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30/05/2024 | FRANCE | N°22/05526

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 30 mai 2024, 22/05526


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 30 MAI 2024



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05526 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPCA



Décision déférée à la Cour : jugement du 23 novembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS RG n° 20 / 04695



APPELANTES



Madame [X] [P]

[Adresse 8]

[Localité 4]

Née le [Date

naissance 6] 1967 à [Localité 14]

Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée par Me Nedjma ABDI, avocat...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 30 MAI 2024

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05526 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPCA

Décision déférée à la Cour : jugement du 23 novembre 2021 - tribunal judiciaire de PARIS RG n° 20 / 04695

APPELANTES

Madame [X] [P]

[Adresse 8]

[Localité 4]

Née le [Date naissance 6] 1967 à [Localité 14]

Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée par Me Nedjma ABDI, avocat au barreau de PARIS

Madame [B] [V]

[Adresse 5]

[Localité 9]

Née le [Date naissance 1] 1997 à [Localité 16]

Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée par Me Nedjma ABDI, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

Madame [Z] [E]

[Adresse 7]

[Localité 3]

n'a pas constitué avocat

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CHARENTE MARITIME

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Localité 2]

n'a pas constitué avocat

S.A. PACIFICA

[Adresse 11]

[Localité 10]

Représentée par Me Patrice GAUD de la SCP GAUD MONTAGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0430

Assistée par Me Livia MONVOISIN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Nina TOUATI, présidente de chambre, et Mme Dorothée DIBIE, conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

Mme Sylvie LEROY, conseillère

Greffier lors des débats : Mme Emeline DEVIN

ARRÊT :

- rendu par défaut

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nina TOUATI, présidente de chambre et par Emeline DEVIN, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Le 23 septembre 2016 à [Localité 13] (67), Mme [X] [P] a été victime, en tant que piéton, d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par Mme [Z] [E] et assuré auprès de la société Pacifica qui ne conteste pas son droit à indemnisation.

Par ordonnance en date du 10 juillet 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a ordonné une expertise médicale confiée au Docteur [H] [K] qui a établi son rapport le 17 mai 2019.

Par actes d'huissier des 10 mars, 12 mars et 28 mai 2020, Mme [P] et sa fille, Mme [B] [P] épouse [V], ont fait assigner la société Pacifica, Mme [E] et la caisse primaire d'assurance maladie de Charente-Maritime (la CPAM) devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'indemnisation de leurs préjudices consécutifs à l'accident.

Par jugement du 23 novembre 2021, cette juridiction a :

- dit que le droit à indemnisation de Mme [P] des suites de l'accident de la circulation survenu le 23 septembre 2016 est entier,

- condamné la société Pacifica à payer à Mme [P], en deniers ou quittances, provisions non déduites de 7 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, les sommes suivantes en réparation des préjudices subis :

- dépenses de santé actuelles : 163,80 euros

- frais divers : 1 050 euros

- pertes de gains professionnels actuels : 5 742,20 euros

- assistance temporaire d'une tierce personne : 925,71 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 2 596,25 euros

- souffrances endurées : 6 000 euros

- préjudice esthétique temporaire : 1 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 4 320 euros

- préjudice d'agrément : 7 000 euros

- déclaré le présent jugement commun à la CPAM,

- condamné la société Pacifica aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et à payer à Mme [P] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, cette somme avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

- dit que le conseil de Mme [P] pourra recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- rappelé que le présent jugement bénéficie de l'exécution provisoire.

Par déclaration du 15 mars 2022, Mme [P] et Mme [V] ont interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- débouté Mme [V] de sa demande d'indemnisation en sa qualité de victime indirecte,

- fixé l'indemnisation de Mme [P] :

- au titre de la perte de gains professionnels actuels à la somme de 5 742,20 euros,

- au titre de l'assistance temporaire par une tierce personne à la somme de 925,71 euros,

- au titre des souffrances endurées à la somme de 6 000 euros,

- au titre du préjudice esthétique temporaire à la somme de 1 000 euros,

- au titre du préjudice d'agrément à la somme de 7 000 euros,

- au titre des frais divers à la somme de 1 050 euros,

- rejeté la demande d'indemnisation de Mme [P] au titre de l'incidence professionnelle,

