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23/05/2024 | FRANCE | N°19/14172

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 23 mai 2024, 19/14172


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 23 MAI 2024

(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/14172 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAKKP



Décision déférée à la Cour : Décision du 06 Juin 2019 -Autres juridictions ou autorités ayant rendu la décision attaquée devant la cour d'appel de PARIS - RG n° 19/01528





APPELANTE :



Me [N] [O] (SELARL MONTRAVERS [N]) - Mandataire liqu

idateur de Société FA MEDIA GUADELOUPE

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représenté par Me Olivier LAUDE de l'AARPI Laude Esquier & Associés, avocat postulant, inscrit au barre...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRÊT DU 23 MAI 2024

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/14172 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAKKP

Décision déférée à la Cour : Décision du 06 Juin 2019 -Autres juridictions ou autorités ayant rendu la décision attaquée devant la cour d'appel de PARIS - RG n° 19/01528

APPELANTE :

Me [N] [O] (SELARL MONTRAVERS [N]) - Mandataire liquidateur de Société FA MEDIA GUADELOUPE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté par Me Olivier LAUDE de l'AARPI Laude Esquier & Associés, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : R144et par Me Laëtitia ARZEL, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS,

INTIMÉ :

Monsieur [S] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Jean-claude BEAUJOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : C1060

INTERVENANTE :

Société UNEDIC AGS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Hélène NEGRO-DUVAL de la SAS DUVAL LEGAL, avocat au barreau de PARIS, toque : L0197

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Paule ALZEARI, présidente

Monsieur Eric LEGRIS, président

Madame Christine LAGARDE, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Paule ALZEARI, présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du Code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [T] a été engagé par la société France-Antilles Guadeloupe, faisant partie du groupe Antilles Guyane Médias, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée du 1er février 1987.

Il a été engagé en qualité de journaliste.

Par jugement du 13 juin 2017, le tribunal de commerce de Fort de France a arrêté un plan de cession proposé par la société AJR Participations. Cette dernière a alors repris les actifs de l'ancien groupe de presse Antilles Guyane Médias dont ceux de la société France-Antilles. La société AJR Participations a constitué la holding France Antilles laquelle détient les sociétés opérationnelles du nouveau groupe. Parmi ces sociétés se trouve la société FA Média Guadeloupe.

Le contrat de travail de M. [T] a été transféré à la société FA Média Guadeloupe.

Le 20 octobre 2017, M. [T] a notifié à la société FA Média Guadeloupe sa décision de rompre le contrat de travail et de bénéficier de la clause de cession prévue par le code du travail. La rupture du contrat a pris effet le 25 novembre suivant. Il occupait le poste de journaliste chef de centre.

Souhaitant obtenir le paiement d'indemnité de licenciement au titre de ses années d'ancienneté au-delà de quinze ans, M. [T] a saisi la commission arbitrale des journalistes par acte du 30 novembre 2017.

Par sentence du 06 juin 2019, la commission arbitrale des journalistes a :

- Constaté que l'indemnité due à M. [T] en application de l'article L.7112-3 du code du travail, sous ses quinze premières années d'ancienneté dans l'entreprise, à la charge de la société France Antilles Média Guadeloupe (la société), s'élève à la somme de 56.188,46 euros et qu'elle lui a été payée ;

- Fixé à 72.000 euros l'indemnité de M. [T] pour ses années d'ancienneté dans l'entreprise excédant les quinze premières, en application de l'article L.7112-4 du code du travail ;

- Fixé à 128 188,46 euros l'indemnité totale de licenciement de M. [T] en application des articles L.7112-3 et L.7112-4 du code du travail ;

- Condamné la société à payer à M. [T] la somme de :

72.000 euros avec intérêts au taux légal à partir du 9 janvier 2018, date de la notification à la société de la demande saisissant la Commission arbitrale ;

- Condamné aussi la société à payer à M. [T] la somme de :

1.510 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Débouté la société de ses autres demandes ;

- Dit que la présente décision, dispensée de tout frais, sera déposée au greffe du tribunal de grande instance de Paris pour être exécutée conformément aux dispositions de l'article D.7112-3 du code du travail.

Par saisine du 8 juillet 2019, la société FA Média Guadeloupe a formé un recours en annulation de la sentence arbitrale.

Par jugement du 30 janvier 2020, le tribunal de commerce de Fort de France a prononcé la liquidation judiciaire de la société FA Média Guadeloupe et désigné la SELARL Montravers Yang-Ting ès qualité de liquidateur judiciaire.

PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 06 avril 2022, la SELARL Montravers-Yang-Ting ès qualité de liquidateur de la société FA Média Guadeloupe demande à la cour :

À titre principal,

- D'annuler la sentence rendue par la Commission arbitrale des journalistes le 06 juin 2019 dans l'affaire opposant la société FA Média Guadeloupe à M. [T] en ce qu'elle est incompatible avec les articles 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, sur le fondement de l'article 1492, 5° du code de procédure civile ;

En tant que de besoin,

- De transmettre la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l'Union Européenne : « Les articles 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoyant le droit à un recours effectif peuvent-ils être interprétés comme permettant de priver les justiciables du droit de faire appel d'une décision rendue par la Commission arbitrale des journalistes instituée par l'article L.7112-4 du Code du travail, alors même que la saisine de ce tribunal arbitral est rendue obligatoire par la loi pour fixer le quantum de l'indemnité de rupture allouée au journaliste salarié au titre de ses années d'ancienneté au-delà de quinze ans ' » ;

En conséquence,

- De surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt qui sera rendu par la Cour de justice de l'Union européenne ;

- D'annuler la sentence rendue par la Commission arbitrale des journalistes le 06 juin 2019 dans l'affaire opposant la société FA Média Guadeloupe à M. [T] pour défaut de motivation, sur le fondement de l'article 1492, 6° du code de procédure civile,

- D'annuler la sentence rendue par la Commission arbitrale des journalistes le 06 juin 2019 dans l'affaire opposant la société FA Média Guadeloupe à M. [T] en ce qu'elle ne permet pas de vérifier la régularité de la constitution du tribunal arbitral, sur le fondement de l'article 1492, 2° du code de procédure civile ;

Statuant sur le fond du litige,

À titre principal,

- De dire qu'aucune indemnité de rupture n'est due par FA Média Martinique à M. [T] au titre de ses années d'ancienneté au-delà de quinze ans ;

En conséquence,

- De débouter M. [T] de l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions ;

À titre subsidiaire,

- De fixer à de plus justes proportions le montant de l'indemnité dont le paiement est sollicité par M. [T] ;

- De débouter M. [T] de l'ensemble de ses plus amples fins, moyens et prétentions ;

En tout état de cause,

- De condamner M. [T] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 08 avril 2022, M. [T] demande à la cour :

- De dire et juger recevable et bien fondée la demande en intervention forcée formulée à l'encontre de l'UNEDIC AGS ;

- De dire et juger que la sentence de la commission arbitrale du 06 juin 2019 et l'arrêt à intervenir de la présente cour d'appel sont opposables à l'UNEDIC AGS ;

- De dire que la décision de la Commission arbitrale n'a pas lieu d'être annulée ;

- De débouter l'appelante de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- De condamner la société FA Média Guadeloupe, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, à payer à M. [T] la somme de :

3.000 euros pour recours abusif ;

- De condamner la société FA Média Guadeloupe, sur le fondement de l'article 1240 du code civil,

à payer à M. [T] la somme de :

3.000 euros pour résistance abusive à l'exécution provisoire de la décision de la CAJ ;

- De condamner la société FA Média Guadeloupe à payer à M. [T] la somme de :

7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 26 février 2024, l'AGS demande à la cour :

- Dire que la décision de la Commission arbitrale a rendu sa décision sans viser l'article L.7112-5 du code du travail et sans répondre aux prescriptions de l'article L.7112-5 du code du travail ;

- Dire en conséquence que la décision de la Commission arbitrale doit être annulée ;

- Dire que la rupture du contrat de travail de M. [T] à l'initiative du salarié, n'entre pas dans le champ d'application de l'article L.7112-5 du code du travail dès lors que M. [T] n'a pas établi que cette rupture est effectivement motivée par la cession du journal, ce que la Commission arbitrale a omis de vérifier ;

- Dire en conséquence que la rupture du contrat de travail de M. [T] doit être qualifiée de démission;

- Dire en conséquence que les créances alléguées par M. [T] ne sont pas couvertes par la garantie de l'AGS ;

- Déclarer les demandes de M. [T] irrecevables et en tout état de cause mal fondées et injustifiées;

- Dire que les sommes réclamées par M. [T] n'entrent pas dans le champ de la garantie de l'AGS prévue par l'article L.3258-8 du code du travail ;

- Débouter M. [T] de ses demandes, fins et conclusions ;

- Donner acte à la concluante des conditions d'intervention forcée de l'AGS rappelées ci-dessus, et des conditions, limites et plafonds de la garantie de l'AGS prévus notamment par les articles L.3253-6 à L.3253-17, L.3253-19 à L.3253-20 du Code du travail ;

- Rejeter toute demande contraire dirigée à l'encontre de l'AGS.

