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30/05/2024 | FRANCE | N°23/04575

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 30 mai 2024, 23/04575


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 9



ARRÊT DU 30 MAI 2024



(n° / 2024, 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/04575 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHIGB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2023 - Tribunal de commerce de Paris - RG n° 2021038730





APPELANTES



S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE

D'ILE DE FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Par...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 30 MAI 2024

(n° / 2024, 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/04575 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHIGB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2023 - Tribunal de commerce de Paris - RG n° 2021038730

APPELANTES

S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE D'ILE DE FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 6]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 382 900 942,

Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241

Assistée de Me Dominique PENIN, avocat au barreau de PARIS, toque J8,

S.A. BELVEDIA Société Anonyme de droit luxembourgeois prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

L 121 LUXEMBOURG

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocate au barreau de PARIS, toque : L0056

Assistée de Me Hugues VILLEY, avocat au barreau de PARIS, toque T01, et Me Lionel GIRAUDON NICOLAI, avocat au barreau de NICE,

INTIMÉS

M. [G] [U]

Né le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 9] (49),

De nationalité française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Mme [X] [M] épouse [U]

Née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 8] (64),

De nationalité française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

Représentée par Me Augustin ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0101,

S.A. BELVEDIA, Société Anonyme de droit luxembourgeois, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

L 121 LUXEMBOURG

Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocate au barreau de PARIS, toque : L0056,

Assistée de Me Hugues VILLEY, avocat au barreau de PARIS, toque T01, et Me Lionel GIRAUDON NICOLAI, avocat au barreau de NICE,

S.A. CAISSE D'ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE D'ILE DE FRANCE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 4]

[Localité 6]

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 382 900 942,

Représentée par Me Eric ALLERIT de la SELEURL TBA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241,

Assistée de Me Dominique PENIN, avocat au barreau de PARIS, toque J8,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie MOLLAT, Présidente

Mme Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère

Mme Isabelle ROHART, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER : Mme Saoussen HAKIRI lors des débats.

ARRÊT :

- contradictoire,

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Mme Sophie MOLLAT, Présidente et par Mme Liselotte FENOUIL , greffière présente lors de la mise à disposition.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [X] [M], épouse [U], M. [G] [U] (les époux [U]) ainsi que leurs deux enfants, détenaient les 276 actions de la société JSP Finances, société qui intervient essentiellement dans le secteur du travail temporaire.

Par acte en date du 18 décembre 2019, M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] (ainsi que leurs enfants) ont cédé l'intégralité des actions qu'ils détenaient dans le capital de la société JSP Finances à la société Belvedia.

Le prix de cession provisoire était de 3 481 250 euros et devait être payé à hauteur de 2 781 250 euros par virement et le solde de 700 000 euros par 24 échéances (23 échéances mensuelles de 30 000 euros chacune et une échéance de 10 000 euros au plus tard le 22 décembre 2022).

Seul le virement de 2 781 250 euros et la première échéance de 30 000 euros ont été réglés par la société Belvedia.

La société Belvedia et les époux [U] sont convenus d'une clause d'ajustement sur le prix de cession et les époux [U] ont consenti une garantie d'actif et de passif (qui visait à garantir la société Belvedia de toute aggravation de passif affectant la valeur des actifs cédés et était valable jusqu'au 31 décembre 2021).

La garantie était plafonnée à 1 200 000 euros et était couverte en partie par une garantie bancaire à première demande d'un montant de 500 000 euros puisque, pour le compte des époux [U], la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France (CEIDF) a conclu avec la société Belvedia une garantie à première demande intitulée " garantie à première demande d'actif et de passif ".

A la suite de l'arrêté des comptes de l'exercice clos 2019 (entièrement géré par les cédants), effectué sous la supervision des commissaires aux comptes en exercice au sein du Groupe JSP Finances, il est ressorti une aggravation du passif d'un montant de 2 862 783 euros.

La société Belvedia a alors cessé, dès février 2020, de procéder au paiement des échéances du crédit-vendeur restant dues et en a informé les Époux [U]. Ensuite, elle a informé le 12 août, puis le 17 août 2020, les Époux [U] d'un trop perçu de 2 192 783 euros par rapport à ce qui a été versé le jour de la signature de l'acte de cession et au titre du crédit-vendeur.

Le 23 novembre 2020, la société Belvedia a fait assigner les époux [U] devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin d'obtenir leur condamnation à réparer le préjudice qu'elle prétend avoir subi, constitué de l'aggravation du passif résultant de la variation des capitaux propres apparue lors de l'arrêté des comptes 2019.

Devant le refus opposé par les époux [U] de payer à la société Belvedia cette somme de 2 192 783 euros, la société Belvedia, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 juillet 2021, a appelé la garantie à première demande.

Par lettre du 12 juillet 2021, la CEIDF a informé les époux [U] de la demande formulée par la société Belvedia.

Par lettre du 21 juillet 2021, le conseil des époux [U] a fait défense à la CEIDF de procéder au paiement de la garantie.

Le 29 juillet 2021, le conseil de la CEIDF a adressé une lettre officielle à l'avocat de la société Belvedia en lui indiquant qu'afin d'apprécier la mise en 'uvre de la garantie à première demande, il souhaitait que lui soit adressée la mise en demeure que la société Belvedia devait adresser aux époux [U].