- débouté Mme [P] de ses demandes plus amples et contraires.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Vu les conclusions de Mme [P] et Mme [V], notifiées le 14 juin 2022, aux termes desquelles, elles demandent à la cour de :

- réformer partiellement le jugement critiqué,

En conséquence,

- condamner la société Pacifica à payer Mme [P] la somme de 578 308, 39 au titre de l'incidence professionnelle,

- porter l'indemnisation du poste d'assistance par un médecin conseil de la somme de 613 euros à la somme de 3 330 euros,

- porter l'indemnisation du poste d'aide humaine de la somme de 925,71 euros à la somme de 7 800 euros,

- porter l'indemnisation du poste de perte de gains [professionnels] actuels de la somme de 5 742,20 euros à la somme de 13 224,68 euros,

- condamner la société Pacifica à payer à Mme [V] la somme de 10 000 euros,

- condamner la société Pacifica à payer les sommes sus visées avec intérêt au taux légal avec capitalisation à compter de la date de la délivrance de l'assignation devant le tribunal judiciaire de Paris,

- condamner la société Pacifica à payer aux requérantes la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. 

Vu les conclusions de la société Pacifica, notifiées le 18 août 2022, aux termes desquelles elle demande à la cour, au visa de la loi du 5 juillet 1985, de :

- juger que Mme [P] et Mme [V] sont mal fondées en leur appel,

- débouter Mme [P] et Mme [V] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- confirmer le jugement entrepris,

- condamner in solidum Mme [P] et Mme [V] à la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum Mme [P] et Mme [V] aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Patrice Gaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu la note en délibéré de Mme [P] en date du 8 avril 2024.

Vu la note en délibéré de la société Pacifica en date du 11 avril 2024.

La CPAM à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée le 3 juin 2022 par acte d'huissier délivré à personne habilitée n'a pas constitué avocat. Elle a adressé à la cour la notification définitive de ses débours au 13 juillet 2022 qui a été transmise aux parties par le greffe.

Mme [E] à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée le 9 juin 2022 suivant les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, n'a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DECISION

Par l'effet des appels principal et incidents, au regard des conclusions des parties, la cour n'est pas saisie des dispositions du jugement relatives aux postes de préjudices suivants : souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire et préjudice d'agrément.

Sur le préjudice corporel de Mme [P]

L'expert, le Docteur [K] a indiqué dans son rapport en date du 12 avril 2019 que Mme [P] a présenté à la suite de l'accident du 23 septembre 2016 une plaie superficielle du coude gauche, une contusion de la face dorsale du pied gauche ainsi que des fractures de l'os naviculaire, du cuboïde et du troisième cunéiforme gauches traitées orthopédiquement compliquées d'un syndrome douloureux régional complexe de type I et qu'elle conserve comme séquelles un enraidissement modeste en flexion plantaire décrit comme douloureux.

Il a ainsi conclu comme suit :

- consolidation au 31 mars 2018

- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de :

- 50% (classe III) du 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016 (90 jours),

- 25% (classe II) du 22 décembre 2016 au 14 mars 2017 (83 jours),

- 10% (classe I) du 15 mars 2017 au 30 mars 2018 (381 jours),

- incidence professionnelle temporaire durant les périodes de déficit fonctionnel temporaire de classe III et II.

- pas de pertes de gains professionnels futurs

- souffrances endurées de 3/7

- préjudice esthétique temporaire durant la période de déficit temporaire classe II, port d'une immobilisation et déambulation avec 2 cannes

- assistance temporaire par tierce personne de 4 heures par semaine pendant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel de classe III du 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016

- déficit fonctionnel permanent : 3 %

- préjudice esthétique permanent de 0/7

- pas de dépenses de santé actuelles

- pas de dépenses de santé futures

- pas de frais de logement adapté ou de véhicule adapté

- pas d'aide par tierce personne viagère

- préjudice d'agrément : il est décrit des difficultés concernant l'activité de jardinage. Mme [P] n'a pas pu reprendre ses activités d'agrément

- pas de préjudice sexuel allégué.

