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30/05/2024 | FRANCE | N°23/17536

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 30 mai 2024, 23/17536


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 30 MAI 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17536 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIOBH



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Octobre 2023 -Président du TJ d'EVRY - RG n° 23/00446





APPELANTES



S.A.R.L. GROUPE AUDICER CONSEIL, RCS d'Evry sous le n°793 414

699, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]



S.A.S. AUDICER CONSEIL, RCS d'Evry sous le n°784 538 530, ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 30 MAI 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17536 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIOBH

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Octobre 2023 -Président du TJ d'EVRY - RG n° 23/00446

APPELANTES

S.A.R.L. GROUPE AUDICER CONSEIL, RCS d'Evry sous le n°793 414 699, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

S.A.S. AUDICER CONSEIL, RCS d'Evry sous le n°784 538 530, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

ayant pour avocat plaidant Me Augustin ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L101

INTIMÉES

Mme [L] [A] épouse [I]

[Adresse 2]

[Localité 7]

S.A.S. CABINET [I]-[A], RCS d'Évry sous le n°530 257 799, prise en la personne de sa présidente, Madame [L] [A]

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentées par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

ayant pour avocat plaidant Me Nicolas LEMIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : P106

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Avril 2024, en audience publique, devant Michèle CHOPIN, Conseillère chargée du rapport et Laurent NAJEM, Conseiller, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société groupe Audicer conseil exerce une activité d'expertise comptable et est inscrite à l'ordre des experts-comptables de [Localité 8]-Ile-de-France.

Dans la perspective d'acquérir un cabinet d'expertise-comptable, M. [O], dirigeant la société groupe Audicer est entré en contact avec M. [S] [X], alors président du conseil d'administration d'un cabinet d'expertise-comptable et de commissariat aux comptes dénommé AA Audits associés cabinet Laxenaire. Le reste du capital de ce cabinet d'expertise-comptable était partagé notamment entre Mme [N], directrice générale, M. [M] [G], Mme [L] [A] épouse [I], jusqu'en 2017, M. [E] [H] ainsi que la société Audit & Expertise, société de commissariat aux comptes de M. [S] [X], dont Mme [I]-[A] est actionnaire.

M. [U] [X], fils de M. [S] [X] était alors salarié du cabinet AA Audits associés cabinet Laxenaire.

Le 28 septembre 2016, les parties sont convenues d'une lettre d'intention puis d'un protocole de cession sous conditions suspensives des actions détenues par M. [S] [X] et Mme [N] dans le cabinet AA Audits associés Cabinet Laxenaire.

Le 29 septembre 2017, les parties ont signé un acte constatant la cession des actions de la société AA Audits associés cabinet Laxenaire à la société groupe Audicer conseil pour un prix définitif de 1.772.403,49 euros.

Après cession, le cabinet AA Audits associés cabinet Laxenaire est devenu le cabinet Audicer conseil centre Essonne, puis Audicer conseil.

Par lettre du 6 mai 2020, la société groupe Audicer conseil a notifié à M. [S] [X] et Mme [N] la mise en jeu de la garantie de passif concernant trois postes (réclamation du bailleur au titre de loyers impayés et remise en état pour un montant de 450.608,57 euros, réclamation d'un client suite à un redressement fiscal pour un montant de 58.776 euros, indemnité de 37.823,48 euros versée à une salariée licenciée pour inaptitude), M. [S] [X] et Mme [N] ayant contesté la mise en jeu de cette garantie.

Au cours de l'année 2020, par ailleurs, quatre salariés du cabinet Audicer conseil ont démissionné de leur poste, et en l'occurrence M. [U] [X], Mme [U], Mme [R] et Mme [P].

Le 12 février 2021, les sociétés Audicer conseil et groupe Audicer conseil ont déposé auprès du président du tribunal judiciaire d'Evry une requête aux fins de désignation d'un huissier de justice sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Par ordonnance du même jour, le président du tribunal judiciaire d'Evry a fait droit à cette demande et commis la scp Mayeul Robert, Etienne Heurtel et Christophe Petite, huissiers de justice, afin notamment de se rendre, assisté en tant que de besoin d'un expert informatique, au siège de la société Audit et expertise, de rencontrer les personnes présentes, de faire sommation à M. [S] [X] et Mme [I] de donner accès à leur ordinateur des cabinets Audit et Expertise et [I]-[A], à leur messagerie professionnelle et de prendre connaissance d'éléments relatifs à des clients cités, ce muni de mots-clés constitués des noms des clients et sociétés listés.

