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16/05/2024 | FRANCE | N°22/09821

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 12, 16 mai 2024, 22/09821


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12



ARRET DU 16 MAI 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09821 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF3F5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2022 -JIVAT Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/08661





APPELANT



FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET AUTRES

INFRACTIONS

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, toque : P82 substitué par Me Jean-françois LAIGNEAU, avocat au barreau d...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 12

ARRET DU 16 MAI 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09821 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF3F5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2022 -JIVAT Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/08661

APPELANT

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET AUTRES INFRACTIONS

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, toque : P82 substitué par Me Jean-françois LAIGNEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082

INTIMEE

Madame [M] [C]

[Adresse 4]

[Localité 3]

née le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 7]

représentée par Me Simon FOREMAN de l'AARPI COURREGE FOREMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2616

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/020073 du 19/08/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre, et Mme Sylvie LEROY, Conseillère chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre

Madame Sylvie LEROY, Conseillère

Madame Dorothée DIBIE, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Eva ROSE-HANO

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Andrée BAUMANN, Présidente de chambre et par Eva ROSE-HANO, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

M. [D] [F], a été victime de l'attentat commis au Bataclan le 13 novembre dans lequel il assistait au concert avec son fils. Il a été gravement blessé au bras gauche. Le soir des faits, Mme [M] [C], sa compagne, devait les rejoindre dans un bar proche.

A 22h31, elle a reçu un texto de son compagnon dans lequel il l'informait de la prise d'otages et de sa blessure au bras, puis deux autres messages à 22h50 et 22h52. Elle s'est alors rendue sur les lieux puis s'est déplacée aux urgences de l'hôpital [10], où elle a pu retrouver M. [D] [F], gravement blessé au bras.

Par ordonnance de référé du 17 juillet 2019, le docteur [J], psychiatre, a été commis en qualité d'expert, pour procéder à l'expertise médicale de Mme [M] [C].

Il a déposé son rapport le 25 novembre 2019 et conclu comme suit :

- DFTP : à 30% du 13 novembre 2015 au 1er avril 2016, à 10% du 2 avril 2016 jusqu'à consolidation

- consolidation : 13 novembre 2016

- déficit fonctionnel permanent : 5%

- souffrances endurées : 2,5/7

Mme [M] [C] a saisi la juridiction de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme du tribunal judiciaire de Paris (JIVAT) aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

Par jugement du 7 avril 2022, ce tribunal a :

- dit que Mme [M] [C] n'avait pas été victime d'un acte de terrorisme le 13 novembre 2015, au sens des dispositions des articles L126-1 et L 422-1 et suivants du code des assurances,

- condamné le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorisme et d'autres Infractions à payer à Mme [M] [C], en sa qualité de victime indirecte, les sommes suivantes, provisions non déduites :

- 6 000 euros au titre de son préjudice d'affection

- 6 000 euros au titre de son préjudice d'attente et d'inquiétude

- 1 937,13 euros au titre des frais d'adaptation du logement

- 536,32 euros au titre des frais de déplacement

- outre la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a interjeté appel de ce jugement et, par conclusions notifiées par la voie électronique le 26 décembre 2023, il demande à la cour :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que Mme [M] [C] n'a pas été victime d'un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 au sens des dispositions des articles L126-1 et L 422-1 et suivants du code des assurances et de la débouter de ses demandes, en sa qualité "affirmée à tort", de victime directe,

- de juger Mme [M] [C] mal fondée en ses demandes en qualité de victime indirecte et l'en débouter, et à titre subsidiaire, de lui allouer les sommes suivantes :

- préjudice d'attente et d'inquiétude : 3 000 euros

- préjudice d'affection transitoire : 3 000 euros

- de dire que les dépens seront laissés à la charge du Trésor public,

- de rejeter sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon conclusions notifiées par la voie électronique le 22 décembre 2023, Mme [M] [C] demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il lui a reconnu la qualité de victime indirecte et

en ses dispositions relatives aux frais d'adaptation du logement, aux frais de déplacement et en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau :

- de dire qu'elle a la qualité de victime directe de l'attentat terroriste du 13 novembre 2015 au sens des articles L.126-1 et L.422-1 et suivants du code des assurances, et de condamner le FGTI à lui verser les sommes suivantes :

- arrérages échus de la perte de gains professionnels futurs : 79.289,93 euros (sauf à parfaire à la date de l'arrêt à intervenir)

- arrérages à échoir de la perte de gains professionnels futurs : 375.936,773 euros (sauf à parfaire à la date de l'arrêt à intervenir)

- incidence professionnelle du préjudice corporel : 10 000 euros

- frais médicaux : 129,30 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 1 770,19 euros

- souffrance psychologique avant consolidation : 6 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 8 850 euros

- préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme : 30 000 euros

- de condamner le FGTI à lui verser en sa qualité de victime indirecte les sommes de 15 000 euros au titre du préjudice d'affection et de 10 000 euros au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude

- de condamner le FGTI aux dépens de première instance et d'appel et à lui payer la somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

CECI ETANT EXPOSE, LA COUR

Sur le droit à indemnisation de Mme [M] [C] en qualité de victime directe

Mme [M] [C] critique la décision de la Jivat qui a considéré que, ne se trouvant pas dans la salle du Bataclan lorsque l'acte terroriste y a été perpétré, mais dans une rue adjacente, elle n'a pas été directement exposée à la menace.

Elle soutient que la Jivat a fait une mauvaise application des articles L 126-1 et L422-1 du code des assurances qui imposent de prendre en compte l'ensemble des victimes de l'intimidation ou de la terreur, qui constituent l'élément caractéristique de l'infraction.

Elle fait valoir que la scène de crime dépassait les limites de la salle du Bataclan pour englober ses abords immédiats où elle se trouvait.

Sur ce,

Selon l'article L. 126-1 du code des assurances, qui a codifié, en substance, l'article 9 de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit sont indemnisés par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dans les conditions définies aux articles L. 422-1 et L. 422-3 du même code.

L'article 421-1 du code pénal qui définit les infractions à caractère terroriste, dispose notamment que constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les atteintes volontaires à la vie et les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne.

S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, comme l'est l'attentat commis le 13 novembre 2015 au Bataclan, sont des victimes au sens de l'article L.126-1 précité, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.

Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.

Il appartient à Mme [M] [C] qui se prévaut de la qualité de victime directe de l'attentat du 13 novembre 2015, de démontrer qu'elle a, de fait, été directement exposée au risque de mort ou de blessures.

En l'espèce, il est acquis aux débats que Mme [M] [C] qui ne se trouvait pas dans la salle du Bataclan, n'a pas été témoin de la scène de crime qui se déroulait dans cette enceinte.

Elle produit son récit des événements qu'elle a vécus le 13 novembre 2015.

Elle relate être arrivée aux alentours de 22h50 dans une rue derrière le Bataclan, dont les abords étaient envahis par les forces de l'ordre et les secours, et avoir réussi à s'approcher, entre la [Adresse 8] et la [Adresse 9].

Elle précise : 'l'assaut est donné, je crois. Peu à peu, je vois des gens blessés couverts de sang courir, tout le monde s'agite autour de moi. Je ne peux rien faire à part regarder...

Passé minuit, [D] m'appelle. Il est en vie ...L'attente devient interminable... Il me dit qu'il va être conduit à [10]... [10], les urgences se remplissent de blessés, de corps évidés... Ils ne savent pas où est [D]... Des draps se soulèvent, ce n'est pas lui... [D] arrive enfin, il est 0H40... Du sang partout, une odeur horrible m'envahit et je prends enfin conscience de tous les blessés que je viens de voir...'.

Il ressort de la relation que Mme [M] [C] a faite de la soirée du 13 novembre 2015 que, présente dans le périmètre investi par les forces de l'ordre, elle a été le témoin de la terreur qui y régnait ce soir là, et de l'évacuation des victimes, mais qu'elle n'a pas été directement et réellement exposée au danger de l'acte terroriste et au risque objectif de mort ou de blessures.