Le 16 août 2021, la société Belvedia a adressé une nouvelle mise en demeure de payer aux époux [U], leur indiquant qu'ils étaient toujours redevables à son égard d'une somme de 2 192 783 euros correspondant au montant indument perçu au titre de la cession et leur rappelant qu'ils étaient mis en demeure dans le cadre de l'action judiciaire introduite devant le tribunal judiciaire de Nanterre, qui a elle- même fait suite à deux précédentes mises en demeure du 12 février et 17 août 2020 restées infructueuses.

Le 18 août 2021, les époux [U] ont contesté la mise en jeu de la garantie à première demande.

Par ordonnance du tribunal du 3 août 2021, les époux [U] ont été autorisés à faire assigner la société Belvedia et la CEIDF à bref délai afin de voir ordonner à la CEIDF de ne pas se dessaisir de la somme de 500 000 euros correspondant au montant de la garantie à première demande à l'endroit de la société Belvedia.

Les époux [U] ont fait assigner à bref délai respectivement :

' La CEIDF le 13 août 2021, par acte extrajudiciaire à personne habilitée,

'La société Belvedia le 19 août 2021, par acte extrajudiciaire à personne habilitée.

Le 13 septembre 2021, la CEIDF a procédé à l'exécution de la garantie et a versé à la société Belvedia la somme de 500 000 euros.

Par jugement du 19 janvier 2023, le tribunal de commerce a :

- Dit que la garantie bancaire à première demande convenue dans la convention de garantie d'actif/passif porte sur les " Comptes de Référence 2018 " uniquement et pas sur la clause d'ajustement de prix ;

- Dit que la garantie bancaire à première demande ne couvre pas l'engagement de désintéressement donné par M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] au bénéfice de la SA Belvedia pour toute inexactitude et/ou augmentation de passif et/ou diminution d'actif, ayant son origine au-delà de la période du 31 décembre 2018 et avant la date du transfert des actions ;

- Dit que la SA Belvedia a mis en 'uvre la garantie bancaire à première demande de manière irrégulière et frauduleuse en tentant de contourner l'objet même de cette garantie;

- Condamné solidairement SA Belvedia et SA Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France à rembourser M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] la somme de 500 000 euros au titre de la garantie bancaire versée à tort à SA Belvedia ;

- Condamné la SA Belvedia à payer à M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] la somme de 5 000 euros à titre de dommage et intérêts;

- Condamné la SA Belvedia et SA Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France à payer chacun à M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit ;

- Condamné in solidum la SA Belvedia et la SA Coopérative Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France aux dépens de l'instance.

Par déclaration au greffe du 3 mars 2023, la société Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France a interjeté appel de ce jugement. La société Belvedia a également interjeté appel, le 11 mai 2023, du jugement.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique les 26 décembre 2023 et 15 janvier 2024, la société Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France demande à la cour, au visa des dispositions des articles 15 et 16 du code de procédure civile, de:

- Rejeter les conclusions de la société Belvedia signifiées le 10 janvier 2024 à 18h36, ainsi que les 4 nouvelles pièces numérotées 17, 18, 19 et 20, visées au bordereau en annexe de ces conclusions ;

À titre principal,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris rendu le 19 janvier 2023 ;

- Débouter les époux [U] de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles concernent la CEIDF ;

À titre subsidiaire,

- Condamner la SA Belvedia à relever et garantir la CEIDF de toute condamnation mise à sa charge en faveur de M. [G] [U] et de Mme [X] [M] épouse [U] ;

En tout état de cause,

- Condamner tout succombant à payer à la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction opérée selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique les 10 janvier 2024 et 29 janvier 2024, la société Belvedia demande à la cour, au visa des articles 15, 16 et 802 du code de procédure civile, de :

- Débouter la CEIDF et les époux [U] de leur demande respective tendant au rejet des conclusions de la société Belvedia signifiées le 10 janvier 2024 ;

À titre principal,

- Infirmer en toute ses dispositions, le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 19 janvier 2023 ;

- Débouter les époux [U] de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles concernent la CEIDF ou la société Belvedia ;

Statuant à nouveau,

- Juger que la garantie à première demande a été activée régulièrement par la société SA Belvedia auprès de la société Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France ;

En conséquence,

- Condamner solidairement M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] à rembourser la somme de 500 000 euros solidairement à la SA Belvedia et à la société Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France, à charge pour ces dernières de liquider les comptes entre elles ;

À titre subsidiaire,

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 19 janvier 2023 en ce qu'il a condamné solidairement la SA Belvedia et la société Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France à rembourser à M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] la somme de 500 000 euros ;

- Débouter la CEIDF de sa demande visant à obtenir d'être relevée et garantie par la SA Belvedia de toute condamnation de restitution qui pourrait être mise à sa charge en faveur de M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U];

Statuant à nouveau,

- Juger que la SA Belvedia conserve tous ses droits au titre de la garantie à première demande tant dans son montant que dans ses conditions de mise en 'uvre;

- Juger pour droit qu'il y a lieu que le remboursement du montant de 500 000 euros, correspondant au montant de la garantie à première demande, soit opéré par la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France de manière à conserver les droits de la SA Belvedia au titre de ladite garantie, à charge pour la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France de faire son affaire du rétablissement de la contre-garantie dont elle disposait vis-à-vis de M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U];

En tout état de cause,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SA Belvedia à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

- Condamner tout succombant, si besoin à titre solidaire, à verser à la SA Belvedia la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] aux entiers dépens dont le recouvrement s'effectuera conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 29 décembre 2023 et le 26 janvier 2024, les époux [U] demandent à la cour, au visa des articles 1302-1, 1303 et 2321 du code civil et au visa des articles 15 et 16 du code de procédure civile, de:

- Rejeter des débats les conclusions n° 2 communiquées par la société Belvedia le 10 janvier 2024, ainsi que les pièces numérotées de 17 à 20 visées au bordereau annexé à ces conclusions ;

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 janvier 2023 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- Condamner la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile de France à payer à M. [G] [U] et à Mme [X] [M] épouse [U] chacun la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France aux entiers dépens de l'instance.