Le 14 septembre 2021, les sociétés Audicer conseil et groupe Audicer conseil ont déposé une seconde requête à laquelle il a été fait droit par ordonnance du 17 septembre 2021. Il est exposé aux termes de cette seconde requête que les mesures de constats réalisées suggèrent que M. [U] [X] aurait joué un rôle important dans la captation de clientèle au détriment des sociétés Audicer conseil et groupe Audicer conseil, de sorte que la mesure devait lui être étendue.

Par exploit du 16 juin 2023, la société cabinet [I]-[A] et Madame [L] [A] épouse [I] ont fait assigner la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry aux fins de voir :

- prononcer la rétractation des ordonnances n°21/113 du 12 février 2021 et n°21/640 du 17 septembre 2021,

- condamner in solidum la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil à payer à la société cabinet [I]-[A] et à Mme [A] épouse [I], la somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Par ordonnance contradictoire du 20 octobre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry a :

- ordonné la rétraction en toutes ses dispositions de l'ordonnance n°21/113 du 12 février 2021, autorisant l'accès au siège de la société Audit & expertise, [Adresse 1], et de la société cabinet [I]-[A], [Adresse 4],

- ordonné la rétractation de toutes ses dispositions de l'ordonnance n°21/640 du 17 septembre 2021 autorisant l'accès au siège de la société Audit & expertise, [Adresse 1],

- ordonné à la société [W] [Z], Etienne Heurtel et Christophe Petite, commissaires de justice, de restituer à la société cabinet [I]-[A], dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'ordonnance l'intégralité des pièces et documents appréhendés en copie ou en original par tous moyens, y compris numériques et sans pouvoir en conserver une quelconque copie,

- interdit à la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil, au commissaire de justice et à l'expert informatique l'ayant assisté, de faire mention des opérations réalisées en exécution des ordonnances sur requêtes, de révéler à quelque titre que ce soit les informations auxquelles elles ont eu accès en exécution des ordonnances frappées de rétractation et/ou produire en justice les procès-verbaux établis par le commissaire de justice, le rapport de l'expert informatique commis par ce dernier et plus largement les pièces et documents recueillis à cette occasion;

- rejeté toute demande plus ample ou contraire ,

- condamné in solidum la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil à payer à la société cabinet [I]-[A] et Mme [A] épouse [I] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil aux entiers dépens.

Par déclaration du 27 octobre 2023, la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil centre Essonne ont relevé appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 18 mars 2024, la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil demandent à la cour de :

- infirmer l'ordonnance de référé du 25 octobre 2023 en ce qu'elle a statué par les chefs suivants :

- ordonne la rétractation de toutes ses dispositions de l'ordonnance n°21/113 du 12 février 2021, rendue par le président du tribunal judiciaire d'Evry sur requête datée du 11 février 2021 autorisant l'accès au siège de la société Audit & Expertise, [Adresse 1] et de la Société cabinet [I]-[A], [Adresse 4] selon les conditions du dispositif ;

- ordonne la rétractation de toutes ses dispositions de l'ordonnance n°21/640 du 17 septembre 2021, rendue par le président du tribunal judiciaire d'Evry sur requête datée du 10 septembre 2021 autorisant l'accès au siège de la société audit & Expertise, [Adresse 1] selon les conditions du dispositif ;

- ordonne à la Société [W] [Z], Etienne Heurtel et Christophe Petite de restituer à la société cabinet [I]-[A], dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la présente ordonnance l'intégralité des pièces et documents appréhendés en copie ou en original par tous moyens, y compris numériques et sans pouvoir en conserver une quelconque copie, y compris numérique ;

- interdit à la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil centre Essonne, au commissaire de justice et à l'expert informatique l'ayant assisté, de faire mention des opérations réalisées en exécution des ordonnances sur requêtes, de révéler à quelque titre que ce soit les informations auxquelles elles ont eu accès en exécution des ordonnances frappées de rétractation et/ou produire en justice les procès-verbaux établis par le commissaire de justice, le rapport de l'expert informatique commis par ce dernier et plus largement les pièces et documents recueillis à cette occasion ;

