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30/05/2024 | FRANCE | N°22/06306

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 30 mai 2024, 22/06306


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 30 MAI 2024



(n° 2024/ , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06306 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF7WM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Avril 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/01054





APPELANT



Monsieur [W] [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par M

e Emilie NIEUVIAERT, avocat au barreau de PARIS, toque : B 566





INTIMEE



S.A.R.L. DASSAULT FALCON SERVICE

Aéroport [Localité 5] - Zone d'aviation d'affaires

[Adresse 2]

[Localité 4]

Re...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 30 MAI 2024

(n° 2024/ , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06306 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF7WM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Avril 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/01054

APPELANT

Monsieur [W] [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Emilie NIEUVIAERT, avocat au barreau de PARIS, toque : B 566

INTIMEE

S.A.R.L. DASSAULT FALCON SERVICE

Aéroport [Localité 5] - Zone d'aviation d'affaires

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Lorelei GANNAT du cabinet FTPA, avocat au barreau de PARIS, toque : P010

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et Présidente de la formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY,Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-José BOU, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE 

 

M. [W] [H] a été embauché par la société Dassault Falcon service, ci-après la société, par contrat à durée déterminée du 1er août 2014 au 31 janvier 2015, renouvelé jusqu'au 31 janvier 2016, puis, à compter du 1er juin 2016, par contrat à durée indéterminée en qualité de personnel navigant technique - officier pilote de ligne.

Selon un avenant daté du 4 août 2017 portant clause de dédit-formation, les parties ont convenu de l'inscription du salarié à une action de formation intitulée Falcon 7X initial avec l'organisme CAE débutant le 7 août suivant et finissant le 6 septembre 2017 avec règlement des frais d'inscription s'élevant à 24 408 euros par la société et engagement du salarié à rester à son service pendant au moins deux années, jusqu'au 6 septembre 2019, sous peine, en cas de démission avant, du remboursement par ce dernier des dépenses de formation à hauteur de 24 408 euros ou de 12 204 euros si la rupture intervenait du 6 septembre 2018 au 6 septembre 2019.

Le salarié a bénéficié de la formation et obtenu sa qualification en tant qu'OPL sur Falcon 7X.

Par lettre du 22 août 2018, il a présenté sa démission.

Par lettre du 6 septembre 2018, la société a pris acte de sa démission, l'a libéré de la clause de non-concurrence de son contrat de travail mais lui a réclamé le paiement de la somme de 12 204 euros pour sa formation, ce qu'a contesté M. [H] aux motifs que le coût réel de sa qualification était nul et que l'avenant avait été signé après la formation.

 

La société a maintenu sa position et opéré une retenue sur le solde de tout compte de M. [H] pour un montant de 12 204 euros, en vertu de la clause de dédit-formation. 

 

Contestant ce prélèvement et sollicitant également des dommages et intérêts, M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 3 avril 2019 qui, par jugement du 4 avril 2022, auquel la cour renvoie pour l'exposé des demandes initiales et de la procédure antérieure, a : 

-       Débouté M. [H] de l'ensemble de ses demandes ; 

-       débouté la société de sa demande reconventionnelle ; 

-       condamné M. [H] aux éventuels dépens de l'instance. 

 

Par déclaration transmise le 16 juin 2022 par voie électronique, M. [H] a interjeté appel de ce jugement dont il a reçu notification le 10 juin 2022.  

 

Par conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 16 janvier 2024, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [H] demande à la cour de :

infirmant le jugement : 

-       juger, à titre principal, que la clause de de'dit-formation est nulle et de nul effet ; 

-      juger, à titre subsidiaire, que l'indemnite' de de'dit est excessive ;  

-       condamner, en conse'quence et en toute hypothe'se, la socie'te a' verser a' M. [H] les sommes suivantes : 

o   12 204 euros en remboursement de l'indemnite' de de'dit indûment retenue sur son solde de tout compte, 

o   5 000 euros a' titre de dommages et inte'rêts pour exe'cution de'loyale du contrat de travail,

o 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers de'pens.

 

Par conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 15 janvier 2024, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de : 

-       confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris en ce qu'il a :

o   débouté M. [H] de sa demande en remboursement de la somme de 12 204 euros à titre de dédit-formations frais de formation ;

o   débouté M. [H] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

o   débouté M. [H] de sa demande relative aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

y ajoutant :

-   débouter M. [H] de sa demande tendant à voir réduire le montant du dédit ;

-    condamner M. [H] au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

-  condamner M. [H] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

 

L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 janvier 2024.  