***

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de rejet des conclusions n° 2 de la société Belvedia signifiées le 10 janvier 2024 et des pièces n° 17 à 20

Aux termes de l'article 15 du code de procédure civile, Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

L'article 16 alinéa 1 et 2 du même code dispose que Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

En l'espèce, il est constant que les époux [U], intimés, ont conclu en réponse le 29 décembre 2023 ; que le 10 janvier 2024, soit la veille du prononcé de l'ordonnance de clôture, la société Belvedia a notifié de nouvelles conclusions, contenant de nouveaux développements, et a communiqué quatre nouvelles pièces, numérotées de 17 à 20.

Toutefois, la cour observe que les intimés n'ont pas sollicité le report de la date de clôture aux fins de disposer d'un temps utile pour faire valoir leur réponse.

En outre, le caractère tardif s'apprécie notamment au regard du calendrier fixé et connu des parties. Or, il est constaté que la société Belvedia a conclu dix jours après les époux [U], en ce incluant la période des fêtes de fin d'année.

Il y a lieu par conséquent de dire que la société Belvedia n'a pas adopté un comportement contraire à la loyauté des débats en concluant la veille de la clôture et que la Caisse d'Epargne et les époux [U] ont eu la possibilité de répliquer aux dernières conclusions de la société Belvedia en sollicitant, le cas échéant, le report de la date de clôture. Il s'ensuit que le principe de la contradiction a été respecté.

La demande tendant à voir écarter les conclusions n° 2 de la société Belvedia signifiées le 10 janvier 2024 et les pièces n° 17 à 20 sera dès lors rejetée.

Sur la régularité de l'appel de la garantie à première demande

La société Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France, poursuivant l'infirmation du jugement de ce chef, expose que lorsque la société Belvedia a actionné la garantie à première demande le 8 juillet 2021, elle a annexé à son envoi les différentes mises en demeure qu'elle avait été amenée à adresser aux époux [U], et notamment celle du 17 août 2020 aux termes de laquelle, la société Belvedia leur réclamait une somme de 2 192 783 euros, et une copie de l'assignation qu'elle avait délivrée aux époux [U]. Elle énonce ainsi que la condition de recevabilité, tirée de l'article 2 de la garantie à première demande, a bien été respectée par la société Belvedia et que l'appel de la garantie ne saurait donc être considéré comme irrégulier au motif que la société Belvedia a réitéré sa mise en demeure de payer le 16 août 2021. Elle ajoute qu'il lui était impossible d'avoir l'assurance que l'appel de la garantie formulé par la société Belvedia aurait procédé d'un abus manifeste de sa part ou d'une fraude manifeste. A ce titre, elle énonce que la nature de l'engagement souscrit par elle en faveur de la société Belvedia, une garantie à première demande dont le caractère autonome était expressément rappelé, l'empêchait d'opposer à la société Belvedia une quelconque exception tirée des rapports entre les époux [U] et la société Belvedia et qu'elle ne pouvait que faire droit à la demande formulée par la société Belvedia puisque la discussion portant sur les limites de la garantie d'actif et de passif et la clause de révision du prix de cession devait lui rester étrangère. Elle conclut par conséquent à l'infirmation du jugement en ce qu'elle a été condamnée in solidum avec la société Belvedia à payer aux époux [U] une somme de 500 000 euros.

La société Belvedia indique que l'activation de la garantie à première demande était justifiée, conformément à son objet, par la révélation d'un passif supplémentaire dont la cause était antérieure aux comptes 2018 et ce dans le respect des conditions de sa mise en 'uvre.

Sur l'origine du passif antérieur aux comptes de référence (2018), elle explique qu'à la clôture des comptes des sociétés du groupe JSP Finances pour l'exercice 2019, il est apparu de manière significative et dans pratiquement toutes les sociétés que certaines créances non provisionnées auraient dû l'être dans les Comptes de Référence (2018) ; que sur la base de certains relevés de créances douteuses, il a été nécessaire de procéder à des dotations de provisions pour plus de 500 000 euros portant sur des créances dont l'origine, tout autant que la cause de l'irrécouvrabilité, était comprise entre 2008 et 2017 et donc antérieure à la date d'arrêté des comptes de référence ; que si ce passif supplémentaire entraîne mécaniquement un ajustement du prix de cession, il entre également dans le champ d'application de la garantie d'actif et de passif, et donc dans le champ de la garantie à première demande ; que sur la base des Fichiers des Écritures Comptables (FEC) de toutes les sociétés du groupe JSP Finances, l'expert a relevé au total 531 717,40 euros de créances dépréciées, pour cause de litige, qui ont été valablement provisionnées au 31 décembre 2019 dès lors qu'elles avaient insuffisamment été provisionnées par les époux [U] au 31 décembre 2018.

