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28/05/2024 | FRANCE | N°21/08425

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 28 mai 2024, 21/08425


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 28 MAI 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08425 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEPJK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 19/00808



APPELANT



Monsieur [U] [P]

[Adresse 2]

[LocalitÃ

© 3]

Représenté par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050



INTIMEES



SAS DOCAPOSTE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat a...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 28 MAI 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08425 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEPJK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F 19/00808

APPELANT

Monsieur [U] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

INTIMEES

SAS DOCAPOSTE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

S.A.S. DOCAPOSTE IOT

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés,les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] [P], né en 1973, a été engagé par la S.A.S. Docaposte, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 mars 2015 en qualité de directeur de projet marketing stratégique et partenariat.

Les parties étaient soumises à la convention collective nationale Syntec.

Demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et diverses indemnités, M. [P] a saisi le 14 juin 2019 le conseil de prud'hommes de Créteil de diverses demandes formulées à l'encontre des sociétés Docaposte et Docaposte OIT.

Par lettre datée du 11 juin 2019, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 24 juin 2019.

M. [P] a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 5 juillet 2019, présentée le 8 juillet 2019.

A la date du licenciement, M. [P] avait une ancienneté de 4 ans et 4 mois, et la société Docaposte occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Le conseil de prud'hommes de Créteil par jugement du 7 septembre 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- dit que le licenciement pour cause réelle et sérieuse est bien fondé,

- condamne la société Docaposte à verser à M. [P] les sommes suivantes :

- 11 375 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

- 1300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- déboute M. [U] [P]de ses autres demandes,

- déboutent les sociétés Docaposte et Docaposte IOT de leur demande d'article 700 du code de procédure civile,

- met les dépens à la charge de la société Docaposte.

Par déclaration du 7 octobre 2021, M. [P] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 20 septembre 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 5 juillet 2022, M. [P] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 7 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il a :

- dit que le licenciement pour cause réelle et sérieuse est bien fondé et débouté M. [P] de ses demandes tendant à voir :

- condamner les sociétés Docaposte et Docaposte IOT à payer à M. [P] les sommes suivantes:

- dommages et intérêts pour licenciement nul : 136.385,04 euros,

- dommages et intérêts pour licenciement irrégulier : 11.365,42 euros,

- dommages et intérêts pour travail dissimulé : 68.192,52 euros,

- dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité : 68.192,52 euros,

- dommages et intérêts pour harcèlement moral : 68.192,52 euros,

- dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail : 34.096,26 euros,

- ordonner la condamnation des sociétés Docaposte et Docaposte IOT aux intérêts légaux à compter de sa convocation en bureau de conciliation et d'orientation,

- ordonner le remboursement des allocations Pôle emploi,

- ordonner la remise des bulletins de paie et des documents de fin de contrat rectifiés conformes, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, que le conseil de prud'hommes se réserve le droit de liquider,

- condamner les sociétés Docaposte et Docaposte IOT aux entiers dépens,

et statuant à nouveau :

- fixer le salaire mensuel brut de référence à la somme de 11.365,42 euros,

- constater la situation de co-emploi entre les sociétés Docaposte et Docaposte IOT,

à titre principal : prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,

à titre subsidiaire :

- dire et juger le licenciement nul,

à titre infiniment subsidiaire :

- dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence :

condamner les sociétés Docaposte et Docaposte IOT à payer à M. [P] les sommes suivantes:

- dommages et intérêts travail dissimulé : 68.192,52 euros,

- dommages et intérêts licenciement nul (à titre principal) ou sans cause réelle et sérieuse (à titre subsidiaire) : 136.385,04 euros,

- dommages et intérêts licenciement brutal et vexatoire : 11.365,42 euros,

- dommages et intérêts licenciement irrégulier : 11.365,42 euros,

- dommages et intérêts manquement à l'obligation de sécurité : 68.192,52 euros,

- dommages et intérêts harcèlement moral : 68.192,52 euros,

- dommages et intérêts exécution déloyale du contrat de travail : 34.096,26 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 4.500 euros,

