La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2024 | FRANCE | N°21/09836

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 16 mai 2024, 21/09836


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 16 MAI 2024



(n° 2024/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09836 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXPT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 19/00641





APPELANTE



Madame [G] [B]

[Adresse 2]
<

br>[Adresse 2]

Représentée par Me Chanel DESSEIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : B 607





INTIMEE



E.P.I.C. RATP

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Camille FAVIER, avo...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 16 MAI 2024

(n° 2024/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09836 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXPT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 19/00641

APPELANTE

Madame [G] [B]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Chanel DESSEIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : B 607

INTIMEE

E.P.I.C. RATP

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Camille FAVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R 03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Octobre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre et de la formation

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, et par Madame Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat à durée indéterminée en date du 22 juin 2011 à effet du 1er juillet suivant, l'établissement public Régie Autonome des Transports Parisiens (ci-après RATP) a embauché Mme [G] [B] pour exercer la fonction de OQ ' animateur agent mobile, catégorie opérateur, niveau hiérarchique E5XP, échelon 2, au sein de l'unité L2-S du département services et espaces multimodaux (SEM), moyennant une rémunération brute annuelle de 21 212,62 euros.

Précédemment, la RATP avait embauché Mme [B] en 1999 aux termes d'un contrat emploi-solidarité à durée déterminée et à temps partiel ' contrat prolongé jusqu'au 16 mai 2000.

La relation contractuelle s'était poursuivie aux termes d'un contrat de qualification exploitation du 17 avril 2000, pour la période du 17 avril 2000 au 16 avril 2001.

Le 17 avril 2001, Mme [B] avait alors bénéficié d'un bulletin d'engagement agent stagiaire pour exercer en qualité d'animateur agent mobile à compter de cette date moyennant un salaire mensuel correspondant à l'échelle N5 échelon 1.

Entre le 1er juillet 2006 et le 30 juin 2011, Mme [B] était sortie définitivement des effectifs de la RATP.

La relation contractuelle est soumise au statut du personnel de la RATP et l'établissement public employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Suivant avis du 13 octobre 2015, le médecin du travail a déclaré Mme [B] inapte provisoirement durant un mois. Cette inaptitude a ensuite été prolongée tous les mois jusqu'en octobre 2016.

Le 10 mai 2016, la maison départementale des personnes handicapées de [Localité 3] a notifié à Mme [B] sa décision de lui reconnaître la qualité de travailleur handicapé du 10 mai 2016 au 9 mai 2021.

Aux termes de deux visites médicales les 11 octobre et 4 novembre 2016, le médecin du travail a déclaré Mme [B] inapte définitivement : « inapte AAM ; pas de contact avec le public ; pas de poste de sécurité ; étude de poste le 17 octobre ; proposition : poste bureau, gestion des lieux ' terrain possible sans contact avec le public ».

Le 4 juillet 2018, la RATP a proposé à Mme [B] un poste d'agent courrier que la salariée a refusé.

Par lettre remise en main propre le 18 septembre 2018, la RATP a convoqué Mme [B] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 septembre suivant.

Par lettre recommandée datée du 3 octobre 2018, la RATP lui a notifié sa réforme pour inaptitude et impossibilité de reclassement, en application des articles 99 du statut du personnel et L. 1226-2-1 du code du travail.

Sollicitant sa réintégration et le paiement de certaines sommes, Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 28 janvier 2019.

Par jugement de départage du 19 novembre 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- débouté Mme [B] de l'intégralité de ses demandes ;

- débouté la RATP de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé les dépens à la charge de Mme [B].

Par déclaration du 1er décembre 2021, Mme [B] a interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 octobre 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [B] demande à la cour de :

- infirmer l'intégralité du jugement ;

statuant de nouveau,

à titre principal,

- juger que sa réforme est nulle pour discrimination fondée sur l'état de santé et le handicap ;

- ordonner sa réintégration et condamner la RATP au versement des salaires entre son licenciement et sa réintégration effective ;

si la réintégration s'avère impossible, ce que l'employeur ne démontre pas à ce stade,

- condamner la RATP à lui verser la somme de 35 000 euros au titre d'indemnisation du licenciement nul ;

à titre subsidiaire,

- juger que la RATP a sciemment méconnu les dispositions de l'article 99 du statut du personnel ;