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la clause de dédit formation

Au soutien de son appel, M. [H] fait d'une part valoir que l'avenant contenant la clause de dédit formation a été signé à la fin du mois de septembre 2017, postérieurement à sa formation, l'appelant prétendant qu'il était en repos du 2 au 6 août 2017, à [Localité 6], et auparavant en déplacement en Afrique du sud. Il en déduit qu'elle est nulle. Il fait d'autre part valoir que la formation n'a rien coûté à l'entreprise. Il note que celle-ci ne produit aucune facture de l'organisme de formation et que les coûts liés à son immobilisation et les frais (repas, parking, logement) ne peuvent être répercutés sur le salarié. A titre subsidiaire, il soutient que le montant de l'indemnité de dédit est manifestement excessif dès lors qu'il ne correspond pas aux frais réellement engagés et demande qu'elle soit réduite à de plus justes proportions, tenant compte de la période écoulée entre la fin de sa formation et sa sortie des effectifs.

La société réplique que la clause est licite, prévoyant la nature et la durée de la formation ne relevant pas de celle continue obligatoire, son coût et le montant ainsi que les modalités de remboursement à la charge de M. [H] en cas de démission dans un délai défini et étant proportionnée aux frais engagés. Elle soutient que l'avenant a été signé avant le début de la formation intervenu le 7 août 2017, indiquant n'avoir jamais prétendu qu'il avait été signé le 4 août 2017 et faisant valoir que M. [H] n'apporte aucun élément probant justifiant une signature postérieure au début de la formation. Elle prétend que le mail invoqué au soutien de la gratuité mentionne seulement le reste à charge le concernant qui était nul et lui demande précisément de remplir un formulaire afin qu'elle puisse bénéficier d'un tarif préférentiel de l'organisme de formation. Elle affirme justifier du règlement de la formation. Elle conteste le caractère excessif de la clause de dédit-formation.

Les clauses de dédit-formation sont licites dans la mesure où elles constituent la contrepartie d'un engagement pris par l'employeur d'assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective, que le montant de l'indemnité de dédit soit proportionné aux frais de formation engagés et qu'elles n'ont pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner.

L'engagement du salarié de suivre une formation à l'initiative de son employeur, et en cas de démission, d'indemniser celui-ci des frais qu'il a assumés, doit, pour être valable, faire l'objet d'une convention particulière conclue avant le début de la formation et qui précise la date, la nature, la durée de la formation et son coût réel pour l'employeur, ainsi que le montant et les modalités du remboursement à la charge du salarié.

Si entre les signataires d'un contrat, l'acte fait foi de sa date, la partie qui le conteste devant en prouver la fausseté, il n'en est plus ainsi lorsque l'acte ne porte aucune date. Lorsque la validité de la convention dépend de l'époque à laquelle elle a été conclue, il appartient à celui qui se prévaut de l'acte d'apporter la preuve de la date à laquelle il a été passé.

En l'espèce, l'avenant signé du salarié et de la société est daté du 4 août 2017.

M. [H] verse aux débats une attestation de M. [Y], pilote ayant suivi la même formation que lui, qui affirme n'avoir signé sa clause de dédit-formation à ce titre qu'au mois de septembre 2017. Cependant, cette attestation qui concerne la date de signature de l'avenant concernant cet autre pilote n'est pas probante de la date à laquelle M. [H] a signé le sien.

Mais il résulte aussi des pièces produites par le salarié que M. [H] a été en repos du 2 au 6 août 2017, s'étant rendu dans la région de Toulouse pour le baptême de sa fille qui a eu lieu le 5 août 2017. La société indique pour sa part n'avoir jamais prétendu que la clause avait été signée le 4 août 2017 et que le document a seulement été édité avec cette date qui constituait la date butoir à laquelle la clause devait être régularisée.

En considération de ces derniers éléments, la cour retient que la date dactylographiée n'est pas celle à laquelle l'avenant a été signé. Cette date étant inexacte et la validité de la clause de dédit formation étant fonction de l'époque à laquelle elle a été conclue, il appartient à la société d'apporter la preuve de la date à laquelle l'avenant a été passé. Or, celle-ci qui se borne à affirmer que l'avenant a été souscrit avant le 7 août 2017 n'apporte aucun élément au soutien de ses allégations.

Faute de preuve de la signature de l'avenant avant le début de la formation, c'est à juste titre que M. [H] se prévaut de la nullité de la clause de dédit-formation et sollicite le remboursement de la somme de 12 204 euros retenue à ce titre sur son solde de tout compte.

