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29/05/2024 | FRANCE | N°21/18513

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 29 mai 2024, 21/18513


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 29 MAI 2024



(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/18513 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CERFG



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Octobre 2020 - Tribunal de Commerce de Paris, 3ème chambre - RG n° 2018035013





APPELANTE



Société GAPI PAINTS SRL, société de droit italien,

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

Trav. n°1 di Viale Industria 33

CAP CASTELLI CALEPIO (BG) 24 0...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 29 MAI 2024

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/18513 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CERFG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Octobre 2020 - Tribunal de Commerce de Paris, 3ème chambre - RG n° 2018035013

APPELANTE

Société GAPI PAINTS SRL, société de droit italien, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

Trav. n°1 di Viale Industria 33

CAP CASTELLI CALEPIO (BG) 24 060

ITALIE

Représentée par Me Frédéric Ingold de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : B1055,

Assistée de Me Martine Schmitt, avocat au barreau de Paris, toque : C0590, avocat plaidant

INTIMEE

S.A.S. DECORS DE FERRYVILLE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Orléans sous le numéro 494 802 879

RD 2007 (ex RN 7) - Km 26

[Localité 1]

Représentée par Me Eric Maignan de la SELEURL CABINET MAIGNAN, avocat au barreau de Paris, toque : A0380

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Julien Richaud, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4

Mme Sophie Depelley, conseillère

M. Julien Richaud, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Sylvie Mollé

ARRÊT :

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4 et par Mme Sylvie Mollé, greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

Les parties et leurs relations

La société de droit italien Gapi Paints exerce depuis les années 1980 une activité principale de production et de commercialisation de peintures et de résines décoratives et protectrices.

La SAS Décors de Ferryville exerce une activité de négoce en gros et détail de produits de décoration intérieure et extérieure ainsi notamment que de revêtements muraux et de sols intérieurs et distribue dans ce cadre, sous la marque "Résinence", des résines décoratives et protectrices dans les grandes surfaces de bricolage.

Le 14 avril 2008, la société Gapi Paints et la SAS Décors de Ferryville ont conclu un contrat dit de fourniture aux termes duquel celle-ci a confié en sous-traitance à celle-là, à titre exclusif sauf pour le marché italien, la fabrication et le conditionnement des résines de la gamme "Résinence". Cet acte, qui prévoyait un règlement des factures à 90 jours fin de mois le 10 après réception de la marchandise conforme (article 8), stipulait un terme fixé au 31 décembre 2012 ainsi que sa reconduction tacite par tranches annuelles sauf dénonciation expresse respectant un préavis de six mois (article 3).

Par courrier du 12 juin 2012, la SAS Décors de Ferryville a notifié à la société Gapi Paints la non-reconduction du contrat. Néanmoins, les relations commerciales se poursuivaient malgré la survenance du terme.

La qualité des relations conduisait les parties à envisager la création d'une filiale commune. En dépit de la signature d'une lettre d'intention le 3 octobre 2013 et d'une promesse de cession des parts de la société Gapi Paints à la SAS Décors de Ferryville le 6 mai 2014, ce projet n'aboutissait pas.

La SAS Décors de Ferryville adressait le 11 mars 2015 son prévisionnel de commandes pour le second trimestre 2015 et passait le 18 mars 2015 à la société Gapi Paints une commande n° 7846 d'un montant de 122 015,40 euros. Cette dernière, qui imputait à la SAS Décors de Ferryville des retards de paiement de diverses factures émises entre septembre et octobre 2014 pour un montant total de 562 681,21 euros (factures n° 1190 à 1197), sollicitait par courriel du 20 mars 2015 la précision sur le bon de commande d'un règlement à 90 jours et non à 120 jours ainsi qu'il le mentionnait, et, par courriel du 24 mars 2015, offrait de livrer les marchandises commandées le 15 avril 2015 à l'exception des sprays dont elle reportait la date de livraison au 15 mai 2015.

Tandis que, le 27 mars 2015, la SAS Décors de Ferryville émettait un bon de commande intégrant la modification du délai de règlement en précisant néanmoins que la livraison devait intervenir le 13 avril 2015, la société Gapi Paints expliquait le jour même ne pouvoir honorer ses obligations que durant la semaine du 20 au 24 avril 2015. La SAS Décors de Ferryville maintenait en retour ses exigences en précisant d'abord que, à défaut de livraison le 15 avril 2015, la commande serait annulée, puis qu'elle se contenterait d'une délivrance partielle le 9 avril 2015.

Par courrier de son conseil du 27 mars 2015 renouvelé les 8 et 12 mai et 10 juin 2015, la société Gapi Paints mettait en demeure la SAS Décors de Ferryville de lui régler ses factures n° 1190 à 1197 échues le 15 mars 2015 en précisant qu'elle suspendait dans l'attente ses prestations et que, à défaut de paiement, elle considèrerait le "contrat de fourniture" rompu à ses torts. En réponse, la SAS Décors de Ferryville, sans répondre à cette missive, déplorait le blocage de sa commande et, par courrier du 4 mai 2015, mettait en demeure la société Gapi Paints d'exécuter son engagement.

Les procédures antérieures et parallèles

Par jugement du 5 juillet 2018, le tribunal de commerce italien de Bergame, saisi par acte de la société Gapi Paints du 15 mai 2015, a condamné la SAS Décors de Ferryville à verser à cette dernière une indemnité de 400 000 euros au titre de l'exécution du contrat de cession de parts sociales.

