La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2024 | FRANCE | N°21/09719

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 23 mai 2024, 21/09719


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 23 MAI 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09719 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEW6J



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 19/00383





APPELANT



Monsieur [D] [V]

[Adresse 1]

[

Localité 4]

Représenté par Me Margaux KIRAT, avocat au barreau de PARIS, ayant pour avocat plaidant Me Joseph SUISSA, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE



Société AUCHAN HYPERMARCHE ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 23 MAI 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09719 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEW6J

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Octobre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 19/00383

APPELANT

Monsieur [D] [V]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Margaux KIRAT, avocat au barreau de PARIS, ayant pour avocat plaidant Me Joseph SUISSA, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Société AUCHAN HYPERMARCHE

En son Etablissement de [Localité 6], sis [Adresse 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Isabelle WASSELIN de la SCPA MALPEL & ASSOCIES, avocat au barreau de MELUN

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre et de formation

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, et par Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein faisant suite à plusieurs contrats à durée déterminée, la société Auchan Hypermarché (ci-après la société) a embauché M. [D] [V] à compter du 1er septembre 2002 avec reprise d'ancienneté au 1er juillet 2002, en qualité d'agent de sécurité, statut employé, niveau 2B, moyennant une rémunération brute mensuelle lissée de 1 215,08 euros pour une durée de travail de 159 heures 25 par mois.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire en date du 12 juillet 2001 et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Le 6 août 2007, M. [V] a été victime d'un accident du travail et a présenté un arrêt de travail du 7 août 2007 au 17 janvier 2010 puis, à la suite d'une rechute en avril 2010, jusqu'en janvier 2011.

Le 20 janvier 2009, la Sécurité sociale a notifié à M. [V] le versement d'une rente à compter du 27 octobre suivant en raison d'une incapacité permanente partielle de 16%.

La commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de la maison départementale des personnes handicapées de Seine-et-Marne a reconnu à M. [V] le statut de travailleur handicapé pour la période du 18 octobre 2010 au 31 octobre 2015 puis pour la période du 1er novembre 2015 au 31 décembre 2020.

Par décision du 27 mars 2015, la Sécurité sociale a notifié à M. [V] son classement en invalidité catégorie 1 et le versement d'une pension d'invalidité à compter du 1er avril 2015.

M. [V] a présenté un arrêt de travail à compter du 27 janvier 2016 sans discontinuité jusqu'à la rupture de la relation contractuelle.

La Sécurité sociale a ensuite notifié à M. [V] sa décision de le placer en invalidité catégorie 2 à compter du 1er juin 2018.

Par avis du 31 juillet 2018, le médecin du travail a déclaré M. [V] inapte à son poste : « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » et « inapte à son poste. Etat de santé non compatible avec la reprise du poste d'agent de sécurité ; inaptitude à son poste après étude de poste et des conditions de travail, après échange avec le salarié et l'employeur » et a retenu, au titre des cas de dispense de l'obligation de reclassement, que 'l'état du salarié fait obstacle à un reclassement dans un emploi'.

Par lettre recommandée du 3 août 2018, la société a convoqué M. [V] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 août suivant.

Par lettre recommandée du 23 août 2018, la société a notifié à M. [V] son licenciement pour inaptitude non professionnelle avec impossibilité de reclassement.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Melun le 23 août 2019.

Par jugement du 11 octobre 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Melun a :

- déclaré que l'inaptitude de M. [V] n'était pas d'origine professionnelle ;

- débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes ;

- débouté la société de sa demande reconventionnelle ;

- condamné M. [V] aux dépens.