Son rapport constitue sous les amendements qui suivent, une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime née le [Date naissance 6] 1967, de son absence d'activité professionnelle au moment des faits, de la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

- Frais divers

Le tribunal a alloué à Mme [P] la somme de 1 050 euros offerte par la société Pacifica.

Mme [P] conclut à l'infirmation du jugement et sollicite la somme de 3 330 euros au titre de l'assistance par un médecin conseil.

La société Pacifica qui conclut à la confirmation du jugement, fait valoir que Mme [P] ne produit en cause d'appel, pas plus de justificatifs qu'en première instance.

Sur ce, les honoraires d'assistance à expertise sont justifiés par la production des factures « acquittées » du Docteur [C], médecin conseil, en date des 30 novembre 2018, 3 décembre 2018 et 15 avril 2019 à hauteur respectivement de 750 euros, 600 euros et 1 980 euros.

Ces dépenses d'un total de 3 330 euros supportées par la victime, nées directement de l'accident, sont par la même indemnisables et lui seront remboursées.

Le jugement sera infirmé.

- Perte de gains professionnels actuels

La perte de gains professionnels actuels indemnise une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évaluée au regard de la preuve d'une perte effective de revenus.

Le tribunal a alloué à Mme [P] la somme de 5 742,20 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels sur la base d'un salaire de 1 353,39 euros pour 35 heures de travail hebdomadaires.

Mme [P] conclut à l'infirmation du jugement et sollicite la somme de 13 224,68 euros. Elle se prévaut d'une promesse d'embauche de la société Bioteeth pour un emploi à compter du 1er octobre 2016 à temps plein en qualité d'assistante marketing et commerciale. Elle soutient, qu'en raison de l'accident, elle a été totalement privée de la chance de travailler à temps plein du 23 septembre 2016 au 14 mars 2017, date de la signature de son contrat de travail avec la société Bioteeth. Elle ajoute que du 15 mars 2017 à la date de la consolidation (31 mars 2018), elle n'a pu travailler que 24 heures par semaine en raison de ses difficultés de déplacement, alors qu'elle aurait dû travailler 31,50 heures par semaine à partir du 1er septembre 2017.

La société Pacifica conclut à la confirmation du jugement.

Elle soutient que l'expert a retenu que Mme [P] a été empêchée de travailler à taux plein du 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016 et non pas jusqu'au 14 mars 2017, de sorte que son inaptitude à l'exercice d'une activité professionnelle à plein temps ne porte que sur 3 mois et que sur le plan médico-légal, Mme [P] était apte à travailler dès le mois de janvier 2017.

Concernant la période du 15 mars 2017 jusqu'au 31 mars 2018, pour laquelle l'expert n'a pas retenu de retentissement sur les activités professionnelles, elle relève l'absence de lien de causalité entre l'accident et l'exercice par Mme [P] de son emploi à temps partiel, qui ne relève que d'une décision de son employeur.

Par message RPVA du 29 mars 2024, la cour a invité les parties à conclure, par note en délibéré, sur l'existence d'un préjudice caractérisé par une perte de chance de gains professionnels actuels et futurs pour Mme [P] à la suite de l'accident du 23 septembre 2016.

Par note en délibéré, Mme [P] expose que pour le cas où la cour considérerait que l'attestation d'embauche ne constitue pas une réelle promesse embauche, elle est bien fondée à solliciter l'indemnisation d'une perte de chance de gains actuels et futurs de 95 % dans la mesure où elle a réussi à conclure un contrat de travail à temps partiel à compter de mars 2017 avec le même employeur de sorte qu'elle sollicite à ce titre la somme de 12 123,55 euros.

Par note en réponse, la société Pacifica, après avoir sollicité que cette demande, qui relève d'un débat contradictoire au fond, soit écartée des débats, s'en rapporte, concernant la perte de gains professionnels actuels, à ses conclusions régularisées le 18 août 2022.