Par ordonnance du 5 juillet 2015, le président du tribunal de commerce d'Orléans a rejeté la requête en injonction de payer présentée par la société Gapi Paints. Cependant, par ordonnance du 10 décembre 2015, le président du tribunal de commerce d'Orléans statuant en référé a condamné la SAS Décors de Ferryville à payer à la société Gapi Paints la somme provisionnelle de 841 680 euros au titre des factures impayées d'octobre et novembre 2014. Cette décision, définitive, était exécutée le 19 janvier 2016.

La SAS Décors de Ferryville a, par acte d'huissier signifié le 18 juin 2015, assigné la société Gapi Paints devant le tribunal de commerce d'Orléans en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des relations commerciales établies. Par arrêt du 5 avril 2018, la cour d'appel d'Orléans a annulé pour défaut de pouvoir juridictionnel le jugement du tribunal de commerce d'Orléans du 5 janvier 2017 sauf en ce qu'il avait condamné la SAS Décors de Ferryville à payer à la société Gapi Paints la somme de 72 574,26 euros au titre d'une dernière facture émise le 31 janvier 2015, cette dette étant finalement apurée en mai 2018.

L'introduction de l'instance et les prétentions des parties

C'est dans ces circonstances que la SAS Décors de Ferryville a, par acte d'huissier signifié le 18 juin 2018, de nouveau assigné la société Gapi Paints devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation des préjudices causés par la rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 1er octobre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SAS Décors de Ferryville et la société Gapi Paints de leurs demandes respectives au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- débouté la société Gapi Paints de sa demande de dommages et intérêts au titre de la perte subie en raison de la non reprise de son stock par la SAS Décors de Ferryville ;

- rejeté les demandes des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum les parties aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 22 octobre 2021, la société Gapi Paints a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 septembre 2022, la société Gapi Paints demande à la cour, au visa des dispositions des règlements Bruxelles I bis et Rome I, de "la loi italienne" et de la convention de [Localité 2] sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980 ainsi que de l'article L 442-6 du code de commerce :

- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :

* débouté la société Gapi Paints de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale par la SAS Décors de Ferryville des relations commerciales établies entre les parties ;

* débouté la société Gapi Paints de sa demande de dommages et intérêts au titre de la perte consécutive à la non-reprise de son stock par la SAS Décors de Ferryville ;

* rejeté les demandes de la société Gapi Paints au titre de l'indemnisation fondée sur l'article 74 de la convention de [Localité 2], de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

- statuant à nouveau, de condamner la SAS Décors de Ferryville à payer à la société Gapi Paints la somme de 1 746 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article L 442-6 du code de commerce outre les intérêts légaux sur cette somme à compter de la demande, jusqu'à complet paiement ;

- de condamner la SAS Décors de Ferryville à payer à la société Gapi Paints sur le fondement de l'article 74 de la convention de [Localité 2] la somme de 1 200 000 euros augmentée des intérêts à compter de la mise en demeure du 27 mars 2015 jusqu'à complet paiement avec anatocisme à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte subie et/ou au manque à gagner en raison de la faute commise par la SAS Décors de Ferryville qui n'a réglé ses factures qu'après condamnation par les juridictions d'Orléans et qui, en faisant fabriquer de nouveaux produits par sa filiale qu'elle commercialisait à compter de novembre 2014, lui a fait constituer un stock dont elle savait par avance qu'il ne serait pas écoulé ;

- subsidiairement, si par extraordinaire la cour ne faisait pas droit aux demandes de la société Gapi Paints fondées sur les dispositions de l'article L 442-6 du code de commerce et/ou de l'article 74 de la convention de [Localité 2], de condamner la SAS Décors de Ferryville à payer à la société Gapi Paints la somme de 1 103 940,30 euros augmentée des intérêts à compter de la mise en demeure du 27 mars 2015 jusqu'à complet paiement avec anatocisme à titre de dommages et intérêts pour ne pas avoir repris le stock constitué par la société Gapi Paints, pour elle, et ce, en exécution des obligations contractuelles de reprise du stock issues du contrat de 2008 reconduites tacitement ;

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la SAS Décors de Ferryville en toutes ses demandes ;

- en tout état de cause, de :

* débouter la SAS Décors de Ferryville de toutes ses demandes ;

* condamner la SAS Décors de Ferryville à payer à la société Gapi Paints une somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner la SAS Décors de Ferryville à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 juin 2022, la SAS Décors de Ferryville demande à la cour, au visa des dispositions de convention de [Localité 2] du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises et de l'article L442-6 du code de commerce :

- de voir déclarer la société Gapi Paints mal fondée en son appel ;

- de la débouter en conséquence de toutes ses demandes ;

- de déclarer la SAS Décors de Ferryville recevable et bien fondée en son appel incident ;

- y faisant droit, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Décors de Ferryville de ses demandes tendant à voir :

* dire et juger que la rupture brutale de la relation commerciale établie entre les parties est imputable à la société Gapi Paints et qu'elle engage la responsabilité de celle-ci qui doit réparer le préjudice en résultant pour la SAS Décors de Ferryville ;