- ordonner la condamnation des sociétés Docaposte et Docaposte IOT aux intérêts légaux, à compter de la notification du jugement s'agissant des créances indemnitaires et à compter de la convocation des sociétés défenderesses devant le bureau de conciliation s'agissant des créances de nature salariale,

- ordonner la remise des bulletins de paie et documents de fin de contrat conformes, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, que la cour se réserve le droit de liquider,

- ordonner le remboursement des allocations Pôle emploi,

- débouter les sociétés Docaposte et Docaposte IOT de leur appel incident et de toutes leurs demandes,

- condamner les sociétés Docaposte et Docaposte IOT à payer à monsieur [P] une somme supplémentaire de 4.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'instance, dont le montant sera recouvré par la SCP Regnier Bequet Moisan, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 avril 2022, les société Docaposte et Docaposte IOT demandent à la cour de :

- juger les sociétés Docaposte et Docaposte IOT recevables et bien fondées en leurs demandes et appels incidents,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 7 septembre 2021 en ce qu'il a:

- condamné la société Docaposte à verser à M. [P] les sommes suivantes :

- 11.365,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

- 1.300,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les sociétés Docaposte et Docaposte IOT de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 7 septembre 2021 en ce qu'il a débouté M. [P] de toutes ses autres demandes et jugé les demandes au titre du co-emploi irrecevables,

en conséquence, statuant à nouveau,

à titre principal

- juger que la cour de céans n'est saisie d'aucune prétention de M. [P] figurant dans le dispositif de sa requête du 14 juin 2019 reçue le 17 au greffe, de ses conclusions du 23 mars 2021, ainsi que dans le dispositif de ses conclusions d'appel du 6 janvier 2022 et commençant par « dire et juger que--------- », « constater que ------- », « prononcer ----------- », au titre de la résiliation judiciaire, la nullité du licenciement et l'absence de cause réelle et sérieuse,

- juger irrecevables les demandes de M. [P] au titre d'une prétendue situation de co-emploi entre les sociétés Docaposte Sas et Docaposte IOT et au titre d'un prétendu travail dissimulé,

à titre subsidiaire, et en tout état de cause,

- juger que le licenciement de M. [P] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter purement et simplement M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [P] à verser aux sociétés Docaposte et Docaposte IOT une somme de 2.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [P] aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de Me François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 décembre 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 14 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION:

Il convient de rappeler à titre liminaire que par application de l'article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures des parties en cause d'appel, ce que ne sont pas au sens de ces dispositions des demandes visant seulement à 'dire' ou 'constater' un principe de droit ou une situation de fait.

- Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail:

Pour infirmation du jugement, M. [P] fait valoir qu'il s'est vu dans le contexte de la réorganisation des sociétés du groupe Dacoposte et après l'arrivée d'un nouveau Responsable Hub Numérique, M. [W] [D], dépossédé d'une grande partie de ses responsabilités son poste ayant en définitive été supprimé. Il affirme avoir subi une dégradation de ses conditions de travail ayant porté atteinte à sa santé et avoir été victime d'agissement de harcèlement moral.

Les sociétés intimées contestent toute modification des éléments essentiels du contrat de travail et tout acte de harcèlement moral et affirme que l'obligation de sécurité de l'employeur a été respectée.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée en justice par le salarié lorsque l'employeur n'exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements qui lui sont reprochés présentent un caractère de gravité suffisant de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Lorsque la résiliation judiciaire est prononcée elle est assimilée dans ses effets à un licenciement sans cause réelle ou sérieuse, ou à un licenciement nul lorsqu'elle résulte notamment d'un harcèlement moral.