- rejette toute demande plus ample ou contraire (mais uniquement lorsqu'elle rejette les demandes de la société groupe Audicer conseil et de la société Audicer conseil centre Essonne) ;

- condamne in solidum la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil centre Essonne à payer à la société cabinet [I]-[A] et Madame [L] [A] épouse [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne in solidum la société groupe Audicer conseil et la société Audicer conseil centre Essonne aux entiers dépens,

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

- dire n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance n°21/113 du 12 février 2021

- dire n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance n°21/640 du 17 septembre 2021

- débouter Mme [A] épouse [I] et le cabinet [I]-[A] de toutes leurs prétentions,

A titre subsidiaire,

- débouter Mme [A] épouse [I] et le cabinet [I]-[A] de toutes leurs prétentions,

- rétracter partiellement les ordonnances en modifiant la mission de l'huissier et en disant :

- concernant l'ordonnance du 12 février 2021: l'huissier ne pourra prendre copie, sur les messageries électroniques de M. [S] [X] et Mme [A] épouse [I], que des courriels échangés entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2020, l'huissier ne pourra pas non plus prendre copie de fichiers informatiques et documents établis après le 31 décembre 2020 ou qui auraient été appréhendés par la société cabinet [I]-[A], Mme [A] épouse [I] ou M. [S] [X] après le 31 décembre 2020,

- concernant l'ordonnance du 17 septembre 2021: l'huissier ne pourra prendre copie, sur la messagerie électronique de M. [U] [X], que des courriels échangés entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2020, l'huissier ne pourra pas non plus prendre copie de fichiers informatiques et documents établis après le 31 décembre 2020 ou qui auraient été appréhendés par M. [U] [X] après le 31 décembre 2020,

En toute hypothèse,

- condamner Mme [A] épouse [I] et la société cabinet [I]-[A] à payer à la société groupe Audicer conseil et à la société Audicer conseil centre Essonne chacune la somme de 8. 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Mme [A], épouse [I] et la société cabinet [I]-[A] demandent à la cour, par leurs dernières conclusions signifiées le 11 mars 2024, de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé prononcée le 20 octobre 2023 par le président du Tribunal judiciaire d'Evry,

- débouter les sociétés groupe Audicer conseil et Audicer conseil de toutes leurs demandes,

- condamner in solidum les sociétés groupe Audicer conseil et Audicer conseil à payer à la société cabinet [I]-[A] la somme de 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les sociétés groupe Audicer conseil et Audicer conseil aux entiers dépens de l'instance.

SUR CE,

Sur la violation des dispositions de l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile

Les intimées soulèvent l'absence de dénonciation de l'ordonnance du 12 février 2021, de la requête du 11 février 2021, de la requête du 14 septembre 2021et de l'ordonnance du 17 septembre 2021 à Mme [I], et précisent qu'en saisissant le président du tribunal judiciaire d'Evry, les requérantes ont confirmé que Mme [I] devait supporter la mesure d'instruction. Elles estiment que le défaut de dénonciation de ces requêtes et de ces ordonnances constitue une violation de l'article 495, alinéa 3 du code de procédure civile, soutenant que Mme [I] est directement concernée par la mesure, qui devait donc lui être dénoncée, l'absence d'une telle dénonciation devant avoir pour conséquence la rétractation de l'ordonnance.

Si l'ordonnance sur requête est exécutoire au seul vu de la minute, l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile précise que « copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ».

Ce texte ne s'applique toutefois qu'à la personne qui supporte l'exécution de la mesure, qu'elle soit ou non défendeur potentiel au procès envisagé (2e Civ., 4 juin 2015, pourvoi n° 14-14.233, Bull. 2015, II, n° 145 ; 2e Civ., 13 novembre 2015, pourvoi n° 13-27.563, Bull. 2015, II, n° 251).

La personne qui supporte l'exécution de la mesure est, au sens de l'article 503 du code de procédure civile, celle chez qui l'huissier se présente pour procéder aux mesures de saisie.