- juger que la RATP a manqué à son obligation de sérieux et de loyauté dans son reclassement ;

en conséquence,

- condamner la RATP à lui verser la somme de 16 328,48 euros au titre d'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

en tout état de cause,

- condamner la RATP à lui verser les sommes suivantes :

* 4 082,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 408,21 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

* 5 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail ;

- condamner la RATP à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et la somme de 2 500 euros en cause d'appel ;

- condamner la RATP aux dépens ;

- juger que les intérêts courront à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 10 octobre 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la RATP demande à la cour de :

- la recevoir en ses conclusions ;

- confirmer le jugement ;

en conséquence,

- juger la réforme de Mme [B] pour inaptitude et impossibilité de reclassement régulière et bien fondée ;

- débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [B] à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [B] aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 octobre 2023.

MOTIVATION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :

« (') Par deux avis médicaux successifs du 11 octobre 2016 et du 4 novembre 2016, le médecin du travail a rendu à votre égard un avis d'inaptitude définitive d'origine non professionnelle à votre poste de d'Animateur Agent Mobile conformément à l'article R. 4624-42 du code du travail.

Nous avons engagé des recherches au sein du Groupe RATP en vue de votre reclassement sur un poste disponible, compatible avec vos capacités et conforme aux préconisations du Médecin du travail, à savoir :

« Inapte AAM, pas de contact avec le public, pas de poste de sécurité ;

Proposition : poste bureau, gestion des lieux, terrain possible sans contact avec le public » (avis médical du 4 novembre 2016)

« Pas de manutention supérieure à 10 kgs » (avis médical du 30 mars 2018)

En ce sens, le 4 juillet 2018, nous vous avons proposé le poste d'agent courrier au département SEM ' ligne 10. Vous avez refusé d'être reclassé sur ce poste le 11 juillet 2018.

Malheureusement, nos recherches n'ont pas permis de trouver une solution de reclassement, faute de poste disponible au sein du Groupe RATP qui serait compatible avec vos compétences et l'avis du médecin du travail.

Par conséquent, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre réforme pour impossibilité de reclassement, en application de l'article 99 du Statut du personnel et de l'article L. 1226-2-1 du code du travail. Cette mesure prend effet à la date d'envoi de la présente notification à votre domicile. ('). »

* sur la réforme

A l'appui de sa demande tendant à voir juger que sa réforme est nulle, Mme [B] invoque, d'une part, le non-respect de deux conditions « substantielles », d'autre part, une discrimination à raison de son état de santé et de son handicap.

* sur le non-respect de deux conditions « substantielles »

Mme [B] soutient qu'en matière d'inaptitude, le statut du personnel de la RATP prévoit l'intervention d'un organisme non prévu par le droit commun du travail, à savoir une commission médicale donnant son avis sur l'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise, laquelle entraîne une réforme médicale avec mise à la retraite. Elle fait valoir que c'est à tort que la RATP soutient que le statut distingue deux types d'inaptitude (au poste ou à l'emploi statutaire, d'une part, à tout emploi à la régie, d'autre part) entraînant deux types de réforme et que l'inaptitude définitive à l'emploi statutaire ou au poste lui permet de licencier pour inaptitude avec impossibilité de reclassement conformément aux dispositions du code du travail (articles 97 et 99 du statut). Mme [B] considère que ce mode de rupture appelée réforme par la RATP n'est pas prévu par le statut et que seule la commission médicale peut statuer sur l'inaptitude à tout emploi dans la régie. Mme [B] fait également valoir qu'ayant été déclarée inapte à l'emploi statutaire avec impossibilité pour la RATP de la reclasser, il appartenait à la RATP de la déférer devant la commission médicale avant que le président directeur général ne prononce sa réforme.

Ce à quoi la RATP réplique que, contrairement à ce que soutient Mme [B], le statut du personnel prévoit deux types de réforme : la réforme médicale en cas d'inaptitude à tout emploi (article 98 du statut) et la réforme pour inaptitude et impossibilité de reclassement (articles 97 et 99 du statut) ' reconnues par la jurisprudence. La RATP fait valoir que Mme [B] ne peut valablement lui reprocher de ne pas l'avoir convoquée devant la commission médicale alors que l'article 94 du statut prévoit expressément que cette commission se réunit à la demande de l'agent en congé maladie de plus de trois mois et qu'en l'occurrence, entre l'avis d'inaptitude définitif du médecin du travail et son licenciement, Mme [B] n'a jamais sollicité la convocation de la commission médicale pour statuer sur son inaptitude à tout emploi au sein de la régie.

