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31/05/2024 | FRANCE | N°19/07416

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 31 mai 2024, 19/07416


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 31 Mai 2024



(n° , 9 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/07416 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAH4T



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MEAUX RG n° 09/00526





APPELANTE

ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représent

ée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE

SCA [5]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Olivia...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 31 Mai 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/07416 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAH4T

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de MEAUX RG n° 09/00526

APPELANTE

ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

SCA [5]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Olivia COLMET DAAGE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346 substituée par Me Adrien SERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Monsieur Philippe BLONDEAU, conseiller

Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] d'un jugement rendu le 13 mai 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Meaux dans un litige l'opposant à la SCA [5].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que M. [D] [Z] était salarié de la société [5] (ci-après désignée 'la Société') lorsque, le 16 août 2004, il a été victime d'un accident qui a été déclaré auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] (ci-après désigné 'la Caisse') en ces termes : « Lors de son interprétation en clown sur vélo, le vélo a heurté un retour de scène et la victime est tombée de son vélo se blessant à la hanche droite ; siège des lésions: hanche droite ; nature des lésions : douleur et difficulté à la marche ».

Le certificat médical initial rédigé le 16 août 2004 par le centre hospitalier de

Lagny-sur-Marne constatait une « contusion de la hanche droite » et prescrivait un arrêt de travail jusqu'au 22 août 2004.

Par décision du 31 août 2004, la Caisse a reconnu le caractère professionnel de l'accident et en a donc pris en charge les conséquences au titre de la législation professionnelle.

Après avis de son médecin-conseil, la Caisse a notifié à l'intéressé et à son employeur que son état de santé était considéré comme consolidé au 1er février 2006.

Le 2 mars 2009, la Société a contesté l'imputation sur son compte employeur du coût des prescriptions dont a bénéficié son salarié devant la commission de recours amiable laquelle, par décision du 25 août 2009, a rejeté son recours. Notification en a été faite à l'intéressée le 7 septembre 2009.

C'est dans ces conditions, que la Société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Meaux lequel, par jugement avant dire droit du 1er mars 2012, a ordonné une expertise judiciaire qu'il a confiée au docteur [U], en vue, notamment, de :

o dire quels sont les soins et arrêts de travail en relation directe et exclusive avec les lésions initiales provoquées par l'accident du 16 août 2004,

o fixer la durée des soins et arrêts de travail en relation directe et unique avec l'accident du travail du 16 août 2004,

o dire si les lésions en relation directe et unique avec l'accident du travail du 16 août 2004 sont consolidées et si oui, à quelle date.

Pour ordonner l'expertise, le tribunal avait retenu que l'avis du médecin consultant de la Société avait relevé que le certificat du 4 mars 2005 révélait d'une lombosciatique à droite sur atteinte articulaire postérieure, c'est-à-dire d'une pathologie dégénérative.

Par ordonnance du 5 février 2018, le docteur [E] a remplacé le docteur [U] pour effectuer la mission, ce qu'il a fait le 26 juillet 2018. Il a déposé son pré-rapport le 10 septembre 2018 et son rapport le 10 octobre suivant.

En application de la réforme des contentieux sociaux issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, l'affaire a été transférée le 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance de Meaux.

Par jugement du 13 mai 2019, le tribunal a :

- déclaré inopposable à la SCA [5] la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, les arrêts de travail et les soins pour la période postérieure au

15 février 2005, à la suite de l'accident dont a été victime M. [D] [Z], le 16 août 2004,

- fixé la date de consolidation de M. [D] [Z] au 15 février 2005,

- rappelé que la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-et-Marne devra transmettre à la CRAMIF le montant des prestations correspondant aux arrêts de travail, soins et toutes autres prestations prescrits déclarés inopposables à la Société,

- dit que les frais d'expertise seront supportés par la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne,

- rappelé que le recours ayant été introduit le 10 novembre 2009, le jugement demeurait sans dépens à l'exception des frais d'expertise.

Le tribunal a retenu que, dans son rapport d'expertise, le docteur [E] avait conclu de manière claire et argumentée et, en l'absence de toute production des rapports médicaux dont la Caisse étaient pourtant en possession, les soins et arrêts de travail en relation directe et unique avec les lésions initiales provoquées par l'accident du 16 août 2004 ne pouvaient courir que jusqu'au 15 février 2005, date à laquelle les lésions devaient être considérées comme consolidées.

Le jugement a été notifié aux parties le 23 mai 2019 et la Caisse en a régulièrement interjeté appel devant la présente cour par déclaration enregistrée au greffe le 24 juin suivant.

