La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/05/2024 | FRANCE | N°21/09861

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 29 mai 2024, 21/09861


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 29 MAI 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09861 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXW7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F19/07658



APPELANT



Monsieur [C] [H] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 0

6 Juillet 1944 à [Localité 5] ALLEMAGNE



Représenté par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050



INTIMEE



Société THE RITZ HOTEL LIMITED LIMITED

[Adresse 1]

[Localité ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 29 MAI 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09861 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXW7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F19/07658

APPELANT

Monsieur [C] [H] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 06 Juillet 1944 à [Localité 5] ALLEMAGNE

Représenté par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

INTIMEE

Société THE RITZ HOTEL LIMITED LIMITED

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 572 219 913

Représentée par Me Arnaud GUYONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Stéphane MEYER,

M. Fabrice MORILLO, Conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mai 1979, M. [C] [U] a été engagé en qualité de directeur général exécutif de l'hôtel Ritz par la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL).

Suivant courrier remis en main propre du 31 octobre 2018, la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) a notifié à M. [U] sa décision de procéder à sa mise à la retraite, et ce avec application d'un préavis contractuel de 6 mois, soit jusqu'au 30 avril 2019.

Suivant mail du 13 février 2019, la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) a confirmé à M. [U] la prolongation d'un commun accord de son préavis au 31 décembre 2019 inclus, M. [U] y ayant apposé la mention « bon pour accord » le 10 avril 2019.

Suivant courrier remis en main propre le 20 juin 2019, la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) a notifié à M. [U] sa décision de le dispenser de l'exécution de son préavis à compter de ce jour jusqu'à l'expiration de celui-ci.

M. [U] a saisi la juridiction prud'homale le 23 août 2019 aux fins de notamment obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de lui voir produire les effets d'un licenciement nul, subsidiairement, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 3 novembre 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant sous la présidence du juge départiteur, a :

- qualifié le contrat de travail ayant lié les parties à compter du 1er mai 2019 en contrat de travail à durée indéterminée,

- dit que la rupture dudit contrat de travail est intervenue à la date du 31 décembre 2019,

- prononcé la résiliation du contrat de travail liant les parties aux torts exclusifs de la société THE RITZ HOTEL LIMITED à la date du 31 décembre 2019,

- fixé la moyenne de salaire de M. [U] à la somme de 46 896,95 euros bruts,

- condamné la société THE RITZ HOTEL LIMITED à payer à M. [U] les sommes suivantes:

- 140 690,85 euros bruts à titre d`indemnité compensatrice de préavis,

- 14 069 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 7 816,08 euros à titre d`indemnité légale de licenciement,

- 45 000 euros à titre d`indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2 500 euros au titre des dispositions de l`article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société The Ritz Hotel Limited de ses demandes reconventionnelles,

- rappelé que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire en application des dispositions de l`article R. l454-28 du code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois qui est de 45 510,81 euros,

- débouté M. [U] du surplus de ses demandes,

- débouté la société THE RITZ HOTEL LIMITED de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société THE RITZ HOTEL LIMITED aux dépens.

Par déclaration du 1er décembre 2021, M. [U] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 6 novembre 2021.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 juin 2022, M. [U] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a qualifié le contrat de travail ayant lié les parties à compter du 1er mai 2019 en contrat à durée indéterminée et prononcé sa résiliation judiciaire aux torts de l'employeur,

- l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à durée indéterminée en vigueur depuis le 1er mai 2019 aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul, subsidiairement d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce au 3 novembre 2021,

- condamner la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) à lui payer les sommes suivantes:

- 1 062 616,84 euros bruts au titre des salaires non-perçus de janvier 2020 jusqu'au 3 novembre 2021, date du jugement rendu par le conseil de prud'hommes,

- 156 627,93 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 15 662,79 euros à titre de congés payés sur préavis,

- 26 104,65 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 783 139,65 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement 156 627,93 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10 000 euros au titre du préjudice subi en raison de la mauvaise foi de la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL),

- 626 511,72 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,

- enjoindre à la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) de lui remettre des bulletins de salaire depuis janvier 2020 sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision,

- condamner la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouter la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) de toutes ses demandes.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 mai 2022, la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail né le 1er mai 2019 est intervenue au 31 décembre 2019 et en ce qu'il a débouté M. [U] de ses demandes de rappel de salaire depuis le 1er janvier 2020, d'indemnité pour circonstances vexatoires et d'indemnité pour mauvaise foi de l'employeur,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- condamner M. [U] au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance sur incident du 8 septembre 2022, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel a :

- dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité de la déclaration d'appel,

- dit n'y avoir lieu à prononcer l'irrecevabilité des conclusions notifiées par M. [U] le 24 février 2022,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance au fond.