La RATP réplique également que seule la réforme médicale est prononcée par le président directeur général et que Mme [B] ne relève pas de cette réforme-là ; que la réforme pour inaptitude et impossibilité de reclassement pouvait être prononcée par le directeur du département gestion et innovation sociales (GIS) en vertu de la délégation de pouvoir reçue du président directeur général.

L'article 97 du statut du personnel prévoit que « l'inaptitude à l'emploi statutaire, provisoire ou définitive, relève de la seule compétence du médecin du travail, qui peut, sur demande de l'agent, recueillir l'avis d'un médecin du Conseil de Prévoyance ».

Aux termes de l'article 98 de ce statut, « l'inaptitude définitive à tout emploi à la Régie relève de la seule compétence de la Commission Médicale et entraîne obligatoirement la réforme de l'agent concerné ».

Suivant l'article 99 de ce même statut, « l'agent faisant l'objet, après avis du médecin du travail, d'une décision d'inaptitude définitive peut être reclassé dans un autre emploi. Si l'agent n'est pas reclassé, il est réformé.

Le reclassement est subordonné :

1° - à l'établissement par l'agent d'une demande

2° - à la vacance d'un poste dans un autre emploi ;

3° - à la possession des aptitudes et capacités requises pour occuper l'emploi considéré. (')

Il est établi une liste des postes dits « de reclassement » susceptibles d'être attribués aux bénéficiaires des dispositions du présent article, éventuellement après une formation organisée par la Régie en faveur de ces agents.

La liste de ces postes vacants est tenue à jour et mise à la disposition de la Commission de Reclassement. (') ».

En l'espèce, l'avis d'inaptitude définitive rendu par le médecin du travail conclut à une inaptitude définitive au poste animateur agent mobile, ce qui s'analyse comme une inaptitude à l'emploi ou au poste occupé par Mme [B] et n'exclut pas la possibilité d'un reclassement sous réserve du respect des restrictions posées.

Il résulte de l'article 94 du statut que la commission médicale se réunit périodiquement en vue de donner un avis sur les cas particuliers et obligatoirement « à la demande des agents en congé de maladie de plus de 3 mois, sur leur inaptitude à tout emploi à la RATP, après avis d'inaptitude définitive à l'emploi statutaire par le médecin du travail, et sur leur réforme ».

Or, Mme [B] ne justifie pas avoir demandé que la commission médicale se prononce sur son éventuelle inaptitude à tout emploi au sein de la régie.

Par conséquent, elle ne peut légitimement reprocher à la RATP d'avoir prononcé sa réforme pour inaptitude avec impossibilité de reclassement sans l'avis de la commission médicale.

Ensuite, la lettre par laquelle la RATP a notifié à Mme [B] sa réforme est signée de M. [D] [S], directeur du département gestion et innovations sociales depuis le 4 avril 2016.

Or, aux termes de l'article 8 du décret n°59-1091 du 23 septembre 1959 portant statut de la RATP, le président directeur général peut déléguer ses pouvoirs et sa signature « pour diriger l'ensemble des services, recruter et gérer le personnel dans le cadre du statut de celui-ci » et, par décision 2015-31 du 17 avril 2015, le président directeur général de la RATP a décidé « de donner délégation au directeur du département gestion et innovation sociales (GIS) pour prononcer la réforme pour impossibilité de reclassement des agents reconnus inaptes définitifs à leur emploi statutaire ».

Partant, le directeur du département GIS a pu valablement signer la lettre notifiant à Mme [B] sa réforme pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

* sur la discrimination à raison de l'état de santé et du handicap

Mme [B] soutient qu'elle ne pouvait pas être licenciée pour impossibilité de reclassement dès lors que la commission médicale ne s'était pas prononcée sur son inaptitude à tout emploi et qu'en méconnaissant les dispositions protectrices du statut du personnel, son licenciement est nul puisque prononcé en raison de son état de santé alors qu'il s'agit d'une discrimination prohibée par la loi.