Par arrêt en date du 5 octobre 2023, la Cour a ordonné la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture du 2 septembre 2022 et fixé un nouveau calendrier de procédure.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er mars 2024 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 28 mars 2024.

MOTIFS,

Sur la violation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

La société FA Média Guadeloupe soutient que la sentence viole l'ordre public puisqu'elle contrevient à certaines dispositions de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (les articles 47 et 52). Précisément, l'appelante estime que l'article L.7112-4 du code du travail (prévoyant le recours obligatoire à la commission arbitrale des journalistes pour obtenir l'indemnité de licenciement due au titre des années d'ancienneté au-delà de quinze ans et excluant le droit d'interjeter appel de la sentence arbitrale) est incompatible avec la Charte.

L'AGS, quant à elle, soutient également que la décision de la Commission arbitrale a rendu une décision non fondée encourant l'annulation. Elle ajoute que la sentence n'a pas répondu aux prescriptions de l'article L.7112-5 du code du travail.

Au contraire, M. [T] estime que la prétendue violation de l'ordre public européen relevée par l'appelante a déjà été débattue et tranchée par les juridictions françaises.

Aux termes de l'article L. 7112-4 du code du travail, dans sa version applicable :

Lorsque l'ancienneté excède quinze années, une commission arbitrale est saisie pour déterminer l'indemnité due.

Cette commission est composée paritairement d'arbitres désignés par les organisations professionnelles d'employeurs et de salariés. Elle est présidée par un fonctionnaire ou par un magistrat en activité ou retraité.

Si les parties ou l'une d'elles ne désignent pas d'arbitres, ceux-ci sont nommés par le président du tribunal de grande instance, dans des conditions déterminées par voie réglementaire.

Si les arbitres désignés par les parties ne s'entendent pas pour choisir le président de la commission arbitrale, celui-ci est désigné à la requête de la partie la plus diligente par le président du tribunal de grande instance.

En cas de faute grave ou de fautes répétées, l'indemnité peut être réduite dans une proportion qui est arbitrée par la commission ou même supprimée.

La décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d'appel.

Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion, dans sa décision du 14 mai 2012, de décider que cette disposition n'était pas contraire à la Constitution, dans les termes suivants :

« 9. Considérant que, selon les requérants, en rendant obligatoire la saisine de la commission arbitrale des journalistes pour évaluer l'indemnité de licenciement des journalistes salariés dans les cas qu'elles déterminent, les dispositions de l'article L. 7112-4 du code du travail portent atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la justice ; qu'en prévoyant que la décision rendue par la commission arbitrale des journalistes ne peut faire l'objet d'aucun recours, elles porteraient, en outre, atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif ;

10. Considérant que l'article 16 de la Déclaration de 1789 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense et des principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions ;

11. Considérant qu'est garanti par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration de 1789 le respect des droits de la défense ; qu'il en résulte également qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction;

12. Considérant que, d'une part, la commission arbitrale des journalistes est la juridiction compétente pour évaluer l'indemnité due à un journaliste salarié lorsque son ancienneté excède quinze années ; qu'elle est également compétente pour réduire ou supprimer l'indemnité dans tous les cas de faute grave ou de fautes répétées d'un journaliste ; qu'à cette fin, la commission arbitrale des journalistes, composée paritairement par des arbitres désignés par les organisations professionnelles d'employeurs et de salariés, est présidée par un fonctionnaire ou par un magistrat en activité ou retraité ; qu'en confiant l'évaluation de cette indemnité à cette juridiction spécialisée composée majoritairement de personnes désignées par des organisations professionnelles, le législateur a entendu prendre en compte la spécificité de cette profession pour l'évaluation, lors de la rupture du contrat de travail, des sommes dues aux journalistes les plus anciens ou à qui il est reproché une faute grave ou des fautes répétées ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte à l'égalité devant la justice doit être écarté ;

13. Considérant que, d'autre part, si le dernier alinéa de l'article L. 7112-4 du code du travail dispose que la décision de la commission arbitrale ne peut être frappée d'appel, le principe du double degré de juridiction n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle ; que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire tout recours contre une telle décision ; que cette décision peut en effet, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, faire l'objet, devant la cour d'appel, d'un recours en annulation formé, selon les règles applicables en matière d'arbitrage et par lequel sont appréciés notamment le respect des exigences d'ordre public, la régularité de la procédure et le principe du contradictoire ; que l'arrêt de la cour d'appel peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation ; qu'eu égard à la compétence particulière de la commission arbitrale, portant sur des questions de fait liées à l'exécution et à la rupture du contrat de travail des journalistes, ces dispositions ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article L. 7112-4 du code du travail ne méconnaissent, ni le principe d'égalité devant la justice, ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.

