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23/05/2024 | FRANCE | N°23/17246

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 23 mai 2024, 23/17246


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 23 MAI 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17246 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CINIH



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Novembre 2023 -Président du TC de MEAUX - RG n° 2023007910





APPELANTES



S.A.R.L. ACRETIO INVESTISSEMENT ET CONSEIL, RCS de Paris

sous le n°509 636 601, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]



S.A.S. PHOS...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 23 MAI 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17246 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CINIH

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Novembre 2023 -Président du TC de MEAUX - RG n° 2023007910

APPELANTES

S.A.R.L. ACRETIO INVESTISSEMENT ET CONSEIL, RCS de Paris sous le n°509 636 601, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

S.A.S. PHOSPHORIS SAS, RCS de Paris sous le n°801 588 161, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMEES

E.U.R.L. CLIM ONE, RCS de Meaux sous le n°749 946 588, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 4]

S.A.R.L. CLIMAGE, RCS de Meaux sous le n°494 093 727, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentées par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BOULTE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 Avril 2024, en audience publique, Laurent NAJEM, Conseiller, ayant été entendu en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Le ministère des Armées a lancé un appel d'offre ouvert en vue de l'attribution d'un accord-cadre à bons de commande portant sur l'exploitation et la maintenance des effluents gazeux du centre de formation pratique et d'entraînement à la sécurité (CFPES) du service logistique de la Marine (SLMT) sur la Base navale de [Localité 6].

Deux sociétés ont déposé une offre : la société Acretio investissement et conseil et la société Climage.

Par un courrier notifié le 5 juin 2023, la société Acretio investissement et conseil a été informée du rejet de son offre et de l'attribution de l'accord-cadre de la société Climage.

Suivant requête du 16 juin 2023, la société Acretio investissement et conseil a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon statuant en application des articles L.551-1 et suivant du code de justice administrative aux fins à titre principal :

- d'enjoindre au ministère des armées de lui communiquer la candidature et l'offre de la société Climage et le rapport d'analyse des offres relatifs à la procédure de passation de l'accord-cadre à bons de commande portant sur l'exploitation et la maintenance des effluents gazeux du centre de formation pratique et d'entraînement à la sécurité du service logistique de la Marine sur le site de la Base navale de [Localité 6] ;

- d'annuler l'ensemble des décisions et mesures prises par le ministère des armées dans le cadre de la procédure de l'accord-cadre à bons de commande portant sur l'exploitation et la maintenance des effluents gazeux du centre de formation pratique et d'entraînement à la sécurité du service logistique de la Marine sur le site de la Base navale de [Localité 6], et en particulier la décision du 5 juin 2023 par laquelle le ministère des armées a rejeté son offre.

Elle faisait valoir en substance que la société Climage ne disposait d'aucune référence sur ce type de marché et elle alléguait que la société Climage avait utilisé le savoir-faire et les références des sociétés Phosphoris et Acretio transmis par M. [L], directeur d'exploitation sur ce site.

Parallèlement à cette procédure, la société Acretio Investissement et Conseil et la société Phosphoris SAS ont déposé une requête enregistrée le 19 juin 2023 devant le président du tribunal de commerce de Meaux aux fins de voir ordonner une mesure d'instruction au siège des sociétés Clim One et Climage, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Elles invoquaient des faits de concurrence déloyale et exposaient notamment que la société Climage ne disposait d'aucune référence de prestations similaires à celles de l'accord-cadre litigieux, et elles considéraient que ce n'est qu'en utilisant leur savoir-faire et leurs références, transmis par M. [L] que la société Climage a pu remporter le marché. Elles précisaient que M. [L] avait présenté sa démission par lettre du 16 janvier 2023.

Par ordonnance du 29 juin 2023, le président du tribunal de commerce de Meaux a notamment :

Autorisé à faire procéder par tout commissaire de justice territorialement compétent, assisté, pour l'aider dans sa mission, d'un ou plusieurs experts informatiques indépendants des parties requérantes, ainsi que d'un serrurier et de la force s'il y a lieu, à une perquisition dans les locaux des sociétés CLIMAGE et CLIM ONE situés [Adresse 5], et au besoin dans leurs établissements ou annexes situés dans le ressort de sa compétence territoriale ;

Dit que le commissaire de justice devra :

se rendre dans les locaux des sociétés Climage et Clim one situés dans [Adresse 5], et au besoin dans leurs établissements ou annexes situés dans le ressort de sa compétence territoriale ;

rechercher, extraire, se faire remettre copie de tous dossiers, fichiers, ou documents présents dans lesdits locaux, leurs établissements ou annexes, quel qu'en soit le support, informatique ou autre, de septembre 2022 jusqu'au jour de l'exécution des opérations autorisées par la présente ordonnance, relatifs :