Sur ce, aux termes de l'article 442 du code de procédure civile, « le président et les juges peuvent inviter les parties à fournir les explications de droit ou de fait qu'ils estiment nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur », l'article 445 de ce code précisant que « après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 ».

En l'espèce, c'est en réponse à la demande d'éclaircissement de la cour sur l'existence d'un préjudice caractérisé par une perte de chance de gains professionnels actuels et futurs, que Mme [P] s'est prévalue d'une perte de chance de gains professionnels de 95 % et à sollicité à ce titre la somme de 12 123,55 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels de sorte qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats sa demande.

Sur le fond, s'il n'est pas contesté par les parties que Mme [P] était sans emploi le 23 septembre 2016, jour de l'accident, elle verse aux débats une attestation établie le 22 septembre 2017, par M. [J], président directeur général de la société Bioteeth, indiquant que « Mme [P] devait être embauchée le 1er octobre 2016 à temps plein pour 35 heures par semaine. Suite à son accident survenu le 23 septembre 2016 et lui ayant occasionné un handicap de locomotion certain, nous n'avons pas pu l'employer pleinement à ses tâches et lui avons restreint ses fonctions au simple télétravail à domicile pour 24 heures par semaine ».

Si ce document a été établi près d'un an après la date d'embauche prévue, aucun élément ne permet de remettre en cause la sincérité de cette attestation relative à une promesse d'embauche au sein d'une société pour laquelle Mme [P] a finalement travaillé.

Elle a en effet conclu un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel avec la société Bioteeth à effet au 15 mars 2017 en qualité d'assistante d'assistante marketing et commerciale, ce contrat prévoyant une durée hebdomadaire de travail de 24 heures les six premiers mois et de 31,50 heures à partir du 1er septembre 2017.

Par courriel du 15 septembre 2017, M. [J] a notifié à Mme [P] que « suite à nos entretiens et à ton certificat médical, nous avons bien pris acte de ton incapacité à assumer les tâches et déplacements prévus par ton poste ; dans ces conditions, il ne nous est pas possible d'augmenter ton nombre d'heures prévues au 1er septembre 2017 ».

Les éléments qui précèdent établissent que si Mme [P] était sans emploi à la date des faits, ceux-ci l'ont empêchée d'occuper l'emploi prévu auprès de la société Bioteeth à compter du 1er octobre 2016, son embauche ayant été effectuée à temps partiel le 15 mars 2017, lui faisant ainsi perdre une chance de s'engager avec cette société dans une relation de travail à temps plein et de bénéficier de la rémunération qui en résulte ; perte de chance qu'il convient d'évaluer à 90 %.

Les parties s'accordent pour retenir, comme l'a fait le tribunal, un salaire mensuel net de 1 353,39 euros pour 35 heures de travail hebdomadaires.

Dès lors, les revenus que Mme [P] aurait dû percevoir du 1er octobre 2016, date à laquelle elle aurait été embauchée sans l'accident, au 31 mars 2018, date de la consolidation sont de :

* 1 353,39 euros x 18 mois = 24'361,02 euros.

Mme [P] justifie avoir perçu du 15 mars 2017 au 31 mars 2018 un salaire net mensuel de 928,24 euros pour 24 heures de travail hebdomadaire soit un total de :

* 928,24 euros x 12,56 mois = 11'658,69 euros

De sorte que sa perte de revenus pendant cette période est de 12'702,33 euros (24'361,02 euros - 11'658,69 euros)

Après application du coefficient de perte de chance de 90 % retenu par la cour, le préjudice indemnisable de Mme [P] au titre de sa perte de chance de gains professionnels actuels s'élève à la somme de 11'432,10 euros (12'702,33 euros x 90 %).

En l'absence d'indemnités servies par la CPAM susceptibles d'être déduites de ce poste de préjudice, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, cette somme revient intégralement à Mme [P].

Le jugement sera infirmé.

- Assistance temporaire de tierce personne

Ce poste vise à indemniser, pendant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident jusqu'à la consolidation, le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière temporaire, d'une tierce personne à ses côtés pour l'assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d'autonomie.

Le tribunal a chiffré ce poste de préjudice à la somme de 925,71 euros, calculée sur la base d'un taux horaire de 18 euros pendant la période de 90 jours retenue par l'expert.