* condamner la société Gapi Paints au paiement à la SAS Décors de Ferryville de la somme de 3 036 584,68 euros à titre de dommages intérêts sauf à parfaire ou diminuer en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de la rupture brutale et sans préavis de la relation commerciale établie ;

* condamner la société Gapi Paints au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure ;

- statuant à nouveau, de dire et juger qu'en refusant d'exécuter la commande n° 7846 du 18 mars 2015 d'un montant de 122 015,40 euros que lui adressait la SAS Décors de Ferryville, la société Gapi Paints a rompu brutalement, sans raison et sans préavis la relation commerciale existant entre elles ;

- en conséquence, de condamner la société Gapi Paints sur le fondement des dispositions des articles L 446-2 du code de commerce et 74 de la convention de [Localité 2] au paiement de la somme de 3 036 584,68 euros à titre de dommages intérêts sauf à parfaire ou diminuer en réparation du préjudice subi par la SAS Décors de Ferryville du fait de la rupture brutale et sans préavis de la relation commerciale établie et de l'inexécution de la commande, outre les intérêts légaux sur cette somme jusqu'à complet paiement ;

- de condamner la société Gapi Paints au paiement de la somme de 30 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- de confirmer le jugement entrepris pour en ce qu'il a débouté la société Gapi Paints de toutes ses demandes ;

- à titre subsidiaire et pour le cas où, par extraordinaire, la cour estimerait bien fondée en son appel la société Gapi Paints, de dire et juger que la société Gapi Paints ne rapporte pas la preuve de son préjudice et la débouter en conséquence de ses demandes indemnitaires ;

- en tout état de cause, de condamner la société Gapi Paints aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties

La société Gapi Paints expose à titre liminaire que, en application de l'article 4 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit Rome I, la loi applicable au contrat de vente est la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle. Elle indique qu'ainsi, son siège social étant situé en Italie, la loi italienne est " applicable en elle comprise la convention de [Localité 2] sur la vente internationale de marchandises du 11 avril 1980" à laquelle l'Italie et la France sont parties, mais que "le juge français compétent en tant que juge du lieu d'exécution de la prestation se doit aussi de respecter les dispositions impératives du for, donc les dispositions impératives du droit français dites lois de police dont les dispositions de l'article L 442-6 et suivants du code de commerce".

Soulignant la persistance du flux de commandes initié en 2007 malgré la résiliation du contrat de fourniture le 31 décembre 2012 et en déduisant le caractère établi des relations commerciales, la société Gapi Paints expose que la SAS Décors de Ferryville a rompu ces dernières partiellement en réduisant ses commandes en 2014, le chiffre d'affaires ayant chuté de 24 % (5 145 9125 en 2013 à 3 742 285 euros en 2014), puis en y mettant un terme définitif en novembre 2014, la SAS Décors de Ferryville ayant cessé d'adresser ses prévisionnels et une unique commande ayant été passée le 26 janvier 2015 pour une somme de 72 574,26 euros, celle de mars 2015 n'étant qu'un "leurre". Elle estime que le courriel de la SAS Décors de Ferryville du 15 novembre 2014, qui évoque une baisse des ventes de 50 % et la nécessité de "stopper toutes les livraisons le temps de faire un inventaire dans les magasins", exprime cette rupture mais est inapte à faire courir un préavis quelconque. Elle précise que la baisse de commandes s'explique par la commercialisation par la SAS Décors de Ferryville dès 2014 d'une nouvelle gamme de produits dont la fabrication ne lui a pas été confiée. Elle ajoute que l'exception d'inexécution opposée en avril 2015 était légitime au regard de la date d'exigibilité de ses créances et que la rupture imputable à la SAS Décors de Ferryville était antérieure à ce litige.

Au regard de la durée des relations (sept ans) et de son état de dépendance économique (le chiffre d'affaires généré par la relation oscillant de 2010 à 2013 entre 60 et 76 % de son chiffre d'affaires total), elle estime le préavis éludé à douze mois et son indemnisation égale à une année de marge brute diminuée de la moyenne mensuelle du coût des matières premières et du coût du transport et assise sur la moyenne des années 2008 à 2014 (soit 145 455,96 euros par mois et 1 745 471,46 euros sur un an).

En réponse à la demande de la SAS Décors de Ferryville, elle précise que son exception d'inexécution de la commande de mars 2015 était fondée au regard des dispositions de l'article 71 de la convention de [Localité 2], les factures impayées des 31 octobre et 27 novembre 2014 étant échues les 15 février et 15 mars 2015 (puis le 15 avril 2015 après report amiable) conformément aux usages entre les parties qui appliquaient avec constance un délai de 90 jours fin de mois le 10 courant à compter de la livraison et non de la facturation. Elle explique à ce titre que son accord donné dans son courriel du 15 octobre 2014 pour un délai de règlement de 120 jours le 15 du mois suivant la livraison, l'avait été "uniquement pour l'opération promotionnelle envisagée par la SAS Décors de Ferryville en octobre 2014 et uniquement pour la moitié des commandes d'octobre 2014 et les commandes de novembre 2014". Elle indique que les encours antérieurement tolérés ne sont pas des références pertinentes à raison de la diminution drastique du flux d'affaires. Elle expose par ailleurs que son courriel du 20 mars 2015, qui comprenait une demande de modification relative aux délais de règlement, constituait un refus de l'offre et une contre-offre au sens de l'article 19 alinéas 1 et 3 de la convention de [Localité 2], contre-offre à nouveau modifiée le 27 mars 2015 et non acceptée par la SAS Décors de Ferryville, la vente n'étant ainsi pas parfaite.