$gt;aux activités, à l'organisation et aux prix pratiqués par les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris,

$gt; au marché d'exploitation avec le ministère des armées dont la société Phosphoris était titulaire sur le site du CFPES de la base navale de [Localité 6] de 2019 à 2023,

$gt;à la candidature et l'offre remise par la société Acretio Investissement et Conseil à l'appel d'offres pour l'attribution de l'accord cadre pour l'exploitation et la maintenance des effluents gazeux du centre de formation pratique et d'entraînement à la sécurité (CFPES) du service logistique de la Marine (SLMT) sur le site de la Base navale de [Localité 6],

$gt; à toute correspondance écrite, courrier électronique entre M. [L], émanant d'une boîte mail professionnelle ou personnelle, et toute personne dirigeante ou employée de la société Climage entre le 1er septembre 2022 et la date d'exécution des opérations autorisées par la présente ordonnance qui contiennent les mots Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris,

$gt; aux listes d'appels téléphoniques émis et reçus entre les numéros de téléphones professionnel de M. [L] et celui des représentants, dirigeants et employés de la société Climage entre le 1er septembre 2022 et le 16 avril 2023,

$gt; aux rendez-vous ayant eu lieu entre M. [L] et les représentants, dirigeants ou employés des sociétés Climage et Clim One entre ces mêmes dates ;

dit que les mots clés qui pourront être utilisés à cette fin sont de manière exhaustive : Base navale, [Localité 6], CFPES, Centre de formation, Acretio, Phosphoris, Marine, SLMT, Ministère des armées, ESID.

Les opérations de saisie de pièces ont eu lieu le 10 juillet 2023.

Par acte du 31 juillet 2023, les sociétés Climage et Clim One ont assigné les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS aux fins de voir :

In limine litis :

prononcer la nullité de la « requête aux fins de perquisition civile » présentée le 19 juin 2023 par les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS et partant prononcer la nullité des opérations (perquisition) menées par Me [S], commissaire de justice, SAS CDJ, [Adresse 2], le 10 juillet 2023, dans les locaux des sociétés Climage et Clim One ;

A titre principal :

rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance sur requête rendue le 29 juin 2023 ;

ordonner consécutivement à Maître [S] (SAS CDJ), commissaire de justice instrumentaire, et à l'expert informatique qui l'a assisté lors de ses opérations, de procéder à la destruction complète de tous les éléments, documents, et autres pièces saisies, en sa possession, lors des opérations (perquisition) menées dans les locaux des sociétés Climage et Clim One ;

A titre subsidiaire :

faire application de l'une ou l'autre des « mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales » telles que spécifiquement prévues à l'article L. 153-1 du code de commerce ;

à titre encore plus subsidiaire, et si par extraordinaire M. le président décidait de ne pas annuler la requête qui lui a été présentée, de ne pas rétracter son ordonnance, et de ne pas non plus faire application des dispositions de l'article L.153-1 du code de commerce relatif au secret des affaires, supprimer des recherches comportant les mots clés suivants : « Marine, Ministère des armées, ESID ».

Par ordonnance contradictoire du 3 novembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Meaux, a :

reçu les sociétés Climage et Clim One en leur exception de nullité de la requête aux fins de perquisition civile, l'a dit mal fondée et les en a déboutées ;

dit que la société Phosphoris ne peut avoir qualité à agir, et que ses demandes sont irrecevables ;

dit que la décision rendue en date du 13 juillet 2023 par le tribunal administratif de Toulon ayant débouté la société Acretio Investissement et Conseil de ses demandes a l'autorité de la chose jugée ;

dit, en conséquence, la demande de la société Acretio Investissement et Conseil irrecevable ;

reçu les sociétés Climage et Clim One en leur demande de rétractation de l'ordonnance rendue le 29 juin 2023, et l'a dit bien fondée ;

en conséquence, rétracté en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 29 juin 2023 par le tribunal de commerce de Meaux et renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond si elles l'estiment nécessaire ;

ordonné consécutivement à Me [C] [S] (SAS CDJ), et à l'expert informatique qui l'a assisté lors de ses opérations, de procéder à la destruction complète et définitive de tous les éléments, documents, et autres pièces saisies, en leur possession, lors des opérations (perquisition civile) menées dans les locaux des sociétés Climage et Clim One ;

dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné les société Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris en tous les dépens qui comprendront le coût de l'assignation qui s'élève à 110,04 euros TTC ainsi que les frais de greffe liquidés à la somme de 74,66 euros TTC, en ce non compris le coût des actes qui seront la suite de la présente ordonnance auquel elles demeurent également condamnées.