Mme [P] conclut à l'infirmation du jugement. Elle se prévaut du dire adressé à l'expert le 10 octobre 2017, de témoignages d'amies et de la configuration de son domicile (maison de 150 m² avec jardin) situé en milieu rural pour contester, au regard des conséquences de l'accident et notamment de son immobilisation pendant trois mois avec interdiction d'appuyer sur son pied et de l'algoneurodystrophie dont elle a été atteinte, l'évaluation du besoin en aide humaine opérée par l'expert.

Elle évalue son préjudice à la somme de 7 800 euros sur la base d'un taux horaire de 16 euros et du besoin suivant :

- 1 heure 30 par jour du 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016,

- 1 heure par jour sur la période classe 2 du 22 décembre 2016 au 14 mars 2017,

- une demi-heure par jour la période classe 3 du 15 mars 2017 au 30 mars 2018,

ainsi qu'une heure par semaine pour l'entretien du jardin de la date de l'accident à celle de la consolidation.

La société Pacifica conclut à la confirmation du jugement. Elle fait valoir que Mme [P], assistée lors des opérations d'expertise, n'a formulé aucune observation sur le quantum retenu par l'expert. Elle ajoute qu'elle ne justifie pas du caractère insuffisant de l'évaluation de l'expert.

Sur ce, la nécessité de la présence auprès de Mme [P] d'une tierce personne pour l'aider dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, suppléer sa perte d'autonomie n'est pas discutée dans son principe mais reste contestée dans son étendue et discutée dans son coût.

Si le Docteur [K] a évalué le besoin d'assistance temporaire par tierce personne de Mme [P] à 4 heures par semaine pendant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel de classe III du 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016, il a néanmoins retenu, au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel, non seulement un taux de 50% du 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016, « correspondant à une locomotion possible seulement avec deux cannes » - période pendant laquelle il a évalué, comme il l'a été précisé, le besoin d'assistance temporaire par tierce personne hauteur de 4 heures par semaine - mais également un taux de 25% (classe II) du 22 décembre 2016 au 14 mars 2017, « période pendant laquelle Mme [P] déambulait sous couvert d'une canne avec poursuite d'une rééducation et reprise de la conduite ».

En revanche, l'expert a retenu un déficit fonctionnel temporaire partiel de 10% (classe I) du 15 mars 2017 au 30 mars 2018 « correspondant à une locomotion effectuée sans aide technique avec poursuite de soins actifs » ne caractérisant pas des difficultés de déplacement.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments une limitation de la mobilité de Mme [P] justifiant, contrairement aux conclusions de l'expert qui ne lient pas la cour, la nécessité d'une aide pour ses déplacements, les courses et l'entretien de la maison que la cour est en mesure d'évaluer à :

- 1 heure 30 par jour du 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016,

- 1 heure par jour du 22 décembre 2016 au 14 mars 2017.

En ce qui concerne l'aide pour l'entretien du jardin, si le besoin d'assistance de Mme [P] pendant la période antérieure à la consolidation doit s'apprécier en tenant compte de sa situation concrète et de son mode de vie antérieur à l'accident, elle produit uniquement des photographies d'une maison entourée d'un jardin, dont il n'est pas contesté qu'il s'agit de son domicile, sans apporter d'éléments permettant d'établir qu'elle entretenait elle-même son jardin avant les faits. Il ne sera donc pas fait droit à sa demande d'aide humaine à ce titre.

En application du principe de la réparation intégrale et quelles que soient les modalités choisies par la victime, le tiers responsable est tenu d'indemniser le recours à cette aide humaine indispensable qui ne saurait être réduit en cas d'aide familiale ni subordonné à la production des justificatifs des dépenses effectuées.

Eu égard à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser, l'indemnisation se fera sur la base d'un taux horaire de 16 euros sollicité par la victime.

L'indemnité de tierce personne s'établit ainsi de la manière suivante :

- pour la période 23 septembre 2016 au 21 décembre 2016

* 1,5 heures x 90 jours x 16 euros = 2'160 euros

- pour la période du 22 décembre 2016 au 14 mars 2017

* 1 heure x 83 jours x 16 euros = 1'328 euros

Soit un total de 3 488 euros.