De plus, M. [H] produit un courriel que la société a adressé à MM. [Y] et [H] le 5 janvier 2018 leur demandant de remplir un formulaire pour la formation afin de justifier qu'ils étaient des employés à temps complet, dans le but de 'bénéficier de nos accords de formation avec CAE', ledit courriel comprenant un tableau indiquant pour MM. [Y] et [H] ainsi qu'une autre salariée un 'TotalPrice' de 0. En réponse au message de M. [H] qui soulignait que la société avait bénéficié d'un tarif à 0 euros et s'étonnait d'avoir dû signer un avenant pour un amortissement de qualification à hauteur de 24 408 euros, la société a indiqué par courriel du 12 janvier 2018 : 'Les dédits de formation qui sont signés dans le cadre des qualifs servent à protéger les compétences sur lesquelles la société investit de façon importante, entre 300 Keuros et 500 par an pour les pilotes. Peu importe si au cas par cas nous arrivons à négocier des réductions de prix. Le cas où nous pourrions modifier le montant d'amortissement ne serait examiné que si nous constations une dépense globale bien inférieur au budget prévu'.

L'indication d'un 'TotalPrice' de 0 démontre que la formation a été gratuite pour la société, 'TotalPrice' signifiant prix total et non restant à payer ou reste à charge comme le soutient à tort l'intimée. D'ailleurs, l'attestation produite par cette dernière pour justifier du règlement n'est pas probante du paiement de la formation litigieuse dispensée en 2017 à M. [H], s'agissant d'une attestation à caractère général de son directeur administratif et financier du 2 juillet 2021 portant sur le financement par la société pour chaque pilote salarié de formations et leur tarif indicatif.

Il n'est donc pas établi que la formation litigieuse suivie par M. [H] ait entraîné des frais réels de formation pour la société. Faute de preuve que l'employeur ait assumé des dépenses à ce titre, la demande en remboursement de M. [H] est de plus fort fondée.

En conséquence, la clause de dédit-formation est nulle et la société doit être condamnée à rembourser à M. [H] la somme de 12 204 euros retenue sur son solde de tout compte.

Sur la demande de dommages et intérêts de M. [H]

Au visa de l'article L. 1221-1 du code du travail, M. [H] invoque la mauvaise foi de la société qui lui a délibérément fait signer une clause de dédit-formation antidatée en sachant que sa signature après la formation l'invalidait et fait reposer sur lui le coût de dépenses de formations dont elle savait qu'elle ne les avait pas engagées, ni ne les engagerait à son bénéfice. Il avance qu'en prélevant d'office l'indemnité de dédit-formation sur le solde de tout compte malgré son désaccord, la société l'a privé d'une somme qui lui était due pendant près de quatre ans, ce qui lui a causé un préjudice indéniable. Il réclame des dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros.

La société rétorque que c'est la propre défaillance de M. [H] qui caractérise une exécution déloyale du contrat de travail.

En application de l'article L. 1221-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

En l'espèce, la société a, sous couvert de la clause de dédit-formation contenue dans l'avenant, non seulement réclamé à M. [H] mais aussi imputé sur son solde de tout compte une somme correspondant à des frais de formation qu'elle n'a pas exposés, ce qui caractérise une mauvaise foi dans l'exécution du contrat de travail.

Cependant M. [H] ne justifie pas avoir subi un préjudice indépendant de celui réparé par les intérêts dus sur la somme dont il obtient le remboursement par le présent arrêt. Le jugement est confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts de la société

Au visa de l'article L. 1222-1 du code du travail, la société réclame la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au motif que le salarié n'a pas honoré l'engagement qu'il a librement souscrit et a bénéficié d'une majoration de sa rémunération grâce à sa formation.

Mais au vu de ce qui précède, c'est à juste titre que M. [H] s'est opposé à la réclamation de la société. Aucune exécution déloyale du contrat de travail n'étant caractérisée, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société de sa demande à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société, qui succombe, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de toute demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à ce titre la somme de 3 000 euros à [H].

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe :

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Dassault Falcon service de sa demande reconventionnelle et en ce qu'il a débouté M. [H] de sa demande de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant :

Dit que la clause de dédit-formation est nulle ;

Condamne la société Dassault Falcon service à rembourser à M. [H] la somme de 12 204 euros ;

Déboute la société Dassault Falcon service de toutes ses demandes ;

La condamne à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 22/06306
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.06306 ?
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