Sur l'aggravation du passif découlant d'une variation de capitaux qui a pour effet d'ajuster le prix de cession, elle expose que la conséquence directe d'une telle variation des capitaux entraîne une nécessaire diminution du prix de cession à verser, lequel était fixé provisoirement par les parties sur la base des capitaux propres des sociétés en 2018 ; que la garantie à première demande a bien été mise en 'uvre à la suite de l'augmentation du passif causée par la variation négative des capitaux propres des sociétés du groupe, conformément à son objet, dès lors que le montant qu'elle vient couvrir porte sur des faits antérieurs aux comptes de référence qui se sont révélés postérieurement à la cession ; qu'enfin, le garant ne peut opposer d'exception au bénéficiaire de la garantie qui serait tirée du contrat de base pour laquelle elle a été convenue, mais que seule la fraude ou l'abus manifestes prouvés par la partie qui le prétend peuvent paralyser la mise en 'uvre de la garantie.

Sur le respect des conditions de mise en 'uvre de la garantie à première demande, elle soutient qu'elle a respecté son obligation d'aviser les époux [U] en vue de mettre en jeu leur responsabilité au titre de la garantie de passif, les actes conclus entre les parties n'exigeant pas que soit mentionné que ledit courrier vaudrait " mise en jeu de la garantie de passif ".

Sur l'absence de fraude et/ou d'abus, elle énonce que le fait que la société Belvedia et les époux [U] soient en désaccord sur l'objet même de la garantie à première demande ne permet pas de caractériser un abus, encore moins manifeste, dans la mesure où il ne revenait pas à la CEIDF d'analyser ou d'interpréter l'acte de cession et ses annexes.

Les époux [U] répliquent que les modalités contractuelles de l'appel de la garantie n'ont pas été respectées puisque la société Belvedia n'a pas joint à sa lettre du 8 juillet 2021 une copie d'une mise en demeure restée sans effet valant mise en jeu de la garantie de passif, et que ses deux lettres des 12 février et 12 août 2020 et son assignation jointes à sa lettre du 8 juillet 2021 ne font état que d'un ajustement de prix consécutif à une prétendue variation négative des capitaux propres entre le 31 décembre 2018 et le 31 décembre 2019, et non d'une mise en jeu de la garantie de passif. Ils indiquent que la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France était d'ailleurs consciente du non-respect des modalités contractuelles d'appel de la garantie bancaire à première demande et que la société Belvedia n'a jamais adressé à la Caisse d'Épargne la copie d'une mise en demeure visant la mise en jeu de la garantie d'actif et de passif. Ils concluent que l'appel de la garantie était irrégulier de sorte que le jugement doit être confirmé. Ils ajoutent que la garantie bancaire à première demande avait pour seul objet de garantir l'exécution de la garantie d'actif et de passif, alors que la société Belvedia a appelé la garantie pour obtenir l'exécution d'autres obligations que celles prévues par la garantie d'actif et de passif puisqu'elle l'a mise en oeuvre pour obtenir le paiement de sommes qui lui sont prétendument dues au titre de la clause d'ajustement de prix. Ils soutiennent que ni la banque ni la société Belvedia ne peuvent affirmer qu'en visant la clause d'ajustement du prix, la société Belvedia aurait entendu viser aussi la garantie d'actif et de passif. Ils exposent que la société Belvedia opère une confusion entre le mécanisme contractuel d'ajustement du prix de cession et la garantie d'actif et de passif dont les éléments déclencheurs et les conséquences sont pourtant bien distincts, la garantie d'actif et de passif ne garantissant que les comptes au 31 décembre 2018, alors que la clause d'ajustement de prix étant fondée sur le montant des capitaux propres au 31 décembre 2019. Ils précisent que la Caisse d'Épargne le savait et aurait donc dû tirer les conséquences de la fraude manifeste de la société Belvedia.

Sur ce,

L'article 2321 du code civil dispose que La garantie autonome est l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.

Le garant n'est pas tenu en cas d'abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre.

Le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie.

Sauf convention contraire cette sûreté ne suit pas l'obligation garantie.

Sur le non-respect par la société Belvedia des modalités de l'appel en garantie

L'efficacité de l'appel en garantie est subordonnée au respect strict des prévisions contractuelles, y compris de forme, ce respect étant la contrepartie du caractère autonome de la garantie.

En l'espèce, il est constant que - par contrat du 23 décembre 2019 - la Caisse d'Epargne a conclu avec la société Belvedia une " convention de garantie à première d'actif et de passif " aux termes de laquelle la banque s'engageait envers le bénéficiaire de la garantie sur le fondement de la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif.

L'article 2 " Modalités d'exécution " de cette convention de garantie à première stipule que " Pour être recevable, tout appel par le Béné'ciaire de la présente garantie, en une ou plusieurs fois, dans la limite du montant ci-dessus défini, devra se faire sur présentation d'une demande écrite de paiement émanant de sa part, par lettre recommandée avec avis de réception, exclusivement adressé à la Caisse d'Epargne Ile-de-France ['], mentionnant expressément le montant réclamé, et à laquelle devra être jointe la mise en demeure, restée sans effet, adressée au Garant par le Bénéficiaire dans les termes et conditions de la convention ci-dessus mentionnée ".

Il s'ensuit que l'appel de la garantie devait être accompagné d'une copie de la mise en demeure adressée par la société Belvedia (en sa qualité de bénéficiaire) aux époux [U] (en leur qualité de garants).