Le jugement sera infirmé.

Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)

- Sur les demandes de Mme [P] formées au titre de l'incidence professionnelle

Mme [P] qui conclut à l'infirmation du jugement, sollicite au titre de l'incidence professionnelle, la somme de 531 210,96 euros, capitalisée à titre viager pour tenir compte de la perte de droits à la retraite, correspondant à la perte de chance totale de conserver son contrat de travail ainsi que la somme de 47 097,43 euros relative au coût de l'assurance complémentaire de la société Goupama rendue nécessaire par la perte de la mutuelle et prévoyance prises en charge par l'employeur qui y sont liés.

Elle soutient que la survenue de l'accident ne lui a pas permis de mettre en oeuvre le contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein qu'elle devait conclure avec la société Bioteeth et que les douleurs générées par ses séquelles la rendant impotente et incapable de travailler à plein temps, son employeur a mis fin à son contrat de travail le 31 décembre 2018.

Elle ajoute qu'à son âge, il lui est difficile de retrouver un emploi comme en attestent les nombreux refus d'embauche produits.

A la suite de la demande de la cour relative à l'existence d'une perte de chance de gains professionnels futurs, elle s'est prévalue d'une perte de chance de gains de 95 % et a sollicité, à ce titre, la somme de 351 838,59 euros après capitalisation à titre viager à compter du 2 avril 2024.

La société Pacifica conclut à la confirmation du jugement.

Elle soutient que Mme [P], qui ne justifie pas de sa situation professionnelle, forme une demande qui repose sur l'hypothèse d'une inaptitude à l'emploi alors que les conclusions de l'expert judiciaire, qu'elle n'a pas contestées, ne retiennent aucune incidence professionnelle après la consolidation et que la CPAM ne l'a pas déclarée inapte à son emploi.

Elle ajoute que la cessation des fonctions de Mme [P] qui résulte d'une rupture conventionnelle du contrat de travail, est sans lien avec l'accident.

Concernant la perte de chance de gains et la demande formée par Mme [P] dans sa note en délibéré, la société Pacifica conclut à leur rejet en relevant que la demande de perte de gains est parfaitement fictive dans la mesure où Mme [P] est apte à exercer toute profession sans aucune contrainte ou limite.

Il résulte des pièces versées aux débats, que Mme [P], sans emploi au moment de l'accident, a été embauchée par la société Bioteeth par contrat à durée indéterminée à temps partiel à effet au 15 mars 2017 en qualité d'assistante d'assistante marketing et commerciale.

Il est également produit une rupture conventionnelle du 31 décembre 2018 à compter du 15 janvier 2019.

Mme [P] verse une lettre émanant de son employeur du 10 novembre 2018, qu'elle a contre-signée avec « bon pour accord », ainsi rédigée : «  votre handicap survenu lors de votre accident du 23 septembre 2016 ne vous permet pas de poursuivre correctement les missions qui vous sont confiées, en particulier les déplacements chez les clients et fournisseurs, ce que nous regrettons : en conséquence, nous avons convenu entre nous d'une rupture conventionnelle de votre emploi le 15 janvier 2019 ».

Or, le contrat de travail précise que « en dehors des périodes de présence en entreprise visées à l'article « intégration dans la communauté de travail » du présent contrat, Mme [P] exercera ses fonctions à son domicile » sous forme de télétravail ; l'article intitulé « intégration dans la communauté de travail » précisant que « pendant sa présence dans les locaux de l'entreprise, Mme [P] pourra disposer à sa demande d'un espace et d'un poste de travail ».

Il ne résulte ainsi pas des obligations contractuelles de Mme [P], la nécessité de se déplacer chez des clients et des fournisseurs, de sorte que la rupture conventionnelle du contrat de travail est, nonobstant ce que précise la lettre du 10 novembre 2018 qui n'est étayée par aucun élément médical, sans lien de causalité avec les difficultés de déplacement alléguées.