Subsidiairement, elle constate que la SAS Décors de Ferryville fonde sa demande indemnitaire sur les dispositions des articles L 442-6 I 5° du code de commerce et 74 de la convention de [Localité 2] qui ne poursuivent pas les mêmes fins et ne réparent pas les mêmes préjudices. Elle en déduit l'impossibilité de rattacher les préjudices allégués aux fondements cumulativement invoqués et conteste par ailleurs leur réalité et leur mesure.

En réponse, la SAS Décors de Ferryville, qui revendique à son tour le caractère établi des relations commerciales, expose que son courriel du 15 novembre 2014 n'exprime pas la rupture des relations mais la suspension temporaire des commandes de produits destinés au marché allemand, d'autres commandes ayant d'ailleurs été passées par la suite. Elle ajoute que ses prévisionnels sont systématiquement établis en contemplation des commandes des centrales d'achat qui la référencent et qu'elle aurait poursuivi ses relations si la société Gapi Paints ne les avaient pas rompues en avril 2015, la commercialisation de sa nouvelle gamme de produits à compter de l'année 2013 ne concernant pas ceux fabriqués par cette dernière et étant sans incidence sur le flux d'affaires, à la différence des déréférencements décidés par les enseignes [P] [B] et Castorama à raison de la présence de produits nocifs dans les résines de marque Résinence.

Sur le fondement de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce et de l'article 74 de la convention de [Localité 2], la SAS Décors de Ferryville estime que le refus de la société Gapi Paints d'honorer sa commande ferme et non annulée des 19 et 27 mars 2015, infondé puisque les factures opposées étaient payables le 15 avril 2015 au regard de l'accord des parties sur un délai de règlement à 120 jours fin de mois le 15 courant à compter de la facture, caractérise la rupture des relations et sa brutalité en l'absence de tout préavis écrit, la société Gapi Paints ayant en réalité décidé de développer des activités constitutives de concurrence déloyale à son préjudice en copiant à l'identique son concept et ses produits hors tout contrat de licence.

Elle précise enfin subir un préjudice résidant dans sa perte subie et ses gains manqués :

- l'inexécution de la commande de mars 2015 a entrainé l'application par ses partenaires de pénalités d'un montant total de 544 344,31 euros ;

- la brutalité de la rupture l'a privée du chiffre d'affaires et de la marge de 60 % qu'elle aurait dégagés si elle avait pu livrer les produits commandés et si elle avait participé aux opérations promotionnelles nationales des grandes enseignes de bricolage (1 857 126,39 euros pour la période du 1er mai au 31 août 2015). Elle ajoute avoir été contrainte de racheter à ces dernières les stocks de produits de la gamme Résinence (635 113,98 euros).

Subsidiairement, elle explique que la société Gapi Paints n'était soumise à aucune exclusivité et que son refus d'honorer sa commande de mars 2015 est la cause de ses éventuelles difficultés financières. Elle ajoute qu'elle ne prouve pas les éléments financiers qu'elle allègue et qu'elle ne justifie ainsi ni du principe ni de la mesure du préjudice dont elle poursuit la réparation.

Réponse de la cour

A titre liminaire, la Cour constate que les parties, qui ne débattent pas de sa compétence juridictionnelle acquise sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit Bruxelles I bis, revendiquent toutes deux l'application de la loi française au titre de leurs demandes fondées sur la rupture brutale des relations commerciales établies et visent à ce titre l'article L 442-6 I 5° du code de commerce. De fait, si la société Gapi Paints évoque dans ses écritures (page 38 et dispositif) la loi italienne, elle ne le fait que pour solliciter le bénéfice de l'application de la Convention de [Localité 2] sur la vente internationale de marchandise du 11 avril 1980, qui n'est pas non plus en débat et qui découle, non de l'application de la loi italienne, mais de l'article 55 de la constitution et de la ratification du traité par la France et l'Italie le 6 août 1982 et le 11 décembre 1986. Elle précise d'ailleurs immédiatement que le juge français est tenu de respecter les " dispositions impératives du for " que sont celles posées par l'article L 442-6 du code de commerce, estimant ainsi remplies les conditions de l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit Rome I.

Ainsi, les dispositions de l'article L 442-6 I 5° ancien du code de commerce et la convention de [Localité 2] sur la vente internationale de marchandise du 11 avril 1980 s'appliquent au litige en vertu de l'accord procédural des parties visant ces dispositions, s'agissant, d'une part, de la rupture brutale en débat et, d'autre part, du prétendu manquement grave de la société Gapi Paints et de la responsabilité contractuelle alléguée de la SAS Décors de Ferryville.

En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

- Sur les caractéristiques de la relation

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque " la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale "). La poursuite de la relation par une personne distincte de celle qui l'a nouée initialement ne fait pas obstacle à sa stabilité en présence d'une transmission universelle de patrimoine et, à défaut, si des éléments démontrent que la commune intention des parties était de continuer la même relation (en ce sens, Com., 10 février 2021, n° 19-15.369).