En l'espèce, il résulte des ordonnances querellées que l'huissier de justice devait se rendre au siège social de la société Audit et Expertises pour y rechercher divers documents détenus par M. [S] [X] et la société cabinet [I]-[A].

Ces sociétés supportaient donc l'exécution de la mesure et devaient en recevoir une copie, ce qui n'est pas discuté.

Or, il résulte du procès-verbal de constat du 28 mai 2021 que, dans les locaux de la société Audit Expertise, trois personnes étaient présentes dans les lieux, à savoir Mme [I], Mme [P] et M. [U] [X], une copie de l'ordonnance sur requête ayant été signifiée à Mme [I] pour la société cabinet [I]-[A].

Il résulte aussi du procès-verbal de constat du 3 mai 2022 - et il n'est pas contesté - que les locaux sont toujours partagés avec la société cabinet [I] [A], Mme [I] [A] ayant été rencontrée sur place, que l'huissier de justice a ainsi signifié l'ordonnance sur requête rendue le 17 septembre 2021 à la société [I]-[A] en remettant copie à Mme [I]- [A] et à M. [U] [X], Mme [I] [A] en ayant pris connaissance et déclaré s'opposer à l'exécution de la mesure.

Il n'était pas tenu d'en faire de même à l'égard de Mme [I] personne physique, celle-ci n'ayant pas à « supporter l'exécution de la mesure » puisque l'huissier ne s'est pas présenté à son domicile et que son ordinateur personnel n'a pas fait l'objet d'une mesure de saisie de documents.

En conséquence, il n'y a pas lieu de rétracter l'ordonnance pour violation de l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile précité.

Sur la violation des dispositions des articles 495 alinéa 2 et 503 du code de procédure civile

Les intimées soutiennent que lors de l'exécution de la mesure, l'huissier instrumentaire n'a pas présenté la minute des ordonnances, cette irrégularité leur faisant nécessairement grief.

Aux termes de l'article 495 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est exécutoire au seul vu de la minute.

L'article 503 du même code prévoit que les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés, à moins que l'exécution n'en soit volontaire. En cas d'exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification.

Il ressort du procès-verbal de constat du 28 mai 2021 que l'huissier de justice a « présenté la minute » de l'ordonnance du 12 février 2021 puis a signifié copie de l'ordonnance et de la requête aux personnes présentes.

Il résulte du procès-verbal de constat du 3 mai 2022 que Me [W] [Z], huissier de justice, s'est dit « porteur de la minute de l'ordonnance sur requête rendue le 17 septembre 2021 » et qu'il a signifié une copie de l'ordonnance à la société cabinet [I]-[A] en remettant une copie à Mme [I]-[A] et à M. [U] [X].

Il est indiscutable au vu des dispositions précitées que l'huissier de justice est en droit d'agir au vu de la seule minute et que les mentions des procès-verbaux suffisent à s'assurer que l'huissier de justice était porteur de la minute de l'ordonnance en vertu de laquelle il agissait.

Il ne peut pas non plus se déduire du fait qu'il ait laissé aux saisis une copie des ordonnances sur requête le fait qu'il n'était pas porteur de l'original dont il a fait une copie pour la remettre.

En conséquence, aucune irrégularité n'est encourue à ce titre et il ne sera pas fait droit à la demande de rétractation des ordonnances rendues de ce chef.

Sur les conditions de l'article 145 du code de procédure civile

Les appelantes exposent notamment que le premier juge a procédé à un constat erroné en estimant que les mesures ordonnées n'étaient pas circonscrites aux faits litigieux et a omis de tenir compte du fait que s'agissant des courriels relatifs aux clients visés, les ordonnances rendues limitent les mesures à ceux échangés depuis le 1er janvier 2020. Elles précisent qu'il a également omis de statuer sur sa demande subsidiaire limitant les mesures dans le temps, que la dérogation au principe du contradictoire est justifiée, peu important qu'aucune action n'ait été engagée lorsque l'ordonnance critiquée a été rendue, que les mesures ordonnées sont légalement admissibles et utiles à la solution du litige, tandis qu'aucune atteinte n'est portée au secret professionnel, la mesure de séquestre n'étant qu'une faculté pour le juge.