Aux termes de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice.

Enfin, l'article 52 de cette Charte se lit quant à lui :

1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. 2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l'objet de dispositions dans les traités s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci. 3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. 4. Dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions. 5. Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en oeuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l'Union, et par des actes des États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes. 6. Les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisé dans la présente Charte. 7. Les explications élaborées en vue de guider l'interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l'Union et des États membres.

Comme le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans sa décision mentionnée ci-dessus, le législateur a tenu à prendre en compte la spécificité du métier de journaliste pour organiser l'évaluation des conséquences indemnitaires de la rupture du contrat de travail.

Le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l'article L. 7112-4 du code du travail, si elles n'autorisent pas l'appel, au sens strict, et alors que le principe du double degré de juridiction n'a pas valeur constitutionnelle, n'ont pas pour effet d'interdire tout recours.

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'impose pas davantage aux Etats d'organiser systématiquement le double degré de juridiction.

Les dispositions de la Charte rappelées ci-dessus, que visent la défense du liquidateur judiciaire de la Société, ont seulement pour effet de rappeler le principe du droit à un recours effectif devant un juge impartial et la nécessité pour les Etats d'organiser l'exercice des droits et libertés des citoyens conformément à la Charte tout en tenant compte des traditions constitutionnelles communes des Etats membres.

Dans cette perspective, la défense du liquidateur judiciaire de la Société ne démontre aucunement que les dispositions relatives à la Commission d'arbitrage ne s'inscriraient pas dans ces traditions communes, encore moins qu'elles auraient pour conséquence de porter une atteinte disproportionnée aux droits et libertés que confère la Charte aux entreprises de presse.

Elle le fait d'autant moins qu'en réalité, la disposition critiquée, si elle ne répond pas à l'idée d'un double degré de juridiction, au sens où on l'entend traditionnellement de l'appel, envisage cependant expressément la possibilité d'un recours, porté cette fois devant le juge judiciaire.

Le droit au recours effectif est donc garanti par cette disposition.

Il en résulte donc qu'il n'est pas justifié de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

Sur l'absence de motivation :

La société FA Média Guadeloupe soutient que la sentence arbitrale ne contient aucune motivation. Elle relève que la Commission arbitrale n'a pas précisé les motifs de sa décision et s'est bornée à indiquer qu'elle disposait des informations lui permettant de fixer l'indemnité de rupture.

L'appelante considère être dans l'impossibilité de connaître les éléments de fait et de droit ayant présidé à la décision de la Commission arbitrale des journalistes.

L'AGS, quant à elle, soutient également que la décision de la Commission arbitrale a rendu une décision non motivée encourant l'annulation. Elle ajoute que la sentence n'a pas répondu aux prescriptions de l'article L.7112-5 du code du travail.

Au contraire, M. [T] soutient que la Commission arbitrale a motivé sa décision en fait et en droit.

S'agissant de l'absence de motivation de la sentence, alléguée par le liquidateur judiciaire de la Société, force est de constater que la lecture de la décision critiquée suffit à anéantir l'argument. En effet, la commission a pris soin de détailler les moyens développés par les parties, elle en a retenu, dans un paragraphe qui détaille les fondements de sa décision, qu'il convenait d'allouer à M. [T] la somme de 72.000 euros en sus de celle qu'il avait perçue au titre des quinze premiers années d'exercice de sa profession au sein de la Société.

Par ailleurs, le texte même de la sentence indique que les dossiers et pièces des parties ont été communiqués aux parties, qu'elles ont été entendues en leurs explications orales.

Il résulte de ce qui précède que la commission arbitrale a respecté le principe du contradictoire comme celui de la motivation de ses décisions.

Sur la régularité de la composition du tribunal arbitral :

La société FA Média Guadeloupe soutient que les termes de la sentence ne permettent pas de s'assurer de la régularité de la désignation des membres ayant composé la Commission arbitrale. En effet, l'appelante indique que les modalités de désignation desdits arbitres ne sont pas précisées par la sentence.