Cette mise en demeure devait avoir été adressée au garant par le bénéficiaire " dans les termes et conditions de la convention ci-dessus mentionnée ", c'est-à-dire de la convention de garantie d'actif et de passif, laquelle prévoit, en son article 2.2, que " La responsabilité des Garants ne pourra être engagée qu'à la condition :

2.2.1. D'avoir été avisée, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au domicile ci-après élu accompagnée de toutes pièces justificatives, dans les soixante (60) jours (ou tous délais compatibles avec l'exercice du droit de réponse des Garants) de la date à laquelle le bénéficiaire aura eu connaissance, (i) de toute vérification ou réclamation des Administrations quelles qu'elles soient et notamment Fiscales, (ii) de tout fait ou demande émanant d'un tiers (iii) ainsi que de toute inexactitude des déclarations susceptibles d'engendrer une insuffisance d'actif ou un accroissement de passif ".

Au cas présent, il est établi que la société Belvedia a appelé la garantie à première demande par lettre adressée à la Caisse d'Epargne du 8 juillet 2021, et qu'à cette lettre, n'était pas jointe, comme requis par l'article 2 précité, " la mise en demeure, restée sans effet, adressée au Garant par le Bénéficiaire ".

La société Belvedia a en effet joint à sa lettre du 8 juillet 2021 les pièces suivantes :

- Une copie de sa lettre adressée aux époux [U] du 12 février 2020 faisant état d'un

" risque de réduction importante du prix " en raison d'une probable variation à la baisse des capitaux propres entre le 31 décembre 2018 et le 31 décembre 2019 :

- Une copie de sa lettre adressée aux époux [U] du 12 août 2020 transmettant un tableau récapitulatif des capitaux propre faisant ressortir une variation négative de 2 852 783 euros (soit un prix de cession définitif de 618 467euros) et demandant aux époux [U], conformément à l'article VI de l'acte de cession relatif à l'ajustement du prix, de lui faire part de leurs observations sur l'ajustement de prix ;

- Une copie de l'assignation délivrée aux époux [U] le 23 novembre 2020, sollicitant la condamnation de ces derniers à payer la somme de 2 192 783 euros correspondant

" au trop-perçu après application de la procédure d'ajustement de prix ", sans aucune mention de de la garantie d'actif et de passif au titre d'un passif supplémentaire ou d'une insuffisance d'actif dont la cause serait antérieure aux comptes au 31 décembre 2018.

Ses deux lettres des 12 février et 12 août 2020 et son assignation jointes à sa lettre du 8 juillet 2021 ne font état que d'un ajustement de prix consécutif à une variation négative des capitaux propres entre le 31 décembre 2018 et le 31 décembre 2019, et non d'une mise en jeu de la garantie de passif.

Si la Caisse d'Epargne a alors demandé à la société Belvedia, par lettre du 29 juillet 2021, la mise en demeure requise par les stipulations contractuelles, la société Belvedia s'est bornée à transmettre à la Caisse d'Epargne une copie de la mise en demeure qu'elle avait adressée aux époux [U] le 16 août 2021. Or, cette dernière lettre n'est pas de nature à régulariser l'appel de la garantie bancaire à première demande au motif qu'elle est, d'une part, postérieure à l'appel de la garantie, d'autre part, elle ne répond pas aux dispositions combinées de l'article 2 de la convention de garantie bancaire à première demande et de l'article 2.2 de la convention de garantie puisqu'elle se réfère à la réclamation d'un " trop-perçu sur le prix " de 2 192 783 euros, " correspondant à la diminution des fonds propres constatée après établissement des comptes consolidés du groupe RSI arrêtés au 31 décembre 2020 " et non à la mise en 'uvre de la garantie de passif.

Il s'en déduit que la société Belvedia n'a jamais adressé à la Caisse d'Epargne la copie d'une mise en demeure adressée aux époux [U] visant la mise en jeu de la garantie d'actif et de passif.

Force est ainsi de constater que les modalités contractuelles d'appel de la garantie bancaire à première demande n'ont pas été respectées.

De ces constatations, le tribunal en a exactement déduit que la justification de l'exercice de la garantie d'actif/passif par l'assignation auprès du tribunal judiciaire du 23 novembre 2020 ne respectait pas les conditions d'exercice de la garantie d'actif/passif et que la lettre de mise en demeure adressée par la société aux époux [U] le 16 août 2021, postérieurement à la demande d'exercice de la garantie bancaire du 21 juillet 2021, n'était pas conforme aux dispositions contractuelles de la garantie d'actif/passif.

Les modalités contractuelles d'appel de la garantie bancaire à première demande n'ayant pas été remplies, la garantie à première demande a été appelée de manière irrégulière.

Aussi, convient-il de confirmer le jugement de ce chef.

Sur le caractère manifestement abusif et frauduleux de l'appel en garantie

Si la garantie à première demande prévue à l'article 2321 précité du code civil est un engagement autonome, il existe toutefois nécessairement entre le bénéficiaire et le donneur d'ordre une relation contractuelle sous-jacente, dès lors qu'il n'y a pas de garantie sans dette principale en ce que le garant s'oblige en considération de l'obligation souscrite par le débiteur principal. L'autonomie de la garantie ne concerne donc pas les modalités de l'appel en garantie.