Ce à quoi la RATP réplique que Mme [B] ne fournit aucun élément laissant supposer qu'elle aurait été victime d'une discrimination en raison de son état de santé et fait valoir que la décision de réformer Mme [B] n'est motivée que par l'impossibilité de la reclasser à la suite de son refus du poste de reclassement proposé.

Mme [B] soutient encore que la RATP n'a entrepris aucune mesure pour maintenir son employabilité alors qu'elle était reconnue salariée handicapée et que cette absence de diligence est constitutive d'une discrimination entraînant la nullité de son licenciement. Mme [B] fait valoir que la RATP s'est affranchie des dispositions de l'accord en faveur de l'emploi des personnes en situation de handicap 2016-2019 et 2020 : conseil ou soutien du correspondant handicap ; formations particulières à l'emploi pour permettre l'insertion ou la réinsertion de la personne en situation de handicap dans son poste de travail ; bénéfice du plan de maintien dans l'emploi de la personne en situation de handicap ; mesures d'aménagement du poste de travail (télétravail). Elle en conclut que son licenciement est également nul au motif que cette absence de diligence est constitutive d'une discrimination prohibée.

Ce à quoi la RATP réplique qu'à la régie, il est d'usage de procéder à une recherche de reclassement approfondie de sorte qu'aucun agent n'est réformé avant plusieurs mois. La RATP fait valoir que Mme [B] est ainsi restée dans les effectifs et a été rémunérée à l'échéance habituelle en conservant le bénéfice des cotisations à sa retraite. La RATP réplique également qu'aucune disposition légale, réglementaire ou statutaire n'interdit à un employeur de licencier un salarié inapte pour impossibilité de reclassement quand bien même le salarié est reconnu travailleur en situation de handicap. La RATP réplique encore que Mme [B] ne démontre pas qu'elle a contrevenu aux dispositions du protocole en faveur de l'emploi des personnes en situation de handicap et souligne que Mme [B] n'a jamais sollicité de rendez-vous avec le correspondant handicap, le médecin du travail ou l'employeur pour mettre en 'uvre d'éventuelles actions au titre de son handicap et n'a jamais exprimé le besoin d'une formation nécessaire à sa situation ; que la tentative de reclassement de Mme [B] a été menée dans le respect des préconisations du médecin du travail qui avait connaissance du handicap de la salariée et n'a jamais proposé la mise en place d'un télétravail.

Toute forme de discrimination en raison de l'état de santé ou du handicap est prohibée par l'article L. 1132-1 du code du travail. En application de l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application de l'article L.1132-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il en résulte que, lorsque le salarié présente des éléments de faits constituant, selon lui, une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

sur la discrimination à raison de l'état de santé

En l'espèce, à l'appui de son allégation de discrimination à raison de l'état de santé, Mme [B] présente comme élément de fait constituant, selon elle, une discrimination, la notification de sa réforme sans avis de la commission médicale.

Toutefois, au regard des articles du statut du personnel exposés précédemment, la RATP n'était pas tenue de solliciter l'avis de la commission médicale en l'absence de demande en ce sens de Mme [B].

Partant, l'absence d'avis de cette commission ne laisse pas supposer l'existence d'une discrimination de la part de l'employeur.

sur la discrimination à raison du handicap

En l'espèce, à l'appui de son allégation de discrimination à raison de sa situation de handicap, Mme [B] se borne à alléguer que la RATP n'a pas mis en 'uvre les dispositions légales et conventionnelles permettant la sauvegarde de son emploi sans justifier avoir formé une quelconque demande en ce sens, ni a fortiori avoir subi un refus. Il n'existe pas d'élément de fait matériellement établi laissant supposer l'existence d'une discrimination.

Mme [B] sera donc déboutée de sa demande tendant à voir déclarer son licenciement nul et des demandes qui en sont les corollaires (réintégration, versement des salaires entre le licenciement et la réintégration effective, indemnité pour licenciement nul).

* sur le bien-fondé de la réforme

A l'appui de son allégation selon laquelle son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [B] soutient que l'article 99 du statut du personnel a été violé en ce que la RATP ne démontre pas l'avoir invitée à présenter une demande de reclassement avant la mise en 'uvre de la procédure de reclassement.