Par déclaration du 6 novembre 2023, les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 19 mars 2024, elles demandent à la cour, au visa des articles 145 et 905 du code de procédure civile, de :

infirmer l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Meaux du 3 novembre 2023 en toutes ses dispositions ;

En conséquence, statuant à nouveau :

dire que le société Phosphoris SAS a qualité à agir ;

dire que l'ordonnance du tribunal administratif de Toulon du 13 juillet 2023 n'a pas l'autorité de la chose jugée ;

déclarer recevables et bien fondées leurs demandes au titre de l'article 145 du code de procédure civile ;

déclarer bien fondée l'ordonnance du tribunal de commerce de Meaux du 29 juin 2023 et confirmer l'ordonnance sur requête ;

débouter les sociétés Climage et Clim One de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête et de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

En conséquence :

ordonner à Me [S] (SAS CDJ), et à l'expert informatique qui l'a assisté lors de ses opérations, de leur remettre copie de tous les éléments, documents et autres pièces saisies en leur possession, lors des opérations (perquisition civile) menées dans les locaux des sociétés Climage et Clim One ;

condamner solidairement les sociétés Climage et Clim One à leur verser la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elles soutiennent qu'elles n'ont en aucun cas menti concernant l'ordonnance du tribunal administratif de Toulon puisqu'elle est intervenue après l'ordonnance sur requête ; que le référé précontractuel n'est pas une procédure de fond et ne faisait pas obstacle à l'introduction d'une requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. Elles soulignent que les deux procédures ont des fondements différents et qu'il était logique de les mener en parallèle.

Elles font valoir qu'il ne fait plus aucun doute que les sociétés adverses disposent d'informations et de documents internes qu'elles ne devraient pas avoir ni produire.

La société Phosphoris soutient que les pièces susceptibles d'être perquisitionnées la concernent également.

Les appelantes contestent l'autorité de la chose jugée retenue par le premier juge, en ce que les parties sont distinctes, les causes et les choses demandées sont également distinctes. Elles allèguent que, dans la procédure de référé précontractuel, la cause est l'irrégularité de la procédure d'appel d'offres et devant le tribunal de commerce, il s'agit de l'obtention de pièces en vue de prouver des agissements de concurrence déloyale. Elles soulignent que le jugement administratif est fondé sur l'application du code des relations entre le public et l'administration qui n'est nullement applicable dans les relations entre les entreprises privées et qu'elles n'ont jamais demandé devant le tribunal administratif des pièces susceptibles de prouver des agissements de concurrence déloyale.

Elles font valoir que la partie déboutée devant le juge du référé précontractuel peut saisir le juge du fond.

Elles exposent les faits qu'elles qualifient de concurrence déloyale et elles allèguent que le tribunal de commerce de Meaux était bien compétent territorialement. Elles soutiennent qu'il n'existait aucun procès au fond ; qu'elles justifient d'un motif légitime ; que les sociétés adverses ont débauché M. [L] pour rédiger leur offre.

S'agissant de la nécessité de procéder de façon non contradictoire, elles font état d'un risque très important de déperdition de preuve, compte tenu des faits de concurrence déloyale si les sociétés étaient avisées de la " perquisition ".

Elles détaillent les éléments demandés.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 12 mars 2024, les sociétés Climage et Clim One demandent à la cour, au visa des articles 16, 112, 122, 124, 125, 146 al.2, 497 du code de procédure civile, L. 151-1 à L. 154-1 du code de commerce, de :

débouter les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris de leur appel comme de toutes leurs demandes ;

confirmer l'ordonnance de référé prononcée le 3 novembre 2023 en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance ['] du 29 juin 2023 ['] et en ce qu'elle ordonné ['] la destruction complète et définitive de tous les éléments, documents, et autres pièces saisies, en leur possession, lors des opérations (perquisition civile) menées dans les locaux de Climage et Clim One ;

A titre subsidiaire :

faire application de l'une ou l'autre des « mesures générales de protection du secret des affaires devant les juridictions civiles ou commerciales » telles que spécifiquement prévues et énoncées à l'article L. 153-1 du code de commerce ;

A titre encore plus subsidiaire :

supprimer des recherches effectuées celles comportant les mots clés suivants : « Marine, Ministère des armées, ESID » ;

Dans tous les cas :

condamner in solidum les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS à payer, à chacune d'elle, la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner in solidum les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS aux dépens d'instance.