L'affaire a alors été fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 29 novembre 2023 puis, faute pour l'intimée d'être en état, renvoyée à celle du 30 mars 2024 pour être plaidée.

La Caisse, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 13 mai 2019 en toutes ses dispositions,

- débouter la société [5] de toutes ses demandes,

- déclarer l'ensemble des soins et arrêts pris en charge au titre de l'accident du 16 août 2004 dont M. [Z] a été victime, opposable à la société [5],

- mettre les frais d'expertise à la charge définitive de la société [5],

- dire n'y avoir lieu à fixation de la date de consolidation dans les rapports Caisse/Employeur,

- condamner la Société en tous les dépens.

La Société, au visa de ses conclusions récapitulatives, demande à la cour de :

- déclarer recevable son recours,

- débouter la caisse primaire d'assurance maladie de l'intégralité de ses demandes,

- juger que le certificat médical initial a fait état d'une contusion de la hanche droite,

- juger que les certificats médicaux de prolongation à compter du 19 août 2004 font exclusivement état d'une 'lombosciatique',

- juger que la lombosciatique n'a pas fait l'objet d'une prise en charge au titre de l'accident du travail en tant que nouvelle lésion par la caisse primaire,

- juger que la lombosciatique ne peut donc pas bénéficier de la présomption d'imputabilité et, en conséquence,

- juger que l'ensemble des prestations servies à Monsieur [Z] à compter du

19 août 2004 doit lui être déclaré inopposable.

A titre subsidiaire, la Société demande à la cour de :

- juger qu'il existe un débat d'ordre médical qui n'a pas été tranché par l'expertise de première instance et, en conséquence,

- ordonner un complément d'expertise médicale judiciaire afin de déterminer les prestations, soins et arrêts en relation avec l'accident du 19 août 2004.

A titre infiniment subsidiaire, la Société lui demande de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Meaux du 13 mai 2019,

- entériner le rapport d'expertise médicale judiciaire établi par le docteur [E] et, en conséquence,

- dire et juger que la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, par la Caisse primaire d'assurance maladie, des arrêts de travail, prestations, lésions et soins prescrits après le 15 février 2005 au titre de l'accident du travail du 16 août 2004 lui sont inopposables,

- dire et juger que la date de consolidation doit être fixée au 15 février 2005.

En tout état de cause, la Société demande à la cour de :

- condamner la caisse primaire aux entiers dépens,

- enjoindre la caisse primaire de transmettre à la CARSAT compétente le montant des prestations correspondant aux soins, arrêts de travail et toutes autres prestations prescrits déclarés inopposables à la concluante.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Après s'être assurée de l'effectivité d'un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l'affaire et mis son arrêt en délibéré au 31 mai 2024.

MOTIVATION DE LA COUR

La cour relèvera au préalable que c'est ultra petita que le tribunal a statué sur la date de consolidation de l'état de santé du salarié alors même qu'il n'était saisi que d'une contestation sur l'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail.

Sur l'imputabilité des arrêts de travail et des soins

Moyens des parties

Au soutien de son appel, la Caisse fait valoir que lorsque la prise en charge de l'accident du travail est justifiée, toutes ses conséquences bénéficient de la présomption d'imputabilité jusqu'à la guérison ou la consolidation de l'état de santé du salarié, qu'il y ait continuité ou non des prescriptions. En l'espèce, elle a pris en charge, de façon continue, des soins et arrêts de travail entre le 16 août 2004 et le 1er février 2006 et a versé des indemnités journalières au titre de ces arrêts, de sorte que la présomption d'imputabilité a pleine vocation à s'appliquer. Dès lors, si l'employeur entend détruire cette présomption et obtenir l'inopposabilité à son égard de la prise en charge, il doit rapporter la preuve que les prescriptions qu'il conteste ont une cause totalement étrangère à l'accident du travail ou que le salarié présentait un état pathologique préexistant auquel les prestations sont exclusivement imputables.

Elle estime que les conclusions de l'expertise du docteur [E] ne permettaient nullement de rapporter cette preuve, et ne constituaient pas d'avantage un commencement de preuve en ce sens. C'est donc à tort que le tribunal a jugé que les soins et arrêts de travail devaient être déclarés inopposables à l'employeur au-delà du 15 février 2005.