Les parties ne contestent pas le caractère établi des relations que chacune revendique au soutien de ses propres demandes. Il est ainsi acquis que la relation :

- a débuté avant la conclusion du contrat du 14 avril 2008 ainsi que le prouvent les deux factures adressées à la SAS Décors de Ferryville le 30 novembre 2007, la société Gapi Paints ne précisant pas en revanche les éléments établissant la commune intention des parties de continuer la relation initialement nouée avec la SA Pakameco en avril 2007 (pièce 79 de l'appelante) ;

- s'est poursuivie malgré l'absence de renouvellement ou de prorogation du terme le 31 décembre 2012 notifiée par la SAS Décors de Ferryville par courrier du 12 juin 2012 conformément à l'article 3 du contrat du 14 avril 2008 (pièces 7 et 9 de l'appelante). Ainsi, la SAS Décors de Ferryville a adressé à la société Gapi Paints des prévisionnels de commande les 23 avril 2013 et 30 mai 2014 respectivement pour les mois d'avril à juin 2013 puis de juin à octobre 2014 (pièces 13 et 14 de l'appelante).

Les parties ne fournissent aucun document comptable identifiant clairement et exhaustivement le chiffre d'affaires dégagé à l'occasion de la relation, les bilans produits (pièces 65 et 81 de l'appelante) ne permettant pas de déterminer la part de ce dernier dans le chiffre d'affaires global de la société Gapi Paints et de déduire de la seule baisse de 1,2 millions d'euros constatée en 2014 une réduction des commandes de la SAS Décors de Ferryville dont il est constant qu'elle n'était pas sa seule cliente (sa pièce 16). A cet égard, les factures et extraits de relevés de compte produits par la société Gapi Paints (ses pièces 16, 17 et 98), qui portent sur des commandes facturées pour un montant total avoisinant 1 300 000 euros en 2013 et 2 855 000 euros en 2014, ne correspondent pas aux chiffres qu'elle avance dans ses écritures. Le seul document éclairant est la pièce 83 de la société Gapi Paints destinée à justifier de sa marge moyenne mensuelle ; mais, ainsi que le soutient la SAS Décors de Ferryville dont la critique est générale (page 49 de ses écritures), il n'est pas probant puisqu'il a été rédigé par la société Gapi Paints sans la moindre certification et qu'il n'est pas accompagné des pièces justifiant des données qu'il compile. Aussi, la Cour n'est pas en mesure d'apprécier le flux d'affaires caractérisant la relation commerciale entre les parties.

- Sur l'imputabilité de la rupture des relations et le préavis suffisant

L'article L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Celui-ci, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entend du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), les éléments postérieurs ne pouvant être pris en compte pour déterminer sa durée (en ce sens, Com, 1er juin 2022, n° 20-18960). Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. En revanche, le comportement des partenaires consécutivement à la rupture est sans pertinence pour apprécier la suffisance du préavis accordé. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).

Au regard de la fonction du préavis, la date d'appréciation de la suffisance de sa durée est celle de la notification de la rupture qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second de se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Mais, la rupture, quoique brutale, peut être justifiée si elle est causée par une faute suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations commerciales (en ce sens, sur le critère de gravité, Com. 27 mars 2019, n° 17-16.548). La faute doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, du partenariat : son appréciation doit être objective, au regard de l'ampleur de l'inexécution et de la nature l'obligation sur laquelle elle porte, mais également subjective, en considération de son impact effectif sur la relation commerciale concrètement appréciée et sur la possibilité de sa poursuite malgré sa commission ainsi que du comportement de chaque partie.

La société Gapi Paints impute à la SAS Décors de Ferryville la rupture des relations commerciales établies en invoquant une diminution drastique des commandes en 2014 puis une rupture totale matérialisée par la cessation de toute commande à partir de novembre 2014, décision censée être exprimée par le courriel que lui a adressé la SAS Décors de Ferryville le 15 novembre 2014 (pièce 27 de l'appelante).

Ce dernier est ainsi rédigé :

" Nous avons un problème avec la commande allemande, en effet les quantités représente (sic) 66 mois de rotation de ventes. D'autre part, pour tout le reste des livraisons et comme je te l'ai dit, nous une chute de plus de 50 % des ventes, il faut donc stopper toutes les livraisons, le temps de faire un inventaire dans les magasins et demander l'exploitation. D'autre part, le commissaire aux compte (sic) nous a demandé des explications sur les stock (sic) défectueux et Polyuréthane qui est chez nous, à l'époque nous avons mise (sic) en stand-by car tu n'avais pas la place. Je vais donc informer la log pour t'affréter un camion avec les palettes. Concernant 2015, de combien penses-tu qu'on peut baisser le tarif GAPI à DDF ' Ceci va nous permettre de calculer le prév qui sera obligatoire pour le banquier ['] ".

Contrairement à ce que soutient la société Gapi Paints, ce courriel n'exprime aucune volonté de rupture mais souligne l'existence d'une difficulté ponctuelle impliquant des mesures, non d'annulation de commandes, mais de suspension de livraisons, qui sont par hypothèse temporaires et dont il n'est pas prétendu qu'elles soient en elles-mêmes fautives et non causées par des contraintes s'imposant à la SAS Décors de Ferryville, cette dernière évoquant d'ailleurs immédiatement la nécessité d'une négociation des prix pour établir le prévisionnel de ses commandes pour l'année 2015 et celles-ci ayant par la suite été passées.