Elles font valoir que les requérantes ont présenté les faits de manière mensongère en cachant sciemment qu'elles avaient été précédemment déboutées d'un recours initié devant le tribunal administratif de Toulon à la suite du rejet de leur candidature concernant l'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un accord-cadre à bons de commande ; qu'il suffit de lire la motivation du juge administratif pour comprendre que si la demande de la société Acretio n'a pas été retenue c'est en raison de la faiblesse de son dossier.

Elles soutiennent que l'allégation de détournement de client est également mensongère ; que la société Climage n'a jamais travaillé en sous-traitance de la société Phosporis ; que M. [L] n'était tenu d'aucune clause de non-concurrence ; qu'il était incohérent que la société Acretio se positionne comme candidat sur l'appel d'offre ; que les appelantes cherchent à obtenir ce qui leur a été refusé une première fois, à savoir la communication des pièces liées à la candidature en inventant des griefs inexistants.

Elles se prévalent du principe de l'autorité de la chose jugée de l'article 1355 du code civil en ce que la demande était fondée sur la même cause, quand bien même la voie judiciaire n'est pas la même et elles considèrent qu'il y a également identité d'objet et de parties.

Elles allèguent que la société Phosphoris était totalement étrangère à l'appel d'offre pour ne pas y avoir répondu.

Elles contestent l'existence d'un motif légitime et rappellent que le juge saisi d'une demande de rétractation ne saurait suppléer la carence de la requête ou de l'ordonnance sur ce point et soutiennent que l'ordonnance n'a pas motivé de manière circonstanciée le fait que la mesure probatoire soit prise hors de tout débat contradictoire, ce qui est un motif suffisant pour en ordonner la rétractation.

Elles soulignent que la société Acretio avait procédé de manière contradictoire devant le tribunal administratif, la société Climage étant partie au litige, et qu'ainsi rien ne justifiait la dérogation au principe du contradictoire.

A titre subsidiaire, elles invoquent le secret des affaires en ce que leur mémoire technique contient des données strictement confidentielles et, à titre infiniment subsidiaire, elles considèrent que les mots clés autorisés sont trop larges.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 mars 2024.

SUR CE,

Sur la qualité à agir de la société Phosphoris SAS

Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile :

« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Le premier juge a retenu que la société Phosphoris SAS n'avait présenté aucune offre à l'appel organisé par le ministère des Armées et qu'en conséquence elle ne pouvait apporter la preuve qu'elle avait subi un dommage, qu'une faute avait été commise et qu'elle en avait subi un préjudice.

Il a considéré qu'elle n'avait dès lors pas qualité pour agir.

Comme le relèvent les appelantes, la société Phosphoris était l'employeur de M. [L] par l'entremise duquel, selon elles, des informations auraient été transmises aux sociétés Climage et Clim One et c'est la société Phosphoris qui était le titulaire du marché public, de sorte qu'elle détenait des documents et pièces afférents au litige.

En tout état de cause, la demande en rétractation de l'ordonnance sur requête, qui requiert le rétablissement du principe de la contradiction, implique que soient appelés à l'instance en rétractation les défendeurs à cette demande (Cass. 2e civ., 7 janv. 2010, n° 08-16.486 : JurisData n° 2009-051012). La requête a été présentée en l'espèce par la société Acretio Investissement et Conseil et la société Phosphoris SAS qui doivent dès lors toutes deux être parties à l'instance en référé-rétractation.

La décision sera infirmée.

La société Phosphoris SAS sera déclarée recevable en ses demandes.

Sur l'autorité de la chose jugée

Selon l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Le premier juge a retenu que la société Acretio Investissement et Conseil avait déposé deux requêtes : la première devant le tribunal administratif de Toulon et la seconde devant le tribunal de commerce de Meaux aux fins d'obtenir l'accès à des informations constituantes de l'offre Climage retenue par le ministère des armées.

Cependant, la procédure devant le juge administratif est formée en application des articles L.551-1 et suivants du code de justice administrative.

Selon cet article, le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. ('). Le juge est saisi avant la conclusion du contrat.

Ainsi, l'office du juge du référé précontractuel est circonscrit à la méconnaissance des règles en matière de publicité et de mise en concurrence. Il s'agit en outre d'une voie de recours limitée dans son objet aux seuls contrats administratifs.

Le présent litige est afférent à des actes de concurrence déloyale allégués entre des sociétés de droit privé, certes également invoqués devant le juge administratif au soutien de la demande, mais qui n'en constituaient pas l'objet. A contrario, la présente instance ne porte nullement sur le respect par le pouvoir adjudicateur des règles auxquelles il est soumis pour la passation d'un contrat administratif. Le pouvoir adjudicateur n'est en outre pas partie à la présente procédure.