Par déclaration du 29 novembre 2021, M. [V] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 16 juillet 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [V] demande à la cour de :

réformer le jugement

en ce qu'il l'a débouté des demandes suivantes :

- déclarer que l'inaptitude à son poste est d'origine professionnelle ;

- dire et juger, en conséquence, que son licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle est sans cause réelle et sérieuse et irrégulier ;

- condamner la société à lui régler la somme de 13 369 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulier sur le fondement de l'article L.1226-15 du code du travail ;

- condamner la société à lui régler la somme de 8 974,91 euros d'indemnité spéciale de licenciement ;

- condamner la société à lui régler la somme de 2 451 euros au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents ;

- condamner la société à lui régler la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

- condamner la société à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

en ce qu'il l'a débouté de sa demande de fixation des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts et en ce qu'il l'a condamné aux dépens de première instance ;

statuant à nouveau, il est demandé à la cour d'appel de :

- dire et juger que son inaptitude est d'origine ou partiellement d'origine professionnelle ;

- dire et juger, en conséquence, que son licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle est sans cause réelle et sérieuse et irrégulier ;

en conséquence,

- condamner la société au paiement des sommes suivantes :

* 20 053,08 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulier sur le fondement de l'article L.1226-15 du code du travail, soit 18 mois de salaire ;

* 8 974,91 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

* 2 228,12 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

* 222,81 euros bruts de congés payés afférents ;

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts « pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et irrégulier » ;

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;

- débouter la société de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 novembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- débouter, en tout état de cause, M. [V] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

et y ajoutant,

- condamner M. [V] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 septembre 2023.

MOTIVATION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :

« (') Nous vous notifions par la présente, votre licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.

Nous vous rappelons que celui-ci est motivé par les éléments suivants :

Vous avez été recruté le 22 octobre 2001 en contrat à durée déterminée pour occuper le poste d'Agent de sécurité.

Vous avez été en arrêt de travail du 27 janvier 2016 jusqu'au 30 juin 2018 suite à une maladie d'origine professionnelle.

Vous avez passé une visite de pré-reprise le 1er juillet 2018. A l'occasion de cette visite de pré-reprise les recommandations du Docteur [O] [C] ' Médecin du travail ' se sont exprimées ainsi :

« Pas d'avis. »

Sans nouvelles de votre part à compter du 2 juillet 2018, nous vous avons envoyé un courrier par lettre recommandée en date du 10 juillet 2018 afin de nous faire connaître votre situation par retour de courrier.

Le 17 juillet 2018, nos Services ont reçu un courrier en lettre recommandée datant du 12 juillet 2018 de votre part, nous avisant de certains éléments concernant votre situation.

Ainsi en date du 27 juillet 2018, par lettre recommandée, nous avons expliqué être en possession de la décision de la C.P.A.M. stipulant votre reconnaissance d'invalidité catégorie 2, et donc la prise en charge et l'indemnisation de votre situation par cet organisme.

Toutefois, nous vous avons expliqué que celle-ci ne prévalait pas comme une reconnaissance de votre inaptitude au même titre que l'avis de pré-reprise réalisé le 1er juillet 2018 par le Docteur [O] [C] ' Médecin du travail où ses recommandations étaient « sans avis ».

Par conséquent, pour acter votre situation nous vous avons proposé de vous présenter à une visite de reprise afin que le Docteur [O] [C] ' Médecin du travail puisse évaluer votre état de santé.

Ainsi, un rendez-vous a été pris avec la Médecine du Travail en date du 31 juillet 2018.

Le 31 juillet 2018, vous avez donc passé une visite de reprise.

A l'issue de cette visite, le Docteur [O] [C] ' Médecin du travail ' a émis les conclusions suivantes :

« Inapte à son poste.

Etat de santé non compatible avec la reprise à son poste d'agent de sécurité :

Inaptitude à son poste après étude de poste et des conditions de travail, après échange avec le salarié et l'employeur ( Art R4624-42 CDT). »

Nous sommes donc dans l'impossibilité de vous reclasser au sein de l'entreprise compte tenu de votre état de santé et de la mention expresse émise par le Médecin du travail selon laquelle votre état de santé fait obstacle à tout reclassement au sein de l'entreprise.

Nous nous voyons contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Vous percevrez une indemnité conventionnelle de licenciement.