Aussi, à défaut d'expression claire et univoque d'une intention de rupture par la SAS Décors de Ferryville, cette dernière ne peut résulter que d'une modification substantielle du flux d'affaires non consentie et non imputable à des contraintes exogènes imprévisibles. Mais, ainsi qu'il a été dit, la société Gapi Paints ne produit aucun élément fiable permettant de quantifier le flux d'affaires et d'apprécier ses variations. De ce seul fait, la diminution qu'elle allègue n'est pas caractérisée en sa mesure, peu important que la SAS Décors de Ferryville reconnaisse la réalité de son principe tout en contestant les chiffres qu'elle avance faute pour la Cour de pouvoir apprécier son caractère significatif ou substantiel. Par ailleurs, les prévisionnels qu'elle verse au débat révèlent que leur envoi n'était pas systématique (ses pièces 11 à 14) : si ceux de septembre et décembre 2011 couvrent de manière presque continue la période de novembre 2011 à juin 2012, hors mois de mars, celui d'avril 2013 débute en avril 2013, laissant une période de neuf mois sans prévisionnel à l'instar de celui de mai 2014 qui ne porte que sur les mois de juin à octobre 2014. Aussi, l'absence de communication d'un prévisionnel entre septembre 2014 et mars 2015 n'apparaît pas contraire aux usages des parties et ne caractérise à elle seule ni une intention de rompre ni la preuve d'une baisse substantielle des commandes.

En conséquence, la société Gapi Paints ne justifie pas l'existence d'une rupture partielle ou totale imputable à la SAS Décors de Ferryville en 2014.

Celle-ci estime pour sa part que celle-là a, en refusant d'exécuter la commande du 19 mars 2015, commis une faute et manifesté sa volonté de mettre un terme définitif aux relations commerciales. L'examen de ce moyen suppose d'apprécier préalablement la réalité de l'acceptation de la commande par la société Gapi Paints au sens des dispositions de la Convention de [Localité 2] invoquée par les parties, cette dernière contestant la formation du contrat litigieux quoiqu'elle oppose paradoxalement une exception d'inexécution, mécanisme de suspension des effets obligatoires d'un contrat par hypothèse valide ainsi que le précise clairement l'article 71 de cette convention.

Aux termes de l'article 14§1 de ce texte, une proposition de conclure un contrat adressée à une ou plusieurs personnes déterminées constitue une offre si elle est suffisamment précise et si elle indique la volonté de son auteur d'être lié en cas d'acceptation. Une proposition est suffisamment précise lorsqu'elle désigne les marchandises et, expressément ou implicitement, fixe la quantité et le prix ou donne des indications permettant de les déterminer.

Et, en vertu des articles 18§1 et 19 de cette convention, si une déclaration ou autre comportement du destinataire indiquant qu'il acquiesce à une offre constitue une acceptation, le silence ou l'inaction à eux seuls ne pouvant valoir acceptation, une réponse qui tend à être l'acceptation d'une offre, mais qui contient des additions, des limitations ou autres modifications, est un rejet de l'offre et constitue une contre-offre, sauf si ces éléments complémentaires ou différents n'altèrent pas substantiellement les termes de l'offre. Ainsi, des éléments complémentaires ou différents relatifs notamment au prix, au paiement, à la qualité et à la quantité des marchandises, au lieu et au moment de la livraison, à l'étendue de la responsabilité d'une partie à l'égard de l'autre ou au règlement des différends, sont considérés comme altérant substantiellement les termes de l'offre.

Par courriel du 19 mars 2015, la SAS Décors de Ferryville adressait à la société Gapi Paints une commande n° 7846 définissant des marchandises à livrer à une date à confirmer ainsi que des marchandises identifiées en leur qualité et quantité (pièces 1 et 2 de l'intimée). Ce document constituait ainsi une offre.

En retour, la société Gapi Paints écrivait le 20 mars 2015 qu'elle confirmait le prix de la commande mais qu'elle souhaitait une modification des conditions de règlement tout en précisant qu'elle préciserait dans " quelques jours " la date de livraison à raison de la nécessité de vérifier préalablement la disponibilité des emballages (pièce 3 de l'intimée). Puis, le 24 mars 2015, la société Gapi Paints annonçait une livraison le 15 avril suivant sauf pour un produit spécifique et rappelait la modification sollicitée (pièce 4 de l'intimée). La SAS Décors de Ferryville adressait sa facture en intégrant cette dernière le 27 mars 2015 (ses pièces 5 et 6) et, par courriel séparé du même jour (sa pièce 7), lui précisait, " dans l'attente de [sa] confirmation ", qu'elle devait être livrée le 13 avril 2015.