Aux termes des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l'application des dispositions de l'article précité, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Par ailleurs l'article L 4121-1 du code du Travail dispose que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent:

1) des actions de prévention des risques professionnels

2) des actions d'information et de formation

3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En vertu de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

En l'espèce, le salarié qui affirme avoir été victime de harcèlement moral présente les éléments de faits suivants:

- la mise en place d'une réorganisation stratégique du groupe fin 2018 aux termes de laquelle M. [W] [D] a été recruté au poste de Responsable du Hub informatique, créant un échelon intermédiaire entre lui et Mme [F], Directrice générale Hub Numérique Digiposte et Santé auprès de qui il rapportait avant la réorganisation.

- un échange de mail entre lui et M. [D] en date du 30 avril 2019 par lequel il s'étonne d'un appel téléphonique passé par M. [D] à un autre salarié, à son insu, pour évoquer un sujet qu' ils venaient de traiter ensemble, M. [D] ayant répondu qu'il n'y avait eu aucune volonté de le court-circuiter mais qu'il entendait son point de vue et qu'à l'avenir il ferait attention.

- le courrier recommandé adressé le 17 mai 2019 par son avocat à son employeur pour dénoncer des faits de harcèlement moral.

- un mail adressé le 9 avril 2019 à Mme [F] son ancienne Responsable dans lequel il indique ' Comme tu dois le savoir, [W] (C) m'a annoncé il y a une dizaine de jours (vendredi) que mon poste était supprimé (et que du coup le sujet de mes objectifs qui était l'objet de la réunion n'en n'était plus un). ... [W] m'a fait savoir qu'il fallait prévoir une mobilité interne 'asap'... j'aurais aimé en parler avec toi...'

- un sms du 29 mars 2019 par lequel il indique ' ça y est. Il m'a dit que mon poste était supprimé. Asap'

- un mail adressé par M .[P] à M. [D] le 10 avril 2019 indiquant ' même si tu ne me fixes pas d'objectifs, j'aimerai malgré tout pouvoir finaliser les entretiens et objectifs de [I], [X] et [O]', les objectifs du salarié ayant en définitive été fixés par M. [D] par mail du 21 mai 2019, 3 jours après que M. [P] ait dénoncé par l'intermédiaire de son avocat des faits de harcèlement moral.

- les éléments d'une enquête interne révélant que M. [P] avait fait part en mars 2019 à plusieurs salariés de l'entreprise du fait que M. [D] lui avait annoncé la suppression de son poste dans les plus brefs délais, les salariés entendus ayant constaté l'état de fatigue inhabituel et le malaise de M. [P]. M. [E] précise en outre ' avoir à la demande M. [P] du le rajouter à de très nombreuses reprises à ses échanges avec M. [D] et 'avoir eu l'impression que certains sujets s'organisaient comme si M. [P] n'était plus en poste'. M. [K] indique quant à lui avoir constaté depuis janvier 2019 qu'il n'existait plus de vraie stratégie de développement business et que M.[P], lors d'un échange informel en mars/avril 2019 s'était étonné de ne plus être convié à certains RV clients. M.[G] indiquait de son coté que M. [P] lui avait fait part de son malaise lui exposant qu'il avait de moins en moins de responsabilité.

- le compte rendu de l'entretien préalable au licenciement au cours duquel, la société Docaposte expose, d'une part, n'avoir aucun grief à formuler à l'encontre de M. [P] mais lui reproche d'avoir dénoncé les faits de harcèlement moral que M. [D] lui aurait fait subir, sans en avoir préalablement informé ni ce dernier ni la DRH et d'avoir continué à travailler normalement et lui demande, d'autre part, de ne plus venir travailler.

- le courrier du 26 juin 2019 par lequel il lui est demandé de remettre son matériel, son badge, ses clés, son bip, le licenciement n'ayant été prononcé que le 5 juillet .

