin ni faire grief à l'organisme de ne pas avoir entendu les collègues de travail de la victime dès lors que l'absence de témoin n'est pas de nature à exclure le bénéfice de la législation professionnelle, en présence de présomptions graves, précises et concordantes, de nature à établir la matérialité de l'accident, comme c'était le cas en l'espèce. En outre, elle relève qu'il lui aurait été difficile d'interroger les collègues de l'assurée, alors que l'employeur ne contestait pas le caractère professionnel de l'accident et n'avait fourni aucun nom, ni coordonnées de personnes susceptibles d'apporter des précisions.

Enfin, la Caisse relève que pour remettre en cause l'imputabilité de la lésion, la Société se contente d'indiquer que l'accident du travail serait en lien avec un état antérieur. Or, non seulement la preuve de cet état antérieur n'est pas rapportée mais quand bien même il serait avéré, dès lors qu'il a été révélé ou aggravé par l'accident du travail, il doit être pris en charge au titre de la législation professionnelle, sauf à l'employeur de démontrer que l'état antérieur serait la cause unique et exclusive de l'accident, en dehors de tout rôle causal du travail ce qu'il ne fait pas en l'espèce.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, ou chefs d'entreprise .

L'accident du travail est ainsi légalement caractérisé par la réunion de trois éléments :

- un fait accidentel, c'est-à-dire que l'accident repose sur la survenance d'un événement qui n'a pas nécessairement les caractéristiques d'un fait soudain, la soudaineté pouvant s'attacher soit à l'événement, soit à la lésion, mais dont la date est certaine, cette exigence ayant pour but d'établir une distinction fondamentale entre l'accident et la maladie laquelle est normalement le résultat d'une série d'événements à évolution lente et ne doit pas être rattachée au risque accident du travail,

- une lésion corporelle : c'est-à-dire que l'accident doit porter atteinte à l'organisme humain, physiquement ou psychiquement, peu important l'étendue et l'importance de la lésion ainsi que ses caractéristiques ;

- un lien avec le travail c'est-à-dire que l'accident doit être survenu par le fait ou à l'occasion du travail ; cela ne signifie pas toutefois que l'accident doive se dérouler sur le lieu et durant le temps de travail mais si tel est le cas, l'accident survenu au temps et au lieu de travail est présumé d'origine professionnelle.

Cette définition suppose que le salarié soit, au moment des faits, sous la subordination de l'employeur ou en position de subordination.

Il résulte également de cet article une présomption d'imputabilité de l'accident survenu au temps et au lieu de travail laquelle ne peut être combattue que par la preuve d'une cause totalement étrangère au travail. Néanmoins, dans ce dernier cas, il appartient à celui qui invoque le jeu de la présomption d'établir au préalable les circonstances exactes de l'accident autrement que par de simples affirmations et de prouver que la lésion est apparue au temps et au lieu de travail (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, Bull. n° 132).

A défaut de preuve, la victime doit établir la preuve, par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, au sens de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

- de la matérialité du fait accidentel,

- de sa survenance par le fait ou à l'occasion du travail,

- du lien de causalité entre les lésions et le fait accidentel,

les seules affirmations de la victime non corroborées par des éléments objectifs étant insuffisantes.

Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).

En revanche, dès lors qu'il est établi la survenance d'un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celui-ci est présumé imputable aux travail, sauf pour celui qui entend la contester de rapporter la preuve qu'elle provient d'une cause totalement étrangère au travail. Il en est ainsi d'un choc psychologique survenu au temps et au lieu de travail (2e Civ., 4 mai 2017, pourvoi n° 15-29.411).

Il est constant en l'espèce que Mme [D] était employée de la société [5] en qualité de d'opérateur de valeurs.

Une déclaration d'accident du travail a été établie le 26 avril 2018 par l'employeur, laquelle fait état d'un accident survenu le 25 avril précédent et est ainsi libellée : « pneumothorax droit nécessitant une décortication pleurales sur parenchyme pathologique ».

Le jour des faits, les horaires de travail de Mme [D] étaient de 13 heures 50 à 20 heures 50.