Par ailleurs, étant dans l'impossibilité d'exécuter votre préavis, votre contrat de travail sera rompu à la date d'envoi de la présente lettre. Par conséquent, aucune indemnité ne vous sera versée au titre de votre préavis. ('). »

* sur le licenciement pour inaptitude

M. [V] soutient qu'au regard de son parcours médical et professionnel, son inaptitude a, au moins partiellement, pour origine son accident du travail survenu le 6 août 2007 et que l'employeur ne pouvait l'ignorer. A cet égard, il fait valoir qu'avant son accident du travail, il était rarement absent alors qu'ensuite, il a présenté de nombreux arrêts de travail ; qu'à partir de 2009, il a perçu une rente d'incapacité permanente partielle de 16% et bénéficié, depuis 2010, du statut de travailleur handicapé. Il fait valoir que la société avait conscience, lors du licenciement, des séquelles liées à son accident du travail du fait de la notification de la décision lui attribuant une rente d'incapacité permanente partielle, et du fait que, lors de la réalisation de l'étude de poste par le médecin du travail, celui-ci s'est entretenu avec l'employeur et a évoqué lesdites séquelles.

Ce à quoi la société réplique qu'il s'est écoulé onze ans entre l'accident du travail et l'avis d'inaptitude et que tous les arrêts de travail prescrits à M. [V] à compter de l'année 2013 l'ont été exclusivement pour maladie. La société réplique également que son inaptitude est, en réalité, la conséquence des arrêts maladie qui lui ont été prescrits du 27 janvier 2016 au 30 juin 2018 et qui ont donné lieu à une décision de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) reconnaissant une invalidité (nécessairement d'origine non professionnelle). La société réplique encore que M. [V] ne démontre pas l'avoir informée avant la présente procédure de sa prise en charge par la CPAM au titre d'une incapacité et du versement d'une rente incapacité de 16% ; que l'étude de poste réalisée par le médecin du travail ne vient pas établir qu'elle avait connaissance d'une origine partiellement professionnelle de l'inaptitude. La société fait valoir qu'elle n'avait pas accès au dossier médical de M. [V] et que le médecin du travail a lui-même confirmé que l'inaptitude était la suite d'un arrêt maladie.

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée et invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. Cette application n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la CPAM du lien de causalité entre la maladie professionnelle et l'inaptitude de sorte que, quelles que soient les décisions prises par la CPAM, le juge doit apprécier si l'inaptitude du salarié a ou non une origine professionnelle.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débat que :

- M. [V] a été victime d'un accident du travail le 6 août 2017 ' fracture du trochin gauche ' et a présenté un arrêt de travail à raison de cet accident jusqu'au 17 janvier 2010 ;

- au cours de cette période, M. [V] a subi une intervention chirurgicale consistant en la « réinsertion arthroscopique du sus épineux de l'épaule gauche et une acromioplastie » ;

- il a repris le travail le 18 janvier 2010 en mi-temps thérapeutique pendant trois mois suivant la fiche médicale d'aptitude ;

- l'assurance maladie a estimé, le 6 juillet 2010, que la rechute du 12 avril 2010 était imputable à son accident du travail ;

- le médecin conseil de l'assurance maladie a estimé que son état était consolidé au 9 janvier 2011 ;

- le 11 janvier 2011, le médecin du travail a déclaré M. [V] apte sur un poste aménagé sans charges lourdes et en recommandant des horaires de jours (« pas trop tôt le matin si possible ») ;

- le 5 juin 2013, le médecin du travail a déclaré M. [V] apte au poste avec des horaires aménagés « comme actuellement » ;

- le 19 novembre 2014, dans le cadre d'une visite de reprise faisant suite à une maladie ou accident non professionnel, M. [V] a été déclaré « apte à la reprise à mi-temps thérapeutique deux mois » ;

- le 23 juin 2017, lors d'une visite de pré-reprise, le docteur [O] [C], médecin du travail, a écrit « pas d'avis », « état de santé ne permettant pas sa reprise au poste d'agent de sécurité » ;

- le même médecin du travail a rempli un formulaire Cerfa destiné au service médical de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) en décrivant l'état pathologique, « évolutif ou séquelles, retentissant sur l'inaptitude au travail » :

1. un syndrome douloureux articulaire lors de la marche suite à une chirurgie de l'hallux (pied) ;

2. névralgies cervico-brachiales bilatérales ;