Ainsi, l'appel en garantie suppose uniquement de caractériser la défaillance du débiteur, sans qu'il soit nécessaire de vérifier si le défaut d'exécution du débiteur est fondé.

Par ailleurs, est considéré comme manifestement frauduleux ou abusif l'appel en garantie si la garantie a été appelée au titre d'un autre contrat ou d'un autre objet que celui visé dans la lettre de garantie. En effet, la garantie à première demande a pour finalité de garantir l'exécution par le débiteur principal d'une obligation déterminée au profit du bénéficiaire de la garantie, de sorte qu'elle ne saurait être mise en 'uvre en cas d'inexécution de toute autre obligation du débiteur que celle expressément spécifiée.

Enfin, il suffit que la banque garante de premier rang ait eu connaissance de l'abus ou de la fraude commise par le bénéficiaire au moment où elle-même a appelé la contre-garantie pour que son propre appel de la contre-garantie soit jugé abusif. Pour qualifier le caractère manifestement abusif de l'appel de la contre-garantie, il faut que soit établie positivement la connaissance de la réalité de l'abus commis par le bénéficiaire.

Sur la responsabilité du donneur d'ordre

Il ressort des pièces versées aux débats que la garantie bancaire à première demande a été appelée au titre d'un autre contrat que celui qui était visé dans ladite garantie. En effet, comme il a été examiné supra, alors que la garantie bancaire avait pour seul objet expressément indiqué à l'acte de garantir l'exécution de la garantie d'actif et de passif régularisée le 18 décembre 2019, elle a été appelée par la société Belvedia pour obtenir le paiement de sommes au titre de la clause d'ajustement de prix. A cet égard, il ne saurait être sérieusement soutenu qu'en visant la clause d'ajustement du prix prévue à la convention de cession, la société Belvedia aurait entendu implicitement viser aussi la garantie de passif, dès lors que les éléments déclencheurs et les conséquences prévus aux termes de ces deux actes sont pourtant bien distincts.

En effet, la garantie d'actif et de passif ne garantit que les comptes au 31 décembre 2018 alors que la clause d'ajustement de prix est fondée sur le montant des capitaux propres au 31 décembre 2019. De plus, le contrat de garantie d'actif et de passif stipule expressément que la survenance d'un passif causé par des faits antérieurs à la cession se résoudra par le paiement d'une indemnité, celle-ci ayant vocation à réparer le " préjudice " causé à l'acquéreur par cette survenance, et non pas par un ajustement du prix de cession (article 2.1.). Enfin, la garantie d'actif et de passif prévoit que l'indemnité pourra être versée à la société Belvedia, ou à l'une des sociétés énoncées au contrat, ou encore aux créanciers concernés, alors que le mécanisme d'ajustement de prix prévoit, par définition, que l'éventuelle variation sera versée au seul acquéreur.

Dès lors, la société Belvedia a appelé la garantie bancaire à première demande au titre d'obligations étrangères à l'objet de ladite garantie pour obtenir le paiement de sommes non couvertes par la garantie à première demande.

Pour soutenir que son appel de la garantie à première demande serait implicitement fondé sur la garantie d'actif et de passif, la société Belvedia produit un document qui fait état de provisions passées, pendant l'exercice 2019, sur des créances prétendument douteuses.

Or, tout d'abord, la société Belvedia ne rapporte pas la preuve que des provisions auraient dû être passées sur ces créances dans les Comptes de Référence (2018), comme il le lui incombe pourtant si elle entend se prévaloir de la garantie d'actif et de passif, de sorte qu'il est possible que les circonstances ayant fait naître un doute sur le caractère recouvrable de ces créances ne soient survenues qu'au cours de l'exercice 2019.

Ensuite, la société Belvedia, après avoir sollicité l'appel de la garantie autonome en ne visant que le mécanisme d'ajustement de prix, ne saurait, a posteriori, invoquer la garantie d'actif et de passif en s'appuyant sur des éléments comptables faisant état de prétendues créances douteuses à provisionner qui n'ont jamais été notifiés aux époux [U] avant ou lors de l'appel à la garantie à première demande.

Le motif de l'appel de garantie étant ainsi étranger au contrat au titre duquel la garantie avait été établie, la cour observe que la société Belvedia a détourné la garantie de son objet et a, ce faisant, commis un abus manifeste engageant sa responsabilité.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a retenu que la société Belvedia avait engagé sa responsabilité.

Sur la responsabilité de la banque garante

Si le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie, il n'est toutefois pas tenu de payer en cas d'abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire.

Il s'ensuit que la Caisse d'Epargne, certes non-fondée à faire valoir d'exception tirée de la convention de garantie d'actif et de passif, ne devait toutefois pas payer la société Belvedia, bénéficiaire de la garantie, puisque l'appel portait sur une autre obligation que celle en considération de laquelle ladite garantie avait été fournie, constitutif d'un abus manifeste. La cour rappelle que la fraude manifeste ne sera pas retenue, dès lors qu'elle requiert l'emploi de moyens positifs et de man'uvres destinées à trahir le consentement du garant, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

En outre, la Caisse d'Epargne ne saurait prétendre qu'elle ne disposait pas de moyens lui permettant de conclure que l'appel de la garantie était manifestement abusif ou frauduleux, dès lors que les époux [U] lui ont adressé une lettre le 21 juillet 2021 aux termes de laquelle ils exposaient que la garantie bancaire ne pouvait être appelée en ce que la garantie d'actif et de passif n'était pas actionnée, mais qu'il s'agissait de sommes réclamées au titre de la fixation du prix de cession définitif prévue dans l'acte de cession, et que l'appel de la garantie était donc manifestement abusif et frauduleux. Ils demandaient ainsi expressément à la Caisse d'Epargne de ne pas payer la somme de 500 000 euros entre les mains de la société Belvedia.

