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15/05/2024 | FRANCE | N°22/10061

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 15 mai 2024, 22/10061


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRET DU 15 MAI 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/10061 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGZXR



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2019 rendu par le Conseil de Prud'hommes de CRETEIL, infirmé partiellement par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 07 Janvier 2021, cassé et annulé partiellement par un arrêt de la chambre s

ociale de la Cour de cassation en date du 28 Septembre 2022.



DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION



Monsieur [S] [G]

[Adresse 2]

[...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 15 MAI 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/10061 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGZXR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Février 2019 rendu par le Conseil de Prud'hommes de CRETEIL, infirmé partiellement par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 07 Janvier 2021, cassé et annulé partiellement par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 28 Septembre 2022.

DEMANDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Monsieur [S] [G]

[Adresse 2]

[Localité 3]

né le 25 Août 1960 à [Localité 5]

Représenté par Me Véronique DE LA TAILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148

DEFENDEUR A LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

S.A.S.U. DERICHEBOURG MULTISERVICES HOLDING

[Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 444 529 531

Représentée par Me Geoffrey CENNAMO, avocat au barreau de PARIS, toque : B0750

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Stéphane MEYER,

M. Fabrice MORILLO, Conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur [S] [G] a été engagé par la société Derichebourg Interim, pour une durée indéterminée à compter du 1er décembre 2012, en qualité de directeur d'activité, avec le statut de cadre dirigeant. A compter du 1er mai 2013, son contrat de travail a été transféré au sein de la société Derichebourg Multiservices Holding avec la qualification de directeur de l'activité intérim tertiaire, avec le statut de cadre dirigeant. Dans le cadre de cette activité, il a été désigné directeur général de la société Derichebourg Sourcing Aéro & Enery (DSAE) à compter du 30 décembre 2016.

La relation de travail est régie par la convention collective des entreprises de propreté.

Par lettre du 25 avril 2017, Monsieur [G] a été convoqué pour le 12 mai 2017 à un entretien préalable à un licenciement et était mis à pied à titre conservatoire. Son licenciement lui a été notifié le 18 mai 2017 suivant pour faute grave, caractérisée par une désertion de ses fonctions, par l'exercice d'une activité concurrente, par des comportements déloyaux et par l'existence de frais professionnels injustifiés.

Le 31 juillet 2017, Monsieur [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des demandes de primes.

Par jugement du 12 février 2019, le conseil de prud'hommes de Créteil a débouté Monsieur [G] de ses demandes et l'a condamné au paiement des dépens.

Monsieur [G] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 19 mars 2019, et a réitéré ses demandes de première instance.

Par arrêt du 7 janvier 2021, la cour d'appel de Paris a estimé que le licenciement n'était pas justifié par une faute grave mais par une cause réelle et sérieuse et a condamné la société au paiement des sommes suivantes :

- indemnité compensatrice de préavis : 37 375 € ;

- indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 3 737,50 € ;

- rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire : 9 878,08 € ;

- indemnité légale de licenciement : 11 750,66 € ;

- conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail : 1 000 € ;

- rappel de primes contractuelles : 34 800 € ;

- les intérêts au taux légal

- indemnité pour frais de procédure : 3 000 € ;

- les dépens.

La société Derichebourg Multiservices Holding a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 28 septembre 2022, la Cour de cassation a cassé partiellement l'arrêt du 7 janvier 2023 mais seulement en ce qu'il avait dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il avait condamné la société au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, du rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire, de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité au titre des conditions vexatoires de la rupture, du rappel de primes contractuelles, de l'indemnité pour frais procédure et des dépens et en ce qu'il avait débouté la société de sa demande en remboursement au titre des notes de frais indûment payées et des frais personnels exposés par Monsieur [G] pris en charge par la société. La Cour de cassation a remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la présente cour, autrement constituée.

C'est dans ses conditions que Monsieur [G] a saisi la présente cour par déclaration du 18 décembre 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 février 2023, Monsieur [G] demande la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté la société de ses demandes, son infirmation pour le surplus, ainsi que la condamnation de la société à lui verser les sommes suivantes :

- indemnité de préavis et congés payés afférents : 41 112,50 € ;

- rappel de salaire pour la période de mise à pied : 9 966,66 € ;

- indemnité légale de licenciement : 29 023,29 €, ou subsidiairement 23 218,63 € ;

- dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement : 16 584,74 € ;

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et vexatoire : 250 000 € ;

- primes en souffrance : 38 500 € ;

- prime spéciale : 8 720 € ;

- indemnité pour frais de procédure : 15 000 € ;

- les dépens de première instance et d'appel ;

- il demande également que soit ordonnée, sous astreinte de 100 € par jour de retard, la remise d'un reçu pour solde de tout compte, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un certificat de travail, documents rectifiés.