Les intimées estiment, pour leur part, que les conditions de l'article 145 ne sont pas réunies, puisque les mesures ordonnées ne sont pas limitées dans le temps et l'objet, qu'elles ne sont donc ni légalement admissibles ni proportionnelles au but recherché. Elles exposent que lesdites mesures ne présentent aucune utilité et n'étaient pas nécessaires pour saisir le juge du fond d'une action en concurrence déloyale, qu'elles aboutissent par leur généralité à une violation du secret professionnel de l'expert-comptable, alors qu'aucune mesure de séquestre n'est prévue, et qu'aucune demande préalable de remise spontanée des documents n'a été faite par l'huissier de justice instrumentaire.

Elles précisent qu'aucune circonstance ne justifie la dérogation au principe du contradictoire, alors que les moyens développés par les sociétés requérantes sont infondés, et que la modification demandée à titre subsidiaire ne peut pas prospérer non plus, alors que les mesures ont été exécutées.

Aux termes de l' article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L'article 493 du même code prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Les parties ne reviennent pas explicitement sur l'existence d'un motif légitime mais sur l'utilité des mesures, sur la dérogation au principe du contradictoire et sur le caractère légalement admissible des mesures ordonnées.

Sur l'utilité des mesures

Les intimées soulignent sur ce point que dans leur assignation au fond délivrée le 25 janvier 2024 soit depuis l'exécution des mesures in futurum, les sociétés du groupe Audicer ne font état d'aucun élément dont ils ont eu connaissance dans le cadre desdites mesures d'instruction, ce qui démontrerait qu'elles sont inutiles.

Toutefois, il doit être relevé en tout premier lieu que l'ordonnance querellée fait interdiction aux appelantes de faire usage des informations auxquelles elles ont eu accès à l'occasion de l'exécution des mesures ordonnées.

Ensuite et à titre surabondant, il sera observé que les sociétés appelantes cherchent à établir la preuve de faits constitutifs de concurrence déloyale, qu'elles invoquent ainsi des soupçons étayés par la survenance des quatre démissions au cours de l'année 2020, de la réception au cours de cette même année de 21 lettres de résiliation émanant de 48 clients, et de 36 courriers de succession émis par la société [I]-[A]. Ces éléments établissent à tout le moins un motif légitime aux mesures ordonnées, lesquelles se présentent comme utiles à la résolution du litige, l'action envisagée n'étant pas manifestement vouée à l'échec.

Sur la dérogation au principe du contradictoire

Les dispositions de l'article 493 du code de procédure civile permettent de déroger au principe de la contradiction dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Il appartient au juge saisi d'une demande de rétractation de vérifier si les circonstances justifiant la dérogation au principe du contradictoire sont caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

En l'espèce, les requêtes des 11 février et 14 septembre2021 font état :

- du risque élevé de disparition des éléments recherchés en ce qu'il s'agit de fichiers informatiques ;

- du fait que la révélation de la mesure d'instruction sollicitée, avant son accomplissement, serait de nature à permettre à la société cabinet [I]-[A] de dissimuler la preuve des faits que la mesure se propose d'établir ;

- de l'effet de surprise qui serait indispensable en ce qu'il permettrait d'augmenter les chances de succès de la mission de l'huissier,

- des instructions de M. [U] [X] demandant à Mme [I] à propos d'un client repris au groupe Audicer Conseil Centre Essonne que « rien ne devait être envoyé par email » (requête du 14 septembre 2021),

- d'une lettre de Mme [I] antidatée pour tenter de remédier à une irrégularité relative à la vie sociale du cabinet Audit associés cabinet Laxenaire (requête du 11 février 2021).

En invoquant ces faits la requérante a pris en compte des éléments propres au cas d'espèce, susceptibles d'accréditer une volonté de dissimulation des éléments recherchés. Les requêtes justifiant, dans ces conditions, de l'intérêt de ménager un effet de surprise, comportent une motivation caractérisant la nécessité de déroger au principe de la contradiction.

Sur le caractère légalement admissible de la mesure d'instruction

Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass., 2e Civ., 25 mars 2021, pourvoi n°20-14.309, publié).