Il est également observé que la Caisse d'Epargne avait, dans un premier temps, le 29 juillet 2021, fait observer à la société Belvedia que l'appel de la garantie était irrégulier en l'absence de mise en demeure restée sans effet et jointe à l'appel en garantie, démontrant ainsi que la banque avait d'ores et déjà constaté que l'appel en garantie ne portait pas sur la garantie d'actif et de passif, mais sur l'application de la clause d'ajustement de prix.

Il est encore relevé que la nouvelle mise en demeure du 16 août 2021 transmise par la société Belvedia pour justifier son appel en garantie portait elle aussi sur l'application de la clause d'ajustement du prix du prix de cession et non sur la garantie d'actif et de passif, ce qui n'a pu échapper à la banque, garant de premier rang.

Par conséquent, la Caisse d'Epargne, qui avait estimé le 29 juillet 2021 que les lettres des 12 février et 12 août 2020 et l'assignation de la société Belvedia du 23 novembre 2020 ne valaient pas mise en demeure adressée aux époux [U], ne devait pas verser la somme appelée sur la seule production de la nouvelle mise en demeure du 16 août 2021.

Elle le pouvait d'autant moins qu'entre-temps, par acte du 13 août 2021, lui avait été signifiée, à la requête des époux [U], une assignation demandant au tribunal de lui faire injonction de ne pas payer la somme appelée, exposant de manière circonstanciée les raisons pour lesquelles elle ne devait pas libérer la somme de 500 000 euros.

Le moyen opposé par la Caisse d'Epargne tiré du fait qu'elle n'avait pas, en sa qualité de garant à première demande, à analyser les conventions souscrites en raison de la nature autonome de son engagement, est inopérant, au motif que l'abus manifeste la décharge de son obligation de libérer la somme appelée.

Or, nonobstant tous ces éléments, la banque, en connaissance du caractère irrégulier et abusif de l'appel de la garantie comme il vient d'être démontré, a quand même versé la somme précitée, manquant ainsi gravement de discernement, se contentant de réclamer un justificatif de pure forme à la société Belvedia sur la mise en demeure sans vérifier, au demeurant, que ce justificatif n'était toujours pas conforme aux stipulations contractuelles.

Par conséquent, les époux [U] établissent positivement la connaissance par la Caisse d'Epargne de la réalité de l'abus manifeste commis par la société Belvedia.

Enfin, dès lors que la simple connaissance par le premier garant du caractère manifestement abusif de l'appel de la garantie suffit à rendre pareillement abusif l'appel de la contre-garantie, il y a lieu de considérer que, d'une part, la banque garante ne devait pas verser les fonds au bénéficiaire, d'autre part, elle ne devait pas exercer sa contre-garantie envers les époux [U] en prélevant cette même somme sur leur compte d'épargne.

La faute de la Caisse d'Epargne étant ainsi caractérisée, celle-ci a engagé sa responsabilité. Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la condamnation solidaire de La société Caisse d'Épargne et sur l'appel en garantie de la Caisse d'Epargne à l'encontre de la société Belvedia

La société Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France demande à titre subsidiaire, au cas où la cour retiendrait sa responsabilité s'agissant du caractère manifestement abusif de l'appel en garantie, d'être déchargée de toute obligation solidaire, en ce que la société Belvedia devra la relever et la garantir intégralement de sa condamnation. Elle conclut qu'en sa qualité de garante, elle ne saurait supporter un quelconque appauvrissement au profit de la société Belvedia puisque, de premier chef, c'est bien cette dernière dont la responsabilité doit être retenue pour avoir procédé à un appel abusif de la garantie.

La société Belvedia indique que si la cour d'appel devait considérer qu'elle avait mis en 'uvre la garantie à première demande de manière irrégulière et/ou frauduleuse et que le versement du montant de la garantie à première demande devait être restitué, la Caisse d'Epargne devra être déboutée de sa demande d'appel en garantie à son encontre. Elle indique que le remboursement de la somme de 500 000 euros aux époux [U] n'a pas pour effet de remettre les parties en l'état mais pour conséquence l'extinction de cette garantie et que le tribunal a confondu entre, d'une part, le rapport d'obligation découlant de la garantie à première demande qui existe entre la Caisse d'Epargne et elle et, d'autre part, le rapport d'obligation existant entre la Caisse d'Epargne et les époux [U], seul ce deuxième rapport matérialisé par la mise en place d'une contre-garantie par les époux [U] ayant été actionné par la banque lorsqu'elle a versé le montant de la garantie à première demande. Elle conclut que la demande des époux [U] ne vise que leur paiement au titre de leur contre-garantie et que l'identité de montant ne doit pas conduire à confondre les deux obligations. Elle énonce qu'elle n'est pas le bénéficiaire de la contre-garantie actionnée par la Caisse d'Epargne et n'a pas à répondre d'une demande de remboursement à ce titre.