Au soutien de ses demandes et en réplique à l'argumentation adverse, Monsieur [G] expose que :

- son licenciement n'est pas justifié ; il fait suite à sa demande de rappel de primes impayées : les griefs de l'employeur manquent de véracité ou de précision ou bien sont prescrits ;

- la clause d'exclusivité qui lui était imposée est nulle et sa violation ne peut donc lui être reprochée. De plus, l'activité qui lui est reprochée n'était pas concurrente à celle de la société Derichebourg Multiservices Holding ;

- le groupe Derichebourg a manifesté sa confiance à son égard pendant sept ans en lui proposant d'occuper des postes clefs, en revalorisant son salaire à plusieurs reprises et en lui réglant des primes, ce qui contredit les griefs de l'employeur ;

- sa demande relative au caractère vexatoire du licenciement a bien été formulée en première instance et reprise en cause d'appel ; la rupture du contrat de travail s'est déroulée dans un contexte brutal et humiliant pour lui ;

- la procédure de licenciement est irrégulière ;

- le demande de remboursement formée par la société Derichebourg Multiservices est prescrite et injustifiée.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 mars 2023, la société Derichebourg Multiservices Holding, qui a formé appel incident, demande la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles.

La société demande également de déclarer irrecevable la demande de rappel de primes au 13 février 2014.

Elle demande la condamnation de Monsieur [G] à lui payer 3 169,89 euros en remboursement de frais personnels indûment payés ainsi qu'une indemnité pour frais de procédure de 10 000 euros.

Au soutien de ses demandes, la société Derichebourg Multiservices Holding expose que :

- les faits reprochés à Monsieur [G] ne sont pas prescrits et sont établis, malgré son ancienneté et l'absence d'avertissements antérieurs ; ils sont constitutifs de fautes graves ;

- Monsieur [G] a dirigé une société concurrente pendant deux ans, sans l'en informer, violant ainsi la clause d'exclusivité valable stipulée par son contrat de travail, ce qui explique son désinvestissement ;

- la procédure de licenciement est régulière ;

- le licenciement de Monsieur [G] a pour origine l'inobservation de ses obligations contractuelles et non sa demande de rappel de primes comme il le prétend ;

- la demande de rappel de primes antérieures au 30 juillet 2014 est prescrite et n'est pas fondée pour le surplus.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement et les demandes afférentes

Il résulte des dispositions de l'article L. 1234-1 du code du travail que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle nécessite le départ immédiat du salarié, sans indemnité.

La preuve de la faute grave incombe à l'employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.

Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, conformément aux dispositions de l'article L. 1232-1 du code du travail.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 18 mai 2017, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, reproche tout d'abord en substance à Monsieur [G], un désinvestissement progressif dans ses missions, une désertion de son poste de travail, une absence d'accompagnement et de management, ainsi qu' un comportement désinvolte.

L'employeur lui reproche notamment son refus de participer à de nombreuses réunions importantes (précisant que, sur quinze réunions physiques, il n'a participé qu'à deux réunions), ainsi que son départ anticipé de réunions.

L'employeur précise que Monsieur [G] a quitté à 12 heures pour partir en week-end, la réunion du 10 mars 2017 planifiée de 11 h à 14 h, sans se soucier de la paye de 1 800 salariés, entraînant l'inquiétude des membres de son équipe qui ne parvenaient pas à le joindre. Elle produit à cet égard un sms du 11 mars 2017, aux termes duquel le président lui demandait des explications, ainsi que la preuve de la régularisation des payes rendue nécessaire par cette carence.

De son côté, Monsieur [G] expose avoir participé à toute la réunion mais n'avoir pu assister au déjeuner, au motif qu'il a dû impérativement partir travailler sur le PSE en cours d'élaboration au sein de la société DSAE dans un climat syndical tendu. Cependant, la société Derichebourg Multiservices produit l'attestation de madame [N], responsable des ressources humaines, qui déclare que Monsieur [G] lui a indiqué au téléphone qu'il était sur la route pour partir en week-end.