La Société entend souligner que le certificat médical initial du 16 août 2004 faisait état d'une simple contusion de la hanche droite et que ce n'est qu'à compter du certificat médical du 19 août 2004 qu'est apparue la mention d'une lombosciatique L5 droite, lésion qui sera à l'origine de l'ensemble des arrêts de travail prescrits après cette date. La présomption d'imputabilité invoquée par la Caisse ne s'entend que si les arrêts sont motivés par les mêmes lésions que celles décrites sur le certificat médical initial ou par des lésions prises en charge en tant que nouvelles lésions par la Caisse, ce qui n'est pas le cas. Au contraire, l'expert désigné par le Tribunal avait clairement mis en évidence l'existence d'un état pathologique antérieur en relevant que 'la notion de consolidation sans séquelle indemnisable intervient en général lorsqu'il existe un état antérieur conséquent et que l'état de l'assuré évolue dans les suites de la consolidation pour son propre compte. L'accident a décompensé de façon transitoire cet état antérieur qui évoluera par la suite pour son propre compte', ce que confirmait d'ailleurs l'avis de son médecin consultant, le

docteur [V], qui indiquait que 'Les certificats médicaux rédigés par le

docteur [G], rhumatologue, n'évoquerons jamais de pathologie au niveau de la hanche droite mais la notion d'une lombosciatique L5 droite. L'accident a été déclaré le 16/08/2004, la reprise des activités professionnelles a été possible le 02/02/2005 après

18 mois d'évolution'.

La Société retient que la consolidation avec séquelles non indemnisables signifie nécessairement l'existence d'un état antérieur puisque les séquelles ne sont donc pas dues à l'accident du travail. Si l'expert a mentionné que « dans le dossier du médecin conseil de la Caisse il n'y aucune notion d'état antérieur », elle indique que cela ne veut pas dire qu'il souscrit à cette analyse.

Réponse de la cour

L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose

Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.

Il résulte de ce texte que la présomption d'imputabilité dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial de la maladie professionnelle est assorti d'un arrêt de travail, s'applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, pendant toute la période d'incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement, aux soins destinés à prévenir une aggravation et plus généralement à toutes les conséquences directes de l'accident, fait obligation à la caisse de prendre en charge au titre de la législation sur les accidents de travail les dépenses afférentes à ces lésions.

Ainsi, et sans que la Caisse n'ait à justifier de la continuité de symptômes et de soins à compter de l'accident initial, l'incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci sauf pour l'employeur à rapporter la preuve de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs.

En conséquence, l'employeur qui conteste le caractère professionnel de l'accident ou des arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident et pris en charge à ce titre, doit détruire la présomption d'imputabilité s'attachant à toute lésion survenue au temps et au lieu de travail, en apportant la preuve que cette lésion est totalement étrangère au travail, étant rappelé que l'article 146 alinéa 2 du code de procédure civile fait obstacle à ce qu'une mesure d'instruction soit ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

Sauf à inverser la charge de la preuve, ce n'est donc pas à la Caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l'accident du travail, mais à l'employeur de justifier que ceux-ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l'assuré.

Dans le cadre de la présente procédure, la Caisse a versé aux débats le certificat médical initial établi le 16 août 2004 faisant état d'une «contusion de la hanche droite » et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 22 août 2004. Il était suivi d'un certificat médical de prolongation établi le 19 août 2004, faisant mention d'une « lombosciatique L5 ».

En produisant un certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail, la Caisse bénéficie de la présomption d'imputabilité des arrêts de travail et des soins à l'accident du travail laquelle s'étend à toute la durée de l'incapacité jusqu'à la guérison.

Il sera relevé par ailleurs que la lombosciatique droite, apparue trois jours après l'accident, a été considérée par le médecin-conseil de la Caisse comme « une évolution de la lésion initiale » lequel expliquait qu' « on peut aisément comprendre que lors d'une chute de vélo, on peut avoir une contusion de la hanche droite et du rachis lombaire entraînant une lombosciatique droite . Cette nouvelle lésion, apparue avant la consolidation de l'état de santé de M. [Z], bénéficie également de la présomption d'imputabilité

Il appartient donc à l'employeur, qui entend la combattre, de produire des éléments permettant d'établir, ou à tout le moins de douter, que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail.

Pour ce faire, la Société avait produit au tribunal la note de son médecin consultant, le docteur [S], selon lequel, à la lecture des certificats de prolongation (et non de document iconographique), la symptomatologie observée relevait d'une pathologie indépendante de l'accident du travail.

Le docteur [E], désigné comme expert judiciaire a d'abord constaté que le médecin-conseil de la Caisse n'avait retenu aucun diagnostic lésionnel de l'accident du travail et qu'il avait été considéré que la victime était consolidée au 16 août 2004 sans séquelle indemnisable alors même qu'aucun examen physique n'avait été réalisé.