La société FA Média Guadeloupe précise qu'elle soulève cette problématique pour la première fois au stade du recours en annulation parce qu'elle était dans l'impossibilité d'apprécier la validité de la composition de la Commission.

Au contraire, M. [T] indique que la société appelante n'apporte aucun élément de nature à démontrer que la composition de la Commission arbitrale serait irrégulière.

M. [T] souligne que l'appelante ne démontre pas avoir contesté la régularité de la composition de la Commission arbitrale devant celle-ci.

S'agissant de la régularité de la composition de la commission arbitrale, la défense du liquidateur judiciaire de la Société soutient que les « termes de la sentence ne permettent donc pas de s'assurer de la régularité de la désignation des membres ayant composé la Commission arbitrale des journalistes lors de l'audience, faute pour cette Commission d'avoir communiqué les modalités de désignation desdits arbitres ».

Aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que le texte de la décision en cause, en l'espèce , la sentence arbitrale, permette en elle-même d'apprécier la régularité de la désignation des membres de la Commission.

De plus, la jurisprudence citée par la défense du liquidateur judiciaire de la Société n'est pas pertinente, soit parce qu'elle concerne la situation d'un arbitre unique, et non d'une commission, dont l'impartialité pouvait paraître sujette à caution, la Cour de cassation relevant que la cour d'appel avait précisément observé que « la déclaration d'indépendance de l'arbitre revêtait un caractère délibérément tronqué et réducteur » ; soit parce que, toujours d'ailleurs dans le cas d'un arbitre unique et non d'une collégialité, l'arbitre s'était abstenu de porter des informations à la connaissance des parties alors que « l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties et ne peut, en ce cas, accepter sa mission qu'avec leur accord ».

Surtout, le liquidateur judiciaire de la Société ne justifie en aucune manière de ce qu'elle aurait sollicité les membres de la commission, ou son président, quelque autre intervenant , aux fins de connaître les modalités de la désignation des membres de la commission, étant souligné que le président en était un magistrat honoraire de la Cour de cassation.

Or, la composition de la commission était connue de cette défense depuis, au plus tard, la réception du courrier, en date du 21 février 2019, adressé par le président de la commission pour informer les parties de la date de l'audience, étant précisé qu'une journée entière a été consacrée à l'examen des dossiers des salariés du groupe France Antilles concernés et que, s'agissant plus spécialement des membres des organisations professionnelles de salariés, leurs noms ont été communiqués par courriel dès le 22 mars 2019, selon la pièce produite par le liquidateur judiciaire de la Société.

Au demeurant , comme M. [T] le relève justement, la commission a considéré, dans sa sentence, que « les parties ne discutaient pas la régularité de sa composition ou de sa saisine ».

S'agissant, enfin, de l'argument de l'AGS selon lequel la commission arbitrale n'aurait pas respecté les dispositions de l'article L. 7112-5 du code du travail, il doit être considéré que M. [T] a expressément fondé ses demandes sur la cession du journal, ce qui correspond précisément au premier cas visé par l'article en cause et permettant l'ouverture de la procédure des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du même code.

Il convient d'y ajouter que l'article L. 7112-5 n'impose aucun délai au journaliste pour mettre en oeuvre les dispositions qu'il contient.

À cet égard, il suffit que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances qu'il énumère.

De l'ensemble de ce qui précède, il résulte que la sentence de la commission arbitrale n'encourt pas l'annulation.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur le fond du litige.

Sur la garantie de l'AGS :

L'AGS demande à la cour de rejeter les demandes de fixation de créances qui n'entrent pas dans le champ de garantie de l'AGS et qui ne sont ni fondées dans leur principe ni justifiées dans leur montant, la rupture du contrat de travail étant intervenue à l'initiative du salarié et alors que l'AGS ne garantit que les créances résultant de la rupture du contrat de travail notifiée après le jugement d'ouverture de la procédure collective.

Aux termes de l'article L. 3253-6 du code du travail, «  tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ».