Monsieur [G] fait également valoir que les virements étaient dûment validés par lui mais que, le jour des faits, il a existé des difficultés de connexion avec l'outil de paiement en ligne et qu'il ne peut lui être reproché un retard dans la signature des ordres de virements, puisqu'il résulte d'un mail du 5 avril 2017 émanant de la responsable paie et facturation, que, dans le passé deux personnes étaient chargées de cette mission et qu'à la date de ce message, il était investi de celle-ci et que dès lors, le service concerné ne pouvait plus être aussi réactif que dans le passé. Cependant, le courriel du 5 avril qu'il produit à cet égard n'établit pas la réalité de ses allégations.

La société Derichebourg Multiservices reproche également à Monsieur [G] d'avoir écourté sa présence à une réunion capitale du 21 mars 2017, puis d'avoir pris ses congés payés du 27 mars au 21 avril 2017 sans en avertir aucun membre de la Direction Générale à un moment inopportun alors que des dossiers sensibles étaient en cours, situation entraînant le désarroi de membres de son équipe, alors que, parallèlement, il refusait l'octroi de congés à des collaborateurs pour quelques jours.

Elle produit des articles de presse des 3, 4 et 7 avril, témoignant de l'existence d'un mauvais climat social au sein de l'entreprise et de la dégradation de son image, ainsi que des courriels de Madame [H], responsable RH, se plaignant de la situation et la réponse de Monsieur [G], montrant son désintérêt le plus total face à cette situation.

Concernant la réunion du 21 mars, Monsieur [G] soutient qu'il n'avait été invité à intervenir que sur une plage horaire précise. Cependant, les courriels des 7 et 10 avril qu'il produit à cet égard n'établissent pas la réalité de cette allégation.

En ce qui concerne ses congés, Monsieur [G] fait valoir qu'ils ont été dûment notifiés le 30 mars 2017 au service paye, puis modifiés le 3 avril, ce qui ne contredit pas les allégations de l'employeur ; Il en est de même du courriel que le président lui a adressé le 19 avril suivant, lui indiquant que ses vacances n'étaient pas " simples à suivre ".

La société Derichebourg Multiservices reproche également à Monsieur [G] son désinvestissement dans le pilotage d'un PSE initié en mars 2017 au sein de la société DSAE, en demandant à la responsable RH de se substituer à lui, de pas s'être déplacé à [Localité 6] pour annoncer la suppression de 30 postes, alors qu'il y était attendu.

Contrairement à ce que Monsieur [G] prétend, ce grief n'est pas contredit par l'attestation de Madame [P], laquelle déclare qu'il ne s'est présenté à [Localité 6] qu'à deux réunions, les 13 et 22 mars 2017.

Par ailleurs, tous les griefs susvisés de l'employeur sont établis par les attestations précises, concordantes et circonstanciées de Mesdames [B], directrice des activités, Aucan, responsable administrative et comptable, [R] et [D], responsables sourcing et recrutements, [O], directrice régionale, [N], responsable des ressources humaines, ainsi que par de nombreux courriels internes, établissant l'absence d'investissement de Monsieur [G] dans les différents projets et sa pratique consistant à reporter ses tâches sur ses collaborateurs, lesquels faisaient part de leur désarroi, éléments qui ne sont pas utilement contredits par Monsieur [G].

C'est ainsi que, par courriel du 31 mars 2017, Madame [B], directrice des activités, écrivait à Madame [R], responsable sourcing et recrutements : " Bon là ça devient n'importe quoi'. Je n'arrive plus à suivre. Où il va ce qu'il veut'. Suis désolée mais je n'y arrive plus du tout' Je m'avance vers une demande de rupture conventionnelle ma Valou Ca devient n'importe quoi' Je vais réfléchir posément ce we mais franchement y a plus de pilote' "

Le 13 avril suivant, Madame [B] écrivait à Monsieur [G] que le comité de direction était " désemparé ", ayant besoin de lui sur des sujets importants concernant l'avenir de l'entreprise et que les membres de l'équipe étaient " épuisés ".