Les intimées soutiennent que la mesure n'est pas légalement admissible car, outre qu'elle n'est pas suffisamment limitée dans son objet ni dans le temps, elle porterait gravement atteinte au secret professionnel de l'expert-comptable.

Les ordonnances rendues sur requêtes ont encadré, certes, la recherche de preuves par l'utilisation de mots-clefs correspondant à des noms de sept clients se retrouvant également dans la liste des clients de la société Audit et expertise ainsi que d'adresses électroniques de contacts au sein de ces derniers. Les mesures sont donc circonscrites dans leur objet.

Elles ne comportent cependant aucune limitation dans le temps, à l'exception de leur point de départ, et il conviendra afin de les proportionner au but poursuivi de les limiter aux périodes suivantes comprises entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2020, les appelantes n'invoquant aucun évènement postérieur à cette date.

Il sera relevé que les intimées soulignent que l'huissier de justice se serait abstenu de toute demande de remise spontanée des documents visés mais toutefois, il ne peut être sérieusement argué de ce que cette abstention priverait les mesures ordonnées de leur caractère légalement admissibles, alors qu'il résulte des procès-verbaux cités plus haut que celui- ci s'est présenté et a procédé à la signification, étant précisé que la validité de la mesure n'est pas soumise à l'exigence d'une tentative de remise spontanée des éléments visés avec consentement des requis.

Enfin s'agissant du secret professionnel de l'expert-comptable, il ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile.

Les ordonnances sur requêtes limitent de façon stricte les recherches aux échanges et pièces relatives à sept clients dénommés, de sorte qu'il ne peut s'agir d'une mesure d'investigation générale, nonobstant le secret professionnel auquel les experts-comptables sont tenus dans l'intérêt des bénéficiaires, les documents nécessaires à la manifestation de la vérité, à raison des conséquences dommageables qui sont reprochées, constituant des moyens de preuves légalement admissibles. A cet égard, il sera d'ailleurs observé que les intimées invoquent le secret professionnel sans avoir toutefois demandé en première instance la mise en place, même à titre subsidiaire, d'une mesure de séquestre.

Les mesures ordonnées ont vocation à permettre d'appréhender les seuls documents en lien avec la captation massive de la clientèle alléguée par les appelantes, et, donc avec l'objet du litige au fond désormais en cours.

Ainsi, les mesures ordonnées, utiles et proportionnées à la solution du litige, ne portent pas une atteinte illégitime aux droits de la société cabinet [I]-[A], et de Mme [I]- [A], et tenant compte de l'objectif poursuivi, concilient le droit à la preuve des intimées et le droit au secret professionnel des intimées.

Pour l'ensemble de ces raisons, infirmant la décision entreprise, il convient de rejeter la demande de rétractation des ordonnances rendues sur requêtes et de limiter expressément la mise en 'uvre de la mesure d'instruction à la période commençant à courir à compter du 1Er janvier 2020 jusqu'au 31 décembre 2020, l'ordonnance querellée étant rétractée partiellement dans les termes du dispositif.

L'ordonnance rendue par le premier juge faisant injonction à la scp Mayeul Robert, Etienne Heurtel et Christophe Petite de restituer à la société cabinet [I]-[A] l'intégralité des pièces et documents appréhendés en copie ou en original par tous moyens, y compris numériques et sans pouvoir en conserver une quelconque copie, il convient de préciser que la cour , saisie d'une demande de modification ou de rétractation de sa mesure, n'est pas le juge du contentieux de l'exécution de la mesure.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société cabinet [I]-[A] et Mme [A] épouse [I] supporteront les dépens de première instance et d'appel.

Au regard des circonstances de la cause, l'équité commande d'allouer aux sociétés groupe Audicer Conseil et Audicer Conseil centre Essonne la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rétracte partiellement les ordonnances sur requête rendues les 12 février et 17 septembre 2021 et ordonne la restitution à la société cabinet [I]-[A] de l'ensemble des éléments saisis postérieurs au 31 décembre 2020,

Condamne la société [I]-[A] et Mme [A] épouse [I] aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société [I]-[A] et Mme [A] épouse [I] à payer à la société groupe Audicer Conseil et à la société Audicer Conseil la somme globale de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/17536
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;23.17536 ?
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