Ce à quoi la RATP réplique que le simple fait que des recherches de reclassement aient été effectuées par elle démontrent que Mme [B] a manifesté la volonté d'être reclassée et qu'elle ne s'est jamais opposée à la démarche de reclassement en cours.

Mme [B] soutient également que la RATP a manqué à son obligation de reclassement. A cet égard, elle fait valoir que la RATP a fait le choix de lui proposer un poste incompatible avec son état de santé et les préconisations du médecin du travail, à l'origine de son refus du poste proposé, non aménagé et exigeant un port de charge. Mme [B] fait également valoir qu'entre son refus et la mise en 'uvre de la procédure de licenciement, la RATP n'a fait aucune diligence, notamment des recherches d'adaptation, transformation ou aménagement de poste de travail.

Ce à quoi la RATP réplique qu'elle est réputée avoir rempli son obligation de reclassement dès lors qu'elle a proposé à Mme [B], aux termes de recherches loyales et sérieuses, un emploi permanent conforme aux préconisations du médecin du travail. La RATP fait valoir que le reclassement sur un poste sans contact avec le public exclut non seulement les deux principaux postes de travail disponibles au sein de la régie (machiniste receveur et animateur agent mobile, agent des gares ou agent de station) mais également les postes d'agent de sécurité et de contrôleur. La RATP fait également valoir qu'elle était tenue de proposer un poste approprié aux capacités de Mme [B] titulaire d'un CAP employée services administratifs et commerciaux, ce qui excluait les emplois de niveau agent de maîtrise, technicien ou cadre, les emplois d'exploitation roulants et non roulants et les emplois d'opérateurs de maintenance ; que Mme [B] n'a jamais demandé à suivre la formation qualifiante indispensable à l'occupation des postes de maintenance ou de conduite et le médecin du travail n'a pas mentionné que la salariée était susceptible de suivre une telle formation. La RATP fait encore valoir que, eu égard au nombre d'agents déclarés inaptes définitivement à leur emploi statutaire, elle ne dispose pas d'un nombre suffisant d'emplois administratifs de niveau opérateur pour reclasser tous ces agents ; que le médecin du travail ne s'était pas opposé à la mission temporaire d'agent de courrier au sein du département SEM effectuée par Mme [B] entre les 26 juin et 3 octobre 2017 alors que, pourtant, dès le 21 mars 2017, il avait déjà précisé que Mme [B] ne devait pas porter de charges supérieures à 10 kg de sorte que le poste d'agent courrier ligne 10 proposé à titre reclassement à Mme [B] était compatible avec les préconisations du médecin du travail.

La RATP réplique enfin que le passage devant la commission de reclassement n'est prévu que dans l'hypothèse où l'agent inapte définitivement à son poste a accepté une proposition de reclassement, ce qui n'est pas le cas de Mme [B].

L'article 99 du statut du personnel, rappelé précédemment, prévoit que le reclassement est subordonné à l'établissement par l'agent d'une demande. En l'absence de formalisme requis par les textes, les circonstances de la cause, notamment le motif avancé par l'agent pour refuser le poste de reclassement proposé, démontrent que Mme [B] avait implicitement mais nécessairement formé une demande de reclassement.

Aux termes de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III du présent livre.

Suivant l'article L. 1226-2 du code du travail, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

En l'espèce, la RATP a proposé à Mme [B], le 4 juillet 2018, le poste d'agent courrier ligne 10 dont la fiche de poste précise la mission générale, les activités principales et les compétences requises notamment « aptitude physique à la marche et au port de charges ».

Par courriel du 4 juillet 2018, la RATP a sollicité l'avis du médecin du travail sur la compatibilité de l'état de santé de Mme [B] avec la fiche de poste d'agent courrier ligne 10.

Par courriel du 12 juillet 2018, l'infirmière du travail a précisé à l'employeur que Mme [B] s'était bien présentée à la visite médicale le 10 juillet 2018 et que si le médecin du travail n'avait pas établi de fiche d'aptitude, c'est que la fiche antérieure était toujours valide (à savoir celle du 30 mars 2018).

Aux termes de cette fiche du 30 mars 2018, le médecin du travail avait conclu : « EN ATTENTE D'UN POSTE DE RECLASSEMENT patiente inapte au poste d'agent en station depuis le 4 novembre 2016, reclassement en cours ; poste bureau, pas de manutention supérieure à 10 kg ».