Par conséquent, il n'y a pas d'identité d'objet ni de parties. C'est donc à tort que le premier juge a retenu la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée. La décision sera infirmée de ce chef.

Il convient par conséquent d'examiner le bien-fondé de la mesure.

Sur le bien-fondé de la mesure d'instruction in futurum

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 493 du même code dispose que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Les mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ne peuvent donc être ordonnées sur requête qu'à la condition, pour le requérant de justifier, d'une part, d'un motif légitime, d'autre part, de la nécessité de déroger au principe de la contradiction.

Aux termes de la requête en référé précontractuel déposée devant le tribunal administratif de Toulon le 16 juin 2023, la société Acretio Investissement et Conseil a notamment sollicité qu'il soit enjoint au ministère des Armées de lui communiquer la candidature et l'offre de la société Climage et le rapport d'analyse des offres relatifs à la procédure de passation de l'accord cadre à bons de commande portant sur l'exploitation et la maintenance des effluents gazeux du centre de formation pratique et d'entraînement à la sécurité (CFPES) du service logistique de la Marine (SLMT) sur le site de la Base navale de Toulon.

Elle faisait cependant état dans cette requête d'actes susceptibles d'être qualifiés de concurrence déloyale de la société Climage et du rôle allégué de M. [L], que la société Phosphoris, sa filiale, avait engagé en qualité de directeur d'exploitation et qui a démissionné le 16 janvier 2023. Elle exposait en substance que ce dernier aurait transmis le savoir-faire et les références des sociétés Phosphoris SA et Acretio permettant à la société Climage de présenter une offre et de remporter le marché.

La requête aux fins de mesures in futurum présentée devant le tribunal de commerce de Meaux enregistrée le 19 juin 2023 (datée du 16 juin comme la requête devant le juge administratif) vise pour l'essentiel des éléments afférents à la candidature et l'offre remise par la société Climage ainsi que les conditions dans lesquelles cette offre a pu être formulée.

La procédure de référé précontractuel revêt un caractère contradictoire et en l'espèce, la société Climage justifie d'avoir été convoquée par le greffier en chef du tribunal administratif de Toulon le 20 juin 2023, avec communication de la requête de la société Acretio Investissement et Conseil, pour l'audience du 5 juillet 2023 puis d'un avis de renvoi daté du 26 juin 2023 pour une audience du 11 juillet 2023.

La société Climage a en outre été rendue destinataire de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif le 13 juillet 2023, étant relevé que la société Clim One et la société Climage ont le même gérant et que leur siège social est identique.

Il en résulte que la société Acretio Investissement et Conseil, qui a engagé une procédure contradictoire devant le juge administratif aux fins d'obtenir des éléments relatifs à la candidature litigieuse en invoquant expressément le rôle de M. [L] au soutien de ce qu'elle considère être par ailleurs des actes de concurrence déloyale n'était pas fondée, de manière concomitante, à recourir à une procédure non contradictoire pour obtenir des éléments de même nature. La société Climage a été convoquée le 20 juin 2023 devant le juge administratif, la requête ayant été déposée la veille devant le tribunal de commerce et l'ordonnance sur requête a été rendue le 29 juin 2023 et donc postérieurement à la convocation.

En effet, aucun effet de surprise, requis pour une mesure non contradictoire, ne pouvait légitimement être invoqué par la requérante alors que la société Climage était informée de ce qui lui était reproché dans le cadre d'une procédure pendante devant le tribunal administratif et de ce que des éléments relatifs à sa candidature étaient réclamés dans cette autre procédure. Partant, il n'était pas justifié de la nécessité de déroger au principe de la contradiction.

La décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance du 29 juin 2023 et ordonné à Me [S] et à l'expert informatique qui l'a assisté de procéder à la destruction complète de tous les éléments, documents et autres pièces saisies, en leur possession, lors des opérations menées dans les locaux des sociétés Climage et Clim One, les motifs de la cour se substituant à ceux du premier juge.

Sur les demandes accessoires

Le sens de la présente décision conduit à confirmer les dispositions de l'ordonnance au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

A hauteur d'appel, les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS seront condamnées aux dépens mais l'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- dit la société Phosphoris SAS irrecevable en ses demandes, pour défaut de qualité à agir ;

- dit les demandes des sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS irrecevables au titre de l'autorité de la chose jugée ;

Confirme la décision pour le surplus ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS recevables en leurs demandes, mais mal fondées ;

Condamne les sociétés Acretio Investissement et Conseil et Phosphoris SAS aux dépens d'appel ;

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/17246
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;23.17246 ?
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