Si, à cette date, la contre-offre faite par la SAS Décors de Ferryville, ainsi qualifiée à raison de ses réserves sur les modalités de règlement qui altéraient substantiellement l'offre du 19 mars précédent au sens de l'article 19 de la Convention de [Localité 2], était acceptée par la SAS Décors de Ferryville, cette dernière introduisait néanmoins un élément complémentaire décisif tenant à la date de livraison des marchandises. Cette exigence supplémentaire, d'ailleurs explicitement formulée dans l'attente d'une confirmation, signe que l'accord des volontés était alors inexistant, supposait l'acceptation de la société Gapi Paints : le message du 27 mars 2015 constituait une nouvelle offre. Or, celle-ci expliquait par retour de courriel qu'elle ne pouvait exécuter la prestation attendue avant le 15 avril 2015 (pièce 8 de l'intimée). Soulignant le caractère essentiel de cette condition qui suspendait la rencontre des volontés, la SAS Décors de Ferryville indiquait : " nous ne pouvons attendre la semaine 17 pour être livrés car nous en rupture de plusieurs références. Si vous ne pouvez pas livrer avant le 15 avril 2015, nous serons dans l'obligation d'annuler notre commande " (sa pièce 9). Alors que son partenaire lui indiquait qu'il tenterait d'anticiper la livraison selon les disponibilités de son fournisseur, la SAS Décors de Ferryville proposait les 30 mars et 1er et 2 avril 2015 une exécution partielle le 9 avril 2015 (ses pièces 10 à 14) mais n'obtenait aucune réponse de la société Gapi Paints.

Dès lors, l'offre initiale puis modifiée de la SAS Décors de Ferryville n'a pas été acceptée par la société Gapi Paints et le contrat de vente allégué n'a pas été formé. Aussi, cette dernière n'a pas commis de manquement en n'exécutant pas la commande n° 7846, peu important la pertinence des motifs allégués et son invocation, impropre juridiquement, d'une exception d'inexécution. Le refus opposé est d'autant moins fautif que cette demande excédait les quantités annoncées dans le dernier prévisionnel communiqué (pièce 41 de l'appelante) et que la SAS Décors de Ferryville a réduit en cours de discussion les délais qui étaient dès l'origine particulièrement brefs.

Ainsi, le refus de commande opposé par la société Gapi Paints, fondé sur des difficultés matérielles insurmontables et annoncées en toute transparence à son partenaire, ne caractérise pas une rupture des relations qui lui serait imputable. Et, le courrier du conseil de la société Gapi Paints du 27 mars 2015 mettant en demeure la SAS Décors de Ferryville de s'acquitter des factures arrivées selon elle à échéance le 15 mars 2015 n'exprime à son tour pas une intention de rompre puisqu'il annonce exclusivement une suspension des livraisons dans l'attente d'un paiement intégral, cette dernière précisant, selon des formes usuelles, qu'elle considèrerait le contrat de fourniture résilié de son fait et saisirait la justice italienne (pièce 56 de l'appelante).

En pareilles circonstances, la cessation de toute commande postérieurement au mois de mars 2015 trouve sa cause non dans la faute ou la décision unilatérale d'une des parties mais dans une dégradation objective des relations, imputable à l'une autant qu'à l'autre et concomitante à l'échec de leur tentative de rapprochement, qui s'est notamment traduite par une multiplication des contestations portant sur les modalités de paiement et l'engagement parallèle de procédures judiciaires dont la diversité exprime l'altération irrémédiable de la confiance mutuelle qui préside à tout partenariat commercial. La rupture étant ainsi causée par un désaccord commun, les demandes des parties au titre de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce doivent être intégralement rejetées et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef par ces motifs substitués.

2°) Sur la responsabilité contractuelle de la SAS Décors de Ferryville

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la société Gapi Paints expose, au visa de l'article 74 de la convention de [Localité 2] et subsidiairement sur le fondement de l'article 11 du contrat de fourniture " implicitement reconduit par les usages des parties ", que le non-règlement dans les délais de ses factures lui a causé un préjudice distinct de celui causé par la brutalité de la rupture résidant, d'une part, dans le retard pris dans le remboursement des avances consenties pour acheter les matières premières nécessaires à la fabrication des marchandises livrées et dans l'impossibilité d'investir la somme correspondante, et, d'autre part, dans l'impossibilité d'écouler le stock qu'elle a dû constituer en contemplation des prévisionnels de commandes de la SAS Décors de Ferryville et qu'elle n'a pu exploiter à raison de la diminution du flux d'affaires en 2014.

En réponse, la SAS Décors de Ferryville explique que, les factures ayant été réglées avec les intérêts compensant le dommage né du retard dans le paiement, aucun préjudice n'est indemnisable à ce titre. Elle ajoute que le contrat du 14 avril 2008 a été résilié et ne peut de ce fait fonder une demande au titre des stocks. Elle précise enfin que la société Gapi Paints a constitué le stock litigieux d'initiative sans égard pour les durées de conservation des résines, celui-ci ne correspondant pas aux prévisionnels communiqués et aux commandes effectivement passées et n'étant pas valorisé à son prix de revient.

Réponse de la cour

- Sur le fondement de la Convention de [Localité 2]

Les parties ne contestent pas que le litige porte sur un contrat de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire réputé vente au sens de l'article 3 de la Convention de [Localité 2] du 11 avril 1980 et de ce fait soumis à ce texte ratifié par la France et l'Italie.

En application de son article 74, les dommages-intérêts pour une contravention au contrat commise par une partie sont égaux à la perte subie et au gain manqué par l'autre partie par suite de la contravention. Ces dommages-intérêts ne peuvent être supérieurs à la perte subie et au gain manqué que la partie en défaut avait prévus ou aurait dû prévoir au moment de la conclusion du contrat, en considérant les faits dont elle avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, comme étant des conséquences possibles de la contravention au contrat.

Et, conformément à son article 78, si une partie ne paie pas le prix ou toute autre somme due, l'autre partie a droit à des intérêts sur cette somme, sans préjudice des dommages-intérêts qu'elle serait fondée à demander en vertu de l'article 74.