Par arrêt du 12 avril 2023, la cour d'appel, statuant en déféré, a :

- confirmé l'ordonnance entreprise,

- condamné la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles du déféré ainsi qu'aux dépens de déféré,.

- renvoyé l'affaire à la mise en état en vue de sa fixation.

L'instruction a été clôturée le 31 janvier 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 février 2024.

MOTIFS

Sur la qualification de la relation contractuelle à compter du 1er mai 2019

L'appelant fait valoir qu'après avoir été mis à la retraite par son employeur le 31 octobre 2018, à effet au 30 avril 2019, la société intimée a cependant souhaité, afin d'organiser l'accueil et la passation de pouvoir au nouveau directeur général prenant ses fonctions à l'hôtel Ritz, qu'il continue d'occuper son poste jusqu'au 31 décembre 2019, l'intéressé indiquant que la juridiction prud'homale a justement constaté l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée le liant à la société intimée depuis le 1er mai 2019 en l'absence de contrat à durée déterminée signé par les parties. Il souligne avoir régulièrement refusé de signer un projet de contrat de travail à durée déterminée d'une durée de 4 mois (du 2 mai au 31 août 2019) en ce qu'il ne reprenait pas l'échéance initialement convenue lorsque la question du prolongement de sa période de préavis avait été évoquée, à savoir le 31 décembre 2019, aucun autre contrat à durée déterminée ne lui ayant ensuite été transmis par l'employeur.

La société intimée réplique que l'appelant s'est unilatéralement affranchi de son accord sur une prolongation du préavis au 31 décembre 2019 et a refusé de régulariser le contrat de travail à durée déterminée établi par la direction des ressources humaines pour tenir compte de la liquidation de sa retraite au 1er mai 2019. Elle souligne avoir été dans l'obligation de lui notifier une dispense d'activité en réponse à son refus injustifié et déloyal de signer le contrat de travail à durée déterminée pour revendiquer un contrat à durée indéterminée en violation de son engagement du 10 avril 2019 sur une sortie des effectifs au 31 décembre 2019, ledit refus faisant en outre obstacle à sa demande de reconnaissance d'un contrat de travail à durée indéterminée.

Selon l'article L. 1221-2 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail.

Toutefois, le contrat de travail peut comporter un terme fixé avec précision dès sa conclusion ou résultant de la réalisation de l'objet pour lequel il est conclu dans les cas et dans les conditions mentionnés au titre IV relatif au contrat de travail à durée déterminée.

Aux termes de l'article L. 1242-7 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée comporte un terme fixé avec précision dès sa conclusion, l'article L. 1242-12 disposant que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif.

En l'espèce, il est établi que le contrat de travail à durée indéterminée liant les parties depuis le 1er mai 1979 a effectivement été rompu à la date du 30 avril 2019 ainsi que cela résulte du certificat de travail et du solde de tout compte établis par la société intimée, du mail de M. [S] (« director » de la société intimée) du 30 avril 2019 et du mail de l'avocat de l'employeur du 9 mai 2019.

S'agissant de la période postérieure courant à compter du 1er mai 2019, les parties étant initialement convenues de maintenir leurs relations contractuelles jusqu'au 31 décembre 2019 ainsi que cela résulte du mail de l'employeur du 13 février 2019 et de l'accord du salarié du 10 avril 2019, il sera relevé à titre liminaire qu'aucun contrat de travail à durée déterminée n'a été effectivement signé par les parties.

Si la société intimée indique que l'appelant a refusé de mauvaise foi de signer le contrat de travail à durée déterminée lui ayant été transmis par la direction des ressources humaines qui correspondait en tous points à son accord de rester dans l'entreprise jusqu'au 31 décembre 2019, il apparaît cependant que le contrat de travail à durée déterminée finalement soumis à l'accord du salarié ne prévoyait qu'une durée de 4 mois (du 2 mai au 31 août 2019) ne correspondant pas à l'accord de volonté précité ainsi qu'au projet de contrat à durée déterminée initialement préparé par la direction des ressources humaines prévoyant une période d'exécution du 1er mai au 31 décembre 2019, M. [S] ayant en effet expressément demandé à la directrice des ressources humaines (mail susvisé du 30 avril 2019) de lui adresser un projet de contrat modifié en ce sens.