3. « épaule douloureuse à gauche ' limitation de l'abduction à 100° » 

et en rendant l'avis suivant : « le poste d'agent de sécurité / incendie en grande surface nécessite une capacité de déplacement / marche rapide (') notamment lors des interventions diverses, ainsi qu'une capacité de préhension suffisante lors de ces interventions / sécurité incendie, évacuations de personnes, interpellations lors des vols / agressions de personnes (') ne peut assurer cette fonction = inaptitude au poste pas d'aménagement possible » ;

- le 31 juillet 2018, le docteur [O] [C] a consigné dans le « dossier médical » de M. [V] au titre des pathologies en cours, notamment des « lésions de l'épaule », rappelé l'accident du travail survenu le 6 août 2007 et a conclu « inapte à son poste (Agents civils de sécurité et de surveillance) Etat de santé non compatible avec la reprise à son poste de sécurité ; inaptitude à son poste après étude de poste et des conditions de travail, après échange avec le salarié et l'employeur » et a rendu l'avis d'inaptitude en mentionnant cette conclusion et en indiquant que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

La circonstance que le salarié ait été au moment du licenciement déclaré consolidé de son accident du travail par la CPAM depuis plusieurs années et pris en charge par les organismes sociaux au titre de la maladie n'est pas de nature à faire perdre au salarié le bénéfice de la législation protectrice des accidentés du travail si l'inaptitude a, au moins partiellement, pour origine l'accident du travail.

Les éléments médicaux précédemment exposés révèlent que les séquelles de l'accident du travail du 6 août 2007 sont, au moins partiellement, à l'origine de l'inaptitude de M. [V].

De plus, à raison de ses séquelles, la Sécurité sociale a reconnu une incapacité permanente partielle de 16% et lui a versé, à ce titre, une rente depuis le 27 octobre 2008. Les conclusions médicales indiquées dans la notification de la décision relative à l'attribution de la rente mentionnent : « Séquelles indemnisables d'une fracture du trochiter et d'une rupture partielle du tendon du biceps gauche consistant en une raideur modérée de l'épaule gauche et des douleurs chroniques constituant une gêne chez un travailleur manuel droitier ».

Or, il résulte d'un courrier du service des rentes, risques professionnels, de l'assurance maladie de Seine-et-Marne en date du 20 janvier 2009 qu'une copie de cette notification a été portée à la connaissance de l'employeur de M. [V].

Enfin, lors de l'étude du poste qui a précédé l'avis d'inaptitude, le docteur [O] [C] a précisé avoir procédé à une étude du poste et des conditions de travail du salarié et avoir échangé avec l'employeur le 30 juillet 2018 ' la dernière actualisation de la fiche d'entreprise datant du 1er mars 2012.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, notamment des séquelles de l'accident du travail et des caractéristiques du poste de travail, que la société avait connaissance, lors du licenciement, que l'inaptitude de M. [V] avait, au moins partiellement, pour origine professionnelle.

Partant, la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

M. [V] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et irrégulier. Il évoque un manquement à l'obligation de reclassement et la non-consultation des délégués du personnel sans toutefois s'expliquer davantage à ce sujet.

Ce à quoi la société réplique qu'elle n'était pas tenue de consulter les délégués du personnel ni de lui notifier par écrit les motifs s'opposant à son reclassement puisque le médecin du travail a dispensé l'employeur de l'obligation de reclassement.

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles et que si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis, objectifs imputables au salarié et matériellement vérifiables.

Au cas présent, bien que la cour ait retenu que l'inaptitude de M. [V] avait, au moins partiellement, une origine professionnelle, la circonstance que le médecin du travail a dispensé l'employeur de son obligation de reclassement en relevant que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi dispensait, par là-même, la société de consulter les instances représentatives du personnel et d'indiquer dans la lettre de licenciement les motifs s'opposant au reclassement de M. [V]. Dans ces circonstances, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir tenu compte des conclusions du médecin du travail dans l'avis d'inaptitude.

M. [V] sera donc débouté de sa demande tendant à voir dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et irrégulier. La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur les conséquences du licenciement pour inaptitude ayant, au moins, partiellement, une origine professionnelle

* sur l'indemnité prévue par l'article L. 1226-15 du code du travail

Aux termes de l'article L. 1226-15 du code du travail, lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié, prévues à l'article L. 1226-8, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Il en va de même en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12.