Ses préjudices, que la cour ne met pas en doute, résultent des scènes d'horreur dans lesquelles elle s'est trouvée plongée ce soir là.

Ils sont dès lors sans lien de causalité direct avec les infractions terroristes d'assassinat et de tentatives d'assassinat.

Il s'en déduit que Mme [M] [C] n'a pas la qualité de victime de l'attentat du 13 novembre 2015. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur l'indemnisation des préjudices de Mme [M] [C] en qualité de victime indirecte

- sur le préjudice d'attente et d'inquiétude

Ce préjudice répare l'inquiétude éprouvée par les proches d'une personne qui apprennent que celle-ci se trouve ou s'est trouvée exposée, à l'occasion d'un événement, individuel ou collectif, à un péril de nature à la mettre en danger et à porter atteinte à son intégrité corporelle. Il se réalise ainsi entre la découverte de l'événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril.

Mme [M] [C] s'est rendue sur place après avoir eu connaissance des événements par son compagnon, par un SMS à 22h31 qui lui précisait qu'il était blessé au bras.

Deux heures trente minutes se sont écoulées avant qu'elle le retrouve effectivement, à l'hôpital [10], après qu'il lui a adressé deux textos à 22h50 ( 'je n'ai plus de bras' ) et 22h52 ( 'je ne peux pas bouger, les flics arrivent, je crois' ), et téléphoné, vers minuit.

Il est alloué à Mme [M] [C] en réparation de son préjudice d'attente et d'inquiétude, la somme de 3 000 euros.

- sur le préjudice d'affection

Le préjudice d'affection indemnise le préjudice moral éprouvé par un proche de la victime directe, à la vue des souffrances endurées par ce dernier, qu'elles soient physiques ou psychologiques.

Le compagnon de Mme [M] [C] avec lequel elle vivait depuis 2013, gravement blessé au bras, a été hospitalisé pendant plusieurs mois et a subi de multiples interventions de chirurgie reconstructrice.

Il est établi qu'elle l'a accompagné pendant sa convalescence et est venue chaque jour à son chevet.

Elle a été le témoin de ses souffrances, dont il ressort des pièces produites qu'elle a été très affectée.

Ce chef de préjudice a été exactement évalué par la Jivat. Cette disposition du jugement est confirmée.

- sur les frais d'adaptation du logement

Mme [M] [C] demande le remboursement des frais divers qu'elle a exposés, nécessaires à l'adaptation du logement dans lequel elle vivait avec [D] [F] lorsque les faits sont survenus au motif qu'il était 'incompatible' avec l'état de santé de ce dernier.

Au soutien de cette demande, elle produit une facture de Conforama pour l'acquisition d'un lave linge, et divers tickets de caisse du magasin [6] pour l'achat d'une poubelle, de rideaux, d'un dérouleur de papier WC, d'un porte-serviette, d'un plan de travail, un rangement de cuisine...

Le FGTI fait exactement valoir que l'imputabilité de ces dépenses aux conséquences de l'attentat n'est pas démontrée.

Cette demande est par voie de conséquence rejetée, et le jugement infirmé de ce chef.

- sur les frais de déplacement

Les frais de déplacement supportés par Mme [M] [C] en lien avec l'attentat, pour se rendre au chevet de son compagnon, ainsi qu'à des rendez vous administratifs, se sont élevés à 536,32 euros.

Cette disposition du jugement est confirmée.

PAR CES MOTIFS

Infirme partiellement le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Condamne le FGTI à payer à Mme [M] [C], en deniers ou quittances, provisions et somme versée en vertu de l'exécution provisoire non déduites, la sommes de 3 000 euros au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude,

Rejette la demande au titre des frais d'adaptation du logement,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Rejette la demande en application de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

Laisse les dépens d'appel à la charge de l'Etat,

Dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 22/09821
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;22.09821 ?
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