Monsieur [G] fait valoir que le groupe Derichebourg n'a eu de cesse, pendant sept ans, de lui renouveler sa confiance, lui a proposé d'occuper des postes clés particulièrement exigeants et a témoigné par là-même sa satisfaction à l'égard du travail accompli compte tenu de ses résultats et de ses compétences et qu'il n'avait jamais fait l'objet de sanctions disciplinaires.

Cependant, les faits dont il se prévaut à cet égard sont antérieurs à ceux visés par la lettre de licenciement.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que cette première série de griefs est établie.

Monsieur [G] invoque la prescription disciplinaire de ces faits.

Cependant, si, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales, il est néanmoins possible de prendre en considération des faits antérieurs à deux mois, lorsque des faits de même nature ont ensuite été commis dans ce délai.

Or, il résulte des explications qui précèdent qu'une grande partie des faits reprochés à Monsieur [G] et qui sont de même nature, ont été commis moins de deux mois avant la mise en 'uvre de la procédure de licenciement.

En second lieu, la société Derichebourg Multiservices reproche à Monsieur [G] d'avoir, le 25 avril, date de la remise en mains propres de la lettre de convocation à entretien préalable, levé, sans raison valable, les obligations de non-concurrence de deux cadres stratégiques, Mesdames [B] et [R], exposant l'entreprise à des risques importants, alors qu'il est prévu au sein du groupe une procédure d'information préalable et de validation.

Ces faits sont établis par les lettres que Monsieur [G] a adressées le 25 avril aux deux salariées concernées, lesquelles ont attesté qu'elles n'avaient pas demandé à bénéficier de cette décharge et que c'est Monsieur [G] qui en avait pris l'initiative.

Monsieur [G] explique que le président lui avait, lors d'un entretien téléphonique du 19 avril, donné pour instruction d'agir de la sorte, car, dans le cadre d'une restructuration des activités du Groupe, il envisageait de se séparer d'un certain nombre de cadres et souhaitait ainsi éviter de rémunérer les clauses de non-concurrence.

Cependant, la société Derichebourg Multiservices réplique à juste titre que, d'une part, Monsieur [G] ne rapporte pas la preuve de telles instructions, alors qu'il existait, au sein de l'entreprise une procédure particulière qui n'a pas été respectée et d'autre part que les clauses de non-concurrence prévoyant la possibilité, pour l'entreprise, de s'en délier en cas de rupture des contrats de travail, celle-ci n'avait aucun intérêt à agir de façon anticipée.

Par ailleurs, le fait, invoqué par Monsieur [G], que ce grief n'ait pas été évoqué lors de l'entretien préalable au licenciement, n'a aucun effet sur son caractère bien fondé.

Ces agissements, qui n'avaient aucune autre motivation que celle de nuire à l'entreprise alors que la procédure de licenciement était imminente, ce que Monsieur [G] ne pouvait ignorer, relève d'un manque de loyauté à son égard.

En troisième lieu, la société Derichebourg Multiservices reproche à Monsieur [G] l'inobservation des règles relatives à l'utilisation de ses deux véhicules professionnels et le caractère abusif de ses notes de frais.

A cet égard, le contrat de travail prévoyait la mise à disposition d'un véhicule de fonction, qualifié d'avantage en nature évalué de façon forfaitaire à 100 euros par mois, et l'annexe de ce contrat précisait que ce véhicule pourrait être utilisé chaque jour pour un usage professionnel ou pour assurer des déplacements du lieu d'habitation au lieu de travail

Or, la société Derichebourg Multiservices expose qu'alors que Monsieur [G] bénéficiait à titre professionnel, d'un véhicule Mercedes Benz, Classe E, immatriculée le 15 mai 2013, il a décidé de façon unilatérale, en janvier 2017, de faire l'acquisition, aux frais de l'employeur, d'une Renault Talisman pour un montant de 36 290,36 euros et d'utiliser, toujours aux frais de l'employeur les deux cartes de carburant mises à sa disposition, en dehors des nécessités de son travail ou de ses trajets entre son domicile et son lieu de travail, par exemple pendant ses congés ou pour l'utilisation de sa moto, faits datés du 22 février au 8 avril 2017.

La société Derichebourg Multiservices ajoute que Monsieur [G] a présenté de très nombreuses notes de restauration et de dépenses injustifiées, faits datés entre le 21 janvier et le 14 mars 2017.

Elle produit, à cet égard, les justificatifs de ces différents frais engagés.