Il sera de surcroît observé qu'aucun élément versé aux débats par l'intimée ne permet d'établir que le projet initial de contrat de travail à durée déterminée (prévoyant une période d'exécution du 1er mai au 31 décembre 2019) aurait effectivement été transmis à l'appelant, le seul mail produit en date du 29 avril 2019 étant uniquement adressé par la directrice des ressources humaines à M. [N] (en qualité de director) et ne visant qu'un simple projet de contrat restant à compléter par les soins de ce dernier ainsi que cela ressort des nombreuses mentions non renseignées dans le document en pièce n°8 de l'employeur, de sorte que la société intimée ne peut sérieusement prétendre avoir adressé à l'appelant un contrat de travail à durée déterminée conforme à l'accord de volonté des parties, que ce dernier aurait ensuite délibérément refusé de signer de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse.

Dès lors, en l'absence de tout contrat de travail à durée déterminée écrit régulièrement conclu par les parties, il apparaît que les premiers juges ont justement retenu que les parties étaient nécessairement liées par un contrat de travail à durée indéterminée de droit commun courant à compter du 1er mai 2019. Le jugement sera dès lors confirmé de ce chef.

Sur la résiliation judiciaire

L'appelant fait valoir qu'au regard des graves manquements de la société intimée à ses obligations afférentes à l'exécution du contrat de travail à durée indéterminée (prétendue dispense d'exécution de préavis notifiée le 20 juin 2019 constitutive en réalité d'une mise à pied disciplinaire prise en dehors de tout cadre légal et ayant pour conséquence de l'empêcher d'exercer ses fonctions, puis coupure de tout accès à sa messagerie professionnelle) ne lui permettant plus d'exercer ses fonctions, la résiliation judiciaire de son contrat de travail à durée indéterminée aux torts de l'employeur doit être prononcée. Il précise que les agissements de l'employeur à son encontre doivent s'analyser comme étant constitutifs d'un harcèlement moral et que la résiliation judiciaire doit ainsi produire les effets d'un licenciement nul, et ce au 3 novembre 2021, date du jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il est toujours resté au service de son employeur.

La société intimée réplique que la demande de résiliation judiciaire est infondée en ce que la relation contractuelle a été rompue par la simple arrivée du terme convenu du contrat de travail à durée déterminée au 31 décembre 2019. Il précise que la seule opposition des parties sur les modalités permettent de respecter l'accord sur une sortie des effectifs au 31 décembre 2019 ne peut aucunement s'analyser comme du harcèlement moral.

Selon l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord.

Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements de son employeur à ses obligations, suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, le juge, saisi d'une telle demande, devant examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté, de sorte que l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être introduite tant que ce contrat n'a pas été rompu, quelle que soit la date des faits invoqués au soutien de la demande, la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, ou nul, notamment lorsqu'elle est fondée sur des faits de harcèlement moral.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte par ailleurs de l'article L. 1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, le salarié, qui indique avoir été écarté de ses fonctions dès le mois de décembre 2018, que suite à la décision de sa mise en retraite à effet au 30 avril 2019 et à l'accord de volonté des parties quant au maintien de leurs relations contractuelles jusqu'au 31 décembre 2019, l'employeur a cherché à lui imposer la signature d'un contrat de travail à durée déterminée ne correspondant pas à l'accord de volonté initial, ce qu'il a légitimement refusé, qu'il a alors continué à exercer ses fonctions à compter du 1er mai 2019 sans qu'aucun nouveau contrat de travail à durée déterminée ne lui soit proposé, et ce avant de finalement faire l'objet d'une mesure d'éviction le 20 juin 2019 en application d'une prétendue dispense d'exécution de préavis constitutive d'une mise à pied disciplinaire prise en dehors de tout cadre légal, l'accès à sa messagerie professionnelle lui ayant également été supprimé, ces agissements ayant eu un retentissement sur ses conditions de travail en ce qu'il a ainsi fait l'objet de décisions unilatérales, contradictoires et parfaitement inadéquates, produit les éléments suivants :

- le courrier de l'employeur du 31 octobre 2018 lui notifiant sa décision de procéder à sa mise à la retraite, avec application d'un préavis contractuel de 6 mois, soit jusqu'au 30 avril 2019,

- différents échanges de mails avec la direction de la société intimée concernant la poursuite des relations contractuelles pour la période courant à compter du 1er mai 2019 et notamment les mails de la société intimée des 13 février et 30 avril 2019,

- le courrier de l'employeur du 20 juin 2019 lui notifiant sa décision de le dispenser de l'exécution de son préavis à compter de ce jour jusqu'à l'expiration de celui-ci,

- un procès-verbal de constat d'huissier de justice du 27 juin 2019 faisant état de l'impossibilité pour le salarié de se connecter à sa messagerie professionnelle avec ses précédents identifiants,