En outre, l'expert judiciaire qui n'a retenu qu'une incidence professionnelle durant les périodes de déficit fonctionnel temporaire de classe III et II a constaté que les séquelles conservées par Mme [P] à la suite de l'accident du 23 septembre 2016 se limitent à un enraidissement modeste en flexion plantaire décrit comme douloureux justifiant la fixation du taux de déficit fonctionnel permanent à 3 %.

Il ne résulte dès lors pas de ces éléments de lien de causalité entre la rupture amiable du contrat de travail de Mme [P] auprès de la société Bioteeth et les séquelles de l'accident survenu plus de deux ans auparavant et consolidées depuis 8 mois.

Mme [P], qui ne justifie pas d'un préjudice entièrement consommé, sera ainsi déboutée de ses demandes de perte de gains professionnels futurs.

En l'absence de lien de causalité entre la rupture amiable du contrat de travail et l'accident, elle sera également déboutée de sa demande au titre de la perte de la prise en charge par l'employeur de la mutuelle et de la prévoyance.

En outre, compte tenu du caractère limité de ses séquelles, Mme [P] est en mesure de reprendre une activité à temps complet dans son domaine de compétence, elle ne justifie d'aucune perte de chance de gains en lien avec l'accident.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de ses demandes au titre de la perte de gains professionnels futurs et de l'incidence professionnelle.

Sur les préjudices par ricochet de Mme [V]

Mme [V], la fille de Mme [P], sollicite la somme de 10 000 euros au regard de l'importance de son préjudice moral, alors qu'étudiante à [Localité 15], elle ne pouvait aider sa mère qu'elle savait seule et souffrante.

La société Pacifica conclut à la confirmation du jugement qui a débouté Mme [V] de sa demande et fait valoir qu'elle n'est pas justifiée.

Sur ce, le préjudice d'affection de Mme [V] à la vue des souffrances de sa mère à la suite de l'accident sera évalué à la somme de 1 000 euros.

Le jugement sera infirmé.

Sur les intérêts au taux légal et l'anatocisme

Mme [P] et Mme [V] demandent à ce que les indemnités allouées le soient avec intérêt au taux légal, avec capitalisation, à compter de la date de la délivrance de l'assignation devant le tribunal judiciaire de Paris.

Sur ce, aux termes de l'article 1153-1, devenu 1231-7 du code civil, « en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé de la décision à moins que le juge n'en décide autrement ».

En l'espèce, aucune circonstance ne justifie de fixer le point de départ des intérêts moratoires à la date de l'assignation devant le tribunal judiciaire de Paris de sorte qu'il convient de prévoir que les intérêts au taux légal sur le montant des indemnités courront à compter du jugement à concurrence du montant des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus.

Il y a également lieu de dire que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil à compter de la décision.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

La société Pacifica qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des dépens d'appel.

L'équité commande d'allouer à Mme [P] et Mme [V] une indemnité globale de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et de rejeter la demande de la société Pacifica formulée au même titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt rendu par défaut et par mise à disposition au greffe,

Et dans les limites de l'appel,

- Confirme le jugement,

hormis sur :

- le montant de l'indemnisation de la victime directe au titre des postes de préjudices suivants : frais divers, perte de gains professionnels actuels et assistance temporaire de tierce personne,

- l'indemnisation du préjudice d'affection de Mme [B] [P] épouse [V], victime par ricochet,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Condamne la société Pacifica à payer à Mme [X] [P] les sommes suivantes, provisions et sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement non déduites, avec les intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus au titre des préjudices ci-après :

- frais divers : 3 330 euros

- perte de gains professionnels actuels : 11'432,10 euros

- assistance temporaire de tierce personne : 3 488 euros

- Condamne la société Pacifica à payer à Mme [B] [P] épouse [V] la somme de 1 000 euros en indemnisation de son préjudice d'affection avec les intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- Dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,

- Condamne sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la société Pacifica à payer à Mme [X] [P] et à Mme [B] [P] épouse [V] la somme globale de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

- Déboute la société Pacifica de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés,

- Condamne la société Pacifica aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 22/05526
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.05526 ?
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