Les époux [U] indiquent que la Caisse d'Épargne, après avoir versé la somme de 500 000 euros à la société Belvedia, s'est " remboursée " en réalisant le nantissement du même montant qu'elle s'était octroyée sur leur compte d'épargne alors que l'appel en garantie demandé par la société Belvedia à la banque était manifestement abusif, ce dont cette dernière avait été informée, donc que la Caisse d'Épargne ne devait pas, dans ces conditions, exécuter la garantie, pas plus qu'elle ne pouvait subséquemment réaliser sa contre-garantie. Se fondant sur le principe de l'enrichissement sans cause, ils soutiennent que la société Belvedia a injustement perçu la somme de 500 000 euros à leur détriment. Ils concluent ainsi que c'est à bon droit que le tribunal a condamné la société Belvedia, solidairement avec la Caisse d'Épargne, à leur restituer la somme de 500 000 euros dont elle a injustement bénéficié à leur détriment.

Sur ce,

Sur l'obligation à la dette

Chacun des responsables d'un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les divers responsables, qui n'affecte que les rapports réciproques entre ces derniers.

En l'espèce, il a été établi supra que la responsabilité tant de la société Belvedia, en commettant un abus manifeste, que de la Caisse d'Epargne, par la connaissance de cet abus manifeste, était engagée. Elles doivent donc être tenues à indemniser les époux [U] du préjudice qu'ils ont subi. Elles y seront tenues in solidum, ayant chacune concouru à la réalisation du dommage.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu une condamnation solidaire, en méconnaissance de l'article 1310 du code civil qui dispose que la solidarité ne se présume pas.

Sur l'appel en garantie et la contribution à la dette

Dans leurs relations entre eux, les responsables ne peuvent exercer de recours qu'à proportion de leurs fautes respectives, sur le fondement des dispositions de l'article 1231-1 du code civil s'ils sont contractuellement liés. Un codébiteur tenu in solidum, qui a exécuté l'entière obligation, ne peut donc répéter contre les autres débiteurs que les parts et portions de chacun d'eux.

En l'espèce, la Caisse d'Epargne forme un appel en garantie à l'encontre de la société Belvedia sur l'intégralité de sa condamnation, faisant état de l'intervention prépondérante du donneur d'ordre dans la commission de l'abus manifeste.

Eu égard aux fautes respectives de la Caisse d'Epargne et de la société Belvedia ainsi examinées et à leur périmètre particulier d'intervention, le partage de responsabilités doit être fixé comme suit :

- la société Belvedia : 50%,

- la Caisse d'Epargne : 50%.

Il convient par conséquent de dire que dans leurs recours entre eux, les parties précitées ayant concouru à la réalisation du dommage, seront garanties des condamnations prononcées à leur encontre à proportion du partage de responsabilité ainsi fixé. La charge finale des condamnations de ce chef sera donc répartie entre les parties au prorata des responsabilités ainsi retenues.

Aussi, convient-il d'ajouter cette répartition des responsabilités au jugement.

Sur la demande des époux [U] de condamnation de la société Belvedia à des dommages-intérêts

Les époux [U], poursuivant la confirmation du jugement de ce chef, indiquent que le comportement de la société Belvedia est particulièrement grave et confine à l'escroquerie, et qu'ils ont subi un préjudice évident du fait de cet appel de la garantie abusif. Ils ajoutent avoir subi un stress permanent, ne sachant pas si les fonds seraient versés à la société Belvedia et ont subi les conséquences de leur contre-garantie.

Sur ce,

La cour, constatant qu'il existe un lien manifeste entre la faute de la société Belvedia et le préjudice moral de stress issu de l'exercice par la banque de sa contre-garantie subi par les époux [U], lequel est distinct du préjudice matériel précédemment examiné, confirmera le jugement en ce qu'il a condamné cette dernière à leur payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur les frais du procès

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été équitablement faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Caisse d'Epargne et la société Belvedia, parties succombantes, doivent être condamnées in solidum aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer aux époux [U] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du même code.

Enfin, les autres demandes au titre des frais non compris dans les dépens de l'article 700 précité seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la demande tendant à écarter les conclusions n° 2 et les pièces n° 17 à 20 de la société Belvedia signifiées le 10 janvier 2024 ;

Infirme le jugement en ce qu'il a retenu que :

- La garantie bancaire à première demande avait été mise en 'uvre de manière frauduleuse, la cour ne retenant que l'abus manifeste ;

- La Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France et la société Belvedia devaient être condamnées solidairement, la cour ne retenant qu'une condamnation in solidum;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne in solidum la Caisse d'Épargne et de Prévoyance Ile-de-France et la société Belvedia à payer à M. [G] [U] et Mme [X] [M] épouse [U] la somme de 500 000 euros au titre de la garantie bancaire versée à tort à la SA Belvedia;;

Dit que dans les rapports entre co-obligés in solidum, le partage de responsabilité s'effectuera de la manière suivante :

' La société Belvedia : 50% ;

' La Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France : 50% ;

Dit que dans les recours entre co-obligés, la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France et la société Belvedia seront garanties des condamnations prononcées à leur encontre à proportion des partages de responsabilité sus-mentionnés ;

Condamne in solidum la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France et la société Belvedia aux dépens d'appel ;

Dit que la charge finale des dépens sera répartie entre les parties succombantes au prorata des responsabilités ci-dessus retenues ;

Condamne la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France et la société Belvedia à payer à Mme [X] [M], épouse [U], et à M. [G] [U] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du même code.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La présidente,

Sophie MOLLAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 23/04575
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;23.04575 ?
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