De son côté Monsieur [G] fait valoir que le second véhicule ayant été livré le 21 mars 2017 à son épouse, il était convenu de restitue le premier à son retour de congés soit après le 26 avril 2017.

Sur ce point, ses explications doivent être retenues.

En revanche, en ce qui concerne l'utilisation de la carte de carburant, Monsieur [G] explique, d'une part, qu'il a dû interrompre ses vacances pour un rendez-vous de travail et d'autre part qu'il utilisait parfois sa moto personnelle pour ses déplacements en région parisienne, avec l'accord du président, mais ne rapporte pas la preuve de ces allégations.

Concernant les autres frais, Monsieur [G] a justifié un certain nombre de notes de repas par l'invitation de collègues, alors que la société établit qu'elles n'étaient pas présentes.

Monsieur [G] invoque également la prescription disciplinaire de ces faits mais il résulte, là encore, des explications qui précèdent qu'une partie des faits qui lui sont reprochés et qui sont de même nature, ont été commis moins de deux mois avant la mise en 'uvre de la procédure de licenciement.

Ce grief est donc établi.

Les trois séries de griefs ainsi décrits, qui sont établis, relèvent d'un manque de loyauté persistent à l'égard de l'entreprise de la part d'un cadre dirigeant et menaçaient gravement ses intérêts ; ils justifiaient à eux seuls, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le bienfondé des autres griefs, la rupture immédiate du contrat de travail de Monsieur [G] et sont donc constitutifs d'une faute grave.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [G] de ses demandes d'indemnité de préavis, de congés payés afférents, de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, d'indemnité légale de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au soutien de sa demande d'indemnité pour licenciement vexatoire, Monsieur [G] fait valoir que l'entreprise a mis fin de façon brutale à son contrat de travail en le mettant immédiatement à pied.

Cependant, la réalité des fautes graves étant prouvée, l'employeur était en droit de procéder ainsi, sans qu'un abus de ce droit ne soit établi.

Cette demande doit donc être rejetée.

Au soutien de sa demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement, Monsieur [G] fait valoir que la lettre de convocation à entretien préalable du 25 avril 2017 est muette sur la faculté de se faire éventuellement assister par un conseiller dûment habilité et que ce n'est que le 9 mai 2017, soit à trois jours de l'entretien préalable, que l'employeur l'a informé sur ce point à la suite de ses interrogations, ce qui a été, pour lui, source de stress et d'angoisse.

Cependant, la société Derichebourg Multiservices réplique à juste titre que Monsieur [G] ayant été, lors de l'entretien préalable, assisté par un conseiller du salarié, ne rapporte pas la preuve d'un préjudice.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur les demandes de primes

La société Derichebourg Multiservices soulève la prescription de ces demandes pour la période antérieure au 30 juillet 2014.

Aux termes de l'article L.3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l'espèce, le contrat de travail ayant été rompu le 18 mai 2017, la demande est prescrite pour les sommes dues antérieurement au 18 mai 2014 et recevable pour les sommes dues à compter de cette date.

Sur le fond, le contrat de travail de Monsieur [G], signé le 14 novembre 2012 prévoyait, en plus du salaire fixe, une rémunération variable pouvant atteindre 25 % du salaire brut annuel de base sur 13 mois en cas de l'atteinte d'objectifs " déterminés ultérieurement par la Direction " et conditionnée par une présence d'au moins 8 mois sur l'exercice.

Monsieur [G] fait valoir que, les 11 février 2016 et 12 février 2016, il n'a perçu que des primes de 15 000 € chacune, au lieu des primes de 32 500 € qu'il devait percevoir.

La société Derichebourg Multiservices réplique que ses objectifs, qui lui avaient été fixés, n'ont pas été atteints mais ne produit pas la preuve de la fixation des objectifs au titre de l'exercice du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2015, puis du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016 et ne fournit pas son calcul permettant d'aboutir au chiffre de 15 000 euros

Monsieur [G] est donc fondé à obtenir paiement de la différence, soit 17 500 euros pour chacun des exercices, soit 35 000 euros au total.

En ce qui concerne l'exercice suivant, soit du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2017, les parties ont conclu un avenant le 4 octobre 2016, modifiant les modalités de calcul de la prime mais prévoyant à nouveau que celle-ci serait conditionnée par une présence minimale effective d'au moins 8 mois sur l'exercice.