Pour sa part, il relevait que les certificats médicaux rédigés par le docteur [G], rhumatologue, n'avaient jamais évoqué de pathologie au niveau de la hanche droite mais uniquement d'une lombo-sciatique L5 droite. L'expert retenait que « l'évolution marquée par une lombosciatique qui a été acceptée au titre AT et qui sera consolidée sans séquelles suggère évidemment un état antérieur ». Il s'interrogeait sur le fait qu'en l'absence de séquelles indemnisables, le médecin-conseil n'ait pas considéré le salarié comme guéri. Il explique que la notion de consolidation sans séquelle indemnisable intervient en général lorsqu'il existe un état antérieur conséquent et que l'état de la victime évolue dans les suites de la consolidation pour son propre compte. Au cas présent, il soulignait que le médecin-conseil ne lui avait pas donné d'éléments médicaux précis concernant cette pathologie, sa prise en charge thérapeutique et l'éventuel état antérieur. Il estimait qu'il devait en être déduit l'existence d'un état antérieur au niveau du rachis lombaire au moment de l'accident survenu le 16 août 2004 et que « l'accident a décompensé de façon transitoire cet état antérieur qui évoluera par la suite pour son propre compte ». De ce fait, « des soins et arrêts de travail de trois mois sont justifiés pour déstabilisation temporaire d'un état antérieur ».

La Caisse, qui ne conteste pas les observations d'ordre médical de l'expert, en conteste pourtant la conclusion puisqu'elle relève qu'il ne ressort pas de son rapport la démonstration qu'à compter d'une certaine date, il aurait existé une pathologie antérieure qui aurait évolué pour son propre compte. Elle s'appuie sur l'avis de son médecin-conseil, le docteur [M], qui confirme qu'il n'avait pas à transmettre les pièces à l'expert qui n'étaient pas en rapport avec l'accident et qui maintient que la lombosciatique était en lien avec la proximité lésionnelle et qu'il n'existait aucun état antérieur symptomatique ou interférent lié soit à un accident du travail soit à une maladie. Il considère que la présomption d'imputabilité s'impose et que les arrêts de travail pris en charge tiennent compte notamment de la thérapeutique (lombostat thermoformé pendant quatre mois) et de la nature du travail.

Pour sa part, la Société verse l'avis de son médecin consultant, le docteur [V], établi le 16 février 2024, qui estime qu'il n'est pas répondu à l'argumentation principale selon laquelle des séquelles non indemnisables doivent entraîner une déclaration de guérison, pas plus qu'il n'est fourni de précisions sur l'iconographie qui a dû nécessairement être réalisée compte tenu de la nature et de l'évolution de la pathologie alors même l'intéressé a été vu à plusieurs reprises à la Caisse. Or, la simple consultation de cette iconographie aurait été de nature à régler définitivement le débat. C'est pourquoi il indique n'avoir aucune idée de la lésion anatomique post-traumatique qui a été prise en compte pour justifier l'arrêt de travail ni d'explication sur l'absence de séquelles indemnisables en l'absence d'état antérieur pouvant expliquer qu'il ne s'agit pas d'une guérison.

La cour constatera tout d'abord que par courrier du 17 juillet 2018, le médecin-conseil a indiqué à l'expert que l'accident de travail du 16 août 2018 n'avait pas fait l'objet d'un rapport IPP puisque la consolidation avait été prononcée avec séquelles non indemnisables. S'il précisait à l'expert qu'il ne pouvait lui transmettre des rapports médicaux qui faisaient référence à d'autres pathologies que celle prise en charge, notamment ceux qui mentionneraient un état antérieur, des maladies intercurrentes, ou d'autres accidents du travail ou maladies professionnelles, il n'indiquait pas pour autant que de tels documents existaient, malgré une formulation maladroite.

Sur ce dernier point, il sera rappelé que la communication ne s'entend pas d'un droit d'accès au dossier médical complet mais d'un accès à des renseignements médicaux ou des pièces médicales nécessaires à l'exercice des missions confiées à l'expert (CADA, conseil

n° 20081938, 19 juin 2008) et à elles seules. Et, sauf en matière pénale, la communication du dossier à un médecin- expert ne peut se faire qu'avec l'accord du patient, de son représentant ou d'un ayant droit, le juge civil ne pouvant, en l'absence de disposition législative spécifique l'y autorisant, ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l'expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer toutes conséquences du refus illégitime.