L'article L. 3253-8 du même code précise :

L'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 couvre :

1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;

2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :

a) Pendant la période d'observation ;

b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;

c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;

d) Pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité ;

3° Les créances résultant de la rupture du contrat de travail des salariés auxquels a été proposé le contrat de sécurisation professionnelle, sous réserve que l'administrateur, l'employeur ou le liquidateur, selon le cas, ait proposé ce contrat aux intéressés au cours de l'une des périodes indiquées au 2°, y compris les contributions dues par l'employeur dans le cadre de ce contrat et les salaires dus pendant le délai de réponse du salarié ;

4° Les mesures d'accompagnement résultant d'un plan de sauvegarde de l'emploi déterminé par un accord collectif majoritaire ou par un document élaboré par l'employeur, conformément aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4, dès lors qu'il a été validé ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 1233-58 avant ou après l'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ;

5° Lorsque le tribunal prononce la liquidation judiciaire, dans la limite d'un montant maximal correspondant à un mois et demi de travail, les sommes dues :

a) Au cours de la période d'observation ;

b) Au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ;

c) Au cours du mois suivant le jugement de liquidation pour les représentants des salariés prévus par les articles L. 621-4 et L. 631-9 du code de commerce ;

d) Pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation et au cours des quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.

La garantie des sommes et créances mentionnées aux 1°, 2° et 5° inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d'origine légale, ou d'origine conventionnelle imposée par la loi, ainsi que la retenue à la source prévue à l'article 204 A du code général des impôts.

Par ailleurs, aux termes de l'article D. 7112-3 :

La décision de la commission arbitrale est obligatoire. Elle produit effet à compter de sa saisine. Aucune disposition ne peut prescrire que ses effets rétroagiront avant cette date. Sa minute est déposée par l'un des arbitres ou par le président de la commission au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la décision a été rendue. Ce dépôt est accompli dans les vingt-quatre heures et rend la décision exécutoire. Les actes nécessités par l'application de l'article L. 7112-4 et du présent article sont dispensés de formes et de frais, en particulier de timbre et d'enregistrement. (souligné par la cour)

En l'occurrence, M. [T] a demandé à bénéficier de la clause de cession le 25 novembre 2017, alors que :

. le plan de cession proposé par AJR Participations avait été arrêté par le tribunal mixte de commerce le 13 juin 2017 ;

. il a saisi la commission arbitrale le 30 novembre 2017;

. la commission arbitrale a statué le 6 juin 2019 ;

. le tribunal mixte de commerce a ouvert les procédures de redressement judiciaire de FAMG et FA Media Martinique, le 25 juin 2019 ;

. le 30 juin 2020, ce tribunal a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire.

Il résulte directement de cette chronologie que M. [T] a saisi la commission arbitrale avant l'ouverture de la procédure de redressement.

L'AGS doit donc garantir les sommes allouées à M. [T] par cette commission, dans les limites habituelles de sa garantie, la cour rappelant, à toutes fins, que cette garantie ne s'étend ni aux dépens ni aux indemnités allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la demande de M. [T] sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile :

Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui « qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés ».

En l'espèce, M. [T] ne développe aucun moyen à l'appui de cette prétention tandis qu'aucun élément ne permet de considérer que le recours formé régulièrement par le liquidateur judiciaire aurait dégénéré en un recours dilatoire ou abusif au sens de ces dispositions.

M. [T] sera débouté de sa demande à cet égard.

Sur la demande de dommages intérêts :

M. [T] sollicite la somme de 3.000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive à l'exécution de la sentence arbitrale.

S'il est constant que la Société ne s'est pas acquittée des sommes déterminées par la commission arbitrale des journalistes, la cour ne peut que constater que M. [T] ne développe aucun moyen à l'appui de sa demande, la seule soumission de son relevé d'imposition sur les revenus de 2018 et d'un avis d'échéance pour une mutuelle santé ne permettant pas de caractériser, à eux seuls, le préjudice dont l'indemnisation est sollicitée.

M. [T] sera également débouté de cette demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Les dépens seront employés en frais privilégiés de procédure collective.

Il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M.[T].

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

DIT qu'il n'y a pas lieu à transmission d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne,

REJETTE la demande d'annulation de la sentence arbitrale rendue par la commission arbitrale des journalistes le 6 juin 2019 à l'égard de M.[S] [T],

DÉCIDE que l'Unedic Délégation AGS CGEA de Martinique Guadeloupe doit sa garantie sur les sommes allouées par la commission arbitrale des journalistes à M.[S] [T] le 6 juin 2019 dans les limites prévues aux articles L. 3253-6 à L. 3253-17, L. 3253-19 à L. 3253-20 du code du travail,

REJETTE les demandes en paiement de M.[S] [T] au titre des articles 32-1 du code de procédure civile et 1240 du Code civil,

EMPLOIE les dépens en frais privilégiés de procédure collective,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 19/14172
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;19.14172 ?
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