- le relevé des questions/réponses des délégués du personnel du 10 juillet 2019 faisant état de la surprise de ces derniers quant au départ de l'appelant « qui, après 40 ans de Ritz n'a pas su ou pu nous dire au revoir »,

- un certificat médical du 10 juillet 2019 mentionnant que l'appelant présente un « syndrome anxio-dépressif réactionnel à un choc psychologique récent » ainsi qu'un certificat médical du 29 août 2019 mentionnant qu'il présente « une insomnie et une anxiété moyenne en rapport, d'après ses dires, avec des soucis professionnels »,

- deux attestations établies par la directrice des ressources humaines (Mme [R]),

- un courrier de l'employeur du 5 décembre 2019 l'informant que son contrat de travail prendra fin le 31 décembre 2019 conformément à la durée déterminée qui avait été convenue.

Concernant les affirmations du salarié relatives au fait qu'il aurait été écarté de ses fonctions dès le mois de décembre 2018, il apparaît que celles-ci ne résultent que des seules allégations de l'appelant qui, soit ne produit pas d'éléments pour les corroborer, soit produit des éléments étant sans rapport avec ses allégations, de sorte que lesdits agissements ne sont ainsi pas établis dans leur matérialité.

S'agissant des autres agissements invoqués précités, il apparaît que le salarié présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement, lesdits éléments faisant état de la mise en 'uvre par la direction de la société intimée de pratiques managériales génératrices d'anxiété et de perte de confiance se manifestant par la prise de décisions unilatérales et contradictoires consistant, après accord de volonté des parties quant au maintien de leurs relations contractuelles jusqu'au 31 décembre 2019, à tenter de lui imposer la signature d'un contrat de travail à durée déterminée ne correspondant pas à l'accord de volonté précité, puis, postérieurement au refus légitime de l'appelant de signer ledit contrat de travail et après l'avoir laissé travailler à compter du 1er mai 2019 sans lui avoir proposé la signature d'un nouveau contrat à durée déterminée, à lui notifier de manière soudaine et brutale, suivant courrier remis en main propre du 20 juin 2020, qu'il était dispensé de l'exécution de son préavis à compter de ce jour jusqu'à l'expiration de celui-ci et qu'il ne devait plus se présenter à son poste de travail, ses accès à sa messagerie professionnelle étant dans le même temps supprimés, lesdits agissements ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail, de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ainsi que d'altérer sa santé physique et mentale ainsi que cela résulte des éléments médicaux concordants versés aux débats.

La société intimée se limitant principalement en réplique à contester les affirmations du salarié et à critiquer les pièces produites par ce dernier en soulignant que les différents agissements allégués par le salarié ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral en ce qu'ils se rapportent à la seule manifestation d'un désaccord quant aux modalités permettant de respecter l'accord donné sur une sortie des effectifs au 31 décembre 2019, la cour retient que l'employeur ne démontre pas, mises à part ses seules affirmations de principe et en l'absence de production en réplique d'éléments de preuve suffisants de nature à les corroborer, que les agissements litigieux ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que les différentes décisions précitées étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il sera ainsi notamment relevé que, contrairement à ce que soutient l'intimée et à ce qu'ont retenu à tort les premiers juges, les agissements litigieux excédaient la simple manifestation de désaccords entre les parties sur les modalités de la poursuite de la relation de travail après la décision de mise à la retraite de l'appelant, en ce qu'il résulte des développements précédents que ce dernier était en droit de refuser de signer le contrat de travail à durée déterminée non conforme à l'accord de volonté initial sans se voir imputer une quelconque mauvaise foi ou intention frauduleuse, la relation de travail s'étant donc poursuivie dans le cadre d'un nouveau contrat de travail à durée indéterminée en l'absence de toute proposition/signature d'un autre contrat de travail à durée déterminée régulier, de sorte que l'employeur ne peut sérieusement prétendre que la soudaine mise à l'écart du 20 juin 2020, sous forme de dispense de préavis rémunérée, résulterait de la propre attitude du salarié visant à se prévaloir d'un contrat de travail à durée indéterminée en violation de l'accord donné.

Au surplus, il sera observé que la dispense de préavis litigieuse était en toute hypothèse manifestement contradictoire et incompatible avec les propres affirmations de la société intimée quant à l'exécution d'un contrat de travail à durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2019.

Dès lors, au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour retient l'existence d'agissements de harcèlement moral subis par l'appelant, et ce par infirmation du jugement.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Au vu de l'ensemble des développements précédents, l'employeur ayant manqué à ses obligations en matière de harcèlement moral, ledit manquement apparaissant à lui-seul d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour confirme le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, ladite résiliation judiciaire devant cependant produire, compte tenu des agissements de harcèlement moral précités, les effets d'un licenciement nul, et ce par infirmation du jugement.