La cour ne peut alors que constater que l'expert ne justifie nullement de l'existence d'un état antérieur mais estime qu'il s'induit nécessairement de l'absence de séquelles indemnisables. Or, une déduction ou une supposition n'est pas une démonstration d'ordre médical d'autant que l'expert ne mentionne jamais quelle pathologie serait antérieure ou intercurrente à l'accident du travail, le seul fait de mentionner « au niveau du rachis lombaire » étant parfaitement insuffisant. Au demeurant, l'existence de « séquelles non indemnisables » à la date de la consolidation ne saurait induire que les arrêts de travail n'étaient plus justifiées à cette date, la persistance d'une dolorisation pouvant parfaitement justifier l'arrêt d'activité au regard de la profession exercée par l'intéressé. En outre, le caractère non indemnisable des séquelles, si elle empêche la fixation d'un taux d'incapacité permanente partielle, confirme cependant qu'il en existe bien.

En tout état de cause, le fait qu'il existe un état antérieur n'exclut pas le jeu de la présomption d'imputabilité des lésions à l'accident du travail dès lors que celui-ci a concouru à l'aggravation de cet état de santé. En d'autres termes, dans l'hypothèse où un accident du travail est la cause de l'aggravation d'un état pathologique antérieur, c'est néanmoins la totalité de l'incapacité de travail consécutive à cette aggravation qui doit être prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels puisque la présomption d'imputabilité s'étend à toutes les conséquences du fait accidentel. Seule la démonstration que la pathologie prise en charge par la Caisse relèverait exclusivement d'un état préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail pourrait permettre un renversement de la présomption.

D'ailleurs, même l'expert admet que l'accident a pu entraîner une dolorisation d'un état antérieur, sans pour autant pouvoir en évaluer la durée.

Aucune explication n'est fournie par l'expert pour considérer que « l'évolution marquée par une lombosciatique » serait la manifestation d'un état antérieur alors même que le médecin-conseil l'a considérée comme une évolution à trois jours d'un traumatisme du rachis et que l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à M. [Z] était justifié par cette lombosciatique L5 droite. L'imputabilité de cette lésion n'a d'ailleurs jamais été contestée par l'employeur lequel ne peut en outre pas plaider que sa prise en charge est intervenue sans instruction puisqu'elle est apparue dans les suites immédiates de l'accident et avant toute consolidation.

De même, c'est par erreur que l'expert considère qu'en l'absence de séquelles indemnisables, le médecin-conseil aurait dû fixer plus tôt la date de guérison et donc limiter la durée des arrêts de travail puisque la consolidation n'induit pas de facto la reprise d'une activité professionnelle.

A ce sujet, la cour rappellera que seul le médecin-conseil est compétent pour fixer la date de consolidation de l'état de santé d'un assuré et qu'en cas de contestation de l'employeur, doit être respectée une procédure particulière. C'est pourquoi, au cas présent, la demande de la Société de voir fixer la date de consolidation de M. [Z] au 15 février 2005, est irrecevable.

Il sera également relevé que dans la discussion médico-légale, alors que l'expert estime que les arrêts de travail et les soins ne sont justifiés que pendant trois mois, donc jusqu'à la

mi-novembre 2016, il conclut pourtant à une prise en charge de ces prescriptions jusqu'au

15 février 2017.

Enfin, la note médicale du docteur [V], le 16 mars 2024, médecin consultant de la Société, n'apporte aucune autre information, se rapportant aux conclusions de l'expert.

Il résulte de ce qui précède que la Société échoue à rapporter la preuve que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence exclusive d'un état pathologique préexistant et elle ne démontre pas davantage l'existence d'une cause qui serait survenue postérieurement, totalement étrangère à l'accident de travail, et que la Caisse aurait pour autant rattaché à celui-ci.

Dès lors l'ensemble des prescriptions dont a bénéficié M. [Z] à la suite de l'accident du travail dont il a été victime le 16 août 2004 et qui a été pris en charge au titre du risque professionnel par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] est opposable à la Société.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les dépens

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

En l'espèce, la Société, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l'appel formé par la SAS [5] recevable,

INFIRME le jugement rendu le 13 mai 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Meaux (RG09-526) en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable la demande de la Société tendant à voir fixer la date de consolidation de l'état de santé de M. [Z] au 15 février 2005 ;

JUGE opposable à la société SAS [5] les arrêts de travail et les soins prescrits à M. [D] [Z] à la suite de l'accident du travail dont il a été victime le 16 août 2004 ;

DIT que les frais d'expertise seront supportés par la Société,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la Société aux dépens d'instance et d'appel.

Le greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/07416
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;19.07416 ?
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