Toutefois, la RATP - à qui il incombait de solliciter une réponse expresse du médecin du travail sur les suites de la visite médicale du 10 juillet 2018 en présence d'une contestation par l'agent de la conformité du poste de reclassement proposé avec les préconisations médicales ' ne démontre pas la compatibilité du poste d'agent courrier ligne 10, qui supposait le port de charges, avec l'état de santé de la salariée, notamment l'interdiction de la manutention de charges excédant 10 kg.

Dans ces conditions, l'obligation de reclassement de la RATP n'est pas réputée satisfaite et en l'absence d'autres éléments sur l'exécution de cette obligation par l'employeur, Mme [B] est fondée à se prévaloir d'un manquement à cette obligation rendant sa réforme dépourvue de cause réelle et sérieuse.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur les conséquences de la réforme dépourvue de cause réelle et sérieuse

* sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

En application des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 5213-9 du code du travail et eu égard à la réforme pour inaptitude déclarée sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de reclassement, l'indemnité compensatrice de préavis due à Mme [B] correspond au montant des salaires et avantages que la salariée aurait perçus si elle avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis d'une durée de trois mois, soit la somme de 4 082,12 euros, outre la somme de 408,21 euros au titre des congés payés afférents dans la limite des sommes demandées par la salariée - sommes que la RATP sera condamnée à lui payer.

* sur l'indemnité pour réforme sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau soit en l'espèce entre trois et huit mois de salaire brut.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge - 42 ans - de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi qu'à sa qualité de travailleur handicapé reconnue jusqu'au 9 mai 2021 et aux conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies ' Mme [B] ne produisant aucun élément sur sa situation actuelle - il sera alloué à la salariée, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 12 300 euros, suffisant à réparer son entier préjudice.

Sur les autres demandes

* sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Mme [B] soutient que l'employeur a manifestement violé son obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi car il a procédé à son licenciement avant même que le médecin du travail rende un avis sur la compatibilité du poste proposé avec les préconisations médicales.

La RATP n'a pas présenté d'observations sur cette demande.

Aux termes de l'article L. 1221-1 du code de procédure civile, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En l'espèce, la cour a considéré que la RATP ne rapportait pas la preuve de l'avis du médecin du travail sur la compatibilité du poste de reclassement proposé à Mme [B] avec les préconisations médicales et a conclu à l'absence de cause réelle et sérieuse. Si la démarche de la RATP constitue également un manquement à la bonne foi dans l'exécution du contrat, Mme [B] ne démontre pas que le préjudice qui en résulte est distinct de celui d'ores et déjà indemnisé par l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par conséquent, Mme [B] sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur les intérêts et leur capitalisation

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce. La capitalisation des intérêts dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

* sur le remboursement des indemnités de chômage

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, la cour ordonne à la RATP de rembourser à l'organisme intéressé les indemnités de chômage versées à Mme [B] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de quatre mois d'indemnités.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La RATP sera condamnée aux dépens en première instance et en appel ' la décision des premiers juges étant infirmée sur les dépens.

La RATP sera également condamnée à payer à Mme [B] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles en première instance et la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles en appel ' la décision des premiers juges étant infirmée en ce qu'elle avait débouté Mme [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin, la RATP sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [G] [B] de sa demande de nullité de la réforme pour discrimination et des demandes qui en sont le corollaire ainsi que de sa demande en dommages-intérêts pour inexécution de bonne foi du contrat de travail;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Dit que la réforme est dépourvue de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la Régie Autonome des Transports Parisiens à payer à Mme [G] [B] les sommes suivantes :

* 4 082,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 408,21 euros au titre des congés payés afférents ;

* 12 300 euros à titre d'indemnité pour réforme dépourvue de cause réelle et sérieuse ;

Dit que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil ;

Ordonne à la Régie Autonome des Transports Parisiens de rembourser à l'organisme intéressé les indemnités de chômage versées à Mme [G] [B] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de quatre mois d'indemnités ;

Condamne la Régie Autonome des Transports Parisiens à payer à Mme [G] [B] les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

* 1 500 euros pour la première instance ;

* 2 500 euros en appel ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la Régie Autonome des Transports Parisiens aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/09836
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;21.09836 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award