- Une attestation d'un ancien collègue M. [A] indiquant que la situation de M.[P] s'était fragilisée et dégradée suite à la réorganisation de l'entreprise mentionnant que M.[P] lui avait fait part des faits suivants:

. sa totale surprise lors de la brutale annonce de la réorganisation de l'entreprise

. son exclusion du Codir

. des faits concourant à une placardisation

. l'annonce fin mars par son manager de la suppression de son poste

. l'absence de piste de reclassement

. l'absence d'accompagnement de la DRH

Ce salarié précise n'avoir jamais entendu d'autres collègues infirmer les faits mentionnés par M.[P] lorsqu'ils discutaient de la situation de ce dernier et avoir constaté chez le salarié une forte inquiétude et un épuisement réel.

- la lettre de licenciement aux termes de laquelle M.[P] a été licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral sans en avoir informé ni M. [D] ni la DRH.

- les documents médicaux attestant de son état de fatigue et de souffrance au travail.

Ces éléments pris dans leur ensemble, outre les éléments médicaux laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

La société Docaposte qui se limite à contester les agissements de harcèlement moral ne démontre pas que ses décisions notamment d'informer M.[P] au dernier moment de la réorganisation de l'entreprise alors que cette réorganisation avait pour effet de créer un échelon supplémentaire entre lui et sa responsable, de lui annoncer la suppression de son poste sans chercher à le reclasser sur un autre poste, de l'exclure de certains échanges et certains rendez-vous clients, et d'avoir, tout en reconnaissant ne rien avoir à lui reprocher, engager une procédure de licenciement pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral alors qu'il n'est aucunement établi que cette dénonciation ait été faite de mauvaise foi, les salariés de son équipe ayant au contraire constaté son état de fatigue et son mal être, sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement lequel est en conséquence établi.

Par infirmation du jugement il y a lieu d'allouer au salarié la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

S'agissant de son obligation de sécurité l'employeur expose avoir très rapidement mis en place une enquête suite à la dénonciation faite par M.[P] de faits de harcèlement moral, enquête qui n'aurait pas permis d'établir la réalité des agissements dénoncés.

M.[P] réplique que cette enquête ne présente aucune garantie d'objectivité et d'impartialité.

Or, outre le fait que cette enquête, qui se limite à l'interrogatoire en date du 26 juin 2019 de 3 salariés de l'équipe de M.[P], met en avant un certain nombre d'éléments de nature à caractériser les agissements de harcèlement moral dénoncés par le salarié sans que l'employeur n'en ait tiré les conclusions qui s'imposaient, elle ne présentait aucune garantie d'objectivité et d'impartialité, M.[P] et M. [D] n'ayant jamais été entendus, les représentants du personnel n'y ayant pas été associés et les 3 questions posées aux salariés interrogés étant manifestement orientées.

Il est ainsi établi que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité.

Par infirmation du jugement il y a lieu d'allouer au salarié la somme de 3 000 euros pour manquement à l'obligation de sécurité.

S'agissant de l'exécution de bonne foi du contrat de travail il ressort des éléments qui précèdent que l'employeur a cessé à compter de la réorganisation survenue fin 2018 d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Il y a en conséquence lieu d'allouer au salarié la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Il est ainsi établi que M. [P] a été victime de faits de harcèlement moral et que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et d'exécution loyale du contrat de travail, ce qui rendait impossible la poursuite du contrat de travail. Il y a en conséquence lieu, par infirmation du jugement de prononcer la résiliation judiciaire du contrat et de dire que cette résiliation qui résulte des faits de harcèlement moral dont le salarié a été victime produit les effets d'un licenciement nul.

M. [P] peut en conséquence prétendre à une indemnité pour licenciement nul qui ne peut être inférieure au salaire des 6 derniers mois.

Il y a lieu de lui allouer au regard de son ancienneté et de sa situation postérieure au licenciement et notamment à sa prise en charge par France Travail, une indemnité de 100 000 euros, englobant le préjudice découlant de l'irrégularité de la procédure de licenciement.

Sur les circonstances vexatoires du licenciement:

Pour infirmation du jugement la société Docaposte et la société Docaposte IOT font valoir que le caractère brutal et vexatoire du licenciement n'est pas établi ce que conteste le salarié.