Par ailleurs, étant rappelé qu'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date et que le salarié est toujours au service de l'employeur, outre le fait que la société intimée a effectivement fait part à l'appelant de sa volonté de rompre la relation de travail à la date du 31 décembre 2019, la cour retient également que celle-ci démontre que l'appelant, qui avait déjà fait valoir ses droits à la retraite, ne s'est plus tenu à sa disposition postérieurement au 31 décembre 2019, cette dernière date correspondant effectivement à l'accord précité intervenu entre les parties concernant le maintien provisoire des fonctions du salarié au sein de l'entreprise.

Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu'il a fixé la date d'effet de la résiliation judiciaire au 31 décembre 2019 et en ce qu'il a en conséquence débouté le salarié de ses demandes de rappel de salaires pour la période postérieure courant à compter du 1er janvier 2020, de remise de bulletins de paie sous astreinte ainsi que de dommages-intérêts pour mauvaise foi de l'employeur.

Sur les conséquences financières de la rupture

S'agissant des indemnités de rupture, en application des dispositions des articles L. 1234-1 et suivants ainsi que R. 1234-1 et suivants du code du travail outre celles de la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR), la cour accorde à l'appelant, sur la base d'une rémunération de référence de 48 082,21 euros telle qu'elle ressort des bulletins de paie versés aux débats, une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 144 246,63 euros (correspondant à un préavis d'une durée de 3 mois) outre 14 424,66 euros au titre des congés payés y afférents ainsi qu'une indemnité légale de licenciement d'un montant de 11 018,84 euros (compte tenu d'une ancienneté globale incluant la durée du préavis), et ce par infirmation du jugement.

Il résulte de l'article L. 1235-3-1 du code du travail que l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d'une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1235-3-2 du code du travail, lorsque la rupture du contrat de travail est prononcée par le juge aux torts de l'employeur ou fait suite à une demande du salarié dans le cadre de la procédure mentionnée à l'article L. 1451-1, le montant de l'indemnité octroyée est déterminé selon les règles fixées à l'article L. 1235-3, sauf lorsque cette rupture produit les effets d'un licenciement nul afférent aux cas mentionnés au 1° à 6° de l'article L. 1235-3-1, pour lesquels il est fait application du premier alinéa du même article L. 1235-3-1.

En l'espèce, eu égard à l'ancienneté dans l'entreprise (8 mois), à l'âge du salarié (75 ans) et à sa rémunération de référence précitée lors de la rupture du contrat de travail (48 082,21 euros) et en l'absence d'élément produit concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, la cour lui accorde la somme de 290 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, et ce par infirmation du jugement.

S'agissant de la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, si l'appelant indique que son employeur a sollicité qu'il continue à exercer ses fonctions après sa mise en retraite pour, sans aucun motif et brutalement, lui interdire de se présenter à l'hôtel quelques semaines plus tard, l'empêchant de saluer les salariés et d'expliquer son départ, cette éviction inexpliquée ajoutée à l'interruption de son accès à sa boîte mail professionnelle ayant nécessairement terni son image et sa réputation, la cour ne peut cependant que relever, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part ses propres affirmations, que l'intéressé ne justifie pas du principe et du quantum du préjudice allégué ni en toute hypothèse de son caractère distinct des seuls effets de la rupture déjà réparés par l'attribution des sommes et indemnités précitées, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef.

Sur les autres demandes

Selon l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à l'employeur fautif de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités.

L'employeur, qui succombe, supportera les dépens d'appel.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera condamné à payer au salarié la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris

dans les dépens exposés en cause d'appel, la somme accordée en première instance étant confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté M. [U] de ses demandes afférentes au harcèlement moral, en ce qu'il a dit que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que sur le montant du salaire de référence et des indemnités de rupture ;

LE CONFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement nul ;

CONDAMNE la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) à payer à M. [U] les sommes suivantes :

- 144 246,63 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 14 424,66 euros au titre des congés payés y afférents,

- 11 018,84 euros à titre de d'indemnité légale de licenciement,

- 290 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

CONDAMNE la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) aux dépens d'appel ;

CONDAMNE la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ;

ORDONNE à la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées à M. [U] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités ;

DÉBOUTE M. [U] du surplus de ses demandes ;

DÉBOUTE la société THE RITZ HOTEL LIMITED (RHL) du surplus de ses demandes reconventionnelles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 21/09861
Date de la décision : 29/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-29;21.09861 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award