La déclaration d'accident du travail enseigne que l'accident contesté se serait produit à 16 heures, c'est-à-dire dans le temps du travail et il n'est pas contesté que l'événement a eu lieu sur le lieu du travail.

L' assurée était donc placée sous la subordination de son employeur, le seul fait que la déclaration rédigée par l'employeur mentionne « en sortant du travail » n'étant pas un élément suffisant pour considérer qu'elle n'était plus sous son autorité alors que ce même document précise qu'il a connu l'accident à 15 heures 50, c'est-à-dire durant le temps de travail de l'intéressée.

S'agissant du fait accidentel, il résulte de l'enquête menée par la Caisse, et notamment le questionnaire assuré complété le 19 juin 2018, qu'à 16 heures, alors qu'elle portait des sacs d'un certain poids, elle a ressenti de très grosses douleurs aux poumons, et est partie directement à l'hôpital. La cour relève qu'il n'a jamais été contesté par l'employeur que Mme [D] était amenée à porter de telles charges dans le cadre de son travail. Elle exécutait donc bien une action en rapport avec son activité professionnelle.

Le certificat médical initial daté du 6 mai 2018, à l'issue de la période d'hospitalisation de l'intéressée débutée le 25 avril 2018, date de l'accident invoqué, faisait mention d'un «pneumothorax droit nécessitant une décortication pleurales sur parenchyme pathologique » ce qui établit la réalité de la lésion. Force est de constater que tant le mécanisme accidentel que la lésion constatée sont cohérents avec l'activité professionnelle de Mme [D].

L'absence de témoin direct, relevé par l'employeur n'est pas en soi de nature à remettre en cause la matérialité de l'accident, ou sa survenue au temps et au lieu du travail, d'autant qu'il n'est pas démontré qu'au moment de l'action de Mme [D], celle-ci travaillait en équipe ou en présence d'autres salariés. L'employeur ne précise d'ailleurs aucunement en quoi cette absence de témoin serait anormale et de nature à remettre en cause la réalité du fait accidentel.

Il n'est pas davantage pertinent de soutenir que les conditions de travail de Mme [D] étaient normales puisque la présomption d'imputabilité s'applique à tout accident survenu au temps et lieu du travail.

Il n'est enfin pas inintéressant de relever que, même s'il a utilisé le conditionnel, l'employeur n'a émis aucune réserve dans sa déclaration d'accident et qu'il n'a pas plus émis de réserves au cours de l'instruction effectuée par la Caisse. Or, si l'absence de réserves de l'employeur est en soi insuffisante à convaincre de la réalité d'un accident, il n'en reste pas moins qu'elle a constitué pour la Caisse un indice sérieux en faveur de l'absence de doute de la part de la direction du magasin et donc de la prise en charge au titre de la législation professionnelle.

Au vu de ces éléments, il y a lieu de retenir la survenance d'un événement soudain, consistant en un faux mouvement, survenu à une date certaine, le 25 avril 2018 à 16 heures par le fait ou à l'occasion du travail, connu immédiatement de l'employeur dont il est résulté une lésion à savoir un pneumothorax médicalement constatée.

Il résulte de ces éléments que dans ses rapports avec l'employeur la Caisse établit la matérialité de l'accident au temps et au lieu du travail, de sorte que la présomption d'imputabilité trouve à s'appliquer.

Il appartient alors à la Société de démontrer que l'accident a une cause totalement étrangère au travail, ni que la lésion médicalement constatée le 6 mai 2018 est indépendante du travail.