Il est constant qu'un licenciement peut occasionner au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l'ont accompagnées.

En l'espèce, la procédure de licenciement a été engagée le 11 juin 2019 après que le salarié a dénoncé les faits de harcèlement moral dont il était victime de la part de M. [D], antérieurement à l'enquête interne diligentée par l'employeur. Il ressort du compte rendu de l'entretien préalable que M.[P] a été sommé au cours de l'entretien mené par M. [D] lui même de s'expliquer sur les faits de harcèlement moral qu'il dénonçait et a été pris à partie.

M.[P] a en outre été dispensé d'activité et a ainsi du quitter l'entreprise brutalement alors même que le licenciement n'avait pas été prononcé.

Ces circonstances brutales et vexatoires lui ont causé un préjudice que le conseil de prud'hommes a justement évalué à la somme de 11 365 euros d'indemnité.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

- sur le co-emploi et le travail dissimulé:

- sur la recevabilité:

Pour infirmation du jugement en ce qu'il a été déclaré irrecevable en ses demandes au titre du co-emploi et du travail dissimulé, M. [P] fait valoir que ces demandes ont un lien suffisant avec la demande originaire tendant à la résiliation judiciaire du contrat de travail, les 2 sociétés ayant été mises en cause dès l'origine et une demande de dommages et intérêts pour mise à disposition illicite demande de laquelle découle le co-emploi et le travail dissimulé reproché.

La société Docaposte et la société Docaposte IOT répliquent que l'objet du litige tel qu'il résulte de la requête prud'homale était la résiliation judiciaire en raison d'un prétendu harcèlement moral avec les demandes qui en découlent en terme indemnitaire et que la requête prud'homale de Monsieur [P] ne contenait aucune demande au titre de la reconnaissance d'une situation de co-emploi et d'un prétendu travail dissimulé. Elle ajoute que ces deux demandes ne présentent manifestement pas de « lien suffisant » avec la demande initiale.

Aux termes de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En l'espèce dans sa requête introductive en date du 14 juin 2019 reçue au greffe le 17, M.[P] a formulé les demandes suivantes:

« FIXER le salaire mensuel brut de référence à la somme de 11.365,42 €,

- DIRE ET JUGER que Monsieur [P] a subi des agissements de harcèlement

moral,

- DIRE ET JUGER que la société DOCAPOSTE n'a rien fait pour protéger la santé de

Monsieur [P],

- DIRE ET JUGER que la poursuite du contrat de travail est impossible,

En conséquence :

- PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de travail,

- CONDAMNER la société DOCAPOSTE à payer à Monsieur [P] les sommes

suivantes, sauf à parfaire :

- 68.192,52 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à

l'obligation de résultat,

- 136.385,04 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 34.096,26 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.409,62 € au titre des congés payés afférents,

- Indemnité de licenciement à parfaire au jour du licenciement,

- 34.096,26 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du

contrat,

- 34.096,26 € à titre de dommages et intérêts pour prêt de main d''uvre

illicite,

- Rappels de salaire à parfaire ;

- Congés payés afférents à parfaire,

- 4.500,00 € au titre de l'article 700 du CPC,

- CONDAMNER la société DOCAPOSTE IOT à payer à Monsieur [P] les

sommes suivantes sauf à parfaire,

- 68.192,52 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral »

Ainsi, si la société Docaposte et la société Docaposte IOT étaient toutes les 2 mises en cause dans la requête initiale aucune demande au titre du co-emploi et du travail dissimulé n'a été formulée que ce soit à l'encontre de l'une ou l'autre, chacune étant mise en cause pour des manquements différents au titre de l'exécution du contrat de travail et seule la société Docaposte ayant été visée s'agissant des demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail.