Monsieur [G] soutient que cet avenant instaure une " indemnité spéciale ", qui s'ajoute à la prime variable contractuellement prévue par le contrat du 14 novembre 2012, eu égard aux nouvelles sujétions auxquelles il était soumis.

Cependant, la société Derichebourg Multiservices fait valoir à juste titre, d'une part que Monsieur [G] ne justifiait que de 7 mois ¿ de présence au jour de son licenciement et d'autre part que cet avenant se substitue sur ce sujet aux stipulations du contrat de travail.

Il doit donc être débouté du surplus de ses demandes.

Sur la demande reconventionnelle en remboursement formée par la société

Aux termes de l'article L.3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En l'espèce, le contrat de travail ayant été rompu le 18 mai 2017 et les demandes de remboursement, présentées dans le cadre de la procédure prud'homale et portant sur des sommes versées après le 18 mai 2014, l'action de la société Derichebourg Multiservices n'est pas prescrite.

Il résulte des dispositions des articles 1302, et 1353 du code civil, que celui qui prétend avoir versé indument une somme d'argent est fondé à en obtenir restitution, à condition d'établir, d'une part, la réalité du paiement et d'autre part son caractère indu.

En l'espèce, il résulte des pièces produites par les parties et de leurs explications, qu'une partie des sommes dont la société Derichebourg Multiservices demande le remboursement n'est pas justifiée.

Cependant, il résulte des explications qui précèdent que Monsieur [G] a indument imputé à la société Derichebourg Multiservices et obtenu le remboursement de nombreux frais qui, en réalité, étaient destinés à son usage personnel.

Il convient d'ajouter, que, même si ce grief ne peut être retenu au titre des motifs du licenciement, la société Derichebourg Multiservices établit qu'un séminaire du Comité de Direction de la société s'est tenu les jeudi 17 et vendredi 18 novembre 2016 à [Localité 7] et qu'alors que tous ses collègues devaient partir le vendredi 18 novembre 2016 Monsieur [G] a poursuivi son séjour en compagnie de son épouse, imputant ensuite à son employeur deux nuitées d'hôtel supplémentaires pour des montants de 368 et 496 euros, outre les frais de repas, de parking, ainsi que de soins en spa pour son épouse.

De son côté, Monsieur [G] expose que le président lui ayant demandé de travailler activement sur un sujet important lui avait proposé, en compensation, de rester quelques jours de plus à [Localité 7] avec son épouse aux frais de l'entreprise. Cependant, il ne rapporte pas la preuve de cette allégation.

Par ailleurs, Monsieur [G] ne fournit aucune explication sur la note de frais d'avril 2016, qu'il a signée et validée, imputant à l'entreprise 1 169,98 euros correspondant aux frais de révision de sa moto personnelle, de marque Harley Davidson.

En définitive, il résulte de l'examen des pièces produites par la société Derichebourg Multiservices qu'elle justifie du remboursement indu de frais à hauteur de 2 500 euros.

Il convient donc, en procédant par voie d'infirmation du jugement, de faire droit à la demande de la société Derichebourg Multiservices dans cette limite.

Sur les autres demandes

Il convient d'ordonner la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire.

Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Derichebourg Multiservices à payer à Monsieur [G] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [S] [G] de sa demande de primes et la société Derichebourg Multiservices Holding de sa demande reconventionnelle de remboursement de frais ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés ;

DÉCLARE Monsieur [S] [G] prescrit en sa demande de primes relatives à la période antérieure au 18 mai 2014 et recevable pour les sommes dues à compter de cette date ;

CONDAMNE la société Derichebourg Multiservices Holding à payer à Monsieur [S] [G] 35 000 euros de primes (rémunération variable), ainsi qu'une indemnité pour frais de procédure de 1 500 euros ;

ORDONNE la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa signification ;

DÉCLARE la société Derichebourg Multiservices Holding recevable en sa demande de remboursement de frais ;

CONDAMNE Monsieur [S] [G] à payer à la société Derichebourg Multiservices Holding 2 500 euros en remboursement de frais ;

DÉBOUTE Monsieur [S] [G] du surplus de ses demandes ;

DÉBOUTE la société Derichebourg Multiservices Holding de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel ;

CONDAMNE la société Derichebourg Multiservices Holding aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 22/10061
Date de la décision : 15/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-15;22.10061 ?
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