Pour ce faire, la Société verse aux débats la note médico-légale rédigée le 17 février 2020 par son médecin consultant, le docteur [Z], qui relève que :

- la salariée a été victime d'un pneumothorax droit qui a donné lieu immédiatement à un traitement chirurgical dont la nature exacte n'est pas formellement établie au regard des informations discordantes retranscrites sur les certificats,

- les indications thérapeutiques concernent des lésions différentes ; ainsi, un « talcage » est effectué en cas d'épanchement malin dû à la présence de cellules tumorales, la «décortication » est indiquée pour traiter une inflection de la plèvre ou empyème et la «pleurodèse » vise à coller le poumon à la paroi thoracique pour remédier à un épanchement pleural chronique en cas de pneumothorax récidivant,

- aucune de ces interventions n'est indiquée pour le traitement d'un pneumothorax inaugural, dont le caractère traumatique n'est par ailleurs aucunement avéré, en l'absence de tout fait générateur unique et soudain de nature à occasionner un décollement pleural; il n'y a en particulier aucun traumatisme thoracique documenté.

Or, la cour ne peut que constater que les explications du docteur [Z] sur les objectifs des traitements ne sont pas de nature à exclure le rôle du travail dans l'apparition des lésions, d'autant qu'il considère inexactement que « le caractère traumatique n'est par ailleurs aucunement avéré, en l'absence de tout fait générateur unique et soudain » puisqu'il vient d'être établi que la douleur est survenue alors que la salariée portait une charge lourde.

En tout état de cause ce médecin n'indique nullement que la lésion serait due à une cause totalement étrangère au travail ou qu'elle résulterait d'un état antérieur évoluant pour son propre compte. Il ne cite d'ailleurs aucune pathologie dont souffrirait Mme [D] et qui aurait été à l'origine de sa lésion.

Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que la Société ne renverse pas la présomption, ne rapportant pas, par ses productions, la preuve que l'accident a une cause totalement étrangère au travail, ni que la lésion médicalement constatée le 6 mai 2018 est indépendante du travail.

Il y a donc lieu de dire que Mme [D] a été victime d'un accident du travail le 25 avril 2018 dont la décision de prise en charge par la Caisse doit être déclarée opposable à la Société.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur l'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident

La Société fait valoir que la décision de la Caisse de prendre en charge des prescriptions de soins et d'arrêts de travail pendant 165 jours n'apparaît pas médicalement justifiée eu égard aux circonstances de l'événement déclaré par la salariée. Elle estime qu'elle peut légitimement s'interroger sur l'existence d'un état antérieur évoluant pour son propre compte, relevant que les problèmes aux poumons pourraient être liés à une consommation tabagique excessive.

La Caisse rétorque que dès lors que la prise en charge de l'accident du travail est justifiée, toutes les conséquences de l'accident du travail bénéficient de la présomption d'imputabilité jusqu'à la guérison ou la consolidation du salarié. Elle rappelle que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, de telle sorte que la présomption d'imputabilité est parfaitement établie jusqu'à la date de consolidation fixée par son médecin conseil au

1 er novembre 2019. Pour détruire la présomption d'imputabilité et obtenir l'inopposabilité à son égard de la prise en charge, l'employeur doit rapporter la preuve que les soins et arrêts de travail qu'il conteste ont une cause totalement étrangère à l'accident du travail ou que la salariée présente un état pathologique préexistant auquel les prestations sont exclusivement imputables. Elle estime que la Société échoue à apporter cette démonstration.

Réponse de la cour

L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il résulte de ce texte que la présomption d'imputabilité dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial de la maladie professionnelle est assorti d'un arrêt de travail, s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, pendant toute la période d'incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement, aux soins destinés à prévenir une aggravation et plus généralement à toutes les conséquences directes de l'accident, fait obligation à la caisse de prendre en charge au titre de la législation sur les accidents de travail les dépenses afférentes à ces lésions.

Ainsi, et sans que la Caisse n'ai à justifier de la continuité de symptômes et de soins à compter de l'accident initial, l'incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.

En conséquence, l'employeur qui conteste le caractère professionnel de l'accident ou des arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident et pris en charge à ce titre, doit détruire la présomption d'imputabilité s'attachant à toute lésion survenue au temps et au lieu de travail, en apportant la preuve que cette lésion est totalement étrangère au travail, étant rappelé que l'article 146 alinéa 2 du code de procédure civile fait obstacle à ce qu'une mesure d'instruction soit ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

Sauf à inverser la charge de la preuve, ce n'est donc pas à la Caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l'accident du travail, mais à l'employeur de justifier que ceux-ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l'assuré.