Les demandes faites postérieurement au titre du co-emploi et du travail dissimulé se rattachent néanmoins par un lien suffisant aux demandes originaires dans la mesure où M.[P] sollicitait dans sa requête la condamnation des 2 sociétés pour des manquements relatifs à l'exécution du même contrat de travail, les faits invoqués au soutien de la demande de résiliation judiciaire s'étant produits pendant la mise à disposition du salarié qui a formulé dès l'origine une demande de dommages et intérêts pour prêt de main d'oeuvre illicite , le co-emploi et travail dissimulé étant une des conséquences invoquées tirées du caractère illicite du prêt de main d'oeuvre reproché aux sociétés.

- sur le bien fondé:

M. [P] fait valoir qu'il a été mis à disposition par la société Docaposte auprès de la société Docaposte IOT sans que ne soit signée une convention de mise à disposition en violation des dispositions de l'article L 8241-2 du code du travail ce qui entraîne la reconnaissance d'une situation de co-emploi.

La société Docaposte réplique que M.[P] a été mis à disposition de la BU IOT ce dont il était parfaitement informé et qu'il a accepté et qu'il n'y a dès lors aucune mise à disposition illicite, les caractéristiques d'une situation de co-emploi n'étant par ailleurs pas établies.

Aux termes de l'article L8241-2 du code du travail, le prêt de main-d''uvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :

- L'accord du salarié concerné ;

- Une convention de mise à disposition entre l'entreprise prêteuse et l'entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l'identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l'entreprise utilisatrice par l'entreprise prêteuse ;

- Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l'entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d'exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail.

En l'espèce, il n'est pas contesté que M.[P] qui a été engagé par la société Docaposte a été mis à la disposition de la société Docaposte IOT sans que n'aient été régularisés de convention de mise à disposition et d'avenant au contrat de travail.

M. [P] ayant ainsi été placé sous un lien de subordination vis à vis de la société Docaposte IOT, qui s'est ainsi de fait comporté comme son employeur, les 2 sociétés qui ont ainsi été co-employeurs supporteront toutes les 2 les condamnations prononcées au bénéfice du salarié.

Il n'est en revanche pas démontré que les 2 sociétés qui font partie du même groupe et ont des intérêts communs aient entendu dissimuler l'emploi de M.[P] qui a bien été déclaré et s'est vu remettre des fiches de paye par la société Docaposte.

Aucun élément intentionnel de dissimulation n'étant ainsi établi, M.[P] sera débouté de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

- sur les autres demandes:

En application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Docaposte et la société Dacoposte IOT à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.

Il y a lieu d'ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la présente décision dans le délai de 2 mois à compter de sa signification, le prononcé d'une astreinte n'apparaissant pas nécessaire.

La cour rappelle par ailleurs que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes, et que les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue, et ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.;

Pour faire valoir ses droits en cause d'appel M.[P] a dû exposer des frais qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.

Les société Docaposte et Dacoposte IOTseront en conséquence condamnées à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a jugé vexatoire le licenciement et alloué à M. [U] [P] la somme de 11 365 euros à titre de dommages et intérêts ;

Et statuant à nouveau ;

DÉCLARE M. [U] [P] recevable en ses demandes au titre du co-emploi et du travail dissimulé ;

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

DIT que la résiliation produit les effets d'un licenciement nul ;

CONDAMNE la SAS Docaposte et la SAS Docaposte IOT à payer à M. [U] [P] les sommes de :

- 8 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 3000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité

- 2 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail

- 11 365 euros pour licenciement brutal et vexatoire

- 100 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

DÉBOUTE M. [U] [P] de sa demande au titre de l'indemnité pour travail dissimulé ;

ORDONNE le remboursement par la SAS Docaposte et la SAS Dacoposte IOT à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié licencié à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi ;

CONDAMNE la SAS Docaposte et la SAS Docaposte IOT à payer à M. [U] [P] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS Docaposte et la SAS Docaposte IOT aux dépens.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/08425
Date de la décision : 28/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-28;21.08425 ?
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