En cas de refus de réintégration par l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité ne peut être inférieure à douze mois de salaires. Elle se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement prévues à l'article L. 1226-14.

Lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1226-12, il est fait application des dispositions prévues par l'article L. 1235-2 en cas d'inobservation de la procédure de licenciement.

Eu égard aux développements qui précèdent dont il résulte que le licenciement du salarié n'est pas dépourvu de cause réelle et sérieuse et n'est pas irrégulier, M. [V] n'est pas fondé à réclamer l'indemnité prévue par l'article L. 1226-15 du code du travail. Il sera donc débouté de sa demande et la décision des premiers juges infirmée à ce titre.

* sur l'indemnité spéciale de licenciement

Aux termes de l'article L. 1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.

Les dispositions du présent article ne se cumulent pas avec les avantages de même nature prévus par des dispositions conventionnelles ou contractuelles en vigueur au 7 janvier 1981 et destinés à compenser le préjudice résultant de la perte de l'emploi consécutive à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle.

En application de cet article et eu égard à l'inaptitude d'origine, au moins partiellement, professionnelle, M. [V] est fondé à obtenir le double de l'indemnité de licenciement qu'il a d'ores et déjà perçue.

Or, il ressort de son dernier bulletin de salaire que la société lui a versé la somme de 8 974,91 euros à titre d'indemnité de licenciement.

Par conséquent, la société sera condamnée à payer à M. [V], qui réclame la différence entre le double de cette somme et celle qu'il a d'ores et déjà perçue, la somme de 8 974,91 euros. La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celle prévue à l'article L. 1234-5 du code du travail

Toujours en application de l'article L. 1226-14 du code du travail, M. [V] est fondé à percevoir une indemnité correspondant au montant des salaires et avantages qu'il aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration d'un préavis d'une durée de deux mois, soit la somme de 2 228,12 euros.

La société sera donc condamnée à payer à M. [V] la somme de 2 228,12 euros au titre de cette indemnité compensatrice, outre la somme de 222,81 euros au titre des congés payés afférents et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les autres demandes

* sur les dommages-intérêts réclamés pour préjudice moral à raison de la mise en 'uvre vexatoire et abusive de la rupture du contrat de travail

M. [V] fait valoir qu'il a rendu de bons et loyaux services à la société pendant plus de seize ans et qu'il a subi un accident du travail qui a impacté son état de santé et que, malgré cela, la société a, de mauvaise foi, écarté la procédure spéciale de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle.

Ce à quoi la société réplique, d'une part, que M. [V] ne relève pas de la procédure spéciale de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et, d'autre part, qu'il ne justifie ni du fondement ni du quantum de sa demande ni du préjudice moral allégué.

En l'espèce, M. [V] ne caractérise pas les circonstances vexatoires et brutales dans lesquelles il allègue que son licenciement est intervenu. A cet égard, le seul fait selon lequel l'employeur n'a pas mis en oeuvre la procédure de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle ne suffit pas à conférer un caractère vexatoire et brutal aux circonstances de la rupture. Par conséquent, le salarié sera débouté de sa demande en dommages-intérêts et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur les intérêts et leur capitalisation

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce. La capitalisation des intérêts dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, la décision des premiers juges étant infirmée sur les dépens.

La société sera également condamnée à payer à M. [V] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ' la décision des premiers juges étant infirmée en ce qu'elle a débouté M. [V] de sa demande au titre des frais irrépétibles et confirmée en ce qu'elle a débouté la société de sa demande au titre de ces mêmes frais.

Enfin, la société sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société Auchan Hypermarché de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que l'inaptitude de M. [D] [V] a, au moins partiellement, une origine professionnelle ;

Condamne la société Auchan Hypermarché à payer à M. [D] [V] les sommes suivantes :

* 8 974,91 euros au titre du reliquat d'indemnité spéciale de licenciement ;

* 2 228,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 228,81 euros au titre des congés payés afférents ;

Dit que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne la société Auchan Hypermarché à payer à M. [D] [V] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Auchan Hypermarché aux dépens de première instance et en appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09719
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;21.09719 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award