Dans le cadre de la présente procédure la Caisse produit aux débats un bulletin de situation justifiant que Mme [D] a été hospitalisée du 25 avril 2018 au 6 mai suivant, date à laquelle le certificat médical initial a été établi. Il faisait mention d'un « pneumothorax droit nécessitant une décortication pleurales sur parenchyme pathologique » et prescrivait un arrêt de travail jusqu'au 3 juin suivant.

En produisant un certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail, la Caisse bénéficie de la présomption d'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail laquelle s'étend à toute la durée de l'incapacité jusqu'à la guérison.

Il appartient donc à l'employeur, qui entend combattre la présomption d'imputabilité, de produire des éléments permettant d'établir, ou à tout le moins de douter, que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail.

Pour ce faire, la Société se réfère à la note médico-légale de docteur [Z] dont il vient d'être démontré qu'elle n'était pas de nature à établir que les lésions prises en charge par la Caisse au titre du risque professionnel relèveraient en réalité d'un état pathologique évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail. Elle ne démontre pas davantage l'existence d'une cause qui serait survenue postérieurement, totalement étrangère à l'accident de travail, et que la Caisse aurait pour autant rattaché à celui-ci.

Le tabagisme évoqué par la Société n'est pas davantage démontré et s'il l'avait été, il n'aurait pu permettre d'écarter la présomption d'imputabilité à défaut de démontrer qu'il aurait été la cause exclusive des arrêts de travail.

Au demeurant, le docteur [Z] n'évoque pas cette possibilité.

A toutes fins utiles, il sera rappelé que le fait qu'il existe un état antérieur n'exclut pas le jeu de la présomption d'imputabilité des lésions à l'accident du travail dès lors que celui-ci a concouru à l'aggravation de cet état de santé. En d'autres termes, dans l'hypothèse où un accident du travail est la cause de l'aggravation d'un état pathologique antérieur, c'est néanmoins la totalité de l'incapacité de travail consécutive à cette aggravation qui doit être prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels puisque la présomption d'imputabilité s'étend à toutes les conséquences du fait accidentel. Seule la démonstration que la pathologie prise en charge par la Caisse relèverait exclusivement d'un état préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail pourrait permettre un renversement de la présomption.

Enfin, la seule évocation d'une ' disproportion entre les lésions initialement causées par l'accident du 25 avril 2018 et les arrêts de travail pris en charge par la CPAM au titre de l'accident initial  , en l'absence de tout élément de nature à étayer les doutes de la Société est insuffisante à dire les lésions non imputables à l'accident du travail ni même à justifier une expertise. Or, l'employeur ne fait pas état d'une pathologie préexistante susceptible d'expliquer cette durée, selon lui, manifestement excessive, de l'arrêt de travail prescrit à Mme [D].

Il résulte de ce qui précède qu'aucun des documents ci-dessus, pris isolément ou dans leur ensemble, ne constitue au regard de leur généralité, un commencement de preuve d'une cause extérieure aux arrêts qui justifierait le recours à une expertise, étant rappelé que l'expertise médicale doit trancher un différent d'ordre médical quant à l'état de santé de l'assuré, ce qui suppose que la partie qui la sollicite fasse état d'éléments de nature à remettre en cause, ou à tout le moins de douter, de l'exactitude ou de la pertinence du diagnostic posé par le médecin conseil.

En conséquence, la demande d'expertise sera rejetée et la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis de prendre en charge, au titre du risque professionnel, les arrêts de travail et les soins prescrits à Mme [D] à compter du 25 avril 2018, date de l'accident, est opposable à la Société.

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, la Société succombant supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, après en avoir délibéré, statuant par décision contradictoire,

DIT l'appel formé par la société [5] recevable ;

CONFIRME le jugement rendu le 20 mai 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny (RG19-3121) et toutes ses dispositions ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la Société aux dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/03948
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;20.03948 ?
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