Il est constant que la société Gapi Paints a été réglée de toutes les sommes qui lui étaient dues par la SAS Décors de Ferryville avec les intérêts moratoires de sa créance au titre des factures d'octobre à novembre 2014, sans lien avec le refus de commande de mars 2015, les développements de la SAS Décors de Ferryville à ce titre étant de ce fait indifférents. Le préjudice né du retard dans le paiement, qui n'est pas contesté, étant ainsi réparé, il lui appartient de prouver l'existence d'un préjudice distinct.

Elle invoque à ce titre :

- le retard pris dans le remboursement des avances consenties pour acheter les matières premières nécessaires à la fabrication des marchandises livrées, préjudice déjà réparé par l'allocation des intérêts moratoires de la créance ;

- l'impossibilité d'investir la somme correspondant à la dette de la SAS Décors de Ferryville. Il est exact que l'écoulement du temps peut générer un préjudice additionnel de trésorerie (ou financier) résidant dans la privation des sommes dues jusqu'à complet paiement ou réparation intégrale, celui-ci étant réparé par le paiement d'intérêts compensatoires. Cependant, si les intérêts moratoires sont dus de plein droit sans preuve d'une perte spécifique, l'allocation des intérêts compensatoires suppose la démonstration préalable par la partie qui s'en prétend victime d'un préjudice propre dont l'évaluation suppose la connaissance de l'usage qu'elle aurait fait des fonds dont elle a été privée ou de l'impact financier négatif (perte ou frais financiers) que la rétention injustifiée a directement engendré. Or, la société Gapi Paints, qui chiffre son préjudice de manière forfaitaire tous chefs confondus malgré leurs spécificités et l'impossibilité de leur confusion, n'identifie ni investissement qu'elle aurait souhaité réaliser ni frais effectivement supportés ou perte de rémunération escomptée d'un placement quelconque. Aussi, elle ne prouve pas le principe du préjudice qu'elle allègue ;

- l'impossibilité d'écouler le stock qu'elle a dû constituer en contemplation des prévisionnels de commandes de la SAS Décors de Ferryville et qu'elle n'a pu exploiter à raison de la diminution du flux d'affaires en 2014. Ce dommage, tel qu'il est présenté, trouve sa cause, non dans la tardiveté du paiement qui fonde exclusivement la demande, mais dans la rupture des relations commerciales, dont il est acquis qu'elle n'est pas imputable à l'une des parties en particulier et qui, s'inscrivant dans un mutuus dissensus, n'est pas fautive. En outre, la société Gapi Paints ne démontre pas que l'accumulation du stock qu'elle oppose (sa pièce 84) et dont elle avait l'entière maîtrise résulte d'un écart, fruit d'une faute ou d'une déloyauté de la SAS Décors de Ferryville, entre les commandes passées et les prévisionnels adressés. Cette hypothèse est d'ailleurs contredite par les pièces 107 à 110 de la SAS Décors de Ferryville qui révèlent qu'une part non négligeable du stock de la société Gapi Paints était constitué sans égard pour l'existence de commandes effectives. Aussi, ce préjudice est sans lien causal avec la faute alléguée.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé par ces motifs substitués en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Gapi Paints à ce titre.

- Sur le fondement du contrat du 14 avril

Il est constant que, par courrier du 12 juin 2012, la SAS Décors de Ferryville a notifié sa volonté de ne pas renouveler le contrat du 14 avril 2008 à son terme en usant régulièrement de la faculté que lui offrait son article 3 (pièces 7 et 9 de l'appelante). Elle y précisait qu'elle était disposée à " échanger sur une possible collaboration future " qui aurait cependant " une autre base " et serait conditionnée par une évolution des tarifs et de la qualité des produits. Il est ainsi certain qu'aucune des stipulations du contrat expressément non renouvelé n'a continué à produire ses effets, la SAS Décors de Ferryville invitant son partenaire à de nouvelles négociations portant sur les éléments essentiels de leurs relations. Et, rien ne démontre la commune intention des parties de soumettre leurs relations postérieures à l'article 11 régissant le sort du stock en cas de résolution, la société Gapi Paints ne précisant d'ailleurs pas quel " usage des parties " exprimerait la " reconduction implicite " des engagements qu'il prévoit. Le stock litigieux n'étant pas celui visé par ce texte qui ne concerne que les marchandises existantes au jour de la rupture du contrat du 31 décembre 2012, le fondement subsidiaire de la demande de la société Gapi Paints est inadéquat.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la société Gapi Paints à ce titre.

3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, sauf en ce qu'il a précisé que la condamnation aux dépens l'était in solidum, chaque partie étant condamnée à supporter les dépens de première instance qu'elle a engagés.

Succombant, la société Gapi Paints, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SAS Décors de Ferryville la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a condamné les parties in solidum aux dépens ;

Statuant à nouveau de ce chef infirmé,

Condamne chaque partie à supporter la charge des dépens de première instance qu'elle a engagés ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la société Gapi Paints au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société Gapi Paints à payer à la SAS Décors de Ferryville la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Gapi Paints à supporter les entiers dépens d'appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE

S.MOLLÉ A.BODARD-HERMANT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/18513
Date de la décision : 29/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-29;21.18513 ?
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